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II.1. L'activité diversifiée des sociétés françaises de production d'images numériques

II.1.3. Les principaux contenus fabriqués

II.1.3.1. Le long-métrage

Le long-métrage destiné au cinéma se distingue bien entendu par sa longue durée, et aussi par la projection sur grand écran imposant une fabrication des images à un format minimum, dit 2k (2048 par 1080 pixels). Un équivalent numérique du négatif nécessiterait deux fois plus de pixels par ligne (4k) mais cette résolution rencontre encore les limites de la technologie actuelle81 (le calcul et la composition des images de synthèse s'alourdissent considérablement). Le travail en 2K réclame une méthodologie de travail optimisée, pour éviter des transferts et des manipulations de fichiers trop lourds (vérification des images en entrée avant tout transfert, création de proxies). L'image cinématographique, de par sa taille, réclame plus d'attention, de finesse, car les détails insignifiants sur un écran d'ordinateur se révéleront lors de la projection. C'est pourquoi on peut dire que le processus de fabrication d'un long-métrage est principalement orienté sur la qualité de l'image.

Qualité des rendus sur des longs-métrages d'animation 3D, et qualité de l'intégration lorsqu'il s'agit d'effets spéciaux numériques dans de la prise de vue réelle, car il faut être visuellement crédible, raccorder parfaitement la prise de vue sur des images de grande dimension. En annexe 2, le processus de fabrication des effets spéciaux de L'Empire des loups illustre la manière dont peut se produire un long-métrage. Ce type de processus fait apparaître de nouvelles étapes détaillées dans la section II.2.

En France, le long-métrage d'animation 3D se développe depuis 2003. Il s'agit fréquemment de coproductions où les budgets restent inférieurs à 20 millions d'euros.

Production budget

Kaena, la prophétie (2003) France Canada ~ 18 M€

Le Manège Enchanté (2005) France Angleterre ~ 20 M€

Renaissance (2006) France ~ 15 M€

Arthur et les minimoys (2006) France ~ 65 M€

En comparaison :

Toy Story (1995) US - Pixar ~ 30 M$

The Incredibles (2004) US - Pixar ~ 92 M$

Sources : Syndicat des Producteurs de Films d'Animation, Le marché de l'animation. 2006.

Allociné (http://www.allocine.fr)

81 SOEIRON, Philippe. " Le Gant ", anatomie d'un futur en " 4K ". Lettre de l'AFC [périodique en ligne]. 2004.

On compte par contre de plus en plus de films d'animation mélangeant de l'animation traditionnelle et de la 3D (utilisée surtout pour les personnages ou les véhicules) : Entre autres, Tristan et Iseut (2002), Corto Maltese la cour secrète des arcanes (2002), Les Triplettes de Belleville (2003), Azur et Asmar (2006) .

Les longs-métrages d'animation 3D en stéréoscopie (image en relief) sont en pleine essor en Belgique (sortie prochaine du long-métrage Flying to the Moon) et dans les majors américaines aux États-Unis. En France, des conférences internationales sont organisées à ce sujet (Dimension 3 expo82) mais la stéréoscopie reste la spécialité d'un petit groupe de professionnels. Vincent Visca, doctorant en Art et Technologies de l'Image (ATI) à l'université Paris 8, spécialiste de la stéréoscopie, explique que ce type de projet a comme principale spécificité la présence de deux caméras, et donc la génération de deux fois plus d'images, avec les problématiques qui en découlent : gestion de l'espace disque, et « deux fois plus de soucis lors des rendus ». Ces images rendues ne sont pas symétriques. L'étape de compositing ne peut pas effectuer des retouches manuelles comme le paint. La stéréoscopie s'adresse aussi à un certain type de mise en scène, en privilégiant les rides et les effets de sortie d'écran (jaillissement) .

II.1.3.2. La publicité

Les films publicitaires sont de courte durée, de quelques secondes à plus d'une minute, et peuvent se décliner en plusieurs versions : par exemple, une version 1 minute, et une déclinaison de 30 secondes reprenant les principaux plans de la version longue. En terme de découpage, on parle rarement en séquence, mais plutôt directement en plan.

