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Chapitre II. Des actions de prévention principalement urbaines

2.1 Les services de santé sexuelle et reproductive

2.1.3 L’éducation par les pairs

D’après le réseau mondial International Planned Parenthood Federation (IPPF) auquel la Vanuatu Family Health Association est rattachée (voir chapitre 1, page 51), l’éducation par les pairs désigne les « diverses stratégies par lesquelles des personnes d’un même groupe d’âge, de mêmes origines, de mêmes cultures ou de mêmes milieux sociaux s’éduquent et s’informent les unes les autres sur toutes sortes de sujets » (IPPF, 2006 : 6).

Des programmes d’éducation par les pairs ont été utilisés dans de nombreux domaines de la santé publique, telles l’éducation nutritionnelle, la prévention des violences ou la consommation de drogues. Cependant, la plupart des initiatives mises en place à travers le monde ces dernières décennies concernaient la prévention du VIH et des autres IST. Par exemple, le rapport publié par l’ONUSIDA à la suite de la « Consultation internationale sur l’Education par les Pairs et le VIH/SIDA » organisée en 1999 en Jamaïque indique que 116 des 195 projets développés dans les années 1990 par l’ONG américaine Family Health

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International (désormais FHI 360) dans le cadre du programme AIDSCAP (AIDS Control and Prevention) utilisaient l’éducation par les pairs comme stratégie de communication

(ONUSIDA, 2000 [1999] : 7).

Aucun projet du programme AIDSCAP n’a été mis en place au Vanuatu mais, comme on l’a vu, l’archipel comptait en 2011-2012 plusieurs réseaux d’éducateurs, généralement rattachés à des services de santé destinés aux jeunes. Afin de « standardiser » les programmes développés dans le pays et de « réglementer les informations » diffusées par le biais de ces programmes (MoH, 2010 b : 19), le ministère de la Santé du Vanuatu et ses partenaires ont souhaité créer un « Manuel national d’éducation par les pairs ». Ce document, qui était en vigueur au moment de mes recherches au Vanuatu, définit le pair éducateur (peer educator) comme « une personne bénévole, formée pour aider un groupe de pairs à prendre la décision de changer ses comportements concernant la santé reproductive, le VIH et les IST » (MoH, 2010 b : 19). D’après ce manuel, le rôle d’un tel éducateur est de programmer et de mener des activités dans le but de véhiculer des informations, de susciter des discussions, de promouvoir les changements comportementaux, d’encourager l’utilisation des services de santé, de responsabiliser ses pairs et de les assister dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive (MoH, 2010 b : 20).

Le ministre de la Santé qui a signé la préface de ce document national qualifie les programmes d’éducation par les pairs comme « l’une des manières les plus efficaces de transmettre des informations adaptées à des groupes ciblés dans les communautés » (MoH, 2010 b : 3). Pourtant, j’ai montré que la plupart des activités d’éducation par les pairs menées au Vanuatu se déroulaient dans les zones urbaines ou péri-urbaines de Luganville et de Port- Vila. Du fait d’un manque de financement et de coordination, les bénévoles des milieux ruraux formés par World Vision Vanuatu, Save the Children Australia ou Vanuatu Family

Health Association cessaient en effet fréquemment d’être actifs peu de temps après avoir suivi

leur formation. Quant aux éducateurs de la Vanuatu Family Health Association basés à Port- Vila, ils menaient parfois des ateliers de prévention (workshops) lors desquels ils distribuaient des préservatifs aux personnes qu’ils rencontraient dans la capitale, mais ces actions étaient occasionnelles10.

J’ai également déjà indiqué que Save the Children Australia tentait de développer depuis 2010 un programme d’éducation par les pairs dans quatre clubs de Port-Vila, qui regroupait 43 jeunes déscolarisés âgés de 10 à 16 ans. L’un de ces clubs, situé dans le quartier de

10 Et lors de mes recherches dans cette association, je n’ai pas eu l’occasion d’observer un éducateur accueillir

71 Nambatu, répertoriait parmi ses membres plusieurs jeunes filles de la communauté de Seaside Tongoa. Un rapport publié par l’ONG précisait que ces clubs ne comptaient pas de formateur de sexe féminin et qu’il était incohérent qu’un homme adulte aborde des questions de santé sexuelle et reproductive avec des jeunes filles. En outre, ils n’étaient pas rattachés à une clinique et les jeunes devaient se rendre à Wan Smolbag s’ils souhaitaient utiliser des services de santé adaptés (SCA, 2011).

