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I.2. L'outil numérique au cœur du travail en réseau

I.2.4. Outils complémentaires

I.2.4.1. Les automates

Sur des tâches répétitives et ne nécessitant pas le jugement de l'oeil humain, les procédures automatisées, que l'ont dénomme aussi joliment moulinettes, font gagner un temps précieux. Parce qu'elle centralise de l'information structurée, une plate-forme de gestion de projet facilite la création et le fonctionnement des automates.

Tout d'abord, l'automatisation de la nomenclature et du rangement des fichiers assure une cohésion de sens au sein du travail collectif. Sur un projet en équipe, l'expérience montre les dérives lorsque chacun s'emploie à nommer ses fichiers sources selon ses propres habitudes : le ''plan04_version5+++final_02'' côtoie ''plan04_ralenti_03 _def'' ou encore d'autres noms obscurs. Il faut donc laisser de côté la fantaisie au profit d'une dénomination plus explicite, ou tout du moins, conventionnelle. Mais là encore, le respect des terminologies fluctuent avec la rigueur des intervenants et les possibles erreurs humaines. Les infographistes, qui manquent souvent de temps, préfèrent se concentrer sur la fabrication plutôt que sur l'enregistrement et la manipulation des données. A Def2Shoot, l'équipe R&D a développé un outil intégré aux logiciels 3D : lors de la création d'une nouvelle scène l'infographiste signalait obligatoirement, la séquence, le plan et l'étape de fabrication pour que le fichier se sauvegarde automatiquement au bon endroit et avec la bonne nomenclature.

L'automatisation de la nomenclature et du rangement des fichiers dans la base de données est l'un des rouages clé pour ensuite créer d'autres moulinettes plus complexes. En effet, une nomenclature automatique rend prévisible l'identification et la manipulation de fichiers.

Par exemple, on peut imaginer une moulinette destinée au montage automatique du film : les animateurs utiliseront un automate pour générer leur playblast61, au bon format, au bon endroit. Une autre moulinette créera le montage d'une séquence en assemblant les playblasts de tous les plans.

De la même façon, on peut employer des moulinettes similaires à n'importe quelle autre étape de la fabrication : montage du layout, de l'animation, du rendu, des plans composités.

I.2.4.2. L'indexation des librairies d'éléments

Comme nous l'avons vu dans le paragraphe I.1.3.1., la fabrication des plans passe par la création des décors, des personnages et des accessoires. On regroupe l'ensemble de ces éléments dans une bibliothèque. De projet en projet, l'outil numérique permet la réutilisation partielle ou complète des éléments. Par exemple, on peut repartir de la modélisation d'un corps humain pour modéliser un nouveau personnage à forme humaine, ou encore réappliquer des textures de peau en les modifiant légèrement. Bien entendu, cette technique permet de gagner en productivité.

L'ensemble des bibliothèques de tous les projets constitue donc un réservoir précieux pour les projets à venir. Cumuler les éléments, c'est capitaliser de l'expérience réexploitable. Cependant, face à cette accumulation massive de contenus, on doit pouvoir stocker intelligemment les fichiers et surtout faciliter leur consultation. L'étude de la synthèse d'images nous a montré la diversité des fichiers :

• modèles 3D : décors, personnages, accessoires

• paramètres ou courbes d'animation

• textures, illustrations, références, photos

• images d'éléments filmés et réutilisables (effets de fumée, d'explosion...)

• sons, typographies, mais aussi de la documentation comme les tutoriaux, les papiers scientifiques, etc.

et encore toute sorte de fichiers.

À Def2Shoot, le rangement de cette base centrale s'effectuait par typologie (principalement une base de textures, une base de modèles, une base de référence visuelle et une base d'éléments filmés) puis par sémantique courante (fumées, explosions, ciels).

Malgré tout, pour que la recherche soit véritablement efficace, il faut rattacher au fichier une description de son contenu. À nouveau, on se retrouve face à la nécessité d'une base de données pour lier les éléments à des mots-clés et à d'autres métadonnées importantes. Ces données permettront une recherche plus précise. Par exemple, un animateur peut rechercher une courbe d'animation selon qu'elle soit sur place ou en développée, selon son caractère (animation stylisée ou réaliste), ou sa continuité (cyclique ou non). On doit aussi pouvoir aisément rattacher le fichier à l'utilitaire qui permet de le voir concrètement. À ce propos, tous les éléments n'ont pas un mode de visualisation immédiat. On doit donc envisager des modes de visualisation alternatifs d'aperçu. Par exemple, sur la banque de Bravo Gudule, les animations étaient stockées avec une vidéo pour voir rapidement l'aspect du mouvement, et les poses étaient sauvegardées avec des vignettes. Enfin, il ne faut pas oublier d'intégrer à cette indexation le lien vers des éléments physiques (dessins, peintures, livres, documents, cassettes).

