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Les principales organisations de prévention des IST au Vanuatu

Chapitre I. Un système de prévention des IST mondialisé

1.3 L’organisation du système de prévention des IST au Vanuatu

1.3.3 Les principales organisations de prévention des IST au Vanuatu

La configuration du développement à la suite de l’indépendance a permis l’implantation et l’expansion d’associations et d’organisations non gouvernementales au Vanuatu dès la fin des années 1980 (Soler, 2011 : 43). Les deux principaux organismes de prévention des IST à avoir su profiter de cette configuration ont été Wan Smolbag et Vanuatu Family Health

Association.

Wan Smolbag Theatre

L’ONG Wan Smolbag Theatre a été fondée en 1989 par un couple d’expatriés britanniques qui avait vécu de nombreuses années au Zimbabwe : Jo Dorras et Peter Walker. Pendant leur séjour dans ce pays, tous deux furent marqués par les premiers ravages liés aux épidémies de VIH en Afrique subsaharienne et par les potentialités du théâtre de développement dans les campagnes de prévention. À sa création, Wan Smolbag consistait en un groupe d’une quinzaine d’acteurs volontaires soulevant des questions de santé, d’environnement et d’éducation. En juin 1989, soit treize ans avant que le premier cas d’infection soit officiellement annoncé au Vanuatu, le théâtre jouait sa première pièce sur le

49 VIH. Quelques mois plus tard, il reçut son premier financement d’Oxfam Australia. La troupe s’agrandit et se professionnalisa dans les années 1990-2000, jusqu’à constituer une ONG aux domaines d’action variés. En 1999, Wan Smolbag ouvrit sa première clinique de santé reproductive Kam Pussum Hed (KPH), à Port-Vila (Figure 13). En 2003, l’ONG inaugura un centre pour jeunes où une palette d’activités (informatique, nutrition, couture, sports, alphabétisation, musique, etc.) était proposée aux enfants souvent déscolarisés de la capitale. D’une troupe d’amateurs, Wan Smolbag devint ainsi une entreprise de théâtre et de développement structurée, engagée dans divers projets et bénéficiant d’une place prépondérante dans le paysage associatif local (WSB, 2009 : 1 ; Soler, 2011 : 41-44).

Figure 13. La clinique de Wan Smolbag, Kam Pussum Hed, à Port-Vila, 2011

En 2011-2012, l’ONG comptait approximativement 120 salariés employés à mi-temps ou à temps plein : des acteurs, des infirmiers, des pairs éducateurs (peer educators), etc. Dans leur très grande majorité, ces « intermédiaires » possédaient la nationalité ni-Vanuatu (Merry, 2006 a : 2-3 ; 2006 b). Les éducateurs et les acteurs de Wan Smolbag n’étaient pas issus de milieux foncièrement différents de ceux des personnes auprès desquelles ils menaient leurs activités. Certains d’entre eux habitaient dans des quartiers dits « défavorisés », tel Blacksands, ce qui pouvait faciliter leur entrée dans ces communautés. Les éducateurs et les acteurs ne possédaient pas un niveau d’études supérieur à la moyenne nationale (voir chapitre 2, page 82), mais chaque année, les éducateurs suivaient pendant quelques jours des cours en santé sexuelle et reproductive délivrés par leurs aînés, qui avaient souvent pour leur part suivi des formations à l’étranger (Soler, 2011 : 151). Les deux infirmières ni-Vanuatu de la clinique Kam Pussum Hed possédaient, quant à elles, un diplôme obtenu à Port-Vila, mais

50 elles avaient également suivi des modules complémentaires à Suva. Chaque année, deux ou trois infirmiers ni-Vanuatu bénéficiaient ainsi d’une formation sur la planification familiale à la Fiji School of Medecine, grâce au soutien financier de cette école et de l’agence internationale UNFPA (UNDP et Servy, 2013 : 63, 77).

Au moment de mes recherches, le centre pour jeunes de Wan Smolbag à Port-Vila accueillait en moyenne un millier de personnes chaque année. Et la clinique Kam Pussum

Hed, spécialisée en santé sexuelle et reproductive, recevait plus de 5 000 visites par an. En

plus des établissements de santé destinés aux jeunes situés à Port-Vila, à Luganville (le deuxième centre urbain de l’archipel) et sur l’île de Pentecôte – tous financés par Oxfam

Australia –, Wan Smolbag avait recours à différents moyens pour prévenir les IST.

