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54 III. RESULTATS ET DISCUSSION

3.1.2. Sur la prise en charge médicale de la drépanocytose

La drépanocytose nécessite des soins préventifs, des vaccinations spécifiques, des consultations, des examens biologiques et radiologiques réguliers, ainsi que des structures hospitalières permettant la prise en charge en urgence de complications susceptibles de menacer le pronostic vital [de Montalembert, 2008, Dick, 2008]. Dans les pays développés, l’âge médian de survie des patients drépanocytaires est estimé à environ 50 ans [Girot, 2008]. Dans notre contexte aucune donnée n’est disponible sur le taux de mortalité dû à la drépanocytose. Le nombre d’enfants malades diagnostiqués à la naissance ayant atteint l’adolescence ou l’âge adulte n’est pas non plus documenté, les cohortes de suivi se mettant en place progressivement.

Au Burkina Faso, la prise en charge de la drépanocytose n’est donc pas efficiente Les raisons sont multiples dont les principales sont : le retard de diagnostic en l’absence d’un programme de dépistage néonatal systématique; la difficulté d’appliquer des mesures de prophylaxie anti-infectieuse efficaces, et la méconnaissance par les médecins des protocoles de prise en charge.

3.1.2.1. Matériel et méthodes

Trois études descriptives basées sur le suivi de patients ont analysé la prise en charge médicale de la drépanocytose au Burkina Faso.

Dans la première, a été évalué le statut vaccinal de 122 enfants drépanocytaires. Il s’agissait d’une étude transversale réalisée dans deux services de consultation pédiatrique. Ont été inclus des enfants drépanocytaires âgés de 0 à 14 ans (SS, SC, S-bêta thalassémie), reçus en consultation et disposant d’un carnet de vaccination. Les motifs de non vaccination ont été analysés.

La seconde étude a comparé les aspects cliniques et biologiques de 61 drépanocytaires dont 38 enfants hétérozygotes composites SC et 23 homozygotes SS dans un contexte d’absence de diagnostic précoce et donc de prise en charge adéquate. Les renseignements fournis, portant sur : les caractéristiques démographiques, les données cliniques et biologiques. Ces dernières ont été obtenues à partir du carnet de santé et les dossiers médicaux des enfants.

Notre troisième étude a porté sur l’association entre hémoglobinopathies et complications ostéo-articulaires qui sont très fréquentes au cours de la drépanocytose. Elle a permis d’analyser 1451 dossiers médicaux de patients atteints d’un SDM ou non, venus en consultation de rhumatologie. Des facteurs de risque tels que l’obésité, les troubles

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métaboliques, la consommation d’alcool ou de médicaments ont été recherchés. Les comparaisons statistiques ont été effectuées avec un seuil de signification «p» inférieur à 0,05.

3.1.2.2. Résultats

La couverture vaccinale pour les vaccins inclus dans le programme élargi de vaccination a été satisfaisante soit 90%. Par contre, celle relative aux vaccins spécifiques recommandés et obligatoires dans le cadre de la drépanocytose l’était moins avec respectivement 66% pour l’anti pneumoccocique; 27% pour le vaccin anti Haemophilus influenzae de type b et 40% pour le vaccin anti meningococcique. Les motifs évoqués de non vaccination ont été dans 47% des cas l’absence d’information de la part du médecin et pour 75% des cas le manque de moyens financiers. La couverture vaccinale est présentée à la figure 20.

Figure 20 : Couverture vaccinale des vaccins recommandés chez le drépanocytaire en fonction de la dose et des rappels

Les résultats de nos travaux qui comparaient les aspects cliniques et biologiques de la drépanocytose chez les enfants hétérozygotes composites SC et homozygotes SS ont révélé pour les caractéristiques générales de notre échantillon d’étude, une différence significative d’âge au premier symptôme entre les enfants de type HbSC et ceux de type HbSS; âge médian de 4 ans chez les SC versus 2 an chez les SS. Par ailleurs, l’âge du diagnostic était significativement plus précoce chez les SS (2 ans) que chez les SC (5 ans) (p = 0,001). Ces 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 C ou ve rt u re vac ci n al e en p ou rc en tage Vaccins 3ème dose 2ème dose 1ère dose

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résultats font conclure qu’au Burkina Faso, quel que soit le type de SDM, le diagnostic est posé tardivement. L’anémie, bien que présente dans les deux groupes, a montré une différence significative (p=0,001) : le taux moyen d’hémoglobine était de 98 g/L chez les SC et de 78g/L chez les SS. L’hyperleucocytose était aussi significativement différente entre les deux groupes.

