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D. Objectifs et plan de la recherche

2) Annonce du plan

Pour restituer l’analyse de notre terrain et celle des différentes théories d’action en sciences humaines et sociales étudiées, la thèse est conçue en deux grands temps, autour du fil conducteur de la question du changement de comportement.

La première partie de notre thèse propose une description sociologique de l’Atelier Climat, et des pratiques de consommation et de gestion de déchets de ses participants. L’objectif est de comprendre si l’Atelier Climat a permis, ou non, un changement de comportement chez les participants, et s’il peut être considéré comme l’un des moyens les plus « efficaces » dans l’adoption de pratiques plus durables. Dès lors, nous avons voulu questionner la façon dont les participants appréhendaient leur consommation et leur gestion des déchets. En quoi l’Atelier Climat a-t-il assuré une prise de conscience environnementale ? Dans quelle mesure les pratiques des participants ont-elles changé pour devenir plus durables? Les nouvelles pratiques amorcées lors de l’Atelier Climat ont-elles perduré ? Cette première partie s’appuie sur la réalisation et l’analyse de 44 entretiens semi-directifs97

, conjuguée à l’analyse de 19 autres entretiens réalisés par les membres de Missions Publiques, soit une analyse de 63 entretiens semi-directifs.

Le premier chapitre questionne le lien entre environnement et démocratie participative. Il s’attache à décrire le contexte socio-historique de l’élaboration de l’Atelier Climat, en reprenant les grands « impératifs » théorisant le recours à des dispositifs de démocratie participative, tels qu’ils ont pu être formulés par les principaux chercheurs sur la question, tels Yves Sintomer (2007), Loïc Blondiaux (2008) et Dominique Bourg (2010), notamment. Nous avons voulu comprendre quels étaient les registres de justification expliquant l’appel participatif actuel sur les questions écologiques.

Le deuxième chapitre présente les principaux protagonistes de l’Atelier Climat, à savoir les 150 participants retenus, nos interviewés, la méthodologie employée, ainsi que les consultants de Missions Publiques, en charge de l’animation des séances de l’Atelier. Nous y présentons également le rôle attribué aux participants, et l’organisation du processus scandé en sept séances, selon un rythme ternaire (échanges avec les intervenants extérieurs, échanges au sein

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Nous avons réalisé 37 entretiens semi-directifs de Novembre 2010 à Mai 2011, et 7 autres nouveaux entretiens de Janvier à Février 2013.Nous les présenterons et les détaillerons dans notre deuxième chapitre.

52 du groupe, et élaboration de l’avis). Nous y décrivons l’aspect organisationnel du processus, et les objectifs recherchés via son élaboration.

Le troisième chapitre s’intéresse aux représentations des interviewés sur notre société actuelle, en vue de discerner l’importance et la place des valeurs dans l’adoption de comportements plus durables. Il s’agit, ici, de mettre en exergue les mécanismes sous-jacents aux comportements, et l’interprétation que nos interviewés font de ces-derniers. A cette fin, nous avons pris en compte l’une des trois instances qui structurent la vie sociale et modèlent les pratiques : « l’instance imaginaire », en appréhendant la symbolique et les représentations qui donnent sens aux pratiques quotidiennes.

Dans le quatrième chapitre, nous cherchons à qualifier l’engagement des participants, en étudiant la façon dont ils définissent eux-mêmes leur engagement. En fonction du sens que les participants en donnent, les pratiques seraient-elles différentes ? Nous cherchons également à identifier la façon dont les interviewés qualifient leur participation à un tel dispositif de démocratie participative. Partagent-ils, avec les scientifiques, la volonté de produire une « intelligibilité sociale »98 ?

Le cinquième chapitre se focalise sur les pratiques des participants, en s’insérant dans une vision anthropologique de la consommation, qui dépasse le cadre de l’achat. Après avoir analysé leurs discours et leurs représentations, nous avons voulu étudier leurs pratiques quotidiennes, afin de comprendre s’il y avait un écart entre le dire et l’agir. Dès lors, nous avons pu également chercher à comprendre s’il y avait une volonté de (re)donner un sens à leur propre consommation, et si la pratique du tri sélectif, notamment, s’inscrivait dans une pensée plus globale.

