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I.1. Présentation de la synthèse d'images animées

I.1.4. La complexité du processus

Nous venons de présenter la fabrication des images de synthèse, dans le cadre d'un projet audiovisuel, sous sa forme " logico séquentielle "

(modélisation>animation>rendu). C'est une manière simple et " agréable " pour appréhender le processus, l'expliquer aux non-initiés, réconforter les clients. Cette vision offre aussi un cadre nécessaire pour organiser, planifier, structurer la fabrication et parvenir à sa fin.

Cependant, il s'agit à présent d'évoquer le processus sous sa forme objective et vécue. Dans cette sous-section, nous allons donc passer dans l'arrière-boutique, au cœur de la fabrication, pour entrevoir dans ce processus nécessairement fragmenté, les relations techniques fortes liant les étapes entre elles. Nous illustrerons d'exemples rencontrés sur les projets de la société Def2Shoot ou retranscrits à partir d'entretiens. La singularité d'une œuvre et de sa fabrication peut conduire facilement à une nouvelle configuration, de nouveaux liens, de nouveaux échanges ; cette liste de relations techniques n'est donc pas exhaustive, mais suffisante pour appréhender la complexité du processus.

I.1.4.1. Design et modélisation

Dans la phase de pré-production d'un projet audiovisuel, un designer effectue des recherches graphiques et livre des model sheets, représentant les modèles sous plusieurs angles de vue (planche 5). Lors de la modélisation, l'infographiste s'appuie sur ces model sheets pour créer les modèles en trois dimensions. Il est donc important que le designer prenne en compte les contraintes liées à la 3D : si en dessin il est courant de tricher sur les perspectives et les proportions, en 3D on se heurte à la rigidité géométrique du modèle. L'infographiste ne pourra pas reproduire fidèlement le design si les différentes vues dessinées ne concordent pas entre elles. De plus, comme le modeleur doit modéliser les personnages au repos pour faciliter le travail de setup, le designer doit aussi prendre en compte ces contraintes supplémentaires dans son dessin (position des bras, des jambes, flexions des articulations).

Lors de la fabrication d'une publicité à Def2Shoot, nous avons pu constater que la proximité du designer et du modeleur (assis à la même table) permettait des échanges riches, instantanés, efficaces. Les méthodes de coordination entre les deux métiers sont multiples. Certains designers effectuent un premier design lâché, illustrant les grandes lignes du modèle. Puis, une fois la modélisation terminée, le designer retravaille son design à partir de rendu caméra du modèle pour donner de nouvelles directives au modeleur tout en s'appuyant sur des formes justes. Dans les grands studios de production, on traduit les designs en modèle sculpté pour mieux entamer ensuite la modélisation 3D.

On constate donc qu'entre design et modélisation, il se crée déjà des besoins réciproques, des allers-retours et donc une sorte d'interdépendance dans la fabrication.

I.1.4.2. Relations autour de la modélisation

Située en amont de la chaîne 3D, la modélisation doit prendre en compte les contraintes imposées par toutes les étapes suivantes. Voici les relations techniques courantes auquel il faut songer lors de cette étape.

(1) Modélisation et fabrication des matériaux/textures :

- La fabrication des textures se base sur le dépliage des UV et donc sur la topologie du maillage. Celui-ci doit être conçu de manière à limiter les tensions entre les faces polygonales. Ces tensions se créent lorsque les orientations de deux faces consécutives ne sont pas continues. Au niveau des textures, cela peut se traduire par des étirements disgracieux. On essaie en général de limiter les faces à quatre côtés.

- La texture peut influencer aussi le maillage avec l'utilisation des textures displacement map qui déforment la géométrie, créent du relief, en fonction d'un niveau de gris. Les modeleurs peuvent se servir de ces textures pour ajouter du détail à leur modèle.

Une texture en displacement map permet de donner du détail à une géométrie simple sans modélisation supplémentaire.

- Les shaders de détection de contours et d'arêtes, utilisés pour les rendus en aplat "cartoon" et les traits de silhouette, sont étroitement liés à la précision et à la topologie du modèle 3D. Le trait suit la courbe du maillage. Pour ces rendus stylisés, on modélise en contrôlant le rendu et comme l'aspect 2D entraîne une perte de volume, le travail va être très différent. Par exemple, sur le projet Peur du noir, le rendu final devait respecter les design du dessinateur Charles Burns.

Sur le design, on constate la présence d'un trait de silhouette et de lignes à l'intérieur du visage (sur le nez, aux coins des narines) .

Peur du noir : la modélisation du personnage doit ici respecter le rendu

Le modeleur devait positionner le maillage avec précision pour obtenir exactement les mêmes traits; mais pour contrôler son résultat, il devait aussi régler le matériau de détection de contours (épaisseur des lignes, pleins et déliés).

