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Le problème de la relation de causalité entre un Dieu simple et un monde entre un Dieu simple et un monde

antiques et patristiques

IV. Le problème de la relation de causalité entre un Dieu simple et un monde entre un Dieu simple et un monde

composé

Si la simplicité permet de distinguer radicalement Dieu du monde composé, n’est-elle pas un obstacle pour penser une relation de causalité de l’un à l’autre ? Comment comprendre qu’un être absolument distinct du monde par sa simplicité en soit également l’origine ?

Le juif Philon d’Alexandrie et le chrétien Origène258 n’opposent pas transcendance du Dieu simple et principialité du Dieu démiurge ou créateur, mais, au contraire, affirment que Dieu est principe et origine du monde composé en même temps qu’ils établissent son absolue simplicité.

Dans une page des Allégories des Lois259, où il interprète la Genèse à l’aide d’outils néopythagoriciens, Philon d’Alexandrie développe avec beaucoup de richesse l’idée de simplicité divine. Il interprète le verset 2, 18 de la Genèse : « Et le Seigneur Dieu dit : Il n’est pas bien que l’homme soit seul (monon) », comme exprimant non un besoin de l’homme, mais la spécificité de Dieu, qui est par excellence « le Seul » (monon). Puisque « rien n’est semblable à Dieu », « il est bien que le Seul soit seul (ton monon einai monon) »260, on pourrait presque dire : il est bien que le Seul soit seul à être seul. Philon donne trois interprétations de cette solitude de Dieu, qui peut désigner son unicité (II, 1), son auto-suffisance (II, 2), mais

« Il est encore mieux, cependant, de l’entendre ainsi : Dieu est seul et un (monos kai hen), pas un composé (sugkrima) mais une nature simple (haplè), tandis que chacun de nous et des autres êtres qui sont nés, est une chose complexe (polla). Moi, par exemple, je suis complexe : âme, corps, dans l’âme partie irrationnelle et partie raisonnable, dans le corps le chaud, le froid, le lourd, le léger, le sec, l’humide. Mais Dieu n’est pas un composé, ni constitué de plusieurs choses ; il est sans mélange (amigès) de rien d’autre. Car ajoutez quelque chose à Dieu, ce sera quelque chose de supérieur à lui, ou d’inférieur, ou d’égal ; mais il n’est rien d’égal ni de supérieur à Dieu, et, d’autre part, rien d’inférieur ne s’ajoute à lui ; ou alors lui-même serait amoindri ; mais, s’il est amoindri, il sera aussi corruptible, ce qu’il n’est lui-même pas permis de penser. Dieu est donc dans l’ordre de l’un et de la monade (to hen kai ten monada) ; ou plutôt la monade dans l’ordre du Dieu un : car tout nombre est plus récent que le monde, et aussi le temps ; Dieu est l’aîné et le démiurge du monde. »261

258 Marqué par la pensée de Philon et si influent sur la théologie du IVe siècle, voir Lewis Ayres, Nicaea and its Legagy, Oxford UP, 2004, p. 20-22.

259 Legum Allegoriae, II, 1-3. Les œuvres de Philon d’Alexandrie, tome 2 : Legum Allegoriae I-III, trad. Cl. Mondésert, Paris, Cerf, 1962.

260 Legum Allegoriae, II, 1.

Dieu est seul au sens où il n’y a rien en lui qui ne soit lui, sinon il contiendrait quelque chose de moindre que lui, puisqu’il n’y a « rien d’égal [car il est « unique » (II, 1)] ni de supérieur à Dieu [car il est le principe suprême] », et serait donc diminué. Il ne serait pas absolument parfait, ni auto-suffisant comme affirmé quelques lignes plus haut, « Dieu n’a besoin de rien absolument ». La simplicité de Dieu est donc le corollaire de son unicité et de son indépendance, et le terme monon permet d’exprimer à la fois ces trois dimensions. L’affirmation « Dieu est seul et un » fait écho à une « formule philonienne relative au Dieu transcendant : Dieu est τό έν καί μόνον, l’Un et le Seul. »262 Philon parle de la μόνωσις pour désigner cet état de solitude par lequel Dieu « est isolé en lui-même, à part du reste, bref, transcendant, et, comme tel, il se rattache très précisément à des spéculations néopythagoriciennes sur la monade μονωθεϊσα »263. A la fin de notre texte, son hésitation sur l’assimilation de Dieu à la monade reflète une double conception, d’origine néopythagoricienne, de la monade, comprise soit comme le premier des nombres, alors inférieure à Dieu, soit comme de nature transcendante et identique à Dieu264. Dans ce dernier cas, la monade est caractérisée par sa pureté, son indivisibilité et son isolement en elle-même, sa

