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PARTIE I : L’ « Atelier Climat », forme d’acquisition de « bonnes pratiques »

Chapitre 1 : Mise en perspective théorique de l’Atelier Climat : la démocratie participative et

A. La prise de conscience participative suite aux scandales sanitaires et écologiques des

1) La crise de la « vache folle » en 1986 et les débats sur les OGM en 1990

Au cours de ces dernières années, les systèmes alimentaires des pays occidentaux ont dû faire face à de nombreuses crises sanitaires, aux conséquences plus ou moins graves, telle la crise de la « vache folle », débutée en 1986 jusqu’aux années 2000105. Il peut aussi être considéré comme l’un des évènements déclencheurs récent de la question du lien entre crise et démocratie participative, puisque que l’expertise des « experts », fut contredite par l’intervention d’autres acteurs qui, quant à eux, se réclamaient « d’une autre expertise ». En effet, la notion « d’expert profane » ou « d’expert citoyen » s’est progressivement imposée, évoquant une « expertise d’usage »106.

Cette infection dégénérative du système nerveux central des bovins, trouve son origine dans l’utilisation de farines animales, obtenues via des parties de carcasses bovines et de cadavres d’animaux. En 1996, lorsque les scientifiques montrent qu’il y a possibilité de transmission de la maladie à l’Homme, en ingérant la viande malade, la crise alimentaire éclate. Cette crise sanitaire a eu des répercussions sociales, politiques et économiques, et a souvent été présentée comme la conséquence de peurs dites « irrationnelles » des consommateurs. Or, en France, la maladie de la « vache folle » a eu un impact sur les comportements des consommateurs, puisque la demande de bœuf chuta de près de 35% dans les deux semaines qui suivirent l’annonce d’un lien possible entre l’encéphalopathie spongiforme bovine et la maladie de Creutzfeldt-Jacob (MCJ)107 ; le 20 Mars 1996, huit des dix personnes britanniques qui étaient atteintes de la MCJ étaient décédées. Néanmoins, les changements des comportements des consommateurs furent dans des proportions très variables, fluctuant en fonction du degré de perception au risque108.

105

RAUDE J., 2008 – Sociologie d’une crise alimentaire : les consommateurs à l’épreuve de la maladie de la

vache folle, Sciences du risque et du danger, Tec et Doc Lavoisier, 258 p.

106

BOY D., 2003 - « L’expert citoyen, le citoyen expert », Cahiers français, dossier « les nouvelles dimensions de la citoyenneté », n°316, septembre-octobre 2003, pp.20-24

107

ADDA J., 1999 – « Les consommateurs français et la « vache folle » », Recherches en économie et sociologie

rurales, INRA Sciences Sociales, N° 4 Décembre 1999, 12 ème année, 4 p.

108

En effet, après la «crise», 45% des Français déclaraient avoir « diminué ou arrêté de consommer de la viande

de bœuf ». En janvier 2001, ils étaient 45% à déclarer ne plus en manger du tout (12%), en manger beaucoup

60 De même, au début des années 1990, l’apparition des OGM (Organismes Génétiquement Modifiés), suscite de nombreuses controverses. Les OGM sont d’abord perçus comme un élément de progrès par les agriculteurs, qui pourraient ainsi disposer de semences plus résistantes, leur permettant de réduire l’usage des pesticides. Les consommateurs auraient, quant à eux, une offre plus variée, avec de nouvelles qualités nutritives, voire gustatives, et enfin, il serait possible de résoudre les famines dans les pays les plus pauvres109. La Commission du Génie Biomoléculaire (CGB), mise en place en 1986, considère en 1995 que les risques de transfert des gènes de résistance aux micro-organismes présents dans le sol sont très faibles. Mais des associations de consommateurs ne partagent pas cet avis : des résistances ont lieu sur des sites d’expérimentation, et le gouvernement interdit la mise en culture.

2) Des risques de crise à la catastrophe de Tchernobyl de 1986

De nombreuses questions sont également posées, quant à la capacité de survenir aux besoins d’une population mondiale, ayant un pouvoir d’achat et de capacités technologiques de plus en plus forts, face à une planète dont les ressources s’amenuiseraient, notamment en ce qui concerne l’or, l’argent, le palladium, le plomb, le cuivre, le zinc et le pétrole. En outre, la disparition d’un nombre croissant d’espèces et la dégradation des écosystèmes, sont au cœur de certaines luttes, notamment entre groupes écologiques et grands industriels. D’autant plus que le spectre de la catastrophe de Tchernobyl de 1986, plane toujours, comme représentation structurante d’un désastre nucléaire, ayant pour impact une pollution des sols et de l’air à l’échelle d’un continent. La catastrophe récente de Fukushima a relancé cette