On constate donc que l'entretien de cette mémoire d'entreprise est un travail à part entière, et même à temps plein. Il faut miser sur un outil bien fait, sur une simplicité d'utilisation avec une interface intuitive et un moteur de recherche performant.

I.2.4.3. Les outils de communication

Au sein des studios d'effets spéciaux, on observe l'usage de différents outils de communication, dont les systèmes de forum, de newsgroup, de messagerie, et de messagerie instantanée. Comme l'expose Pierre-Jean Benghozi62, ces outils diffèrent par la manière de communiquer dans le temps (communication synchrone ou asynchrone) et par le nombre de personnes touchées par le message (de « un à un », de « un à plusieurs », de « plusieurs à un » ou encore de « plusieurs à plusieurs »).

Benghozi évoque la difficulté à faire coïncider le bon outil avec le bon usage par rapport à la situation de communication.

Le forum est un espace web dynamique permettant de lancer des sujets de discussion autour de thèmes particuliers. Chaque utilisateur peut consulter un sujet

et l'historique des messages déjà postés, puis intervenir à son tour en envoyant un message. L'usage des forums sur Internet est une pratique courante dès que l'on est amené à apprendre des logiciels, résoudre des problèmes techniques, et partager son expérience.

De nombreux infographistes se forment de manière autodidacte grâce à l'utilisation de ces systèmes de communication. Les sites communautaires internationaux sur la 3D contiennent en effet des forums très actifs (plus de 250 000 messages) comme ceux de www.cgtalk.com, www.highend3d.com, ou encore www.xsibase.com, qui constituent des bases de connaissances d'une richesse exceptionnelle. D'année en année, nous avons constaté que ces sites se développaient en proposant de nouvelles catégories de discussion. Il ne s'agit plus seulement de discuter sur la technique et les logiciels, mais de montrer son travail à la recherche d'une critique, de proposer des challenges en ligne, de discuter avec une personnalité du milieu (le superviseur FX d'un film populaire), de débattre sur les effets spéciaux d'une superproduction ou encore de trouver du travail à l'autre bout du monde.

Dans les sociétés de production d'images numériques, la connexion à Internet permet d'accéder à ces précieux outils externes vers lesquels les infographistes n'hésitent pas à se tourner pour résoudre les problèmes rencontrés sur les projets.

Autre outil de communication, le newsgroup est semblable au forum, si ce n'est que les messages peuvent être directement téléchargés dans un logiciel de messagerie (donc " en local ", sur son ordinateur). Dans certaines entreprises, les newsgroups permettent à tous les employés de communiquer autour de différents thèmes.

Le studio français MacGuff emploie cet outil pour communiquer sur les différents projets, mais aussi des sujets plus généraux : pour les petits projets (peu de personnes), un seul newsgroup suffit, il contient des messages de l'équipe de production concernant les plannings, les deadlines, ou encore les comptes rendus de réunion. mais aussi des questions techniques. Pour les plus gros projets (long métrage, série), plusieurs newsgroups sont nécessaires, chacun dédié à un aspect particulier du projet : modélisation, rendu, fx, animation, recherche&développement,

production,... Enfin, des newsgroups plus généraux sont destinés au comité d'entreprise, aux " embrouilles ", aux sorties, aux petites annonces, ou encore à la cuisine et à la lecture.

Le newsgroup est un outil de communication intéressant, car l'information s'archive d'elle-même. Un nouvel arrivant pourra consulter l'historique des différents sujets, et accéder ainsi à une sorte de base de connaissances de la société.

La messagerie électronique est l'un des systèmes de transfert de messages le plus populaire et ancien. C'est un « service de correspondance qui permet l'échange de messages électroniques à travers un réseau informatique. » (Wikipédia). À la différence des systèmes de communication précédemment évoqués, nous constatons que le mail est destiné à un usage plus personnel et ciblé. Il est principalement utilisé pour des requêtes ponctuelles auprès d'une personne ou d'un groupe restreint. De plus, le mail semble introduire une logique de " mail reçu, mail lu ". Alors que les forums et les newsgroups sont consultés arbitrairement, la réception d'un mail impose la lecture de son contenu. C'est donc le système de correspondance privilégié pour diffuser des messages importants à tous les membres de la société. Il peut aussi ressurgir comme une preuve dans des situations de conflit.