monosis, ce qui justifie son assimilation à Dieu265. Ces trois propriétés sont parentes de la simplicité, qui apparaît dans notre texte comme le propre de Dieu par opposition266 à la complexité des « êtres qui sont nés ». Mais ce contraste de la complexité du monde avec la simplicité du Dieu transcendant n’empêche pas Philon de nommer Dieu « l’aîné et le démiurge du monde ».

Dans le Traité des principes, Origène reprend la double nomination de Dieu comme monos et hen et, loin d’opposer simplicité absolue et principialité, justifie la première par la seconde. C’est parce que Dieu est « principe de tout » qu’il ne peut être composé, un composé étant second par rapport à ses éléments. La simplicité permet à Origène de prouver l’incorporéité de Dieu :

« Il ne faut pas se représenter Dieu comme s’il était un corps ou comme s’il était dans un corps, mais comme une nature intellectuelle simple (intellectualis natura simplex), qui ne souffre absolument aucun ajout : ne croyons pas qu’il y ait en lui du plus ou du moins, car il est entièrement une monade (μονάς), et, pour ainsi parler, une hénade (ένάς)267, une intelligence (mens) qui est la source d’où procède toute nature

262 A. J. Festugière, o. p., La Révélation d’Hermès Trismégiste, IV : Le Dieu inconnu et la gnose, Paris, 1954, p. 21.

263 A. J. Festugière, La Révélation d’Hermès Trismégiste, IV : Le Dieu inconnu et la gnose, p. 20-21.

264 A. J. Festugière, La Révélation d’Hermès Trismégiste, IV : Le Dieu inconnu et la gnose, p. 19-21.

265 Voir A. J. Festugière, La Révélation d’Hermès Trismégiste, IV : Le Dieu inconnu et la gnose, p. 20-21 et la note 8 du De

Fuga et inventione, § 164 (Les œuvres de Philon d’Alexandrie, tome 17, éd. E. Starobinski-Safran, Paris, Cerf, 1970, p.

224-225) qui donnent des justifications textuelles dans l’œuvre de Philon.

266 Cette opposition apparaît dans d’autres œuvres de Philon. Ainsi, De mutatione nominum, § 184 (Les œuvres de Philon

d’Alexandrie, tome 18, éd. R. Arnaldez, Paris, Cerf, 1964) : « il est nécessaire que les vertus de Dieu soient sans

mélange, parce que Dieu lui-même n’est pas un agrégat, mais une nature simple, tandis que les vertus des hommes doivent être mêlées, parce que nous-mêmes, nous naissons sous forme de mélanges où le divin et le mortel sont mêlés ensemble et harmonisés d’après les rapports musicaux parfaits. »

267 La note 22 ici de l’édition des SC 252, à la p. 25 de SC 253, commente « monade » et « hénade » : « La définition de Dieu comme monade est pythagoricienne [...]. Dieu est dit l’Un, τό έν, dans la tradition platonicienne [...]. L’expression ut ita dicam montre qu’Origène a conscience, sinon de forger un néologisme, du moins d’employer un mot rare. [...] Certains pythagoriciens tardifs semblent avoir distingué, comme Origène ici, la Monade, l’unité

intellectuelle ou toute intelligence. [...] cette nature simple, tout entière intelligence, pour se mouvoir et agir, ne peut rien avoir qui la retarde ou la fasse hésiter. S’il en était autrement, ce qui lui serait ajouté limiterait et inhiberait en quelque façon la simplicité de la nature divine (divinae naturae simplicitas) : ce qui est le principe de toutes choses serait composé (compositum) et divers (diversum), multiple et non un (multa,

non unum) ; il importe en effet qu’il soit étranger à toute adjonction corporelle pour être constitué

seulement par ce que je pourrais appeler l’espèce unique de la divinité (una sola...deitatis specie). [...] nous, les hommes, nous sommes des êtres vivants composés d’un assemblage de corps et d’âme ; et c’est ainsi qu’il nous a été possible d’habiter sur la terre. Mais Dieu étant principe de tout (omnium initium), il ne faut pas penser qu’il soit composé : autrement, les éléments dont est composé tout ce qui est appelé un composé seraient antérieurs à lui, le principe (principio). »268

