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PARTIE I : L’ « Atelier Climat », forme d’acquisition de « bonnes pratiques »

Chapitre 3 : Les représentations de la « société durable » élaborée par les participants

A. La critique de la société de consommation, comme facteur de changement de

1) La critique du système de la surconsommation, entre profusion et gaspillage

Le développement durable, tel qu’il a été défini lors du rapport de Brundtland171

et lors des stratégies de l’Union européenne en faveur du développement durable en 2001 et 2005172

, impliquerait de repenser les modes de production de la société pour promouvoir des modes de production et de consommation plus durables. Or, pour nos interviewés, il n’est pas possible de différencier conscience environnementale et système de consommation actuel. L’un doit influer sur l’autre ; l’autre pourrait empêcher l’un. Relations d’interdépendance et d’ambiguïté qui expliquent la critique assez vive dont fait actuellement l’objet, la société de consommation.

En effet, la société de consommation est décriée en tant qu’elle consommerait trop et produirait trop. Il y a critique de la société de consommation en tant qu’elle serait basée sur des excès. En effet, il y a dénonciation d’une « consommation à outrance », notamment de la part des pays occidentaux. La profusion que nous connaissons actuellement serait la source d’inégalités, notamment entre ceux qui consomment, et ceux qui produisent : « On est

tellement dans la consommation, que l’on se demande ce qu’il faudrait consommer… Il faudrait qu’on supprime certains excès dans les pays occidentaux, et ça, c’est difficile. Il faudrait aider les pays émergents à s’en sortir » (E9, femme, 63 ans).

Ces inégalités seraient d’autant plus flagrantes qu’il n’y aurait pas une juste mesure de production ; le surplus de production serait gâché et inexploité. Cette mauvaise répartition est

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GALBRAITH J. K., 1970 – (rééd. 1994), L’ère de l’opulence, Liberté de l’esprit, Calmann-Levy, 333 p.

171

BRUNDTLAND (rapport), 1987 - Notre avenir à tous, Chapitre 2 : Vers un développement durable, III – Les impératifs stratégiques, 7 – Intégration des considérations économiques et environnementales dans la prise de décisions, ressources en ligne.

172

Communication de la Commission du 15 mai 2001 développement durable en Europe pour un monde meilleur: stratégie de l'Union européenne en faveur du développement durable (Proposition de la Commission en vue du Conseil européen de Göteborg) [COM(2001) 264 final - Non publié au Journal officiel].

Communication de la Commission du 13 décembre 2005 sur la révision de la stratégie pour le développement durable - Une plate-forme pour l'action [COM(2005) 658 final - Non publiée au Journal officiel].

111 vue pour certains comme le nœud central du problème actuel : la société produirait trop, et ce qu’elle produit serait mal réparti. On serait alors dans une société de « surconsommation » :

« Chez Emmaüs, ça regorge de vêtements ! La société de consommation produit plus qu’elle ne vend. C’est ça le problème…(…) c’est la surconsommation » (E6, homme, 60 ans).

Par ailleurs, dans le cadre d’une consommation toujours plus active, il y aurait alors une programmation faite pour pousser au renouvellement des produits, et ainsi augmenter leur taux de remplacement. La société de consommation aurait besoin de créer des objets, puis de les détruire, pour exister173. Le renouvèlement amplifierait l’idée d’abondance, et accroitrait la dépendance de l’homme pour le matériel : « Mais il y a quand même des produits trop

rapidement obsolètes ! C’est comme pour la compatibilité des appareils photos, et bien on ne peut plus acheter de logiciels pour les faire fonctionner, parce qu’ils sont trop vieux au bout d’un an. C’est regrettable pour ce qui fonctionne toujours » ! (E3, homme, 41 ans)

Ainsi, ce serait dans l’abondance actuelle que le problème se situerait. Cette situation peut paraître paradoxale en un sens, puisque la société de consommation, par son abondance, serait censée garantir une meilleure répartition des richesses, et un accès plus facile aux produits. Toutefois, selon A. Hirschmann [1915-2012] (1982, rééd. 2006), l’opposition à la culture matérielle surgirait surtout dans les périodes d’expansion économique où certains biens de consommation, en particulier ceux dits d’un genre nouveau, se répandraient plus largement puisque, selon lui, « (…) dans le monde occidental, chaque fois que le progrès économique a

rendu des biens de consommation plus largement disponibles à certaines couches de la société, sont apparus de vifs sentiments de déception, voire d’hostilité, à l’égard de cette richesse matérielle »174.

En effet, lorsqu’il y a croissance et essor économique, avec diffusion des produits en très grand nombre, il y aurait alors, qui lui serait intrinsèquement liée, une critique de la futilité de certains de ces produits, et de l’attachement superflu qu’il en résulterait. Ainsi, Adam Smith [1723-1790] lors de la croissance britannique du XVIIIème siècle, qualifia de « frivole » le désir éprouvé par beaucoup de gens pour certains produits de l’époque. De même, Jean- Jacques Rousseau [1712-1778] fit une critique de la « société de consommation » et de l’obsession de l’époque pour les « colifichets ». Gustave Flaubert [1821-1880] lui-même, au XIXème siècle, protesta contre les articles nouveaux et bons marchés qui étaient fabriqués en

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BAUDRILLARD J., 1970 (rééd. 1996) – La société de consommation, Folio, Gallimard, 318 p.

174

HIRSCHMANN A. O., 1982 (rééd. 2006) – Bonheur privé, action publique, Pluriel Sociologie, Hachette Littératures, p. 81

112 série : « L’industrialisme a développé le Laid dans des proportions gigantesques ! »175. Ainsi, le mouvement de recul vis-à-vis de la société de consommation actuelle ne serait pas une nouveauté de ces dernières années.

Néanmoins, comme le rappelle Sophie Dubuisson-Quellier (2009)176, les années 1950 et 1970 furent marquées par une importante critique de la consommation. En outre, les sciences sociales, notamment via Marcuse et l’Ecole de Francfort, dénoncèrent les formes dites « manipulatrices » de la culture dominante. Il y eut également des communautés résistantes à la consommation de masse, incarnées par les hippies et les beat generation. Dans les années 1990, la critique de la consommation de masse fut reprise par le courant altermondialiste, critiquant le pouvoir des multinationales, mais également les désordres économiques et sociaux dus par la globalisation des marchés.