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PARTIE I : L’ « Atelier Climat », forme d’acquisition de « bonnes pratiques »

Chapitre 3 : Les représentations de la « société durable » élaborée par les participants

B. L’imaginaire de la « bonne société » en opposition à notre société actuelle

2) La technologie est-elle la solution du futur ?

L’homme qui est à l’origine de son propre mal est également une idée développée par Jean-Pierre Dupuy (2010)208. Selon lui, il existerait « un troisième front sur lequel il est

beaucoup plus difficile de se battre, car l'ennemi, c'est nous-mêmes ». En effet, cet ennemi

que nous aurions du mal à qualifier aurait nos propres traits, mais ne pouvant le reconnaître, nous aurions tendance à le rabattre du côté de la nature. Et c'est la raison pour laquelle nous ferions de la nature une « Nemesis haineuse et vengeresse », à cause des diverses manifestations climatiques. Or, selon Dupuy, ce ne serait pas du côté de la nature que nous devrions chercher des explications aux catastrophes actuelles. « Le mal » que nous connaissons actuellement serait la contrepartie de notre faculté d'agir, à savoir de déclencher

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DESJEUX D., 2006 – Art. cit.

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135 des processus irréversibles, qui pourraient se retourner contre nous, et, dès lors, prendre la forme de « puissances hostiles ».

a) La course à la technologie : une menace ?

Cette vision est partagée par certains de nos interviewés. Selon eux, l’idée de tout reposer sur les sciences et les techniques ne suffit pas. Si les nouvelles technologies peuvent aider à un changement de comportement, et assurer la transition vers une ville plus durable, elles ne sont pas une solution en soi : « Pour moi, les nouvelles technologies ne sont pas la solution, il faut

avant tout repenser notre manière de vivre ! » (E4, femme, 24 ans).

Pour certains, les nouvelles technologies ne sont qu’une façon de se dédouaner du rôle que l’on joue, que l’on peut jouer et que l’on devrait jouer. L’accumulation de la technologie n’est pas la solution ; au contraire, la « course aux technologies » peut également être vue comme une menace. Paradoxe souligné par Dupuy, pour qui « c'est précisément de cette course à la

technique que le monde attend les moyens de faire face aux autres menaces »209. Le remède pourrait alors se révéler pire que le mal. Mais comment expliquer que la technologie puisse revêtir, pour certains, une importance si grande dans l’élaboration de la société durable ? Comment comprendre qu’elle soit perçue comme salvatrice, si, en parallèle, elle pourrait provoquer d’autres maux ? Selon Dupuy, cela s’expliquerait par l’appréhension trop abstraite de l’idée de catastrophe, notamment concernant le réchauffement climatique. Ce qui fait que même si la catastrophe est devant nous, nous aurions du mal à croire ce que nous savons.

En effet, la propension d'une communauté à reconnaître l'existence d'un risque serait déterminée par l'idée qu'elle se fait de l'existence de solutions. La catastrophe ne serait pas vue comme crédible, si bien qu'elle ne serait possible qu'une fois réalisée, et donc trop tard. « L’optimisme scientiste » pourrait alors être une forme de perdition : « En définitive, je crois

que la principale menace qui pèse sur l'avenir de l'humanité est la tentation de l'orgueil. La présomption fatale, c'est de croire que la technique, qui a mis à mal des systèmes symboliques qui contenaient dans des limites les débordements toujours possibles de l'action, pourra assumer le rôle que ceux-ci jouaient lorsque la capacité d'agir ne portait que sur les relations humaines et non sur la nature. (…) S'abandonner à l'optimisme scientiste, qui compte uniquement sur la technique pour nous sortir des impasses où nous a mis la technique, c'est courir le risque d'engendrer des monstres qui nous dévoreront ».