Dieu est une pure intelligence, un pur esprit, au lieu que les hommes sont composés de corps et d’âme. Dans le paragraphe suivant, Origène suggère que, de même que chaque sens a un objet propre, soit les couleurs, soit les sons etc..., l’intelligence humaine a pour objet propre une substance également incorporelle, i. e. Dieu : « il y a une certaine parenté entre l’intelligence (menti) et Dieu, dont l’intelligence (mens) elle-même est une image intellectuelle (intellectualis imago), [...] par là elle peut saisir quelque chose de la nature divine, surtout si elle est davantage purifiée et séparée de la matière corporelle. »269 Comme dans le Phédon de Platon, il est conseillé à l’âme de se spiritualiser et simplifier pour approcher davantage de l’esprit simple entre tous270.

Pour Philon et Origène, Dieu est donc à la fois source d’une multitude, monade, et d’une simplicité transcendante, hénade. Cette simplicité n’empêche pas la relation de Dieu au monde. Au contraire, que Dieu soit source première du monde justifie qu’il soit simple, et sa simplicité en fait l’objet privilégié de l’intelligence humaine.

Les médio- et néoplatoniciens contestent précisément cette conciliation en Dieu entre la simplicité absolue et la relation au monde composé, selon eux cause de division. Aussi, à l’opposition binaire Dieu simple/monde composé, préfèrent-ils un schéma stratifié, multipliant les êtres divins et les degrés de simplicité. Le premier principe absolument simple y est sans relation avec le monde, tandis que le dieu démiurge n’est plus tout à fait simple.

Le néopythagoricien Numénius271 « fut certainement l’un des premiers médioplatoniciens à avoir établi une hiérarchie entre le premier dieu, totalement « oisif », dégagé

première qui engendre la multitude, et l’Un-en-soi, un absolu sans relation avec qui que ce soit ». « Monade » désignerait l’unité divine en tant que source d’une multitude, ce qu’évoque Origène à la fin de la phrase (« une intelligence...source d’où procède...toute intelligence »), tandis que « hénade » renverrait à sa simplicité transcendante.

268 Traité des principes, I, 1, 6, 149-193 (SC 252).

269 Traité des principes, I, 1, 7, 253-256 ; voir aussi Contre Celse, VII, 38 : « En disant que le Dieu de l’univers est esprit, ou qu’il est au-delà de l’esprit et de l’essence, simple (απλουν), invisible, incorporel, nous affirmons que Dieu n’est pas compris par un autre que par celui qui a été créé à l’image de cet esprit. » (SC 150)

270 Comme l’explique Christopher Stead (Divine substance, p. 160), l’antiquité classique acceptait largement la maxime « Le semblable est connu par le semblable », dont une implication pratique est « Ressemble à ce que tu souhaites connaître ». Dès lors « la croyance selon laquelle Dieu est une unité parfaite a pour morale que l’unité doit être réalisée dans chaque vie humaine, par la constance du propos et l’éloignement des distractions. »

271 Voir George Karamanolis, "Numenius", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring 2014 Edition), Edward N. Zalta (ed.), URL = <http://plato.stanford.edu/archives/spr2014/entries/numenius/> et surtout Alexandra

de toute activité poïétique et le démiurge à qui revient la tâche de soumettre la matière à l’ordre intelligible », comme l’écrit Alexandra Michalewski272. La simplicité implique d’être centré sur soi-même et absolument solitaire, tandis que la relation à l’autre, en particulier sensible, divise : « Selon Numénius, le premier principe n’a absolument aucun rapport avec l’organisation démiurgique du monde sensible. [...] Ce principe, le Bien, est caractérisé par la simplicité. Cette simplicité est l’autre nom de la concentration en soi, qui le rend totalement indivisible, infrangible. « Le dieu, celui qui est premier, qui reste en lui-même, est simple ; du fait qu’il est en contact permanent avec lui-même, il ne peut jamais être divisé » [Fgt. 11, 11-13]. Simple, il n’est jamais soumis à la dispersion ou à la division, comme c’est le cas pour le second intellect scindé entre son regard vers le principe et son attraction vers le sensible. »273 Ce second dieu « est marqué par la division : tourné vers le premier dieu, il pense éternellement les Idées, mais il est également attiré par la matière qu’il s’emploie à soumettre à la rationalité intelligible », d’où une division « en deux divinités : l’intellect pensant et le démiurge en contact avec la matière. »274