L’analyse des comportements révéla néanmoins que le nombre de Français ayant totalement cessé de consommer du bœuf avait diminué de 18% en novembre 2000 ; ils n’étaient plus que 12% début janvier, ce qui était le signe, selon l’étude réalisée par le Crédoc du 18 Janvier 2001, qu’une frange importante des consommateurs n’envisageaient plus de consommer autant de bœuf que par le passé, même s’ils se mettaient de nouveau à (re)consommer du bœuf. Cela se traduisait, en outre, par une fréquentation moindre de l’étal du boucher (22% des personnes interrogées), par une modification du choix des morceaux de viande qu’ils y achetaient (38%), et par une augmentation du nombre de personnes déclarant « choisir davantage de produits

issus de l’agriculture biologique » (34% + 5 points depuis novembre 2000). Références in : EUGENE S.,

EZVAN B. et LOISEL J.-P., 2001 – « Vache folle : la crise d’octobre a des effets durables sur la consommation de bœuf », Résultats de l’enquête menée par le CREDOC fin décembre 2000 – début janvier 2001, auprès de 1004 personnes, CREDOC, 6 p.

109

ROY A., 2002 - « L'influence des cultures du risque sur l'expertise scientifique. Le cas des OGM », Économie

rurale, n° 271, septembre-octobre 2002, cité par « OGM : les enjeux cachés d’une controverse », Sciences

61 inquiétude110, en rappelant que nous étions potentiellement entrés dans une « ère de sursis » (J.-P. Dupuy, 2010)111.

Dès lors, pour faire face à ces risques sanitaires et technologiques, et répondre aux défis imposés par cette « ère de sursis », les actions se sont tournées vers le citoyen, qui en serait, théoriquement, l’une des solutions. Toutefois, s’il est présenté dans une situation qui relèverait de l’état d’urgence, le développement durable, notamment, impliquerait-il de repenser certaines de nos actions, via une prise de conscience de la population et des pouvoirs publics ?

3) Des conférences de consensus en 1987 au Danemark aux conférences de citoyens en France en 1998

En effet, le respect de l’environnement, la mise en place d’un développement économique durable, conjugués à une justice sociale posent la question de la nécessaire prise en compte ou non de la participation des citoyens au processus de décision et des nouveaux dispositifs à mettre en place. Pour les premiers acteurs du développement durable, dans les années 1970 et 1980, celui-ci exigerait plus de démocratie et de participation de la part des citoyens : « À elle seule la loi ne suffit guère pour faire respecter l’intérêt commun. Ce qu’il

faut, c’est l’appui d’un public informé – d’où l’importance d’une plus grande participation de celui-ci aux décisions qui peuvent avoir des effets sur l’environnement. Le moyen le plus efficace consiste à décentraliser la gestion des ressources en donnant aux collectivités leur mot à dire sur l’usage à faire de ces ressources. Il faudrait aussi promouvoir les initiatives des citoyens, donner du pouvoir aux associations et renforcer la démocratie locale (13) »

(1987) 112.

Ainsi, c’est dans ce contexte que sont apparues les conférences de citoyens. Conçues et utilisées au Danemark depuis 1987 sous la forme de conférence de consensus, les conférences de citoyens ont pour objectif de permettre à un panel de citoyens dits « profanes » de dialoguer avec des experts et de s’exprimer sur des problématiques

110

GUENARD F. et SIMAY P., 2011 - « Du risque à la catastrophe, à propos d’un nouveau paradigme », laviedesidees.fr, 23 p.

111

DUPUY J.-P., 2010 - La marque du sacré, Champs Essais, Flammarion, p. 62

112

BRUNDTLAND (rapport), 1987 - Notre avenir à tous, Chapitre 2 : Vers un développement durable, III – Les impératifs stratégiques, 7 – Intégration des considérations économiques et environnementales dans la prise de décisions, ressources en ligne (wikisource) – mise en gras par nous-mêmes.

62 scientifiques et technologiques pour lesquelles il existe d’importantes incertitudes et divergences d’opinion113

. A la fin du processus, le panel de citoyens rédige un avis et leurs recommandations, ensuite rendus public et remis aux instances politiques.

En France, trois conférences de citoyens, au sens strict du terme, ont été organisées sur des questions environnementales et alimentaire s: en 1998 la Conférence de citoyen sur « Les

OGM dans l’agriculture et l’alimentation organisée par l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques » (OPECST), en 2002 la Conférence de citoyen sur « Les changements climatiques et citoyenneté » organisée par la Commission française du

développement durable, et en 2003 la Conférence de citoyens sur « Le devenir des boues

domestiques issues de station d’épuration», organisée dans le cadre du Débat national sur

l’eau. En parallèle de ces trois conférences de citoyens au sens propre du terme, nombre d’ateliers citoyens ou conférences citoyennes fleurissent en empruntant au principe d’informations et de délibération des citoyens sur les sujets de développement durable.

Ainsi, c’est dans ce contexte particulier, lié à l’irruption des scandales sanitaires et environnementaux, qu’émerge l’idée d’un « impératif participatif », qui permettrait de redonner corps au système, et de redonner aux citoyens « ordinaires » les moyens de débattre ; cette alternative serait la « démocratie participative ». C’est autour des années 1990, qu’une prise de conscience aboutit aux conférences de citoyens, amorçant le tournant participatif des années 2000.