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136 Cette idée est reprise également par Serge Mongeau (2010)210 qui déclare : « Il est clair que

nous ne pourrons continuer bien longtemps à vivre dans cette totale dépendance au pétrole. Nos élites politiques et financières continuent la course au « progrès », comptant sur une illusoire miraculeuse technologie pour permettre la poursuite d’une consommation débridée ; mais en agissant ainsi, elles ne font que retarder la mise en marche des mesures qui nous permettraient de retrouver l’équilibre nécessaire à une planète déjà fragilisée ». La technique

ne serait pas la solution in fine à nos problèmes actuels, et le croire pourrait nous empêcher alors d’agir.

b) Sommes-nous entrés dans « l’ère du sursis » ?

Pour certains de nos interviewés, les nouvelles technologies peuvent apporter une solution à court terme et non sur le long terme. En ne considérant les nouvelles technologies que sous la forme salutaire, certains y voient un risque de perdition. Cette idée est développée par le physicien Stephen Hawking (2007)211 qui a avancé l'aiguille des minutes de l'horloge de l'apocalypse le 17 Janvier 2007. Selon lui, nous ne serions plus qu'à cinq minutes de minuit (minuit étant le moment où l'humanité se sera « annihilée elle-même »). Cette horloge de l'apocalypse fut mise en place en 1947 par des physiciens atomiques suite aux bombes nucléaires sur Hiroshima et Nagasaki. Ces savants fixèrent l'aiguille à sept minutes avant minuit, pour symboliser le début de l'ère nucléaire. Depuis, elle fut avancée et reculée, en fonction du contexte international (Guerre Froide et la bombe à hydrogène, effondrement de l'Union Soviétique, attentats terroristes du 11 Septembre 2001).

Selon Stephen Hawking, nous serions entrés dans un deuxième âge nucléaire, qui serait marqué par la prolifération et le terrorisme, au sens où la catastrophe d'Hiroshima s'éloignant, nous n'aurions plus ce « tabou » lié à la bombe nucléaire. Mais le deuxième fait le plus important qui expliquerait l'avancement de l'aiguille de l'Apocalypse, pour reprendre sa propre expression, serait le changement climatique et, à travers lui, la question de la destruction du milieu nécessaire à notre survie. S'il y a destruction de notre milieu, cela passerait à la fois par les guerres (sur l’appropriation des ressources, sur l'exode de populations), mais également par des manifestations d'événements climatiques, tels les

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MONGEAU S., 2010 – « Préface », in HOPKINS R., MONGEAU S. et DURAND M., 2010 – Manuel de

transition de la dépendance au pétrole à la résilience locale, Les Editions Ecosociété, p. 5

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137 cyclones, les inondations et la sécheresse, à titre d’exemples. Nous aurions fait alors notre entrée dans « l'ère du sursis »212.

Ainsi, la technologie, dans le cadre de l’élaboration d’une société plus « durable », est doublement perçue. En premier lieu, elle est le signe d’un progrès, d’une véritable compétence scientifique au service de la société. Angle structurant de la ville durable, elle est alors vue comme l’innovation salvatrice susceptible de résoudre les problèmes environnementaux auxquels nous devrions faire face. Il y a via la science et la technique les solutions aux problèmes que nous rencontrons actuellement, en partie engendrés par la science et la technique (tel le nucléaire). Mais cette « face » salutaire de la technologie ne fait pas l’unanimité. Un autre aspect plus sombre est également mis en avant. La technologie pourrait entrainer d’autres maux par les remèdes qu’elle proposerait. Elle engendrerait alors une « présomption fatale » de l'homme moderne, de se représenter l'avenir comme une « arborescence », comme un « catalogue » de « futurs possibles » pour reprendre les expressions de Dupuy, ce qui nous empêcherait ainsi de croire à la catastrophe alors même que nous la verrions devant nous. Dès lors, si nous ne pouvons y croire de nous-mêmes, il faudrait que qu’on nous y incite à y croire, ou que l’on nous incite à agir.

3) Si j’étais président du monde : le discours lié à la réalisation de la société durable