Il a donc effectué des recherches de texturation parallèlement à son travail de modélisation, pour coller au plus près du design imposé. Cela permettait aussi de déterminer très rapidement quelles lignes étaient gérées par la détection de contour et d'arêtes (et donc liées à la modélisation de la géométrie) et quelles lignes devaient être intégrées dans une texture supplémentaire (dessinée).

« Quand j'ai réouvert ma scène, le modèle n'était vraiment pas beau, disproportionné, aplati. Mais il faut se dire que c'est le rendu qui est important, pas le modèle. » (Pascal, modeleur sur Peur du noir)

(2) Modélisation et setup :

- Traditionnellement, la mise en place du squelette s'appuie sur la modélisation.

La modélisation du personnage au repos, avec les articulations à mi chemin de leurs extrêmes, les jambes écartées et les bras loin du corps (45° stance), facilitera l'assignation. Le maillage doit être suffisamment défini au niveau des articulations pour garantir une bonne déformation lors de la pliure.

- Dans le cas particulier de la motion capture, la modélisation doit s'appuyer sur le squelette virtuel réalisé en amont. Ce squelette a en effet été conçu à partir des mesures de l'acteur réel et des marqueurs disposés sur ses articulations à des distances fixes égales à la longueur des os.

(3) Modélisation et cadrage/layout :

- Pour optimiser le processus, on peut modéliser en fonction des cadrages : les cadrages permettent de connaître la résolution maximale dont on aura besoin pour un modèle. Pour les décors vus uniquement de loin, ou pour les personnages en arrière-plan, la modélisation ne sera pas aussi détaillée que pour un personnage principal. Cela permet surtout d'alléger les futures scènes.

« On a commencé par faire des modèles en faible résolution, puis le layout nous a permis d'analyser le niveau de détail dont nous avions besoin pour les modèles en haute résolution » (Ali, infographiste)

Comme la distance entre la caméra et le modèle varie d'un plan à un autre, on utilise la version du maillage appropriée : c'est à dire avec une résolution faible (low), intermédiaire (middle) ou élevée (high) en fonction de l'éloignement.

« L'immeuble était découpé en étage et c'était seulement le bas qui nécessitait une définition plus importante car la caméra passait à côté. »

(4) Modélisation et animation :

- Contrairement à l'animation 2D, la rigidité géométrique des modèles impose une certaine cohérence entre le design, la modélisation et les besoins en animation. On ne pourra pas demander à un personnage avec une grosse tête et des petits bras de joindre les mains au-dessus de la tête.

Si on peut tricher en dessinant, la technologie 3D ne permettra pas les incohérences.

(Source : In Vitro, projet de maîtrise ATI - Design par Pascal Pinon)

- La technique du blendshape, souvent destinée à l'animation faciale, consiste à fabriquer des déclinaisons de la modélisation originale pour les utiliser comme éléments de morphing. Il faut songer à modéliser l'ensemble des déclinaisons utiles à l'animation et prévoir aussi le maillage en fonction. Pour penser à tout, on peut se référer au storyboard. Par exemple, sur mon film de maîtrise, j'ai du supprimé un plan car je n'avais pas prévu le blendhape ni le maillage suffisant au niveau des joues pour faire siffloter mes personnages.

Combinaisons de différents blenshapes pour la bouche, les sourcils et les paupières (Source : In Vitro, projet de maîtrise ATI)

(5) Modélisation et rendu :

- Comme pour les textures, une mauvaise topologie du maillage pourra entraîner des "cracks" à la lumière à cause de la discontinuité des normales.

Artefact au moment du rendu

Comme nous pouvons à présent le constater, la situation de la modélisation, tout en amont du processus 3D, n'est pas synonyme de liberté technique, bien au contraire. La modélisation doit respecter une certaine méthodologie pour ne pas mettre à mal les autres étapes (texturation, setup, rendu) ou prendre en compte des besoins futurs (cadrage, animation). Elle anticipe donc toute la chaîne, au service et à l'écoute des autres étapes .

Les relations autour de la modélisation

I.1.4.3. Relations autour du layout

Parce que le layout est la première phase de travail au plan, et l'étape de composition de l'image, il entretient nécessairement de nombreux liens avec les autres étapes :

Modélisation et layout :

Voir relations autour de la modélisation (3) (6) Layout et texture :

- En fonction des différents cadrages du storyboard, on peut fabriquer la même texture à différentes résolutions pour choisir ensuite en fonction de l'éloignement à la caméra. Une texture très proche de la caméra aura besoin d'une résolution et d'un niveau de détails plus élevés. Une texture loin de la caméra pourra être moins détaillée, plus petite, et donc plus légère, ce qui permet d'alléger les scènes 3D.

(7) Layout et animation :

- Lorsqu'on anime manuellement (clé par clé), on essaie bien entendu d'optimiser son temps. On anime donc en fonction du cadre. Et si le personnage Gudule est vue de face avec la main dans le dos, il n'est pas nécessaire d'animer la main

" hors cadre ". Il suffit parfois que l'angle de vue change un peu pour que l'animation ne fonctionne plus.