Parmi les 1451 patients ayant consultés en rhumatologie, 19,1% (277/1451) ont été adressés par la consultation d’hématologie. Les lombalgies / lomboradiculalgies et les gonarthroses ont été les pathologies ostéo-articulaires les plus fréquemment observées avec respectivement 17% et 10,5%. L’ostéonécrose de la tête fémorale et humérale a été mise en évidence chez les hétérozygotes composites SC et a montré une différence statistiquement significative avec les autres phénotypes (9/20; p < 0,005)

3.1.2.3. Discussion

Les infections représentent une des complications les plus fréquentes de la drépanocytose. Elles émaillent la vie du drépanocytaire et elles peuvent la mettre en péril en particulier chez les nourrissons et les plus jeunes enfants. Ces infections sont brutales et sévères, entrainant des infections graves telles que méningites, septicémies, pneumopathies. La survenue d’infections bactériennes, notamment à pneumocoque, est une cause importante de morbidité et de mortalité dans l’enfance [Kizito, 2007 ; Reinert, 2008 ;]. La prophylaxie anti-infectieuse des SDM est donc un important volet de la lutte contre la drépanocytose. Une recommandation de cette prophylaxie est l’instauration des vaccinations, notamment de la vaccination antipneumococcique [Davies, 2004 ; de Montalembert, 2008 ; Hardie, 2009] chez les drépanocytaires. Elle est essentielle en Afrique subsaharienne où les mauvaises conditions sanitaires et les infections constituent les causes principales de morbidité et de mortalité

[Begué, 2001].

Le Burkina Faso est touché plus particulièrement que d’autres pays d’Afrique par des épidémies de méningites du fait des vents de l’harmattan [Sultan, 2005]. Ces épidémies sévissent chaque année [Yaka, 2008] et les germes mis en causes sont : Streptococcus pneumoniae,

Haemophilus influenzae type b et Neisseria meningitides [Traoré, 2009].

Le PEV dont le but est d’assurer l’immunisation totale des enfants de moins de un an existe au Burkina Faso. Dans ce contexte, les vaccins usuels (tuberculose, diphtérie, tétanos, poliomyélite, rougeole et fièvre jaune) sont disponibles et gratuits jusqu’à l’âge de 9 mois; les doses de rappel étant à la charge des familles. En 2006, ont été ajoutés au PEV les vaccins de l’hépatite B et de Haemophilus influenzae de type b. La faible couverture vaccinale (anti

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Haemophilus influenzae b 5,7% ; anti pneumococcique 27,7 % et antiméningococcique

65,8%) a été observée pour les vaccins particulièrement recommandés chez les drépanocytaires. Ces vaccins sont le vaccin anti pneumococcique du vaccin polysacharidique (Pneumo 23®), et le vaccin anti typhique (Typhy Vi®) qui, bien que disponibles sont cependant onéreux et à la charge des patients. Les vaccins conjugués pour l’immunisation des nourrissons de moins de 2 ans ne sont pas commercialisés au Burkina Faso. Pourtant ces vaccins conjugués représentent, en particulier chez l’enfant, une avancée majeure dans la prophylaxie infectieuse. La réponse immunitaire intense induite dès les premiers mois de vie explique l’efficacité nettement plus importante de ce vaccin par rapport au vaccin polysaccharidique [Reinert, 2007]. Toutefois, dans notre contexte, il est nécessaire que les vaccins conjugués soient bien choisis et adaptés aux souches africaines [de Montalembert, 2007]. Outre le coût des vaccins, le renforcement les attitudes des médecins au sujet de la prévention anti infectieuse chez le drépanocytaire s’impose. Effectivement, une autre cause de la faible couverture vaccinale a été l’absence d’information fournie aux parents des malades par le médecin (47%) au sujet de la réalisation des vaccins et de leurs doses de rappel.

En plus de la vaccination, une antibioprophylaxie par la pénicilline orale doit être instituée chez les enfants de moins de 5 ans. La diminution de l’incidence des infections pneumococciques chez les enfants drépanocytaires recevant une antibioprophylaxie par la pénicilline n’est plus à démontrer [Riddington, 2002 ; Hirst, 2012]. Disponible et inscrite parmi les médicaments essentiels génériques au Burkina Faso, la phenoxymethylpenicilline n’est régulièrement prescrite que par de très rares médecins chez le drépanocytaire. La méconnaissance des protocoles actuels de prise en charge expliquerait cette attitude. Cette antibioprophylaxie nécessite cependant une éducation thérapeutique des parents du fait de leur mauvaise adhésion au traitement [Warren, 2010 ; King, 2011]. En milieu tropical, d’autres mesures prophylactiques anti-infectieuses doivent être prises, notamment contre le paludisme [McAuley, 2010] et certains microorganismes tels que Staphylocoque, Escherichia coli, Salmonella, et Klebsiella [Serjeant, 2005, Ayéréoué, 2009]. Quant à la prévention des parasitoses intestinales (ankylostomiase, schistosomiases), elle est justifiée par la fréquence de ces pathologies chez les enfants dans notre contexte.

