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Chapitre II. Des actions de prévention principalement urbaines

2.3 Les supports de prévention

2.3.4 Les affiches

En 2011-2012, les posters de prévention des IST étaient présentés dans certaines écoles et établissements de santé, comme les services destinés aux jeunes des zones urbaines et rurales de l’archipel. Mais ces affiches étaient également scotchées dans les bars à kava de Luganville et Port-Vila qui distribuaient gratuitement des préservatifs, ainsi que dans des établissements officiels de la capitale, tels le Bureau de santé de la province de Shefa, le ministère de la Santé, la bibliothèque du Parlement ou la salle d’attente de la station de police de Port-Vila. Aucun poster n’était ostensiblement affiché à Seaside Tongoa, mais des affiches étaient exposées dans certains lieux fréquentés par les habitants de cette communauté, tels les bars à kava.

Figure 36 Le poster Protector condoms trouvé à la Vanuatu Family Health Association

Du fait que certains supports datant d’avant la découverte du premier cas de VIH au Vanuatu (2002) mettent en scène des personnages non mélanésiens, on peut déduire que les IST étaient associées aux étrangers. Dans les réserves de l’association Vanuatu Family

Health, j’ai ainsi découvert plusieurs posters produits en Afrique du Sud (Figure 36) et en

Ouganda. Très imagées, ces affiches présentent les modes de transmission et de prévention du VIH. Mais d’après leur coiffure et les traits de leur visage, les protagonistes figurant sur ces posters, tout comme ceux de la bande dessinée AIDS Bee Seminar distribuée par les congrégations presbytériennes de l’archipel, sont visiblement africains. Notons néanmoins

99 que ces affiches des années 1990 n’étaient plus présentées dans les cliniques que j’ai visitées en 2011-2012, bien que je les aie vues accrochées sur les murs de plusieurs établissements de santé des îles Salomon en décembre 2013.

La plupart des posters exposés au Vanuatu en 2011-2012 avaient été créés par les organisations Wan Smolbag et Vanuatu Family Health Association ou par la marque de préservatifs Score. Les affiches présentent principalement des jeunes Mélanésiens qui, par leur habillement et leur environnement, laissent penser qu’ils se trouvent en ville. Une femme est ainsi photographiée dans la rue en bermuda alors que le port de pantalons est prohibé par les « chefs » de village dans la plupart des îles du Vanuatu, ainsi que dans certaines communautés urbaines de Port-Vila, telle Seaside Tongoa (voir chapitre 10, page 468). Une autre arbore un décolleté plongeant et certains protagonistes portent des colliers ou des gourmettes (Figure 37). Aucune affiche de prévention des IST ne met en scène des hommes et des femmes visiblement mariées. On y voit plutôt des couples de jeunes gens s’apprêtant à avoir des relations sexuelles dans des jardins, ces espaces étant souvent réservés à une sexualité hors mariage et non approuvée par l’entourage des partenaires (voir chapitre 7, page 316).

Figure 37 Le poster HIV/AIDS istap long pacific tede, créé par Wan Smolbag

Dans les réserves de la Vanuatu Family Health Association, j’ai découvert quelques affiches de prévention des IST visant un public d’homosexuels et de transgenres. Bien que les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (MSM) fussent considérés comme

100 un groupe cible des politiques de prévention (voir chapitre 9), ces posters créés par la Fondation néo-zélandaise de lutte contre le sida ne furent jamais affichés. Aucun ne met non plus en scène des consommateurs de drogues injectables ou des femmes enceintes transmettant le virus à leur enfant. En 2004, Wan Smolbag conçut néanmoins une affiche rappelant que le « VIH/SIDA peut se transmettre par le sang ». Sous la photographie d’un homme se faisant tatouer un scorpion sur le bras, il est ainsi écrit : « Ne partagez pas les aiguilles » (Figure 38)39.

Figure 38. Le poster HIV/AIDS i save pas tru long blad, créé par Wan Smolbag

Les affiches de prévention affichées au Vanuatu au moment de mes recherches étaient donc non seulement plus visibles dans les zones urbaines de l’archipel, mais elles représentaient aussi essentiellement de jeunes citadins.

Nous venons de voir que les films, les brochures, les bandes dessinées et les posters de prévention étaient essentiellement destinés à un public résidant en ville et donc utilisés en milieu urbain, du fait, en partie, des taux d’équipement en lecteurs de DVD et en postes de télévision. Certains de ces outils étaient également disponibles, en 2011-2012, dans des zones plus reculées de l’archipel, mais ces supports de prévention présentent principalement des situations urbaines. La contraction des IST y est ainsi souvent associée à la vie en ville. Je n’ai pas suffisamment réalisé de recherches sur la réception de ces outils de prévention pour pouvoir affirmer leur efficacité ou leur inefficacité en milieu rural. On peut néanmoins douter,

101 à la suite d’anthropologues ayant travaillé en Papouasie-Nouvelle-Guinée, tels Alison Dundon (2009), Verena Keck (2007) ou Lawrence Hammar (2010 a : 24), que les personnes résidant en milieu rural puissent se reconnaître et se sentir concernés par des messages de prévention des IST mettant uniquement en scène des situations urbaines.

