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PARTIE II LE LIVRE NUMÉRIQUE ET L’ÉCOSYSTÈME DU LIVRE AU QUÉBEC

2. Politiques et législations

2.3 Prix et livre numérique

La France constitue à ce jour l’unique pays européen au sein duquel une loi relative au prix du livre numérique a été votée (et ce au début de 2011, promulguée en mai de la même année). Comme indiqué dans la section précédente, il s’agit de la Loi no 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique aussi connue sous l'acronyme de loi PULN. Celle-ci conjugue le prix unique du livre, instauré par la Loi Lang en 1981, à la prise en compte du format numérique du livre. Le site du Sénat résume ainsi la teneur du texte de loi :

La proposition de loi prévoit, pour faire face à l’émergence du livre numérique, l’obligation pour l’éditeur de fixer un prix de vente pour chaque offre commerciale se rapportant à un livre numérique, afin de ne pas léser les ayant droits du livre.

Le prix du livre serait soumis à une obligation de publicité.

Les personnes vendant des livres numériques seraient tenues de respecter le prix fixé par l’éditeur, quel que soit le canal de vente utilisé, mais pour les seuls opérateurs commerciaux établis en France.

Afin de ne pas léser les détaillants, l’éditeur rémunèrera la qualité de leurs services selon des critères définis contractuellement entre les organisations représentations [sic] des professions concernées.

L’établissement de la loi a été précédé de nombreuses réflexions portant sur l’émergence du livre numérique et ses impacts sur les différents acteurs de la chaîne du livre. On pense notamment au

Rapport sur le livre numérique de Bruno Patino dont la mission consistait à examiner les effets du développement du numérique sur la filière du livre et, ultimement, « […] d’éclairer les choix des pouvoirs publics sur l’évolution juridique du secteur. » Dans ce rapport, l’auteur propose notamment une série de mesures visant à « […] préparer un basculement éventuel dans le numérique sans fragiliser les équilibres existant actuellement dans l’édition. » Ces recommandations sont rassemblées sous quatre actions :

Aider et promouvoir une offre légale et attractive.

Faire du droit d’auteur la clé de voûte de l’édition numérique.

Établir des mécanismes permettant aux détenteurs de droits d’avoir un rôle central dans la détermination des prix.

Conduire une politique active auprès des instances communautaires.

En 2008, Hervé Gaymard se voyait également confier par la ministre de la Culture et de la Communication la mission de réaliser un rapport portant sur la loi du prix unique du livre du 10 août 1981. Au terme de son étude, remise en 2009 et intitulée Situation du livre. Évaluation de la loi relative au prix du livre et Questions prospectives, Gaymard recommande le maintien de la loi sur le prix unique qu’il qualifie notamment de « durable », entre autres à l’ère du numérique.

En 2010, Mathieu Perona et Jérôme Pouyet réalisent de leur côté le rapport Le prix unique du livre à l’heure du numérique, dont l’objectif est « […] de mettre en évidence la manière dont ce dispositif structure les relations entre les différents éléments de la chaîne du livre et conditionne leur capacité à répondre à l’avènement du livre numérique. » Selon l’avis des auteurs, et contrairement à l’avis de Gaymard, le prix unique n’est alors « […] plus l’outil le mieux adapté au déploiement des nouvelles technologies. » Les auteurs proposent un assouplissement de la loi sur le prix unique du livre telle qu’établie en 1981 et préconisent des changements dans les relations entre les éditeurs et les libraires.

En Allemagne, il existe une loi sur le prix fixe du livre datant de 2002 qui entérine, de fait, une entente existant depuis 1888 dans le milieu. Officiellement, la loi du prix fixe du livre ne concerne pas le livre numérique, mais seulement le livre imprimé. Toutefois, comme le mentionne Hervé Gaymard dans son rapport de février 2011 portant sur la proposition de la loi du PULN en France (dans lequel il s’est penché, à titre comparatif, sur la question du prix des livres dans d’autres pays, dont l’Allemagne) : « Les éditeurs et libraires allemands ont considéré que la loi sur le prix fixe qui régit le livre papier s’appliquait également, dans la pratique, au livre numérique. » Le rapport de 2011 de Wischenbart confirme cela : “Even though no regulation on ebook pricing exists at this point, all market actors and platforms informally sell their new releases at the price set by the publishers.” Wischenbart rappelle aussi qu’il existe un travail soutenu de lobbying de la part d’acteurs du milieu afin que le cadre législatif du prix fixe des livres traditionnels puisse englober les livres numériques.

