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Chapitre II. Des actions de prévention principalement urbaines

2.1 Les services de santé sexuelle et reproductive

2.1.1 Les établissements de santé

Les principaux lieux d’information, de prévention et de traitement biomédical des IST au Vanuatu sont les services de santé délivrant des méthodes contraceptives. Les infirmiers et les sages-femmes travaillant dans ces services sont les professionnels de santé les plus à même de véhiculer des messages de prévention, même si les personnes souffrant d’IST peuvent également se rendre dans un service d’urgence générale. Selon l’enquête « Connaissances, Attitudes, Pratiques » 2008-2009, les établissements de santé (dont ceux « destinés aux jeunes ») constitueraient la source préférée et principale d’information et de conseils sur le VIH des jeunes du Vanuatu (UNICEF, 2010 a : 97 ; voir aussi Kennedy et al., 2014). D’après une étude qualitative de santé publique intitulée Risky Business Vanuatu conduite en 2010 par Karen McMillan et Heather Worth (2011 a : 18), ces cliniques seraient également l’une des principales sources d’information sur les préservatifs et sur le VIH pour la vingtaine de jeunes gens interrogés à Port-Vila (deux hommes et dix-huit femmes) en raison de leur engagement dans des activités prostitutionnelles4 (voir chapitre 9).

J’ai déjà indiqué qu’en 2012, le gouvernement du Vanuatu gérait six hôpitaux référents, 30 centres médicaux provinciaux, 103 dispensaires et 282 postes de secours. La plupart des 65

3 L’enquête « Connaissances, Attitudes, Pratiques » 2008-2009 menée au Vanuatu auprès de 510 jeunes gens

âgés de 15 à 24 ans (dont 326 sexuellement actifs) indique au contraire que le pourcentage de jeunes femmes déclarant avoir eu plus de cinq IST au cours de l’année est trois fois plus élevé sur l’île de Tanna (14 %) que dans la capitale (UNICEF, 2010 a : 94). Lors de la Demographic and Health Survey 2013 conduite au Vanuatu auprès de 2 508 femmes âgées de 15 à 49 ans et 1 333 hommes âgés de 15 à 54 ans, l7,9 % des femmes et 5,8 % des hommes habitant en milieu urbain déclarèrent avoir eu une IST ou un symptôme d’une IST dans les douze derniers mois précédant l’enquête, contre 12,6 % et 5,3 % de ceux des zones rurales (MoH et al., 2014 : 198, voir chapitre 9).

4 Soulignons ici que si l’enquête « Connaissances, Attitudes, Pratiques » a été conduite au Vanuatu auprès de

510 jeunes sexuellement actifs ou inactifs, l’enquête Risky Business Vanuatu a elle uniquement été menée auprès de jeunes ayant eu des rapports sexuels tarifés.

58 îles et îlots habités que compte l’archipel bénéficiaient de la présence d’un établissement de santé disposant d’un service dédié à la santé sexuelle et reproductive. Mais à chacun de ces niveaux, les services fournis n’étaient pas nécessairement équivalents et les habitants des zones urbaines et rurales du Vanuatu n’étaient pas égaux dans leur accès aux informations, aux méthodes contraceptives ou aux traitements biomédicaux.

Figure 16. Des cartons de préservatifs entreposés au Central Medical Supplies de Port-Vila, 2013

D’après la Liste des médicaments essentiels du Vanuatu (Essential Drug List) 2008, qui indique quels produits peuvent être commandés par quels types de structure, tous les établissements de santé du pays – y compris les postes de secours situés dans les zones peu habitées de l’archipel et tenus par des agents de santé communautaire bénévoles – étaient habilités à distribuer des préservatifs masculins. Mais les préservatifs féminins, les pilules contraceptives (Microlut et Microgynon) et les injections intramusculaires de Depo-provera (contraceptif actif 3 mois) n’étaient théoriquement disponibles que dans les dispensaires, les centres médicaux et les hôpitaux établis dans les zones plus densément peuplées de l’archipel, tandis que les dispositifs intra-utérins étaient uniquement mis en place dans les établissements de santé des deux derniers niveaux (centres médicaux et hôpitaux). Les traitements biomédicaux, en l’occurrence des antibiotiques (Azithromycin, Ciprofloxacin, Doxycycline, Amoxycillin, Erythromycin), permettant de soigner les IST les plus répandues au Vanuatu pouvaient, quant à eux, être délivrés par le personnel soignant de tous les établissements de santé disposant d’un statut supérieur ou égal à celui de dispensaire. Et les antirétroviraux

59 destinés aux personnes vivant avec le VIH (Zidovudine, Stavudine, Lamivudine, Efivarens et Nevirapine) ne pouvaient être entreposés que par le Centre national de gestion des stocks de produits pharmaceutiques de la capitale (Central Medical Supplies ; Figure 16).

