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PARTIE I : L’ « Atelier Climat », forme d’acquisition de « bonnes pratiques »

Chapitre 3 : Les représentations de la « société durable » élaborée par les participants

B. L’imaginaire de la « bonne société » en opposition à notre société actuelle

3) Si j’étais président du monde : le discours lié à la réalisation de la société durable (les

Afin de susciter la réflexion sur les actions « idéales » que les gouvernements devraient mettre en place pour arriver à la réalisation d’une société durable, et amorcer des changements de comportements individuels et collectifs, nous avons posé la question suivante à nos interviewés : « Si vous étiez président du monde, que feriez-vous ? ». Si nombre d’entre eux ont répondu qui leur était trop difficile de se projeter ainsi dans une fonction qui leur conférerait les pleins pouvoirs, certains ont néanmoins mis en avant trois grands vœux que sont l’éthique (solidarité entre les individus), la paix et la pureté (des villes à l’air plus sain).

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138 a) Le vœu éthique

En effet, la réalisation de la société durable doit, pour certains participants, s’appuyer sur une solidarité entre les populations. Cette aide prend plusieurs aspects. Il s’agit en premier lieu d’aider les pays en voie de développement pour qu’ils puissent former leur population à être des citoyens à part entière : « Il faudrait qu’on ait une politique qui soit, au lieu de les

assister, de les aider pour que les enfants aillent à l’école, pour former des citoyens qui soient informés… et dans tous les pays où les enfants vont à l’école, il y a des choses qui évoluent un peu ! Il faudrait aider ces pays-là à se développer, plutôt que de développer un tourisme farniente, qui ne sert à rien » (E9, femme, 63 ans).

Cette notion de solidarité citoyenne s’appuie sur l’une des définitions du développement durable. En effet, le questionnement éthique apparaitrait indispensable dans la détermination des meilleures voies à emprunter pour orienter la société vers un développement plus durable213. L’objectif recherché serait de combiner équité sociale, viabilité économique et préservation de l’environnement. Il s’agirait d’établir des rapports équilibrés entre les hommes et les ressources naturelles du monde, sans pour autant mettre en place une situation unique ou généralisable, dans la mesure où chaque culture a son propre système de valeurs et sa propre notion de l’éthique. Il faudrait que chaque culture mette en place ses propres solutions pour la préservation de l’environnement, et cela passerait, notamment, par la prise de conscience des individus et par une action de leur part. Il s’agirait en outre de fournir un terreau favorable à la réalisation de la ville durable, qui, comme nous l’avons vu, place l’individu citoyen à son centre.

Par ailleurs, selon J. A. Prades (1995)214, quatre principes fonderaient l’éthique de l’environnement et du développement durable, qui sont 1/ les êtres humains constitueraient la « centralité de la planète » (il y aurait donc une responsabilité de sauvegarde et de développement de la vie sur la planète), 2/ les êtres humains viseraient la progression de l’humanité (ce qui nécessiterait de « gérer leur rapport au monde comme de bons

administrateurs »), 3/ les êtres humains devraient remplir trois devoirs essentiels que sont

l’autonomie, la solidarité et la gestion du monde et 4/le principe du développement durable

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PAPPALARDO M., 2009 - « Introduction », Ethique et développement durable, Actes de la conférence du 6 Mars 2009, Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du territoire, Organisée par l’Institut de Formation de l’Environnement, soutien de la fondation Ostad Elahi p. 11

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139 devrait « orienter le devoir et l’idéal de gestion humaine de la planète ». La solidarité serait donc l’un des devoirs essentiels des humains, dans le cadre du développement durable.

A cette fin, des aides financières pourraient être apportées, afin d’aider au développement de ces populations. Néanmoins, il ne s’agit pas d’apporter une masse financière seule ; cette aide doit permettre une évolution globale vers des comportements plus responsables : « Je ferais

un transfert des aides (…), sans tomber dans le mauvais aspect du populisme » (E14, femme,

36 ans).

