• Aucun résultat trouvé

Des politiques et des directives issues de l’expertise technique étrangère

Chapitre I. Un système de prévention des IST mondialisé

1.3 L’organisation du système de prévention des IST au Vanuatu

1.3.1 Des politiques et des directives issues de l’expertise technique étrangère

2002, l’existence de fonds comme le Global fund et l’engagement de la République à respecter la Déclaration du Millénaire et ses OMD – ainsi que d’autres accords internationaux, tels le Programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement du Caire de 1994 ou la Déclaration et le Programme d’action de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes de Beijing de 1995 – conduisirent le pays à adopter un certain nombre de lois, de politiques et de directives, afin de prévenir le VIH et les autres IST. Mais l’élaboration de ces documents gouvernementaux a elle-même été souvent corrélée à des expertises et des financements étrangers. Dans les domaines de la santé, de l’éducation ou de l’économie, la République reste en grande partie dépendante non seulement de l’aide financière étrangère, mais aussi de l’expertise technique extérieure – en particulier australienne et néo-zélandaise (Soler, 2011 : 40 ; voir Hammar, 2010 a : 147 pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée).

Lors de mes terrains de recherche en 2011-2012, les politiques et directives nationales en vigueur dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive incluaient :

42  la Politique de Santé Reproductive 2008 et sa Stratégie 2008-2010

(MoH, 2009) ;

 la Politique nationale de population 2011-2020 (PMO, 2011) ;

 la Politique nationale et la stratégie pour des îles en bonne santé 2011- 2015 (MoH, 2010 a) ;

 le Plan National Stratégique pour le VIH et les IST 2008-2012 (MoH, 2008) ;

 les Recommandations pratiques nationales fondées sur des preuves pour les travailleurs de santé formés à la planification familiale (UNFPA et WHO, 2006) ;

 le Manuel national d’éducation par les pairs (peer educators) (MoH, 2010 b) ;

 les Recommandations pratiques nationales pour les services adaptés pour les jeunes (Youth Friendly Services) (UNICEF, 2010 b) ;

 les Recommandations pratiques pour les services de conseils et de dépistage volontaires et confidentiels du VIH (VCCT) au Vanuatu 2012-2016 (MoH, 2012) ;

 le Programme d’éducation à la vie familiale pour les écoles du secondaire Grades 11-13 (Family Life Education) (MoE Curriculum Development Unit, 2012 ; voir UNDP et Servy, 2013 : 27).

La simple lecture des pages de remerciements de ces documents laisse entrevoir l’expertise étrangère qui a fréquemment été nécessaire à leur élaboration. Dans la Politique de Santé Reproductive 2008 et sa Stratégie 2008-2010, le ministre de la Santé du Vanuatu remercie par exemple le médecin fidjien Annette Sachs Robertson, du Bureau sous-régional pour le Pacifique d’UNFPA, d’avoir apporté son « expertise technique » dans la réalisation de ce document (MoH, 2009). Julius Ssenabulya et Moses Matovu, deux volontaires africains présents depuis plusieurs années au Vanuatu via le Volunteer Services Overseas, ont quant à eux reçu les remerciements du ministère de la Santé pour avoir grandement contribué au développement du Manuel national d’éducation par les pairs, financé par UNICEF, UNFPA et la Communauté du Pacifique (MoH, 2010 b). Dans la Politique nationale de population 2011- 2020, Alastair Wilkinson et Geoffrey Hayes, deux consultants néo-zélandais et canadiens employés par UNFPA, ont de même été remerciés pour l’aide qu’ils ont apportée au gouvernement dans la révision et la finalisation de cette politique, elle aussi financée par UNFPA et la Communauté du Pacifique (PMO, 2011).

Même si la présence d’experts étrangers dans le développement de ces directives et de ces politiques est incontestable, tous ces documents ont néanmoins été créés en consultation avec les principaux acteurs travaillant dans le secteur de la santé sexuelle et reproductive de

43 l’archipel. En mai 2011, j’ai par exemple participé à une séance de révision des Recommandations pratiques pour les VCCT au Vanuatu 2012-2016, en compagnie de plusieurs membres du ministère de la Santé de nationalité principalement ni-Vanuatu, ainsi que de représentants de l’OMS et d’organisations non gouvernementales, tels le Volunteer