Figure 17. Le Saupia Health Center au nord de l’île d’Efate, 2013

Dans les zones les plus faiblement peuplées du Vanuatu où se situent les structures de soins de premier niveau, la possibilité d’accéder aux méthodes contraceptives et aux traitements biomédicaux était donc limitée par les instructions données par l’Essential Drug

List. Mais les établissements de santé des zones rurales et urbaines de l’archipel

expérimentaient fréquemment des ruptures de stock et des retards de livraison ou recevaient des contraceptifs proches de la date de péremption. En 2012, les injections de Depo-provera ne furent, par exemple, pratiquement plus réalisées dans les cliniques de Port-Vila pendant près de quatre mois (UNDP et Servy, 2013 : 41). En novembre 2013, au nord de l’île d’Efate, le Saupia Health Center stockait également, dans ses réserves, des préservatifs féminins expirés depuis plus de huit mois (UNFPA et Servy, 2014 : 37 ; Figure 17). Cela étant dit, les problèmes d’acheminement en médicaments et dispositifs biomédicaux (instruments, appareils, équipements) touchaient principalement et d’une manière récurrente les zones les plus reculées de l’archipel. En 2013, les contraceptifs et autres produits de santé reproductive offerts par UNFPA étaient reçus, deux fois par an, par le Central Medical Supplies (désormais ici CMS) de Port-Vila après avoir été stockés dans l’entrepôt sous-régional du Pacifique situé aux îles Fidji. Le CMS était ensuite chargé d’envoyer, tous les deux mois, les produits commandés par les six pharmacies provinciales. Et chacune des pharmacies acheminait, par la route ou par bateau, les médicaments et dispositifs biomédicaux réclamés par les centres

60 médicaux provinciaux, les dispensaires et les postes de secours ruraux. Afin de prévenir les ruptures de stock liées aux difficultés de transport intra et interinsulaire et aux erreurs d’estimation, le CMS doublait la quantité de produits nécessaires au bon fonctionnement des établissements pendant deux mois. Malgré cette précaution, les structures les plus reculées connaissaient régulièrement des ruptures de stock, tandis que les cliniques de la capitale, telles celles de Vanuatu Family Health Association ou Wan Smolbag, avaient la possibilité, en cas de pénurie, de se rendre à la pharmacie provinciale de Port-Vila ou d’acheter les produits manquants à des entreprises pharmaceutiques privées – ce qui leur permettait de continuer à accueillir leurs patients et à les informer sur les IST (UNFPA et Servy, 2014 : 37-38).

Si le personnel médical des services de santé sexuelle et reproductive du Vanuatu représentait une source privilégiée d’information et de conseils sur les IST, il faut néanmoins noter que certains manquaient de concentration et de motivation du fait du grand nombre de tâches qui leur étaient demandées quotidiennement (UNDP et Servy, 2013 : 41). La pénurie de personnel médical, tout particulièrement en milieu rural, était fortement marquée lors de mon séjour dans l’archipel. L’OMS recommandait ainsi la présence de 2,7 docteurs pour 1 000 habitants, alors que le Vanuatu comptait, en novembre 2012, un docteur pour 47 250 habitants en zone rurale et un docteur pour 1 492 habitants en milieu urbain5 (source HIS Unit MoH ; UNDP et Servy, 2013 : 39). La même année, selon un rapport portant sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) liés à la santé, 44 centres de soins du Vanuatu ne fonctionnaient pas correctement du fait de sévères pénuries d’infirmiers et de docteurs (UNICEF et MoH, 2012 : 21). Dans ce contexte, on peut aisément supposer que les professionnels des services de santé sexuelle et reproductive, et en particulier ceux exerçant dans les zones rurales, ne prenaient pas nécessairement le temps d’informer et de conseiller systématiquement leurs patients au sujet du VIH et d’autres IST.