L’organisation menait des ateliers d’information et des activités scolaires, produisait des films, des brochures, des bandes dessinées, des émissions radiophoniques, des pièces de théâtre et des posters de prévention (voir chapitre 2). Si le Vanuatu répertoriait en 2013 davantage d’actions en santé sexuelle et reproductive que les îles Kiribati et les îles Salomon – comme je l’ai déjà mentionné – c’est largement dû, il me semble, à la présence de

Wan Smolbag dans l’archipel.

Diverses organisations caritatives étrangères et plusieurs agences des Nations unies apportaient leur soutien financier à l’ONG dans la réalisation de ses actions. Le gouvernement du Vanuatu aussi allouait épisodiquement des fonds à Wan Smolbag. En 2011, il versa par exemple l’équivalent de 7 000 USD (5 000 €) à l’organisation, afin qu’elle réalise une pièce de théâtre sur le harcèlement sexuel et la loi de la protection de la famille (voir chapitre 10, pages 450-451)43. Les gouvernements australien et néo-zélandais – via l’Australian Agency

for International Development (AusAID) et la New Zealand Agency for International Development (NZAID) – étaient cependant les deux principaux bailleurs de fonds44.

Si, lors de sa création, la santé reproductive ne constituait pour Wan Smolbag qu’une thématique parmi d’autres, les IST orientent aujourd’hui une grande partie des actions de l’organisation, du fait des exigences de ses financeurs. Par exemple, sur les trente-huit ouvrages éducatifs créés par l’ONG entre 1998 et 2012, douze bandes dessinées ont pour objet les IST, en particulier le VIH (voir chapitre 2, pages 96-97). Chaque support produit par

Wan Smolbag aborde néanmoins plusieurs thématiques. La série télévisée Love Patrol –

principalement financée dans le cadre de la lutte contre le VIH dans le Pacifique – ne traite

43 http://www.radionz.co.nz/international/pacific-news/198352/vanuatu-government-funds-theatre-company-to-

produce-sexual-harassment-play, consulté le 25 mai 2015 à 15 h 07.

51 par exemple de la question du virus qu’au sixième épisode de la première saison. En outre, les financements reçus par Wan Smolbag pour développer les nouvelles saisons de cette série proviennent à présent de bailleurs dont certains ne possèdent pas de couleur thématique particulière. L’ONG dispose ainsi d’une certaine marge de manœuvre et d’expérimentation malgré le rapport de force existant avec les financeurs (Soler, 2011 : 145, 149-150).

Vanuatu Family Health Association

Le second organisme de prévention des IST au sein duquel j’ai mené des recherches approfondies est la Vanuatu Family Health Association. Cette organisation à but non lucratif, qui vise à améliorer la santé reproductive et sexuelle des habitants de l’archipel, est affiliée à l’International Planned Parenthood Federation (IPPF), un réseau mondial d’associations dont fait par exemple partie le planning familial français. La Vanuatu Family Health

Association fut créée à l’initiative de Blandine Boulekone, une infirmière française mariée à

un homme politique local. Au moment de sa création, peu avant l’indépendance, la clinique de l’association basée à Port-Vila (Figure 14) fournissait principalement des services de planification familiale aux habitants de la capitale45. Mais, à partir de 1990, l’organisation commença à recevoir davantage de fonds de l’IPPF, ainsi que d’autres agences étrangères et internationales, ce qui lui permit d’augmenter l’échelle de ses services et d’amorcer des activités d’éducation à la santé dans d’autres communautés du pays (VFHA, 2008 : 4). Notons que le VIH constitue, d’après le site Internet de l’IPPF, l’une des thématiques phares de cette organisation internationale46.