Le sixième chapitre, quant à lui, cherche à dresser un bilan de l’Atelier Climat, en mettant en exergue ses forces, mais également ses contraintes. Si les participants témoignent tous d’une conscience environnementale, celle-ci a-t-elle permis d’amorcer de nouvelles pratiques, et garantit-elle la pérennité de ces-dernières ? Ce qui nous amène à re-questionner et à re-définir les objectifs recherchés à travers ce dispositif de concertation citoyenne.

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FERRANDO Y PUIG J., 2007 - Le Citoyen, le Politique et l’Expert à l’épreuve des dispositifs participatifs.

Etude de cas sur une conférence de citoyens sur la dépendance à l’automobile et discussion, thèse de doctorat

53 La conclusion de notre première partie souligne l’écart entre les modèles idéaux de la démocratie participative, qui verraient en elle le moyen le plus « efficace » pour répondre aux défis environnementaux actuels, et la réalité de la mise en pratique de ces modèles. On constate ainsi que les participants sont à la fois mus par la mise en pratiques de leurs aspirations environnementales, mais qu’ils se trouvent également confrontés à des contraintes importantes, les empêchant d’agir en suivant leurs valeurs, les confrontant à des dissonances cognitives fortes. S’il y a bien sensibilisation des participants, l’adoption de nouvelles pratiques demeure marginale et limitée ; l’Atelier Climat n’a pas réussi à lever les contraintes auxquelles les participants se trouvaient confrontés.

Dès lors, dans notre deuxième partie, nous avons voulu aller au-delà de question de la démocratie participative, pour nous intéresser aux différentes théories d’action étudiées en sciences humaines et sociales, afin de comprendre les contraintes empêchant les changements de comportement, et d’identifier de nouveaux leviers d’action. Si notre analyse s’est intéressée à la consommation durable dans son ensemble, nous avons souhaité nous focaliser tout particulièrement sur la question des déchets, car ils nous ont semblé être une pièce maitresse des enjeux sociétaux et économiques actuels. En effet, ils nous sont apparus comme une ressource en devenir, et cependant peu traités dans les différents domaines disciplinaires étudiés. Pourtant, quelles sont les symboliques qui entourent la question des déchets ? En quoi sont-elles structurantes et nous renseignent-elles sur les pratiques de gestion des déchets ? Que nous apportent les différentes échelles d’observation dans l’analyse et le traitement des déchets ? Nous avons considéré le déchet, en tant que pierre angulaire à la consommation durable.

Le septième chapitre traite des théories d’action centrées sur l’individu, à l’échelle micro- individuelle. On constate que la question de l’exclusion est corrélative à celle des déchets et à leur traitement. Il y a ainsi un vrai mépris pour celui qui s’intéresse et s’approche de l’objet « déchu », qu’est le déchet. Ce-dernier est contagieux, et contamine aussi bien du point de vue physique, que moral. En outre, si le déchet fait peur par son impureté, les moyens de contrôle de celui-ci permettent d’assurer une certaine stabilité de la menace à laquelle il renvoie, à la condition sine qua non de dépasser le stigmate du manque de valorisation sociale. La répulsion envers le déchet est alors l’un des facteurs d’explication de la non-action. Faire face à cette répulsion ou la détourner en attraction pourrait être, selon nous, l’un des moyens pour une gestion efficace des déchets pour les années à venir.

54 Le huitième chapitre s’intéresse aux théories d’action qui se focalisent sur l’espace domestique, la symbolique et les interactions sociales, à l’échelle microsociale. Nous constatons que le rapport aux biens, à leur conservation et à leur mis en rebut, est plus difficile à limiter qu’il n’y paraît. Ce sont des objets du quotidien qui touchent à notre environnement propre et à notre « biographie » ; le rapport entretenu avec eux est donc particulièrement complexe. Dès lors, l’acte de trier porte à la fois sur la définition de ce qu’est un déchet et sur la façon de le catégoriser, mais également sur son incorporation et sa proximité affective. A l’échelle domestique, nous ne pouvons uniquement catégoriser un objet comme déchet par son manque d’utilité ; le déchet est bien inséré dans des dimensions symboliques et biographiques qui lui sont propres. De plus, il nous est possible d’observer un basculement culturel du déchet, devenant un moyen de valorisation sociale, lors des liens créés par la transmission de l’objet, pourtant anciennement déchet. Quittant son image négative, le déchet devient-il positif ?

