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Perspectives en vue d’améliorer la prise en charge de la drépanocytose

64 3.2. Dépistage néonatal à Ouagadougou

3.3. Perspectives en vue d’améliorer la prise en charge de la drépanocytose

La situation qui prévaut actuellement au Burkina Faso, montre que les interventions concernant la prise en charge de la drépanocytose à l’échelle nationale sont insuffisantes voire même inexistantes. A l’heure actuelle de nombreux engagements doivent être pris en compte afin d’améliorer la prise en charge des patients drépanocytaires. Les stratégies visant à réduire la morbidité et la mortalité de ce groupe vulnérable doivent être axées sur un ensemble d’interventions appropriées de santé publique [Olney, 1999]. La résolution WHA59.20 souligne l’urgence pour les états membres de concevoir, de mettre en œuvre et de renforcer de façon systématique, équitable et efficace des programmes nationaux intégrés et complets de prévention et de prise en charge de la drépanocytose [OMS, 2006].

3.3.1. Matériel et méthodes

A partir de deux expériences pilotes de dépistage néonatal réalisées à Ouagadougou [Kafando, 2005] et à Kinshasa, l’article justifie la mise en place d’un programme de lutte contre la drépanocytose au Burkina Faso et en République Démocratique du Congo tenant compte du contexte propre à chaque pays.

3.3.2. Résultats

Les stratégies de mise en place d’un programme de lutte contre la drépanocytose seront fonction de certains indicateurs démographiques, économiques et sanitaires tels que présentés dans le tableau 6

Tableau 6 : Indicateurs démographiques, économiques et sanitaires du Burkina Faso et de la République Démocratique du Congo

Burkina Faso République Démocratique du Congo

Population générale (millions) 6 60

Nombre d’habitants dans la capitale (millions) 1,6 13,9

Taux de natalité (%) 4 3,5

Espérance de vie (ans) 50 50

Produit intérieur brut /an /habitant (US$) 400 100

70 3.3.3. Discussion

Drépanocytose : problème de santé publique

La drépanocytose est une maladie génétique de l’hémoglobine. C’est la pathologie héréditaire la plus fréquente en Afrique intertropicale où le portage du gène de l’hémoglobine S varie entre 10% et 40%. La prévalence de la maladie est élevée en Afrique subsaharienne où elle est incurable. Une étude épidémiologique réalisée via un dépistage néonatal systématique à Ouagadougou a montré que plus d’un nouveau-né pour 57 naissances y est atteint. Si l’on rapporte ce chiffre à l’ensemble des naissances au Burkina Faso, il est significatif du point de vue épidémiologique.

En Afrique, plus de 300.000 enfants naissent chaque année avec la drépanocytose. Les SDM vont se manifester par des complications aigues sévères souvent létales durant la petite enfance. En effet, l’OMS estime qu’en l’absence d’un diagnostic précoce et d’une prise en charge adéquate, en Afrique, 50% des enfants drépanocytaires décèderaient avant leur cinquième anniversaire [OMS, 2006]. Un autre aspect de cette maladie est son taux de morbidité du fait des hospitalisations fréquentes et onéreuses et son évolution vers des complications organiques (destruction d’organes vitaux) chroniques et multiples. Cette atteinte multi-organique qui nécessite une prise en charge multidisciplinaire a des conséquences sur le plan social et économique pour les malades et leur famille.

Tous ces aspects font de la drépanocytose, plus particulièrement en Afrique, un problème de santé publique. Malgré son contexte de pauvreté, où le PNB par habitant équivalent à 400 dollars US [INSD, 2010], et ses diverses priorités sanitaires, une prise en charge globale et dédiée aux patients doit être mise en place au Burkina Faso. L’application correcte de mesures préventives et curatives adéquates passe par la prise en compte de la drépanocytose dans les politiques de santé, d’abord en l’inscrivant comme une priorité de santé publique. La résolution 1 (v) de la Conférence de l’Union africaine et la résolution 63/237 de l’Assemblée générale des Nations Unies ont toutes deux reconnu la drépanocytose comme un problème de santé publique et ont invité instamment les états membres à accroître la sensibilisation vis-vis de cette maladie [A.U, 2005 ; OMS, 2006 ; Nations Unies, 2008].

