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Principe de coopération probatoire – Il convient, tout d’abord, de relativiser la

Professeur à l’Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité Directeur de l’IRDA

B. La répartition de la charge probatoire

28. Principe de coopération probatoire – Il convient, tout d’abord, de relativiser la

répartition traditionnelle et dogmatique de la charge de la preuve. La charge de la preuve ne concerne pas les seules parties au procès. Le juge joue désormais un rôle actif dans la répartition de la charge probatoire. Prédomine désormais dans le procès civil un principe de coopération entre les parties et le juge, qui rejaillit sur le processus probatoire. L’article 10 du Code civil dispose en ce sens que chacun doit contribuer à la recherche de la vérité. Cette contribution à la vérité peut être encouragée par le juge qui peut ordonner la production de pièces ou ordonner des mesures d’instruction (art. 11 et 142 et s. CPC). Les parties peuvent également solliciter l’aide du juge au moyen du référé probatoire de l’article 145 du même code. Cette procédure permet « de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige ». Enfin, un droit à la preuve émerge permettant d’opérer quelques rapprochements avec la procédure de discovery des systèmes de common

law289. Ce droit formellement consacré par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 avril 2012290 renforce

les droits des parties au procès et incite le juge à jouer un rôle plus actif291. Cette coopération entre le juge et les parties est particulièrement utile dans le cadre du principe de précaution en raison du difficile accès matériel, intellectuel et financier à l’information.

29.

« Aptitude à la preuve », production de pièces et mesures d’instruction – Cependant,

plusieurs obstacles doivent encore être surmontés. Concernant les mesures d’instruction, elles ne doivent pas autoriser le juge à se substituer à la carence des parties (art. 146 CPC). Il semble, à ce titre, que la jurisprudence exige un « commencement de preuve », que ce soit dans le procès civil ou administratif, pour pouvoir ordonner des mesures d’instruction292. Ce « commencement de preuve » renvoie finalement

à une certaine vraisemblance des faits allégués, ce qui est difficile à établir en matière de santé ou d’environnement. Est-ce un obstacle infranchissable? À vrai dire, la jurisprudence est plus flexible qu’il

289 Défendant une forme de discovery en matière environnementale, voir Laurent NEYRET, Atteintes au vivant

et responsabilité civile, Paris, L.G.D.J., 2006, p. 516.

290 Civ. 1re, 5 avril 2012, Bull. civ. I, n° 85. Pour une étude d’ensemble, Aurélie BERGEAUD, Le droit à la

preuve, Paris, L.G.D.J., 2010.

291 Dans le même esprit, on peut citer l’article 13.5 des Principes Unidroit et de l’American Law Institute qui

consacre le droit d’exiger la production de pièces déterminées à certaines conditions.

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n’y paraît. La Cour de cassation semble sanctionner toute substitution du juge en cas de carence fautive du demandeur. En revanche, si la partie ne peut pas pour des raisons légitimes établir cette vraisemblance des faits, si elle n’est pas apte à le faire, le juge doit pouvoir l’assister293. La notion clé est

celle d’aptitude à la preuve294; notion précieuse dans le cadre du principe de précaution où la partie demanderesse n’est pas toujours la plus apte à établir une certaine vraisemblance des faits avant toute mesure d’instruction.

30.

« Aptitude à la preuve » et référé probatoire – L’autre obstacle pourrait concerner

l’article 145 du CPC. Certes, cette procédure n’est pas soumise aux dispositions de l’article 146 CPC. Le juge peut se substituer à la carence des parties295. Certes, également, le secret des affaires ne fait pas

obstacle aux mesures ordonnées dans le cadre de cette disposition. Cependant, le référé probatoire peut être refusé en cas de « motifs légitimes ». Or, la jurisprudence, encore récemment, considère que si les mesures demandées paraissent inutiles, le juge peut ne pas donner suite à la demande des parties296. Dans

le même esprit, en quelque sorte, à défaut d’une simple vraisemblance des faits, il n’est pas exclu que le juge considère qu’il n’est pas utile d’ordonner la production de pièces ou des mesures d’instruction297. Cependant, de nouveau, ce principe peut être assoupli par référence au « critère » de l’aptitude à la preuve. Si le juge considère que la partie n’est pas apte financièrement ou intellectuellement à établir ne serait-ce qu’une vraisemblance, il pourrait donner droit au demandeur. En ce sens d’ailleurs, certaines décisions n’hésitent pas à utiliser l’article 145 CPC pour établir la simple vraisemblance de faits pourtant imposée par la loi. Tel est le cas d’un arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2012 par lequel un salarié a pu établir les adminicules exigés par la loi en matière de discrimination au moyen du référé probatoire, le dispensant en quelque sorte d’établir la vraisemblance des faits nécessaire au transfert du risque de la preuve sur l’employeur298. Pourquoi ne pas aller plus loin et, dans le cadre de l’article 145

293 Fabien GIRARD, Essai sur la preuve dans son environnement culturel, t. 1, Marseille, P.U.A.M., 2013, p.

465.

294 Sur cette notion, voir Philippe BRUN, Les présomptions dans le droit de la responsabilité civile, thèse de

doctorat, Grenoble, 1993.

295 Soc., 19 déc. 2012, Bull. civ. V, n° 341. 296 Civ. 2e, 20 mars 2014, Bull. civ. II, n° 78.

297 Sur ce point, voir F. GIRARD, préc., note 74, n° 263, p. 467. 298 Soc., 19 déc. 2012, préc., note 76.

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CPC, mettre à la charge du défendeur économiquement plus apte le financement des mesures d’instruction demandées par le demandeur? De manière prospective encore, et pour remédier à l’inaptitude financière du demandeur, spécialement en matière environnementale et sanitaire, il pourrait être mis en place une aide juridictionnelle qui n’aurait pas pour critère d’attribution le niveau social, mais la nature de la cause défendue299.

Finalement, la charge de la vraisemblance des faits, pouvant emporter la conviction du juge, semble varier selon les circonstances et repose sur un critère déterminant : l’aptitude à la preuve ou plutôt l’aptitude à la vraisemblance. Cette flexibilité de la répartition de la charge probatoire est ainsi en accord avec les propositions de P. Kourilsky etG. Viney lorsqu’ils défendent, dans le cadre du principe de précaution, une charge de la preuve répartie en fonction des circonstances300.

Après la charge de la vraisemblance, la charge probatoire renvoie au risque du doute.

2°/ L’adaptation du risque du doute