Au Burkina Faso, le dépistage néonatal de la drépanocytose n’est pas organisé. Les patients suivis dans les cohortes pédiatriques ont été référés le plus souvent à l’occasion de la survenue d’une complication. On comprend alors l’âge tardif du diagnostic de la maladie qui était de 2 ans chez les homozygotes SS et de 5 ans chez les hétérozygotes composites SC. En l’absence de ce dépistage, les circonstances du diagnostic sont dominées par les crises

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occlusives, les complications infectieuses et l’anémie [Diagne, 2003 ; Tshilolo, 2008]. Le bilan paraclinique initial de tout patient comporte au moins un hémogramme. Cet hémogramme évalue le taux d’hémoglobine à l’état basal ce qui permet de détecter une aggravation de l’anémie. Chez nos patients, le taux moyen d’Hb était de 98 g/L chez les SC et de 78g/L chez les SS. Il en était de même de l’hyperleucocytose significativement différente entre les deux groupes. A l’heure actuelle, il est reconnu que certaines données biologiques sont des facteurs prédictifs de survenue de complications ; parmi ces facteurs, l’hyperleucocytose est un critère de sévérité de la maladie [Cameron, 1983 ; Sebastiani, 2007 ; van den Tweel, 2010]. Parmi les mesures préventives de l’anémie, la supplémentation en acide folique, et la maitrise par les parents des facteurs favorisant les CVO sont capitales. Par ailleurs, la survenue d’un accès palustre chez le drépanocytaire constitue un facteur déclenchant des crises vaso-occlusives et donc un risque d’hyperhémolyse. Aussi, à la chimioprophylaxie anti-palustre instituée en période de forte transmission palustre, s’ajoute l’utilisation des moustiquaires imprégnées à longue durée d'action (MILDA) rendues disponibles dans les pays tropicaux par le programme de lutte contre le paludisme de l’OMS [OMS, 2011].

Le principe de la prise en charge des patients drépanocytaires repose sur une visite médicale régulière avec une périodicité variable selon les cas. Un des objectifs de l’évaluation clinique est de dépister des atteintes organiques souvent silencieuses qui, en l’absence de prise en charge, pourraient s’aggraver et entraîner des séquelles fonctionnelles invalidantes [Lionnet, 2009]. Le défaut de diagnostic positif des SDM pose le plus souvent le problème du diagnostic différentiel dans sa manifestation douloureuse articulaire. En effet, les douleurs ostéo-articulaires peuvent être peu spécifiques et imputables à la maladie ou à une maladie rhumatismale. Ceci est particulièrement vrai au Burkina Faso où, la drépanocytose est connue des populations par sa manifestation douloureuse osseuse. Aussi, toute douleur osseuse est souvent qualifiée de drépanocytose ou de douleur rhumatismale. Par ailleurs, certains médecins considèrent le trait drépanocytaire et les autres hémoglobines anormales (AC, CC) comme des SDM et orientent alors les patients vers la consultation d’hématologie.

Le système ostéo-articulaire est particulièrement touché au cours de la drépanocytose. Les complications ostéo-articulaires sont déjà observées chez l’adolescent et l’adulte jeune

[Hernigou, 2006]. Dans les régions où la drépanocytose est fréquente, cette pathologie reste la première étiologie de l’ostéonécrose de la tête fémorale (ONTF) [Mukisi-Mukaza, 2000]. Cette complication difficile à prendre à charge en Afrique nécessite qu’elle soit dépistée le plus tôt possible. De nouveau, se pose le problème du diagnostic précoce et du suivi régulier des

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SDM. L’accent doit être également mis sur l’éducation des patients et la recherche de signes d’appel de l'ONTF.

De plus, des études ont mis en évidence une diminution de la densité minérale osseuse et une ostéopénie chez les drépanocytaires résultant d’une carence en vitamine D [Buison, 2004 ; Lal, 2006 ; Chapelon, 2009]. En Afrique, de tels résultats n’ont pas encore été documentés et des études méritent d’être entreprises.

En dépit des efforts pour améliorer la prise en charge des patients drépanocytaires au Burkina Faso, la lutte contre la drépanocytose doit inscrire dans ses activités un programme de formation continuée des médecins, un programme de prévention, notamment de prévention des infections à pneumocoque et du paludisme avec mise en place d’une information structurée pour les parents d’enfants drépanocytaires, et une organisation du suivi des patients. De plus, dans un contexte économique difficile, il parait nécessaire de définir les priorités thérapeutiques en mettant en place un protocole thérapeutique adéquat.

3.1.2.4. Publications

Évaluation du statut vaccinal de l’enfant drépanocytaire de la ville de Ouagadougou (Burkina Faso)

Nacoulma E.W.C., Kam L., Gue E., Kafando E., Ayereroue J, Blot I.

Cahiers Santé. 2006; 16(3):155-160.

Le syndrome drépanocytaire de type SC: Expérience du CHU Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou (Burkina Faso)

J. Ayeroue, E Kafando, L. Kam, E. Gue, F. Vertongen, A Ferster, F. Cotton, B. Gulbis.

Archives de Pédiatrie. 2009; 16:316-21

Rheumatologic diseases and haemoglobinopathies in Ouagadougou (Burkina Faso). Ouédraogo DD., Nacoulma E.W.C., Kafando E., Ouédraogo A., Tiéno H., Koulidiaty J., Drabo J.Y.

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