Instaurer le dépistage précoce

Les syndromes drépanocytaires majeurs n’ont de traduction clinique que lorsque la commutation HbF et hémoglobine anormale est réalisée. Chez les drépanocytaires homozygotes en particulier, les premiers signes cliniques peuvent apparaitre dès le troisième mois de vie. La détection à la naissance de ces affections laisse donc un intervalle de quelques

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mois pour mettre en place les mesures thérapeutiques et préventives indispensables [Olney, 1999]. Le dépistage néonatal est le point de départ pour des stratégies de santé publique. Cette approche importante de santé publique qui identifie les enfants affectés avant qu'ils ne développent des complications rentre dans le cadre de la prévention secondaire. La prévention secondaire, en nette progression depuis quelques années en Afrique vise à réduire très significativement la mortalité et de la morbidité liées à la pathologie [Vichinsky, 1988 ; Bardakjian, 2000 ; Lê, 2010] par des actions médico-socio-éducatives. Il faut désormais, que la maladie ne puisse plus être diagnostiquée sur la base uniquement de signes cliniques ou de complications. Idéalement, la maladie devrait être diagnostiquée à la naissance. Cependant d’autres occasions peuvent être des circonstances de réalisation du diagnostic précoce ; ce sont : les séances d’examen systématique du nouveau-né, les consultations du nourrisson dans les formations sanitaires et les séances de vaccination du PEV. L’intégration du dépistage dans un programme existant est certainement une possibilité à considérer afin d’augmenter significativement le nombre de malades dépistés mais également de profiter de structures existantes ce qui permettrait de diminuer les coûts, de pouvoir informer un personnel soignant et des mères (familles) déjà sensibilisés à d’autres pathologies.

Malgré les contraintes logistiques et économiques, le dépistage néonatal de la drépanocytose, associé à la prise en charge globale a été entrepris avec succès dans certains pays de la sous-région notamment au Mali et au Niger. Des outils de diagnostic relativement simples, fonction de leur coût et de leur efficacité doivent être mis en place. Pour ce faire, la technique d’IEF peut être proposée et installée dans 3 ou 4 régions sanitaires. Cependant, la mise en place d’un laboratoire national de référence est recommandée. Il aura pour rôle de superviser les laboratoires régionaux et de confirmer les diagnostics. Un programme bien organisé permettrait d’appliquer le dépistage précoce dans la communauté et à l’échelle nationale.

Etendre et améliorer l’offre et la qualité des soins

• Améliorer l’accessibilité aux soins

La mise en place d’un programme de prévention n’a de sens que s’il débouche sur des possibilités d’interventions, notamment la prise en charge précoce des patients permettant ainsi d’améliorer leur survie. L’inaccessibilité des patients aux services de base (clinique, laboratoire, médicament) au Burkina Faso est le fait de la pauvreté de la population, de la cherté de certains médicaments et de l’absence d’assurance maladie. En effet, la pauvreté touche plus de 45 % de la population principalement dans les zones rurales [INSD, 2010]. Par

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ailleurs, les dépenses de santé récurrentes (traitement des complications, bilans de suivi, vaccinations) et l’augmentation de ces dépenses (plusieurs membres de la famille atteints) contribuent à l’appauvrissement des familles. Malgré la mise en place d’une politique d’accès aux médicaments essentiels et génériques [Ridde, 2005], le coût de cette prise en charge reste inabordable pour la plupart des ménages burkinabés. Ces constats montrent qu’il est capital que les médicaments puissent être accessibles aux drépanocytaires dans tous les milieux socio-économiques. Une piste de solution peut être : la réduction des coûts, la subvention des examens complémentaires et des médicaments les plus utilisés ou même la mise en place d’une assurance santé. La résolution du problème d’accès aux soins de façon générale devrait contribuer à prévenir les complications et à réduire l’impact socio-économique de la maladie. Les études statistiques ont montré qu’il faut environ 120.000 F CFA (soit 180€) par an pour une prise en charge totale d’un enfant drépanocytaire au Mali [CRLD].