Le format standard de diffusion pour la télévision est le PAL, 720 x 576 pixels (et le NTSC, 720 x 486 pixels, pour les États-Unis). Du point de vue de la fabrication, l'image va donc être moins exigeante qualitativement que pour le long-métrage, et les temps de rendus moins importants. Notons cependant que le format HD (1920 x 1080 pixels) commence à prendre la relève. Des sociétés d'effets spéciaux se livrent déjà à l'évolution de leur infrastructure pour répondre à la nouvelle demande qui exigera une prestation de publicité avec les contraintes techniques plus

importantes. Le principal avantage reste la numérisation complète de la chaîne, pas de pellicule, ni de kinescopage.

La publicité est un secteur très demandeur d'effets spéciaux numériques et c'est une source de revenus assurée pour les sociétés et leurs employés. Ce milieu a ceci de particulier qu'il impose souvent, au-delà des images, une prestation standing où le commanditaire est roi. Les conditions de fabrication sont les plus difficiles, avec des délais très courts (en moyenne, quelques semaines), un rythme soutenu face à une demande très exigeante. La collaboration est fragilisée par la multiplication des organisations intervenantes. Nous reviendrons plus amplement sur ce sujet dans le troisème chapitre, mais on peut dire dès à présent que le processus menant à la réalisation d'une publicité est orienté sur la performance, « il y a des impératifs de délai beaucoup plus courts qui font que tu dois trouver une solution rapide, efficace » (Alex, infographiste).

II.1.3.3. La série

Une série se distingue des autres médias par une diffusion télévisuelle discontinue et régulière, de courts ou moyens métrages, basés sur un même univers et sur les mêmes personnages. Par exemple, la série Bravo Gudule saison 1 comporte 55 épisodes de 11 minutes, retraçant les aventures d'un groupe d'enfants dans leur quartier. Un ensemble de personnes (parents, enfants, animaux) et de décors (quartier, jardins, maison de l'héroïne, etc.) composent l'univers complet dont seulement certaines parties sont utilisées pour chaque épisode (Planche 8).

La série est un processus misant sur une efficacité de reconduction : la fabrication de chaque épisode suit le même cheminement. Les premiers épisodes serviront à mettre à l'épreuve la mise en œuvre technique. De plus, d'un épisode à un autre, on retrouve souvent les mêmes animations, les mêmes expressions de personnages, les mêmes cadrages. On s'emploie donc au principe de la réutilisation, et ceci depuis des années. En parlant de son expérience chez France Animation dès le début des années 80, le réalisateur Stéphane Piera évoque l'importance de la réutilisation dans les séries en dessins animés (2D) de cette époque :

« La plupart des productions fonctionnaient avec une organisation visant à maximiser les réutilisations. […] Je me souviens avoir travaillé à France Animation avec une personne en charge des réutilisations qui était comme le gardien d’un temple avec une grande pièce pleine d’étagères, pleine de plans…

On y arrivait en disant : “J’ai besoin de tel personnage en train de parler de trois-quarts face” et il allait chercher la petite échelle… Les storyboardeurs travaillaient avec les mêmes contraintes, devant essayer de réutiliser au maximum les poses et les morceaux d’animation qui existaient déjà, quitte à simplifier ou tordre un peu l’histoire pour y arriver… »83

Avec l'image de synthèse, ce principe a été conservé. La technologie 3D facilite encore plus cette réutilisation. Sur Bravo Gudule, face à des contraintes de temps, l'archivage de poses et d'animations de base pour leur réutilisation, permettait de faciliter le travail des animateurs.

Un exemple de pose réutilisable : Gudule venant de faire une bêtise

Les poses de mains (en poing, au repos, tendus, tenant un objet) étaient très utiles ainsi que les poses assises, accroupies, allongées, longues à mettre en place.

Les marches, les courses, les descentes et les montées d'escalier pouvaient s'utiliser sur des personnages de même stature. Néanmoins, trois enfants courant côte à côte selon un cycle d'animation identique n'est pas d'une grande finesse, et si ce procédé aide à tenir les délais, c'est au détriment de la subtilité de l'animation et de la caractérisation des personnages.

Ainsi, la base de données du projet cataloguait toute une liste d'éléments à réemployer, de la simple pose au plan complet. La réutilisation totale s'employait pour les plans d'extérieur : les cadres larges sur le quartier, sur des façades de maison ou sur le jardin avec des animations type marquant l'activité du secteur (voitures, piétons, oiseaux) étaient les plus lourds à gérer.