Services Overseas, Wan Smolbag, Vanuatu Family Health Association et World Vision Vanuatu. Notons que ces représentants étaient pour certains originaires d’autres parties du

monde ou de la région océanienne, même s’ils habitaient pour la plupart depuis plusieurs années dans l’archipel. Le volontaire du Volunteer Services Overseas en charge du développement des Recommandations était Falguni Basu – un médecin indien rattaché depuis dix mois au ministère de la Santé du Vanuatu. Plusieurs points de désaccord avec le document proposé par le docteur Basu ont été soulignés pendant la réunion et pris en compte lors de la finalisation des Recommandations. L’importance d’ajouter un C pour Confidential au sigle VCT (Voluntary Counseling and Testing) a par exemple été soulignée par les participants, contre l’avis du docteur Basu. Ces derniers lui ont ainsi reproché de vouloir utiliser le sigle VCT – désormais celui en vigueur au niveau international – alors que la peur de la population face au manque d’anonymat pendant les dépistages VIH représentait encore un défi important à l’échelle nationale. Mais il est intéressant de noter que les sigles VCCT et VCT – comme les concepts de Family Life Education, de Youth Friendly Services ou de peer education (voir chapitre 2) – ont tous les deux été conçus à l’étranger. Le dispositif de conseil et de dépistage du VIH à l’initiative du patient était pourtant prôné depuis plus de 20 ans par l’Organisation mondiale de la santé et la confidentialité demeurait l’un des cinq éléments essentiels de ce dispositif22. Mais le C de VCCT a été retiré, nous expliqua le docteur Basu, parce que la confidentialité est un principe censé aller de soi selon l’OMS23.

Au Vanuatu, les experts étrangers étaient non seulement présents dans le processus pour élaborer les directives et politiques nationales, mais aussi lors des évaluations et des analyses visant à augmenter leur efficacité. En avril 2011, une semaine d’ateliers (workshops) a ainsi été organisée à Port-Vila par une équipe de l’antenne fidjienne de la Communauté du Pacifique afin de réviser les manuels et les recommandations à destination des professionnels du secteur de la santé sexuelle et reproductive du Vanuatu et d’évaluer deux services adaptés aux jeunes (Youth Friendly Services) de Port-Vila. Si l’évaluation a été réalisée par des acteurs locaux du ministère de la Santé et des organismes non gouvernementaux de la

22 http://www.who.int/hiv/events/2012/world_aids_day/hiv_testing_counselling/fr/, consulté le 12 mai 2015 à

11 h 34.

23 Réunion de travail du 26 mai 2011 pour la révision des Recommandations pratiques pour les services de

44 capitale, les grilles utilisées pour noter ces services avaient néanmoins été établies par les représentants de la Communauté du Pacifique, en se fondant sur les recommandations nationales et internationales (Figure 10 ; voir chapitre 2, page 64-65)24.

Figure 10. L’atelier Pacific Adolescent Health and Developement Capacity Building training, Port-Vila, 2011

De septembre à décembre 2012, j’ai également participé, en tant que consultante pour le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD ou UNDP), à l’élaboration d’un Cadre d’Accélération de l’OMD 5b afin d’améliorer la santé reproductive dans l’archipel (Figure 11). Le choix des « interventions stratégiques », l’analyse des « goulots d’étranglement », l’identification des « solutions » et la construction d’un « plan d’action national » et d’un « plan de mise en œuvre et de suivi-évaluation » sur cinq ans ont été réalisés en étroite collaboration avec les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux locaux. Mais il est à noter que la description du poste stipulait que le consultant devait être « international » et que le Cadre d’Accélération a été élaboré en suivant un manuel méthodologique de 152 pages produit par UNDP, ainsi qu’après la lecture de rapports de « bonnes pratiques » et de recommandations issues de l’expérience d’autres pays en voie de développement. Par exemple, la solution 3.3.a consistant à instaurer « un système de coupons visant à encourager les jeunes gens à fréquenter les établissements de santé sexuelle et reproductive » a été recommandée par l’OMS après que le programme eut fait ses preuves au Nicaragua (UNDP et Servy, 2013 : 51).

Afin d’améliorer ou de garantir la santé reproductive et sexuelle de ses habitants, le Vanuatu a également adopté un certain nombre de lois : sur la santé publique (Public Health

45

Act), l’entretien de la famille (Maintenance of Family et Maintenance of Children Act) ou la

violence domestique (Family Protection Act) (voir chapitre 10, page 422, pour cette dernière). Je n’ai pas eu connaissance des coulisses de l’élaboration de chacune de ces lois, mais en 2012, celle élaborée pour protéger les droits des personnes vivant avec le VIH était en cours de préparation par Julius Ssenabulya – un ancien volontaire ougandais du Volunteer Services

Overseas, rattaché à l’association Vanuatu Family Health depuis plusieurs années (UNDP et

Servy, 2013 : 27).

Figure 11. L’atelier pour l’élaboration du Cadre d’Accélération de l’OMD 5b, Port-Vila, 2012

Les politiques, les directives et les lois qui sous-tendaient le système de prévention du VIH et des autres IST, au moment de mes recherches au Vanuatu, avaient donc souvent été développées avec le concours d’ONG et d’experts internationaux dont le travail était inévitablement influencé par leur expérience professionnelle et par la lecture de documents produits dans d’autres pays. Mais nous allons voir que le gouvernement dépendait aussi de ses partenaires dans la mise en place des actions décrites dans ces différentes politiques.