Bénéficiant de la présence de coordinateurs et de fonds leur permettant de conduire des activités et de recevoir une prime incitative de 12 000 vatus (92 €) par mois11, les éducateurs de Wan Smolbag étaient ceux qui réalisaient, lors de mes séjours dans la capitale, le plus d’actions de prévention. Le nombre de ceux qui étaient rattachés à la clinique de Port-Vila était fluctuant, mais à titre d’exemple, le jeudi 23 juin 2011, huit jeunes femmes et cinq jeunes hommes étaient inscrits sur le tableau des « tournées » lors desquelles les volontaires se rendaient en binôme mixte dans un quartier de Port-Vila pour distribuer des préservatifs, parler des IST et présenter l’ONG, les services offerts par la clinique et le centre pour les jeunes. En outre, deux personnes étaient en période d’essai ce jour-là, dont une jeune femme de la communauté de Seaside Tongoa qui avait une sœur cadette et un beau-frère ayant aussi travaillé, quelques années auparavant, comme éducateurs pour cette ONG. La moitié des volontaires étaient qualifiés en interne de « pairs normaux » (normal peer), tandis qu’une autre moitié, plus spécialisée si l’on peut dire, travaillait exclusivement auprès d’« hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes » (MSM) et de « femmes travailleuses du sexe » (FSW), autrement dit des personnes considérées comme à risque face à la contraction des IST (voir chapitre 9).

Le rapport d’activité 2011 de cette organisation indique que le programme d’éducation par les pairs de Port-Vila toucha, cette année-là, 4 084 personnes (dont 54 % de femmes et 53 % de jeunes âgés de 14 à 24 ans). Lors de leurs tournées en binôme dans les différents quartiers de la capitale ou au sein de l’enceinte de l’ONG, les éducateurs spécialisés discutèrent aussi avec 59 MSM et 294 FSW12. En 2011, ils animèrent en outre quarante-cinq ateliers d’information réservés à ces deux types de publics. Et dans le cadre d’une étude menée par Wan Smolbag en partenariat avec le Burnet Institute, ils conduisirent des entretiens avec des MSM et des FSW de Port-Vila. En 2011, les pairs éducateurs de la capitale organisèrent également des ateliers d’information en santé sexuelle et reproductive avec des

11 Entretien du 10 septembre 2009 avec une éducatrice par les pairs âgée de 17 ans.

12 Participation à une visite d’éducateurs par les pairs de Wan Smolbag dans une maison de travailleuses du sexe,

72 écoliers de 10e année (Grade 10) et distribuèrent des préservatifs masculins – 5 972 furent

distribués en 2011 (WSB, 2011 : 14-15) – ainsi que des supports d’information créés par l’ONG. Toutes les trois semaines, les préservatifs étaient placés par les éducateurs dans les boîtes de nuit, les hôtels, les marchés urbains et les bars à kava de la capitale13 (Figure 23). Ils étaient aussi donnés aux jeunes gens, aux gardiens de nuit, aux marins, aux MSM et aux FSW rencontrés au cours des tournées de deux heures qu’ils menaient quatre fois par semaine et lors d’événements annuels, tels les festivals de musique de Port-Vila. Les distributeurs de préservatifs gratuits, placés dans des points fixes de la capitale, étaient généralement vides une huitaine de jours après le passage des éducateurs. Soulignons cependant que les personnes résidant dans les zones rurales de l’archipel bénéficiaient rarement, quant à eux, de la présence de tels distributeurs et de tels éducateurs (UNFPA et Servy, 2014 : 38).

Figure 23. Un distributeur de préservatifs en forme de tube jaune, situé à la droite d’un bar à kava, Port-Vila, 2013

On constate donc que les habitants des zones urbaines et rurales du Vanuatu ne sont pas égaux dans leur possibilité d’accéder aux informations sur les IST, aux préservatifs et aux traitements biomédicaux. Les établissements de santé, les services de santé sexuelle et reproductive destinés aux jeunes et les programmes d’éducation par les pairs n’étaient pas équitablement répartis ou aussi fonctionnels dans les différentes régions de l’archipel. J’ai montré que les établissements du gouvernement, les services adaptés et les réseaux d’éducateurs des ONG constituaient pour les urbains une source non négligeable d’information sur les IST, non seulement grâce aux moments que les volontaires et les

13 Les bars à kava (kava bar) sont des lieux de vente et de consommation du kava, une boisson narcotique

73 professionnels passaient à discuter avec les patients et les personnes rencontrés dans le cadre de leurs activités, mais aussi grâce aux interventions et à la distribution de supports de prévention que nous allons maintenant présenter.