• Aucun résultat trouvé

Chapitre II. Des actions de prévention principalement urbaines

2.2 Les interventions

2.2.5 Le numéro vert

Dans le chapitre précédent, j’ai indiqué que l’organisation Vanuatu Family Health

Association disposait d’un numéro vert permettant d’aborder gratuitement les questions de

santé sexuelle et reproductive : le 087777.

Dans les années 1990, la société Telecom Vanuatu Ltd (TVL), qui détenait une licence d’exclusivité pour l’exploitation des services de télécommunications du pays, développa un réseau de transmission de téléphonie fixe dans la plupart des îles habitées, et amorça la mise en place d’un réseau de téléphonie mobile au début des années 2000. La démocratisation de l’utilisation du téléphone ne commença cependant qu’avec l’arrivée de l’entreprise irlandaise Digicel dans l’archipel. Celle-ci, qui était déjà bien établie dans les Caraïbes et le Pacifique, s’installa sur le marché des télécommunications mobiles du Vanuatu en 2008 (Sijapati- Basnett, 2008 : iv ; Siméoni, 2009 : 342). En étendant sa couverture réseau à l’ensemble des îles de l’archipel, Digicel permit l’accès à la téléphonie mobile aux populations des zones les plus reculées (Vandeputte-Tavo, 2011 : 246) et en 2009, selon la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique, 54,1 % des habitants du Vanuatu possédaient un téléphone mobile, contre 0,2 % en 2000 (UNESCAP, 2011 : 237)30. La même année, 92 % des

personnes interrogées par le Pacific Institute of Public Policy (PIPP) déclarèrent avoir accès à un téléphone portable : 97 % en ville, contre 89 % en milieu rural (Sijapati-Basnett, 2009 :

30 Le taux d’équipement de la population en téléphonie fixe est quant à lui resté faible : 3,6 % de la population en

89 25)31. L’utilisation de la téléphonie mobile s’est donc généralisée dans l’archipel depuis

l’installation de Digicel, même si en 2009 un léger déséquilibre entre les zones urbaines et rurales était encore présent.

Les types d’appareils utilisés variaient entre la ville et l’espace rural. En 2009, un téléphone portable était acheté en moyenne 6 400 vatus (49 €) en milieu urbain, contre 3 300 vatus (25 €) en zone rurale (Sijapati-Basnett, 2009 : 32-33). Les modèles les plus sophistiqués, comme les Smartphones de marque BlackBerry, étaient très convoités dans le pays, mais ils étaient encore peu répandus au Vanuatu en raison de leur coût (de 30 000 à 70 000 vatus, soit 229 € à 534 €)32. Aux fonctions de base (à savoir l’envoi et la réception d’appels et de textos) pouvaient ainsi s’ajouter un appareil photo, une caméra, voire un accès Internet. Un panneau publicitaire de 4×3m posté près de l’un des principaux axes routiers de la ville annonçait en bislama : « Facebook sur ton téléphone mobile, uniquement avec Digicel » (Facebook lo fon blo yu wetem Digicel nomo). Or, ces modèles et ces services étaient essentiellement disponibles à Port-Vila et à Luganville.

Même si, dans les années 2000, peu d’habitants disposaient d’un ordinateur ou d’un smartphone, le taux d’accès à Internet était en constante augmentation, passant de 2,2 % en 2000 à 7,3 % en 2009 (UNESCAP, 2011 : 238). Au moment de mes recherches à Port-Vila, il était possible de surfer gratuitement sur la toile dans certains établissements de la capitale (tels le centre pour jeunes de Wan Smolbag ou celui de Vanuatu Youth Challenge). Mais l’utilisation d’Internet restait l’apanage d’une population urbaine de milieu socio-économique plutôt élevé (Naupa, 2011), bien qu’elle fût en voie de se démocratiser, même au sein des communautés urbaines les plus défavorisées33.