En mai 2011, l’association Vanuatu Family Health comptait 13 salariés basés à Port-Vila dont un ancien volontaire africain du Volunteer Services Overseas. L’ONG regroupait également un nombre fluctuant de bénévoles ni-Vanuatu agissant dans l’archipel en tant que pairs éducateurs. Les profils et les formations de ces salariés et bénévoles correspondaient plus ou moins à ceux du personnel de Wan Smolbag : leur niveau scolaire et leur milieu social n’étaient pas très éloignés de ceux des personnes qu’ils accompagnaient. Même si les sages- femmes disposaient de diplômes et de salaires un peu plus élevés que la moyenne nationale, elles n’appartenaient pas pour autant à une « élite » locale – si tant est que les contours d’un tel groupe puissent être définis au Vanuatu (voir Wittersheim et Dussy, 2013 : 22).

Au moment de mes recherches, la clinique de Vanuatu Family Health Association recevait plus de 7 500 visites par an à Port-Vila, non seulement pour répondre à des besoins

45 Entretien du 16 octobre 2009 avec une sage-femme de VFHA.

52 en santé sexuelle et reproductive, mais aussi pour pallier d’autres types de besoins biomédicaux (certificats d’aptitude à la conduite d’un véhicule, traitements de maladies bénignes, etc.). Une clinique et des centres d’accueil pour jeunes étaient également ouverts dans plusieurs îles de l’archipel (voir chapitre 2, pages 66-67). Tout comme l’organisation

Wan Smolbag, Vanuatu Family Health Association menait dans la capitale diverses activités

de prévention des IST (ateliers d’information, brochures, émissions radiophoniques, posters, numéro vert, etc.) qui seront présentées en détail dans le prochain chapitre. Les fonds dont bénéficiait l’association étaient principalement versés par l’IPPF, mais aussi par le Family

Planning Australia, la Japan Official Development Assistance, l’organisation britannique Family Planning Association (FPA) ou encore le gouvernement néo-zélandais via la New Zealand Agency for International Development (NZAID).

Figure 14. La clinique de Vanuatu Family Health Association à Port-Vila, 2011

La Fondation IZA et Save the Children Australia

Après l’annonce du premier cas de VIH au Vanuatu en 2002, de nouvelles organisations virent également le jour et des organismes internationaux développèrent leurs activités dans l’archipel (Figure 12). Comme on l’a vu, Irène Malachi, la première personne dépistée séropositive au Vanuatu, créa la Fondation IZA en 2004. Cette organisation caritative avait pour but de soutenir les personnes vivant avec le VIH et de diffuser des messages de prévention au sein des communautés. Même si l’un de ses objectifs était de devenir une « organisation indépendante et bien subventionnée », elle demeurait hébergée et en partie financée par l’ONG internationale Save the Children Australia (SCA, 2011 ; Figure 15). En 2011-2012, la fondation menait la plupart de ses activités en collaboration avec cette ONG et

53 ne développait pas ses propres supports d’information sur les IST. En outre, si Irène était une infirmière de nationalité ni-Vanuatu, nous avons déjà indiqué que son initiative avait été soutenue par Maire Bopp Dupont, directrice de l’ONG régionale Pacific Islands Aids

Foundation (PIAF).

Figure 15. Les locaux de Save the Children Australia à Port-Vila, 2015 (crédit : Laure Chabrolle)

Save the Children Australia constitue l’un des 30 membres de Save the Children International, « le plus grand mouvement mondial indépendant œuvrant pour les enfants ».

L’ONG mène des activités dans les domaines de la protection, de l’éducation, du changement climatique, des catastrophes et de la santé – ce qui inclut la réduction des « risques » de transmission du VIH chez les jeunes et les nouveau-nés47. Suite à l’annonce du premier cas de VIH au Vanuatu, l’ONG amorça plusieurs programmes de santé sexuelle et reproductive dans l’archipel. Contrairement à Wan Smolbag et Vanuatu Family Health Association, Save the

Children Australia ne possédait pas de clinique, mais son programme Youth Outreach Project

soutenait, depuis 2006, entre 70 et 90 bénévoles ni-Vanuatu menant des activités de prévention et d’éducation à la santé sexuelle et reproductive dans 35 communautés de l’archipel. Le programme Child Peer-to-Peer Education, débuté en 2010, visait plus particulièrement à réduire la vulnérabilité face aux IST des adolescents déscolarisés de Port- Vila, tandis que le programme Youth Sexual Reproductive Health Project, commencé la même année, tentait d’améliorer la qualité des services de santé sexuelle et reproductive pour les jeunes des îles d’Ambae et de Mallicolo. Depuis 2011, le programme de marketing social des préservatifs de marque Score visait, quant à lui, à améliorer les connaissances des jeunes