Le neuvième chapitre porte sur les théories d’action non centrées sur l’individu, aux échelles méso et macro sociales. On constate ainsi, à l’échelle méso-sociale, que le système de tri sélectif est rendu possible par un comportement individuel (geste du tri) et une structure collective. De plus, le geste du tri devient un geste civique par la médiation qu’il opère avec le voisinage. De fait, ces analyses permettent d’avoir un nouveau regard sur la manière dont les pouvoirs publics sont susceptibles d’impacter les comportements individuels, à travers la prise en compte des structures collectives, où peuvent s’inscrire, notamment, les comportements de consommation. Par ailleurs, la contradiction entre les deux dimensions économique et sociale du comportement des ménages permet la compréhension de la distance qui existe entre l’adhésion aux principes et la pratique réelle. Les individus souhaitent s’associer à une démarche collective, permettant d’affirmer leur civisme par des gestes concrets, tout en voulant également se désinvestir des tâches dites ingrates de gestion de leurs déchets, en échange de facturations. Ainsi, à l’échelle macrosociale, le tri sélectif peut être vu comme une assimilation d’une règle collective de comportement. D’où cette interrogation : est-il possible d’amorcer, seuls, des changements individuels de comportement dans notre société, si le mimétisme social peut être considéré comme l’une des explications possibles à l’adoption et à la non-adoption de nouvelles pratiques plus durables ?

Dès lors, le dixième chapitre, quant à lui, s’intéresse à la question des changements de comportement du point de vue théorique. Peut-on évoquer, à l’heure actuelle, une volonté collective d’amorcer des changements de comportement ? Peut-on parler d’une normalisation

55 des comportements plus durables, ou bien ne s’agit-il que d’un effet de mode ? Une éducation à l’environnement permet-elle l’élaboration d’une morale écologique, laquelle prendrait pour point d’appui une prise de conscience individuelle, sur les conséquences de ses propres actes et sur son propre rôle sur l’environnement ? Si l’individu a bien le choix, théorique, d’adopter de nouvelles pratiques, qui pourraient aller à l’encontre du modèle dominant, nous constatons que cela est beaucoup plus complexe empiriquement. Ses marges d’action restent limitées. Dès lors, en filigrane, se pose la question de l’efficience de changements de comportement individuels, dans notre société actuelle.

La conclusion de notre deuxième partie met en exergue la nécessité d’une réflexion portant sur les différentes échelles d’observation. En effet, nous avons pu constater que les échelles micro-individuelle et microsociale, centrées notamment sur l’individu, l’espace domestique et les usages, ne peuvent se suffire à elles-mêmes. Elles sont bien encastrées dans les échelles méso et macro sociales, qui mettent en exergue des valeurs propres, et des effets d’appartenances et de régulation sociales, qui stigmatisent ou conditionnent la vision de l’individu sur les déchets. De plus, nous avons vu que parler du déchet uniquement en termes d’espaces relégués et en marges d’espaces « positifs » ne peut suffire. En effet, il y a de véritables interactions par et via le déchet ; les déchets sont également des vecteurs de socialisation. Ils sont une ressource économique, à part entière, dans le contexte énergétique actuel. Par ailleurs, nous constatons que l’adoption de nouvelles pratiques est un phénomène extrêmement complexe. Certes, l’individu a bien le choix théorique de changer, mais ses marges d’action demeurent limitées.

Enfin, la conclusion de la thèse récapitule les principaux résultats, et ouvre quelques perspectives de recherche afin d’approfondir les dimensions sociologiques des changements de comportements, et des enjeux qui s’y rattachent. A travers les questions de consommation durable et de gestion des déchets, se dessine celle du système politique (de la Cité), le plus apte à faire face aux enjeux environnementaux auxquels nous nous trouvons confrontés. Si les marges d’action individuelles pour l’adoption de nouvelles pratiques plus durables sont limitées, doit-on dès lors imposer un système autoritaire basé sur des contraintes pour imposer des changements de comportement ? Ou doit-on amorcer une transition vers un républicanisme écologique, en associant l’idée d’un idéal et d’un bien commun environnementaux ?

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