Les exigences de la simplicité absolue continuent à épurer, pour ainsi dire, la conception de l’Un chez Plotin. Très influencé par Numénius275, il transforme néanmoins sa définition du Premier principe. Selon Numénius, en effet, il y a une continuité entre le Premier principe et les niveaux inférieurs. Chez celui-ci, l’être et la pensée sont unifiés au plus haut point, tandis qu’ils le sont moins chez le second intellect et ainsi de suite. « Plus on descend dans la hiérarchie des principes, plus l’unité se détend, jusqu’au démiurge qui entre en contact avec la matière. [...] La simplicité du Premier n’exclut pas l’identité de l’être et de la pensée, elle exclut la possibilité que l’être se scinde ou se divise, comme le fait le second intellect. Le premier dieu est le plus haut point d’unité entre l’ousia et la pensée, si bien que même l’écart réflexif est impossible, délégué au second intellect. Au sein du premier dieu, il y a un contact immédiat, direct, sans faille, entre l’être, totalement concentré en lui-même et l’intellect qui l’appréhende dans son unité. [...] Le premier principe de Numénius n’est pas totaliter alius. Il est un intellect et un être, plus unifié que le second dieu, lui aussi intellect et être. »276 Plotin transforme le sens de l’unité du Premier, qui n’est plus l’unité maximale d’une certaine multiplicité – l’être et la pensée –, mais une simplicité totalement indéterminée277. En donnant à l’Un une nature radicalement différente de celle des strates inférieures, Plotin évite un problème de régression à l’infini : « ce principe de continuité en

Michalewski, « Le Premier de Numénius et l’Un de Plotin », Archives de Philosophie 75, 2012, 29-48, qui fournit de nombreuses références bibliographiques et dont ce qui suit reprend les analyses.

272 A. Michalewski, « Le Premier de Numénius et l’Un de Plotin », p. 32.

273 A. Michalewski, « Le Premier de Numénius et l’Un de Plotin », p. 34.

274 A. Michalewski, « Le Premier de Numénius et l’Un de Plotin », p. 30.

275 A. Michalewski, « Le Premier de Numénius et l’Un de Plotin », p. 29-31.

276 A. Michalewski, « Le Premier de Numénius et l’Un de Plotin », p. 36-37.

vertu duquel le second intellect est une image du premier dieu, qui est l’unité de l’être et de la pensée, pourrait mener à une régression infinie. En effet, pourquoi ne pas fonder l’unité du Premier dans une unité encore supérieure ? [...] Dès lors que le fondement est plus parfait (ou plus unifié), mais toujours de même nature, que ce qu’il fonde, ce genre de problème logique ne manque pas de réapparaître. [...] En posant à l’origine de toutes choses un principe différent de ce qui découle de lui, Plotin pense un principe qui, par son altérité, met fin à la remontée infinie dans la recherche du fondement. »278 L’unité totale entre pensée et être du premier dieu de Numénius recèle encore aux yeux de Plotin une multiplicité incompatible avec la simplicité absolue du Premier :

« Cette multiplicité dans l’unité, le monde intelligible, est sans doute ce qui est proche du Premier [...], pourtant elle n’est pas le Premier, parce qu’elle n’est ni un ni simple. Or l’Un qui est le Principe de toutes choses est simple. »279

La primauté de l’Un exige sa simplicité280. Plus précisément, Plotin s’appuie sur ce que Dominic O'Meara281 nomme « le Principe de l’Antériorité du Simple » non seulement pour affirmer la simplicité du Premier, mais même pour justifier l’existence d’un premier principe. La simplicité n’est pas tant un attribut de ce dont on sait par ailleurs l’existence, que ce qui justifie l’existence du Premier principe. Il doit selon Plotin exister de l’absolument simple :

« Il faut qu’avant le multiple il y ait l’unité d’où vient ensuite le multiple ;

- Oui, en effet, pour tout nombre, l’unité vient en premier. Mais c’est ce qu’on dit pour le nombre, parce que la série des nombres consiste en une composition ; mais pour les êtres, quelle nécessité alors d’avoir là aussi quelque chose d’un, d’où procède la multiplicité des choses ?