La messagerie instantanée est un système de transfert de message instantané. Les personnes en communication utilisent l'outil au même moment.

L'utilisation de la messagerie instantanée " remplace la parole " par son côté " oral écrit " et son caractère immédiat. C'est un moyen de communication plus spontané, avec moins de temps accordé à la réflexion avant l'envoi du message. Nous constatons que cet outil a tendance à proposer un côté plus récréatif que constructif. Il se rapproche plus d'un système de bavardage virtuel.

I.2.5. Conclusion

Cette seconde section nous a permis de voir comment l'outil numérique pouvait faciliter la création collective sur ordinateur, face à la complexité du processus de création des images, à la division du travail et au grand volume de données générées et échangées. Une plateforme logicielle permet de gérer cette matière numérique, de l'organiser et de la protéger. À un niveau plus avancé, elle instaure une culture du partage de l'information via l'application. Elle peut jouer de nombreux rôles dans le suivi de la production et soutenir ainsi considérablement le travail des directeurs et des chargés de production. À un niveau encore supérieur, elle peut gérer à elle seule l'enchaînement de certaines étapes (par exemple, l'automatisation du rendu, du precompositing, et du montage).

Le point de vue " logistique " de la création des images numériques est rarement mis en avant dans les discours ou dans les livres. On parle bien entendu beaucoup de la création. On parle aussi facilement de la technique qui nous fascine. Mais pour l'aspect " logistique ", le mot invoqué est souvent " transparence " : transparence pour les créatifs qui ne doivent pas se soucier de la technique, transparence pour les infographistes qui " ont d'autres chats à fouetter ", transparence pour les clients qui seraient sans doute pris de panique. On ne soupçonne donc pas ce travail de l'ombre.

Par exemple, les étudiants arrivant sur le marché du travail découvrent sur le terrain les contraintes organisationnelles de fabrication collective, et les outils déployés pour leur faciliter le travail.

En France, de nombreuses sociétés ont mis en place des solutions logicielles, selon des stratégies toutes différentes. Certaines s'appuient sur des outils du marché comme Alienbrain63, Mind The Gap64, ou Temerity65. D'autres répondent au fur et à mesure aux besoins utilisateur et construisent — ou font évoluer — leurs outils tout en essayant de les faire communiquer entre eux. D'autres se penchent sur des solutions les plus intégrales possible. Def2Shoot qui a accumulé une longue expérience en matière d'outils de gestion de projets, a décidé de créer une plate-forme logicielle unique qui contiendrait tous les besoins identifiés et à venir.

63 http://www.alienbrain.com

64 http://animationpipeline.com

65 http://temerity.us

CHAPITRE II.

Infiltration de l'image de synthèse

dans les processus pré-existants

Après l'analyse du processus de création des images de synthèse, nous allons prendre du recul et porter notre regard sur l'ensemble des activités prises en charge par les studios de production d'images numériques. Il ne s'agit donc plus uniquement de fabriquer des images, mais bien de fabriquer des œuvres audiovisuelles numériques, et donc de s'inclure dans une chaîne plus globale. Notre première section nous permettra de saisir la diversité des processus et des contextes de production.

Notre seconde section s'intéressera au processus de fabrication des images hybrides. Car, au-delà des images de synthèse, l'outil numérique a introduit une nouvelle approche technique, l'hybridation66. Par sa faculté à simuler, à reproduire, il sait absorber tous les médiums préexistants (dessins, photos, films) en les assujettissant à son support (étape de numérisation), puis il peut les combiner entre eux et bien entendu les mélanger à l'image de synthèse. L'opération reste réversible et les images hybrides peuvent regagner ensuite un support classique (impression sur papier, kinescopage sur pellicule). La fabrication d'images hybrides implique l'ajout de nouvelles étapes dans le processus, pour fondre les éléments (3D, 2D, film ou autres) entre eux. Nous prendrons notamment le cas du mélange entre images de synthèse et prise de vue réelle.

66 COUCHOT, Edmond, HILLAIRE, Norbert. L'art numérique, comment la technologie vient au monde de l’art. 2003.

II.1. L'activité diversifiée des sociétés françaises de