Plans d'extérieur très lourds à gérer au rendu

Avec le nombre élevé de polygones, les animateurs avaient du mal à manipuler les scènes et les bugs de rendu forçaient le traitement manuel du découpage du plan en plusieurs couches. Après la fabrication des premiers épisodes, les plans extérieurs déjà conçus ont été répertoriés et transmis aux storyboarders pour qu'ils soient réutilisés d'un épisode à un autre, lorsque la mise en scène le requerrait.

Parce qu'il s'agit d'un processus de reconduction, la série d'animation se prête particulièrement bien à l'automatisation des procédures84. Sur Bravo Gudule, la nomenclature et le rangement des fichiers s'accomplissaient automatiquement à l'enregistrement initial de la scène : les infographistes précisaient l'épisode, la séquence, le plan et l'étape (layout, animation,...), validaient, et instantanément le fichier se conformait à la structure du projet, et les paramètres de rendu étaient bien ajustés (nom des images ou des prévisualisations générées, résolution...). En garantissant ainsi des noms cohérents, une organisation homogène des fichiers, l'automatisation clarifie sans effort un système alourdi par de nombreuses données.

La nomenclature était reconnue par le gestionnaire de projets qui lançait les rendus automatiquement ,dès que le plan était validé en animation (le rendu ne nécessitait pas d'éclairage manuel); ensuite, les différentes passes rendues s'assemblaient et une

vidéo de prévisualisation était mise à disposition pour une phase de vérification. La rapidité d'enchaînement et d'exécution de ces phases techniques a permis d'éviter le goulet d'étranglement en compositing : seulement cinq infographistes suffisaient pour répondre à la vérification et au complément des plans animés par près de 30 animateurs. Enfin, pour les validations, le chargé de production ou le superviseur de l'animation pouvaient déclencher à tout instant, par un simple clic, le montage des plans ou des séquences à différents niveaux d'avancement (layout, animation, rendu).

Def2Shoot a développé pour Bravo Gudule une méthode de synchronisation labiale automatisée, directement intégrée au logiciel d'animation, retirant ainsi aux animateurs une tâche fastidieuse. Les voix enregistrées sont reconduites en phonèmes qui sont ensuite traités par le logiciel 3D. Chaque phonème correspond à une texture de bouche. Dans le rapport du CNC sur la production de séries d'animation85, René Broca et Christian Jacquemart évoquent le développement de ce type de logiciels d'assistance à la détection, dont les promoteurs estiment le gain de productivité à une division du temps de travail par deux ou trois. Là aussi, il faut relativiser par rapport à la qualité de l'animation ainsi produite. Les meilleurs lipsyncs sont encore obtenus par une intervention manuelle de l'animateur.

La fabrication d'une série permet d'imaginer de nombreux outils automates, qui pourront par la suite être étendus à d'autres types de projets. Par exemple, on peut envisager la construction automatique d'une scène 3D à partir du dépouillement.

En général, le temps de production d'une série ou d'un long-métrage est de plusieurs mois, et la quantité d'informations traitées impose un suivi beaucoup plus complet que pour une publicité. La phase essentielle de dépouillement à partir du story-board offre un support d'informations complet pour toute la suite de la fabrication, et pour tous les intervenants. Pour chaque épisode, on liste le séquencier, puis on fait l'inventaire des nouveaux éléments à fabriquer, du décor et des ambiances lumineuses pour chaque séquence, des personnages, des accessoires, du mouvement de caméra et des réutilisations d'axe caméra, des effets spéciaux pour

85 BROCA, René, JACQUEMART, Christian. La production de séries d'animation. 2003.

chaque plan, éventuellement des cycles d'animation ou des poses déjà enregistrées dans la base de données, ou encore une indication rapide sur l'humeur des personnages.

Document de dépouillement

II.1.3.4. D'autres contenus audiovisuels

En dehors de ces principales catégories, gravite toute une variété de projets d'autre nature. Tout d'abord, les sociétés peuvent concevoir des longs-métrages pour la télévision ou des documentaires. Par exemple, L'Odyssée de la vie, fabriqué par la société Mac Guff Ligne, est un documentaire sur l'évolution du foetus pendant les neuf mois de la grossesse. Les images de synthèse et le rendu réaliste simulent cette aventure intérieure.