- Parfois l'animation peut amener à modifier le cadrage, par exemple accompagner un mouvement.

- Pour la cas particulier de la motion capture, le cadrage définitif se choisit après le jeu des acteurs. La motion capture récupére les mouvements d'un acteur sous tous les angles.

(8) Layout et éclairage :

- Comme nous l'avons vu dans la sous-section précédente, le layout peut permettre d'anticiper très tôt l'éclairage.

Les relations autour du layout

I.1.4.4. Relations autour du setup et de l'animation Setup et modélisation :

Voir relations autour de la modélisation (2) (9) Setup et animation :

- Le setup doit répondre à l'intégralité des animations prévues dans le storyboard. On effectue des "scratch tests" pour étudier la réaction du modèle dans des poses extrêmes. Le setup doit aussi préparer l'interface d'animation.

Animation et modélisation :

Voir relations autour de la modélisation (4) (10) Animation et texture :

Il est possible d'animer des surfaces à l'aide de textures.

(11) Animation et éclairage :

L'éclairage se fait en fonction de l'animation.

Les relations autour du setup et de l'animation

I.1.4.5. Relations autour de l'éclairage et du rendu

Les étapes s'attachant à la représentation de l'apparence lumineuse, surfaciques et colorées des objets, c'est à dire la fabrication des textures et des matériaux, l'éclairage et le compositing, s'associent étroitement pour produire l'aspect final des images. Ces étapes de rendu s'articulent entre la 2D et la 3D. On passe de la 2D à la 3D lorsque les textures-images sont associées à un matériau au sein du logiciel 3D. Et à l'inverse, on repasse de la 3D à la 2D lorsque le rendu transforme la scène 3D en image.

Eclairage/Rendu et Modélisation : Voir relations autour de la modélisation (5) Eclairage/Rendu et Layout :

Voir relations autour du layout (8) Eclairage/Rendu et Animation :

Voir relations autour de l'animation (11)

(12) Textures/Matériaux et Éclairage/Rendu :

- Ces étapes sont étroitement liées. Le réglage définitif des matériaux se fera au moment de l'éclairage.

- La texture peut contenir des indications lumineuses (voir l'exemple du camera mapping dans le paragraphe I.1.2.3.). On peut aussi créer des textures pour, par exemple, gérer le spéculaire.

(13) Éclairage/Rendu et Compositing :

- La continuité entre les étapes d'éclairage/rendu et le compositing est donc l'une des plus exigeantes. Les infographistes du rendu doivent connaître les passes qui seront nécessaires aux compositeurs pour retoucher et finaliser l'image.

Les relations autour du rendu

I.1.4.6. Continuité entre le rendu et le compositing

Parmi les images générées par la 3D, nous pouvons qualifier certaines d'images-outils. Ces images ne remplissent qu'une fonction utilitaire au moment du compositing dans la génération de l'image finale. Prenons l'exemple du "rendu des normales" :

Rendu des normales (source : Bravo Gudule)

Ce rendu indique l'orientation des faces en utilisant un code couleur, par exemple rouge pour les faces orientées vers l'axe X, vers pour l'axe Y et bleu pour Z, avec une interpolation des couleurs pour les orientations intermédiaires. Cette image offre donc une information de volume et permet alors de ré éclairer le rendu des objets.

Cette technique a été utilisée sur le pilote de la série Gecko réalisé par Cédric Babouche à Def2Shoot:

Image extraite de Gecko avec l'éclairage effectué au compositing

Elle a permis de faire des retouches au compositing sans avoir à re-rendre et a donc ainsi optimiser la fabrication. Elle a cependant le désavantage de ne pas permettre la génération d'ombres.

Autre image-outil, le rendu du Zbuffer indiquant la profondeur de l'image.

Il permet de positionner une profondeur de champ. Toutes ces images-outils sont utilisées dans un soucis d'efficacité : elles sont moins longues à calculer. Elles

permettent de traiter le rendu de l'image avec une interactivité plus grande que dans le logiciel 3D. Elles offrent un contrôle à la fois souple et précis sur l'image finale.

La continuité entre les étapes d'éclairage/rendu et le compositing est donc l'une des plus exigeantes. Les infographistes 3D doivent connaître les passes qui seront nécessaires aux compositeurs pour retoucher et parfaire l'image. Sur le projet Bravo Gudule, les deux étapes étaient regroupées sous un même département

"rendu/compositing" dont les intervenants s'occupaient à la fois de gérer les passes nécessaires pour leur besoin en compositing. Pour être objectif, il n'y avait pas de phase d'éclairage et comme le découpage des passes, le rendu et le compositing étaient automatisés, ces interventions manuelles se limitaient à des cas particuliers, notamment lorsque les plans réclamaient des effets spéciaux.