• Améliorer la survie des enfants de moins de 5 ans

Au Burkina Faso, le diagnostic souvent trop tardif des SDM est fait lors de complications. Les décès dus aux complications de la drépanocytose sont enregistrés essentiellement chez les enfants de moins de cinq ans. La plus grande période de risque se situe dans le second semestre de la première année de vie [Rogers, 1978]. Approximativement, 15% des enfants drépanocytaires meurent des suites d’infections aiguës et de crises de séquestration splénique

[Rogers, 1978 ; Lê, 2010]. Les progrès constants réalisés dans les pays développés ont permis d’améliorer l’espérance-vie des drépanocytaires [Frempong, 2007]. Ces progrès ne sont pas dus à des interventions très coûteuses, mais à une politique soutenue de prise en charge des patients et de leur famille. Au nombre de ces activités d’appui figurent la vaccination; l’antibiothérapie prophylactique; la supplémentation en acide folique, la prophylaxie anti palustre, le dépistage et le traitement précoce des complications, le suivi médical régulier et l’éducation parentale (nutrition et hydratation adéquate…). Ces mesures permettront de réduire la morbidité, de prévenir les complications et d’améliorer la qualité de vie des enfants.

• Organiser la prise en charge des drépanocytaires

L’évolution de la maladie est parfois émaillée de complications aiguës médicales et/ou chirurgicales qui demeurent encore malheureusement l’occasion de diagnostic de la drépanocytose. Une cible à l’horizon 2020 est que, 25 % des pays de la Région africaine devraient avoir adopté le concept de prise en charge globale pour le traitement de la drépanocytose [OMS, 2010]. La mise en place d’un programme coordonné couvrant différents aspects devrait donc être envisagée. L’organisation de cette prise en charge tiendra compte du

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niveau de soins dans la pyramide sanitaire où des activités précises pourront être définies pour chaque niveau.

• Renforcer les capacités des prestataires de soins

La prise en charge des SDM se veut pluridisciplinaire. Au Burkina Faso, le personnel formé à la prise en charge de la drépanocytose est insuffisant. A tous les niveaux de soins, le clinicien (spécialiste ou généraliste) et les autres agents de santé sont presque quotidiennement confrontés à des difficultés dans la prise en charge médicale des drépanocytaires. Il est évident qu’au Burkina Faso, les professionnels de santé devraient suivre des formations continuées dans le domaine de la lutte contre la drépanocytose [Kafando, 2008]. Cependant, pour répondre à la nécessité d’une prise en charge adéquate, des obligations fondamentales devraient être remplies. En effet, une prise en charge efficiente des drépanocytaires exige : une amélioration des services cliniques; un renforcement du plateau technique des laboratoires; un équipement des services d’imagerie médicale ; une amélioration de la sécurité transfusionnelle et la mise à disposition de traitements appropriés et efficaces. Par ailleurs, à l’image des maladies infectieuses (tuberculose, VIH, paludisme, méningite), la normalisation et la standardisation des procédures et des pratiques ainsi que des protocoles de traitement, devraient être mis à la disposition des prestataires de soins.