Notons en outre que les IST – et en particulier le VIH – étaient encore fréquemment présentées comme une menace étrangère et urbaine (voir aussi Cummings, 2008 : 143). Afin d’évaluer le degré de « risque » pris par une personne souhaitant réaliser un test VIH, les infirmiers et les sages-femmes des services de conseil et de dépistage volontaires et confidentiels (VCCT) du Vanuatu utilisaient un questionnaire officiel sur lequel il était inscrit :

5 Notons cependant que l’archipel répertoriait un infirmier pour 218 habitants en zone rurale et un infirmier pour

179 habitants en milieu urbain, dépassant ainsi le ratio minimal d’un infirmier pour 1 000 personnes recommandé par l’OMS (source HIS Unit MoH ; UNDP et Servy, 2013 : 39).

61 « Certains emplois peuvent placer les individus dans des situations de très

grand risque face au VIH tels que docteur, infirmier, technicien de laboratoire. Les personnes voyageant et demeurant de longues périodes à l’étranger, les soldats de la paix, les individus travaillant sur un bateau ont eux aussi de grandes chances d’être exposés à l’infection »6.

De même, les infirmiers et les sages-femmes de ces centres de dépistage demandaient parfois à leurs patients si leurs partenaires occupaient des professions les amenant à entrer en contact avec des touristes, telles que celle d’employé dans un grand hôtel, par exemple. La ville constituait, lors de mes recherches, le principal lieu de séjour et de résidence des touristes et des expatriés. Sur les 2 872 personnes expatriées d’origine essentiellement australienne, néo-zélandaise ou européenne que comptait le pays en 2009, 67 % habitaient à Port-Vila (VNSO, 2011 : 79). Les IST étaient ainsi non seulement associées aux étrangers, mais aussi à la vie en ville, ce qui pourrait en partie expliquer le moindre temps passé par le personnel des établissements de santé à délivrer des informations sur le VIH en milieu rural.

Figure 18. L’hôpital référent du village de Lenakel sur l’île de Tanna, 2012

Les relations de parenté entre les patients et le personnel employé dans ces établissements, ainsi que le manque d’intimité et de discrétion de certains de ces espaces, particulièrement en zone rurale, pouvaient également constituer un obstacle aux bonnes livraison et réception de ces informations, surtout chez les plus jeunes générations. Afin de gagner du temps, les sages-femmes de l’hôpital référent de Lenakel, sur l’île de Tanna, recevaient par exemple leurs patientes dans une pièce faisant également office de salle

6 Sam pipol oli wok long ol wok we hemi save putum olgeta long bigfala risk blong kasem HIV olsem dokta, nes,

lab teknisien. Olgeta we oli stap travel mo stap ova si long taem, olgeta police we oli wok long piskiping, olgeta we oli work long ship oli gat bigfala Janis blong oli expos long infeksen.

62 d’attente (Figure 18)7. Lors de l’analyse stratégique visant à améliorer la distribution et

accroître l’utilisation des préservatifs que j’ai conduite en 2013 en tant que consultante indépendante dans trois pays du Pacifique, de nombreux jeunes de Port-Vila et de villages de l’île d’Efate me firent part du sentiment de « honte » (sem) qu’ils ressentaient en présence d’une infirmière à laquelle ils devaient parler de leur sexualité, même dans le cas où celle-ci ne connaissait pas leur entourage (UNFPA et Servy, 2014 ; voir aussi Kennedy et al., 2013).

La distance entre le lieu de résidence et l’établissement de santé représentait souvent une entrave dans l’accès aux contraceptifs, aux traitements biomédicaux et aux informations sur les IST des populations rurales (voir aussi Petrou, 2009). Selon le rapport de l’UNICEF et du ministère de la Santé (2012 : 22-23) portant sur les OMD, seuls 30 % à 35 % des femmes vivant dans les provinces de Torba et de Shefa (Figure 3, page 15) pouvaient accéder aux services de santé sexuelle et reproductive en mai 2011, alors que ce taux atteignait 70 % dans la province de Penama et dans les zones proches de Port-Vila. D’après les relevés GPS présentés dans ce même rapport, la distance moyenne nationale entre un poste de secours – qui, comme indiqué plus haut, est uniquement habilité à distribuer des préservatifs masculins – et un dispensaire ou un centre médical, qui peuvent délivrer certains contraceptifs et traitements biomédicaux, était de 5,8 km à vol d’oiseau. Mais cette distance pouvait s’élever à 26,4 km dans la province de Shefa et à 23,6 km dans celle de Torba, sans tenir compte des reliefs ou de la nature et de l’état des voies de communication intra et interinsulaires (UNICEF et MoH, 2012 : 22-23 ; Figure 3, page 15). Des programmes de cliniques mobiles furent développés au Vanuatu afin de diminuer l’incidence de l’isolement géographique sur le taux de prévalence des contraceptifs. Cela étant dit, en 2011-2012, ces activités étaient rarement conduites, parce que le gouvernement et les bailleurs internationaux n’allouaient pas et ne répartissaient pas de fonds à l’échelle des dispensaires et des centres médicaux provinciaux pour assurer la mise en place des cliniques mobiles en milieu rural (UNICEF et MoH, 2012 : 11 ; voir UNDP et Servy, 2013 : 39-40).