- Autrement cette multiplicité serait dispersée en tous sens et les choses viendraient de tous les côtés pour entrer au hasard en composition. »282

« il n’est pas possible qu’il y ait une multiplicité sans qu’il existe une unité d’où le multiple dérive ou dans lequel il est, ou sans qu’existe en général une unité qui soit comptée la première parmi les autres choses, et qui doive être considérée seule, en elle-même et par elle-même. [...] s’il y a quelque chose de

278 A. Michalewski, « Le Premier de Numénius et l’Un de Plotin », p. 37 et 47.

279 Traité 9, 5, 20-24 (trad. P. Hadot, Paris, Cerf, 1994).

280 Traité 7, 1, 5-22 (trad. L. Brisson et J.-F. Pradeau (dir.), Paris, GF, 2003) : « Il faut en effet qu’il y ait quelque chose de simple avant toutes choses […]. Car si elle n’est pas simple, si elle n’est pas indépendante de toute combinaison et de toute composition, et si elle n’est pas réellement une, alors elle ne saurait être principe. Parce qu’elle est simple et qu’elle est la première de toutes les choses, elle est ce qui se suffit le plus à soi-même ; car ce qui n’est pas premier a besoin de ce qui est avant lui, et ce qui n’est pas simple a besoin des éléments simples qui sont en lui pour exister à partir d’eux. […] De sorte que, s’il existait quelque chose d’autre après le Premier, ce ne pourrait être quelque chose de simple, mais ce serait quelque chose d’« un-multiple ». » ; Traité 33, 1, 1-13 (trad. L. Brisson et J.-F. Pradeau (dir.), Paris, GF, 2006) : « Puisque la nature simple du Bien nous est apparue également première – car rien de ce qui n’est pas premier ne saurait être simple – […]. Nous disons que le Bien est le Premier au sens où il est le plus simple, et qu’il est l’autarcique parce qu’il n’est pas issu de plusieurs choses. Car si tel était le cas, il dépendrait de ce dont il est issu. Il ne se trouve pas non plus « en autre chose », parce que tout ce qui se trouve en autre chose provient également d’autre chose. Si donc il ne vient pas d’autre chose, s’il ne se trouve pas en autre chose et s’il n’est en aucune façon composé, il est nécessaire qu’il n’y ait rien au-dessus de lui. »

281 Dominic O’Meara, Plotin, Une introduction aux Ennéades, Fribourg-Paris, Editions Universitaires-Cerf, 1992, p. 59 sq. Voir aussi p. 65 sq. pour la composition de l’intellect divin (marqué par la dualité pensée-objet de pensée et par la multiplicité de l’objet pensé) au-delà duquel l’Un doit donc se situer.

multiple, il faut qu’une unité existe avant la multiplicité. Si donc la pluralité existe dans ce qui intellige, dans ce qui n’est pas pluriel, il ne doit pas y avoir d’intellection. Et cela, c’est le premier. »283

Cet absolument simple n’est donc pas l’unité d’une pluralité, il est au-delà de l’intellect et de l’être284, sans aucune détermination, non par pauvreté, mais par infinie richesse. Le texte suivant, tout en cernant la notion de simplicité, noue ainsi simplicité et infinité de l’Un :

A propos du Premier principe, nous ne disons « pas ‘un’ et ‘sans parties’ de la même manière que nous disons du point ou de la monade qu’ils sont ‘un’ et ‘sans parties’ : car l’‘un’ pris en ce dernier sens correspond aux principes de la quantité, et la quantité n’existerait pas si l’essence ne préexistait pas et surtout ce qui est avant l’essence ; ce n’est donc pas là qu’il faut diriger notre pensée, mais le point et la monade ne sont toujours que dans un état de similitude par rapport à ces réalités supérieures, par les analogies qu’elles ont avec elles, du fait qu’elles sont simples et qu’elles fuient la multitude et la division –.