54 concernant la planification familiale et les IST et à développer le réseau de distribution de ces préservatifs au sein des communautés des îles d’Espiritu Santo et d’Efate (SCA, 2011). Si l’ONG Save the Children Australia a produit quelques affiches et brochures de prévention des IST, elle utilisait également au sein de ses propres programmes des supports d’information créés par d’autres organisations, tels ceux de Wan Smolbag (voir chapitre 2). Cet organisme était financé par des dons émanant de milliers de particuliers australiens, ainsi que de fondations, d’entreprises privées et du ministère australien des Affaires étrangères et du Commerce extérieur48.

Au Vanuatu, des organisations fondées par des Occidentaux, comme Wan Smolbag et

Vanuatu Family Health Association, apprirent donc à capter les financements des bailleurs

internationaux qui se multiplièrent dans la période qui suit l’indépendance. Ces organismes s’adaptèrent aux contraintes du marché du développement, influencé par les priorités des bailleurs et guidé par les objectifs décrits dans les documents internationaux. Ils se professionnalisèrent, formèrent leur personnel, établirent des stratégies et des objectifs clairs, planifièrent leurs activités, développèrent leurs pratiques d’évaluation et de production de rapports afin de répondre aux exigences internationales (Soler, 2011 : 45-58). Par exemple, j’ai observé que chaque représentation théâtrale ou séance d’information sur le VIH menée par Wan Smolbag était suivi ou précédé de questionnaires permettant à l’ONG d’évaluer l’impact du projet sur son public. Plus tard, ces ONG furent rejointes par des organisations internationales dont la maison mère se trouvait à l’étranger : en Australie, dans le cas de Save

the Children Australia, mais aussi au Japon pour l’Agence Japonaise de Coopération

Internationale, en Grande-Bretagne pour le Volunteer Services Overseas ou encore aux États- Unis en ce qui concerne Peace Corps et World Vision Vanuatu.

On voit donc qu’en 2011-2012, le système de prévention des IST s’appuyait sur des politiques et des directives issues de l’expertise étrangère. La mise en place des actions décrites dans ces documents n’était pas uniquement assurée par le gouvernement, mais surtout pas des ONG internationales ou des organismes financés par des bailleurs de fonds étrangers et créés par des expatriés. Le personnel exécutif de ces organismes était néanmoins principalement local. Mais les actions qu’ils mettaient en place demeuraient guidées par des accords et des objectifs internationaux, tels les Objectifs du Millénaire pour le Développement.

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Conclusion

Ainsi, je peux avancer que si, au moment de mes recherches, le système de prévention des IST était relativement bien développé, c’était en grande partie dû aux interactions transnationales. En effet, le système de santé biomédical de l’archipel a été initié et continuait de fonctionner avec l’aide de bailleurs et d’organisations extérieurs et les IST, tout particulièrement le VIH, représentent depuis plusieurs décennies une source d’inquiétude à l’échelle régionale et internationale. Ces préoccupations émanant d’agences et d’experts étrangers ont conduit à l’adoption d’accords et d’objectifs transnationaux, ainsi qu’à la création de fonds mondiaux. Même si le Vanuatu constitue une république indépendante depuis 1980, en 2011-2012, le pays demeurait dépendant des financements et de l’expertise extérieurs et avait signé un certain nombre d’accords portant sur la prévention des IST. De ce fait, les politiques et directives nationales en vigueur pendant mes terrains prenaient en considération ces infections, en particulier la menace d’une épidémie de VIH. Les ONG avec lesquelles travaillait le gouvernement étaient tenues de respecter les objectifs et les indications présentées dans les documents nationaux. Et tout le monde était dépendant des bailleurs de fonds qui finançaient les actions en fonction des accords et des objectifs transnationaux. Voici pourquoi, même si la prévalence du VIH au Vanuatu était faible et que les habitants de cet archipel faisaient face à des problèmes de santé affectant leur mortalité d’une manière plus prononcée que les IST, le pays comptait un grand nombre d’actions de prévention que le prochain chapitre de cette thèse va me donner l’opportunité de présenter.

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Chapitre II. Des actions de prévention