Pour les habitants de la communauté urbaine de Seaside Tongoa à Port-Vila (voir chapitre suivant), la distance séparant les lieux d’habitation et les établissements de santé ne constituait pas une entrave à leur accès aux contraceptifs, aux traitements biomédicaux ou aux informations sur les IST, puisque le terrain communautaire et celui de l’hôpital central de Port-Vila (Vila Central Hospital) n’étaient séparés que par une route. L’hôpital central était composé de plusieurs bâtiments, dont certains étaient en rénovation ou en construction en

63 2012. Les quatre principaux services hospitaliers étaient la chirurgie, le service de médecine (medical ward), la pédiatrie et la maternité, mais l’hôpital central abritait également un service de soins antituberculeux, des services de laboratoire (hématologie, sérologie, microbiologie, radiologie), un service d’urgences, un service de santé maternelle et infantile, un service de santé féminine (Women’s Health), une pharmacie provinciale et le Central

Medical Supplies (CMS) déjà mentionné.

Figure 19. Le service de santé féminine de l’hôpital central de Port-Vila, 2011

Des dépistages et des temps consacrés à l’information sur les IST étaient réalisés dans plusieurs des services de l’hôpital central, et tout particulièrement au service de santé féminine (Figure 19). Ce service assurait les soins périnataux, la prescription et l’administration de contraceptifs, le dépistage des cancers de l’utérus, l’analyse cytologique des frottis cervico-vaginaux, les examens post-viols, la prévention de la transmission mère/enfant du VIH (Prevention of Mother-to-Child HIV transmission ou PMTCT) et des autres IST, ainsi que les consultations gynécologiques en cas, par exemple, de cancer ou de stérilisation tubaire. Les prélèvements effectués dans ces services, ainsi que dans les autres établissements de santé gouvernementaux de Port-Vila, étaient ensuite analysés dans les laboratoires de l’hôpital central. Le service de santé féminine qui, en mai 2011, accueillait de 30 à 50 patientes par jour, était ouvert de 8 h à 15 h 30, cinq jours sur sept. En plus des aides- soignantes et des élèves infirmiers, quatre sages-femmes et infirmières y étaient affectées, mais du fait des congés, des formations, des réunions et des arrêts maladie, le service se retrouvait régulièrement en sous-effectif. Et si des messages de prévention des IST étaient fréquemment diffusés, les dépistages associés à la prévention de la transmission mère/enfant

64 du VIH étaient peu réalisés. Néanmoins, la situation de ce service de l’hôpital central de Port- Vila n’était en rien comparable à celles des dispensaires et des centres médicaux des milieux ruraux. Les habitants de Seaside Tongoa, et plus généralement de Port-Vila, avaient en outre à leur disposition d’autres établissements de santé gouvernementaux et privés, tels le Vila Bay

Health Center ou le Port-Vila Medical Center, auxquels ils pouvaient se rendre à pied ou en

transport collectif (en l’échange de 150 vatus, soit 1 € par trajet).

Nous verrons dans les chapitres suivants qu’il existait d’autres obstacles à la prestation et à l’utilisation des services de santé sexuelle et reproductive au Vanuatu, mais l’éloignement géographique, la pénurie de personnel de santé, l’association du VIH à la vie en ville et les ruptures de stock sont des éléments permettant d’affirmer que les citadins et les ruraux n’étaient pas égaux dans leur possibilité d’accéder aux informations sur les IST ou aux traitements biomédicaux via les établissements de santé. Cette disparité géographique touchait particulièrement les jeunes générations qui, en fonction de leur lieu d’habitation, ne disposaient pas d’un même accès aux services de santé destinés aux jeunes (Youth

Friendly Services).