À la fin de l’année 2010, la Vanuatu Family Health Association mit en place un numéro vert (via Telecom Vanuatu Ltd) afin que tous les habitants du Vanuatu ayant accès à un téléphone puissent obtenir gratuitement des informations sur des questions de santé sexuelle et reproductive. En 2011, quatre opérateurs travaillant en binôme mixte occupaient le standard du numéro vert : du lundi au vendredi, de 7 h à 17 h 30, et le samedi jusqu’à midi. Ils répondaient aux questions de leurs correspondants, les conseillaient sur les soins simples à

31 Étude quantitative menée en 2009 auprès de 767 personnes âgées de 15 à 80 ans (66 % d’hommes, 65 % de

ruraux, 35 ans d’âge moyen).

32 http://www.digicelvanuatu.com/en/phones/phones_list.php, consulté le 1er mai 2012 à 10 h 24. Notons que le

salaire mensuel minimum légal pour un emploi à temps complet (8 h/jour, 44 h/semaine, 22 jours/mois) était de 26 000 vatus (198 €) en 2009. Les modèles de téléphones mobiles les plus sophistiqués représentaient donc entre 1,2 et 2,7 fois le salaire mensuel minimum légal.

33 En novembre 2016, trois ans après qu’un câble sous-marin permettant la connexion Internet à haut débit eut

été tiré depuis Fidji jusqu’à Port-Vila, la plupart de mes interlocuteurs de Seaside Tongoa (âgés de moins de 40 ans) disposait en effet d’un compte Facebook, auquel ils se connectaient par l’intermédiaire de leur smartphone.

90 prodiguer, comme prendre un bain d’eau froide en cas de fièvre, et les envoyaient si besoin à l’établissement de santé le plus proche. L’une des opératrices m’indiqua que la majorité des appels concernaient la santé reproductive et la planification familiale, tels un oubli ou un retard dans la prise de pilule contraceptive ou une période prolongée d’infertilité34.

D’octobre 2010 à avril 2011, la base de données du numéro vert que j’ai analysée montre que sur les 552 personnes qui appelèrent alors le standard, 190 reçurent des informations sur la planification familiale, 167 sur d’autres questions de santé reproductive, 170 sur les IST et 50 sur le VIH. Le projet financé par l’agence internationale UNICEF était principalement destiné aux jeunes générations de l’archipel. L’opératrice me précisa que la plupart de ses interlocuteurs (en moyenne 8 par jour) étaient des hommes âgés de 18 à 25 ans et qu’un grand nombre d’entre eux habitaient sur l’île d’Épi, située au centre du Vanuatu. Ces appelants avaient en moyenne 24 ans, 76 % d’entre eux (420 sur 552) étaient de sexe masculin et ils étaient nombreux à résider sur les îles d’Épi ou d’Efate (Figure 3, page 15) : respectivement 120 et 98 sur 552, soit 22 % et 18 %. Notons que cinq de ces appelants avaient déclaré vivre dans le quartier de Seaside, à Port-Vila35. Mais, d’après mes observations d’avril 2011, le numéro vert demeurait très peu utilisé, sauf par des personnes souhaitant faire des blagues téléphoniques ou obtenir des informations sur d’autres maladies ou symptômes, tels que le paludisme et la diarrhée.

Au moment de mes recherches, l’organisation Vanuatu Family Health Association tentait de développer une nouvelle action de prévention afin de faciliter l’accès des jeunes habitants des zones reculées à l’information sur la santé sexuelle et reproductive. Grâce à la mise en place d’un réseau de téléphonie mobile dans les îles du Vanuatu, certains habitants de zones rurales, comme ceux de l’île d’Épi, pouvaient bénéficier d’un tel service. Cela étant dit, comme on vient de le voir, les taux d’équipement et d’accès à la téléphonie mobile variaient d’une zone de l’archipel à l’autre et les citadins demeuraient privilégiés par rapport à leurs homologues ruraux.

De réelles disparités géographiques quant à la possibilité de bénéficier des ateliers d’information, des activités scolaires, des pièces de théâtre et des émissions radiophoniques existent donc au Vanuatu. Certains projets, tels le programme FLE et le numéro vert, pourraient pourtant d’ici quelques années diminuer les inégalités d’accès à ces services de prévention en santé sexuelle et reproductive entre les zones reculées de l’archipel et les autres.

34 Entretien du 20 avril 2011 avec une opératrice âgée d’une vingtaine d’années.

91 Je vais maintenant décrire les supports de prévention distribués dans le cadre de ces interventions ou au sein même des établissements de santé.