Il y a donc un lien de solidarité qui garantit, théoriquement, la mise en place de sociétés plus durables. Cette solidarité est la condition de l’adhésion de certains pays émergents au développement durable. La prise de conscience sur l’environnement ne pourrait alors se faire que par une « élévation » des individus au statut de citoyens. C’est parce qu’ils seraient citoyens, qu’ils pourraient développer une conscience environnementale. Or, cette notion de solidarité renvoie également à ce qu’Emile Durkheim [1858-1917] appelait la « solidarité

sociale » (1893)215. Il la définit comme le lien moral entre individus d’un groupe ou d’une

communauté. Selon lui, l’existence d’une société serait conditionnée par la solidarité que les membres éprouveraient les uns envers les autres. De ce fait, il y aurait deux sortes de solidarités : la « solidarité mécanique », qui regrouperait des liens sociaux entre des individus ayant des valeurs communes, et la « solidarité organique », liens sociaux entre des individus ayant les mêmes fonctions ou des fonctions qui seraient complémentaires. Dans le cadre du développement durable, il pourrait alors émerger une « solidarité mécanique » environnementale, basée sur des valeurs communes de préservation et du respect de la nature, notamment. Ainsi, pour mettre en place une société durable, en reprenant l’argumentaire de nos interviewés, il faudrait faire des individus, des « citoyens du monde », pour reprendre l’expression du philosophe grec Diogène de Synope, ayant en commun une conscience environnementale, basée sur la préservation de la planète.

b) Le vœu de paix

La lutte contre la pauvreté est également perçue comme une action inhérente à la mise en place d’une société plus durable. La pauvreté est en effet appréhendée comme la cause de troubles et de chaos, mais également comme l’une des causes de l’individualisme. Toujours selon cette conception, la pauvreté impliquerait alors un repli sur soi, et impliquerait

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140 également une dégradation de l’environnement. Il y a ici postulat énoncé, par certains de nos participants, que la pauvreté suscite des actes de violence envers l’environnement (lieu dans lequel on vit), et empêche ainsi de s’intéresser aux questions environnementales et climatiques à une échelle plus globale : « Ce qui est fondamental pour moi, c’est que l’on se

focalise sur la pauvreté. C’est l’élément majeur, et on arrivera à résoudre les problèmes du monde en luttant contre la pauvreté… (…). C’est la pauvreté qui engendre tous les chaos… On ne peut pas se contenter d’avancer tout seul. On sera obligé d’avancer ensemble. Peut- être moins vite, mais d’avancer ensemble. Sinon le Sud va envahir le Nord, et ce sera trop disproportionné… On ne peut pas remettre les dettes aux pays indéfiniment. Prenons à bras le corps la pauvreté, et ça obligera peut-être à niveler vers le bas dans un premier temps, mais je pense que c’est indispensable… On ne peut pas évoluer seuls » (E6, homme, 60 ans).

Emerge alors l’idée selon laquelle ce serait en temps de paix, que les questions environnementales seraient les plus à même d’être intégrées aux préoccupations de la société. D’où la volonté pour certains de supprimer les armes d’une façon définitive. : « Une décision

de l’ONU qui dirait qu’à partir de 2020, on ne fabrique plus d’armes, on se donne quinze ans pour supprimer les armes sur la planète…Ce serait un bon projet ! » (E15, homme, 60 ans).