Dans l’espace anglo-saxon, au sein duquel le prix du livre imprimé n’est pas réglementé, l’établissement du prix de vente du livre numérique a créé des cas problématiques ; le recours à la justice s’est parfois avéré nécessaire.

Il n’existe pas de législation formelle concernant le prix du livre aux États-Unis. Ainsi, il y a quelques années, le prix du livre était libre et fixé selon une méthode wholesale. Suivant celle-ci, le prix que l’éditeur détermine pour le détaillant s’appelle le wholesale price et le prix final de la vente du livre au consommateur est à la discrétion du détaillant. Cette méthode a été appliquée aux livres numériques lors de leur introduction dans le marché. Amazon a largement profité de ce système, réduisant considérablement le prix de ses livres numériques. S’il a essuyé des pertes de profits en baissant trop les prix, le grand détaillant a compensé en vendant d’autres produits, notamment un grand nombre de liseuses Kindle. Afin de pouvoir concurrencer les détaillants en ligne tels qu’Amazon, des détaillants « physiques » ont mis en place un système de price match, c’est-à-dire qu’ils ont aligné leurs prix sur le géant de Seattle. Par exemple, Best Buy et Target se sont entendus pour confronter Amazon en encourageant les clients à utiliser leur téléphone intelligent afin de comparer les prix.

Dans cette guerre de prix qui touche donc surtout les États-Unis, Apple aurait contribué à introduire l’agency model avec certains grands éditeurs en 2010. Sous l’agency model, les éditeurs sont en charge de déterminer le prix de vente final des livres. Ainsi, les détaillants n’ont plus aucun pouvoir sur le prix des titres qu’ils vendent. L’agency model, jugé agressif, a provoqué une certaine grogne aux États- Unis. Une plainte collective (Class Action) a d’ailleurs été déposée au Department of Justice contre Apple et cinq éditeurs, que l’on soupçonnait de s’être concertés et associés pour fixer le prix des livres numériques, empêchant ainsi toute concurrence libre dans le marché. En 2012, le Department of Justice a accepté les termes d’une entente avec HarperCollins, Hachette Book Group et Simon & Schuster, lesquels doivent désormais renégocier de nouveau les contrats avec les détaillants et abandonner le modèle d’agence. Apple, Penguin et MacMillan, également engagés dans cela, ont pris la décision de poursuivre la bataille judiciaire.

En février 2011, l’Office of Fair Trading (OFT), l’autorité de la concurrence britannique, avait annoncé l’ouverture d’une enquête à la suite de suspicions d’agency model sur son territoire. Dix mois d’investigation n’ont pas permis à l’OFT de conclure s’il y avait effectivement collusion entre Hachette et Penguin ainsi qu’Apple pour contrôler le prix des livres. À cours de ressources financières, l’OFT a demandé à la Commission européenne de prendre en charge le dossier. Le 6 décembre 2011, la

Commission européenne émettait un communiqué intitulé Antitrust : la Commission ouvre une enquête formelle concernant les ventes de livres électroniques. Elle y écrit :

La Commission européenne a ouvert une procédure formelle d’examen afin de déterminer si les éditeurs internationaux Hachette Livre (Lagardère Publishing, France), Harper Collins (News Corp., États-Unis), Simon & Schuster (CBS Corp., États-Unis), Penguin (Pearson Group, Royaume-Uni) et Verlagsgruppe Georg von Holzbrinck (qui détient notamment Macmillan, Allemagne) se sont livrés, probablement avec l’aide de Apple, à des pratiques anticoncurrentielles affectant la vente de livres électroniques dans l’Espace économique européen (EEE) et ont, de ce fait, enfreint les règles de concurrence de l’UE.

Au terme de cette enquête, la Commission a affirmé que ces acteurs s’étaient concertés afin de faire grimper le prix des livres numériques, ce qui met une pression sur les autres détaillants. L’Official Journal of the European Union faisait état de la situation (“Procedures Relating to the Implementation of Competition Policy”) dans sa publication du 19 septembre 2012. En novembre 2012, une entente est conclue entre la Commission européenne et les éditeurs Simon & Schuster, HarperCollins, Hachette Livre et Macmillan. La Commission a finalement accepté, en décembre 2012, l’engagement de ces éditeurs ainsi que d’Apple (communiqué) :

[…] the companies offered in particular to terminate on-going agency agreements and to exclude certain clauses in their agency agreements during the next five years. The publishers have also offered to give retailers freedom to discount e-books, subject to certain conditions, during a two-year period.

La question du prix cristallise donc un espace problématique à la fois au sein des espaces nationaux, mais également selon la nature même du livre numérique accessible sous certaines conditions à l’extérieur d’un territoire donné.