Autre type de projet, le vidéo-clip se rapproche par son format, mais aussi par les conditions de travail, de la publicité. Il est souvent tout aussi exigeant en terme d'effets, mais avec des budgets beaucoup plus restreints, et c'est par là un

" investissement à risque ". Le vidéo-clip est souvent apprécié pour son côté expérimental où les réalisateurs libèrent leur créativité.

Clip de Pascal Obispo réalisé à Def2Shoot

Les sociétés conçoivent aussi des habillages TV, à mi-chemin entre la série et la publicité, car ils sont diffusés sous forme de petits interludes répétés.

Gulli, projet d'habillage pour GulliTV

La fabrication d'une publicité peut aussi conduire à la conception des panneaux d'affichage promotionnel. Cela implique des rendus en très grandes résolutions 4K, 6K, pour l'impression sur du grand format.

Le marché de l'audiovisuel évolue très rapidement et de nouveaux types de contenus apparaissent, comme par exemple, les films pour téléphone mobile. Les sociétés de production d'images numériques fabriquent aussi des génériques de plus en plus élaborés, pour les longs-métrages, par exemple, le générique du long-métrage Catch me if you can conçu par la société française Kuntzel & Degas.

Générique de Catch me if you can

Certains génériques sont destinés aussi à l'événementiel comme celui du 1er salon du cinéma conçu par Def2Shoot.

A côté de leur travail " alimentaire ", plusieurs sociétés tentent de développer des projets qui leur tiennent à cœur et dans lesquels elles s'investissent financièrement. Elles peuvent aussi aider de jeunes auteurs à réaliser leur court-métrage, en leur mettant à disposition des ressources matérielles et parfois humaines.

II.1.4. Conclusion

Dans cette section, nous avons pu constater que l'activité des sociétés de production d'images numériques était très diversifiée. L'originalité des œuvres est une première raison évidente, mais le contexte de production en est une autre. D'un projet à un autre, l'échelle du processus pris en charge par un studio varie du simple étalonnage à la fabrication complète. Les contenus diffèrent par leur nature (publicité, série, court-métrage, long-métrage, vidéo-clip, habillage TV, etc.), leurs

" matières premières " (mélanges de 2D, 3D, prises de vue réelle), leur support de diffusion (projection au cinéma, à la télévision, sur Internet, sur téléphone mobile).

Ces nombreux paramètres de production influent directement sur la fabrication.

Alors que le premier chapitre nous avait permis de dégager un premier niveau de complexité, lié à la création des images numériques, nous voici en train d'ajouter une seconde dimension à cette complexité, celle de la variété des approches. De cette infinité d'approches, ressort la nécessité d'une créativité technique sans précédent.

Notre expérience de Def2Shoot nous a permis de réaliser des modélisations de processus de trois types de projets, long-métrage, série, publicité, que l'on pourra trouver en annexe. L'objectif de ces schémas était d'élaborer une vision globale et commune de la fabrication pour l'équipe, de définir les enchaînements, les flux d'étape en étape (qui transmet quoi ?), les étapes de validation, les automatisations, mais aussi des détails techniques comme les formats d'échange, les profondeurs de couleurs,...

Cependant, il est très difficile de modéliser tout en amont de la fabrication comme les sociétés aimeraient parfois le faire. On peut avoir une idée très globale de l'enchaînement des étapes, mais on peut rarement prédire la fabrication dès qu'on souhaite rentrer dans les détails. Il revient aux superviseurs de projets d'organiser des phases de tests préliminaires pour anticiper cette fabrication et avoir une idée plus précise de son déroulement.

Le second aspect important, résultant de la diversité des activités des studios d'effets spéciaux, concerne les collaborations. Bien que nous nous réservions une analyse plus poussée pour le troisième chapitre, nous constatons déjà que l'hybridation entre techniques numériques et techniques traditionnelles invite à de

nouvelles collaborations. Les sociétés de production d'images numériques intègrent, ou sont en contact avec, un panel très large de métiers. Nous allons nous en rendre compte encore un peu plus à présent, avec l'étude de l'hybridation entre images de synthèse et images en prise de vue.

II.2. L'hybridation de la prise de vue réelle et des effets