Renforcer la communication

• Envers les parents et les malades

Les expériences ont démontré qu’une éducation parentale, diminue de façon significative la survenue de certaines complications [Lee, 1995]. A titre d’exemple, la séquestration splénique est une situation d'extrême urgence. C'est un accident imprévisible et qui tue rapidement si elle n'est pas vite reconnue. C'est la raison pour laquelle, il est très important d'apprendre aux parents à l'identifier en leur apprenant à palper et à connaitre le volume habituel de la rate de leur enfant. Un programme d’éducation parentale en Jamaïque [Emond, 1985] a mis en évidence une augmentation du taux d'incidence de la séquestration splénique aigue passant de 4,6 patient-années à 11,3 patient-années. Parallèlement à cette augmentation, le taux de mortalité a diminué de 29,4 à 3,1 pour 100 événements témoignant ainsi de l’efficacité d’un tel programme. En Afrique, le rôle des mères est déterminant dans la surveillance nutritionnelle, la surveillance médicale, la surveillance scolaire, l’accompagnement psychologique et affectif.

• A l’égard de la communauté

Afin d’obtenir une réduction significative de l’incidence de la drépanocytose, des activités d’information et de sensibilisation doivent être entreprises auprès de la population.

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L’éducation pour la santé, lorsqu’elle utilise des messages adaptés, des techniques de communication adéquates, peut amener à long terme les populations à adopter des comportements moins à risque. Les activités de prévention primaire comme le conseil génétique dans les pays à forte prévalence pour réduire les unions entre porteurs du trait drépanocytaire et autre hémoglobine anormale peuvent faire diminuer sensiblement le nombre d’enfants drépanocytaires. Au sein des mouvements de jeunes, l’accroissement de leurs connaissances notamment sur le mode de transmission des SDM permettra d’infléchir la prévalence de la pathologie.

Les activités de sensibilisation du CID/Burkina ont été axées sur la formation d’une centaine de parents de drépanocytaires et drépanocytaires. Depuis 2009, l’association commémore annuellement la journée africaine (10 mai) de lutte contre la drépanocytose et la journée mondiale de sensibilisation sur la drépanocytose (19 juin) aussi bien dans la capitale que dans les régions du pays. Ces importantes journées donnent lieu à des conférences qui sont l’occasion d’informer le grand public et à des activités de dépistage (Figure 24).

Figure 24 : Prélèvement sanguin chez des enfants en province en vue du dépistage (photo CID/Burkina)

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• Envers les Institutions

En plus de l’éducation, la sensibilisation et l’information, les associations devront faire un plaidoyer en faveur de la mobilisation des ressources tant au niveau local que international à l’endroit des décideurs, des partenaires techniques et financiers.

Créer un centre de référence

Afin de contrôler les anémies héréditaires, les recommandations de l’OMS [OMS, 1994, 1995]

proposent de définir des centres de références et d’adapter le type de contrôle de ces affections selon la situation socioculturelle, politique et le degré d’endémicité de la région. Les priorités fixées par ces centres sont en particulier, outre le dépistage précoce et le suivi médical, de développer et d’assurer un suivi psychologique, le dépistage et la prise en charge des complications spécifiques (vasculopathie cérébrale, rétinopathie proliférative, ONTF…), la gestion des traitements spécifiques, l’éducation des familles et des patients, l’offre du conseil génétique, des actions d’information de la population et de formation des professionnels.

Promouvoir la recherche

En dépit des progrès réalisés dans la compréhension de l’histoire naturelle et des mécanismes physiopathologiques de la drépanocytose, plusieurs domaines restent encore à élucider dont l'hétérogénéité d’expression clinique, le rôle de l’environnement [Weatherall, 2006]. Conformément à la Déclaration d’Alger, il faudrait promouvoir une recherche innovante sur la drépanocytose en vue d’acquérir d’autres connaissances sur la maladie et de les traduire en outils nouveaux de diagnostic ou de traitement. Par ailleurs des partenariats de recherche clinique sud-sud et nord-sud devraient être envisagés.

3.3.4. Publication

Neonatal screening and clinical care programs for sickle cell disorders in Sub-Saharan African: lessons from pilot studies.

Tshilolo L., Kafando E., Sawadogo M., Cotton F., Vertongen F., Ferster A., Gulbis B.

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3.4. Thérapeutique transfusionnelle : sécurité transfusionnelle