En effet, la ville, sécurisée et pacifiée, est alors synonyme de lieu civilisation (civis – citoyen). A ce titre, en 1688, La Bruyère donnait comme évidence que la « sûreté, l’ordre et la propreté » rendaient le séjour des villes « délicieux », permettant d’amener « avec

l’abondance, la douceur de la société » 216. Ainsi, dans l’optique de rendre les individus plus

citoyens et plus sujets aux questions environnementales, il faudrait leur fournir un cadre sûr et sécurisé, et par là même plus égalitaire (financièrement parlant). Le postulat est ainsi énoncé : en leur fournissant un cadre sécurisé et pacifique, les individus seraient alors plus enclins à se soucier de l’environnement.

c) Le vœu de pureté

Enfin, aux vœux de solidarité, d’égalité, de citoyenneté et de paix, vient se rajouter un troisième vœu, celui de la pureté. La pureté ici renvoie à l’idée de propreté et au caractère sain de la ville durable. Elle est ainsi perçue comme une ville où l’on pourrait/ devrait respirer mieux, où l’air serait plus pur, non altéré ; l’air y serait naturel. Ces considérations rejoignent également celles plus sanitaires. L’air pur est en effet associé à l’idée d’une meilleure santé,

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Cité par DELUMEAU J., 1989 - « Le recul de l’insécurité – Chapitre XVIII, Une vie moins rude et un monde moins dur », Rassurer et protéger, le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois, collection Fayard p. 541

141 moins de cancer et une plus grande espérance de vie. Après la sécurisation de l’espace de vie, avec la suppression des inégalités et des armes, il y a également volonté d’une sécurisation sanitaire. : « La circulation des voitures polluantes par exemple… Qu’est-ce qu’un 4x4 a à

faire dans un centre-ville ? » (E16, homme, 63 ans). Ainsi, la ville durable telle qu’elle est

imaginée par nos participants, serait une ville égalitaire, solidaire, juste, citoyenne, pacifique, sécurisée, propre et « naturelle ». La technologie aurait également une place importante, même si celle-ci est plus polémique.

Ainsi, la ville durable telle qu’elle est définie et décrite par nos interviewés est une ville où l’on aurait tout d’abord réappris à vivre. Ce réapprentissage se fait par le retour à un mode de consommation qui se veut plus juste, où les achats sont pensés et raisonnés, et non plus impulsifs. Dans cette logique, il faut privilégier un mode de vie plus lent, qui se base sur une réappropriation des distances, avec des trajets plus courts. Il est intéressant de souligner que cette envie est motivée par un retour à un mode de vie qui serait plus « naturel ». L’individu, au sein même de la ville, ou, à plus fine échelle, au sein même de son quartier, vivrait en équilibre avec son environnement. La ville est alors en adéquation avec la nature, et non plus en opposition ou en conflit avec elle.

Les modes de production sont également plus respectueux de l’environnement. Les produits alimentaires sont locaux et moins traités, tandis que les villes sont alimentées, dans l’absolu, par des énergies renouvelables. Le solaire est vu, en outre, comme la ressource énergétique de l’avenir. Le nucléaire fait débat à cause du risque radioactif (déchets et explosion), mais il n’est pas exclu de la ville durable. Les raisons en sont diverses, soit parce qu’on aura réussi à traiter les déchets radioactifs, et alors la question du nucléaire n’en sera plus une, soit parce qu’un démantèlement des centrales coûterait trop cher, soit parce qu’on ne pourra pas se passer du nucléaire, dans la mesure où l’on ne peut se baser de l’électricité, énergie clef de notre société. Enfin, si la technologie, en tant qu’innovation est parfois vue comme salvatrice, elle pourrait être également menaçante. Elle le serait si la « tentation de

l’orgueil » empêchait un changement de comportements, lequel étant vu comme la seule

solution réellement efficace face aux défis du changement climatique.

Cette société, telle qu’elle est dépeinte, traduit bien la volonté de freiner un mode de vie, celui que nous avons actuellement, perçu comme trop pressé et trop dans l’excès. Revenir à un cadre plus « naturel » permettrait de mettre en place une société plus solidaire, plus sensibilisée à la protection de l’environnement, qui serait moins polluante et où l’on pourrait

142 installer la paix dans le monde. Des vœux de la ville de demain qui pourraient lui faire prendre les traits d’une utopie ; pour sa réalisation, elle demanderait certains compromis.

C. Ecologie et… éco-fascisme ? Vers des actions autoritaires pour un