Conclusion

Dans ce chapitre, j’ai énuméré les services, les interventions et les supports qui étaient utilisés en 2011-2012 au Vanuatu pour prévenir les IST. Cet état des lieux permet d’avancer que les habitants de l’archipel étaient confrontés à un grand nombre d’actions cherchant à influencer leurs idées et leurs pratiques autour de la santé et de la sexualité. Nous avons commencé à voir que ces actions ont pour objectif de façonner non seulement les comportements sexuels des ni-Vanuatu, mais aussi leurs conceptions de la féminité, de la masculinité et des rapports entre les hommes et les femmes. Ces actions les incitent à agir comme des individus autonomes, responsables et leur apprennent à effectuer des choix réfléchis, tout en faisant la promotion des relations sociales égalitaires et en présentant la ville comme un lieu dangereux pour les IST.

Même si j’ai montré que les ni-Vanuatu étaient submergés par les services, les interventions et les supports de prévention des IST, j’ai établi que les habitants des milieux ruraux et urbains ne bénéficiaient pas d’un accès exactement équivalent. Malgré la volonté nationale affichée dans la Politique de Santé Reproductive 2008, les établissements de santé, les services destinés aux jeunes, les programmes d’éducation par les pairs, les ateliers d’information, les pièces de théâtre, les activités scolaires, les émissions radiophoniques, le numéro vert, les films, les brochures, les bandes dessinées et les affiches de prévention étaient plus facilement accessibles dans les villes de Port-Vila et Luganville que dans les îles moins centrales de l’archipel. Grâce à ce chapitre, une caractéristique propre à l’urbain au Vanuatu se dessine, comme un espace bénéficiant d’un grand nombre d’actions de prévention des IST. Il nous amène également à nous interroger sur les raisons de la présence de disparités géographiques : pourquoi un plus grand nombre d’actions de prévention étaient-elles ainsi organisées en ville ?

J’ai montré que les disparités spatiales vis-à-vis des activités de sensibilisation peuvent être en partie expliquées par l’éloignement géographique, les ruptures de stock en contraceptifs, la pénurie du personnel de santé, les difficultés de transport, les réticences des enseignants à parler de sexualité, les taux de scolarisation, l’étendue de la transmission TV,

102 les taux d’équipement en postes de radio, en téléphones mobiles ou en lecteurs de DVD, etc. On peut imaginer que ce déséquilibre géographique est également lié à l’association que font les agences de prévention locales et internationales entre la ville et la contraction des IST – ou plus exactement, entre certains groupes et lieux urbains et la transmission de ces infections. Ce chapitre a en effet permis de souligner que les actions de prévention développées en 2011- 2012 au Vanuatu tendent à cibler les jeunes générations de citadins ainsi que, mais dans une moindre mesure, les femmes travailleuses du sexe et les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes habitant Port-Vila. En outre, ces actions de prévention présentent souvent certains lieux urbains comme dangereux quant à la contraction des IST : les bars à kava, les boîtes de nuit, la rue et, parfois, la ville elle-même, parce qu’ils constituent des espaces de rencontre avec la modernité et les étrangers – touristes, expatriés ou personnes originaires d’autres îles de l’archipel. Quand on entre dans le détail, il apparaît néanmoins qu’il existe une multiplicité d’actions de prévention et une diversité de messages véhiculés. On verra que les informations délivrées par un pair éducateur, un infirmier ou présentes sur une affiche, peuvent différer.

Dans le chapitre 9, j’analyserai en détail les groupes cibles identifiés par les agences de développement internationales ainsi que les interprétations qu’en font les « intermédiaires » et les habitants de Port-Vila. De manière générale, les discours savants et populaires tendent, en Mélanésie, à mettre en relation la ville et le danger, le désordre, la mixité communautaire et la « perte » de pratiques et de valeurs dites coutumières. Au Vanuatu, Jean Marc Philibert (1994 : 199) et Greg Rawlings (1999 : 81) montrent par exemple que les structures sociales des villages périurbains d’Erakor et de Pango ont été transformées au XXe siècle par

l’augmentation du salariat et des mariages interinsulaires. Knut Rio (2010), Lamont Lindstrom (2011 a) et John P. Taylor (2015 a) soulignent, quant à eux, l’importance des peurs et des accusations d’attaques de sorcellerie à Port-Vila et à Luganville, du fait de la juxtaposition de communautés originaires de différentes îles du Vanuatu et des inégalités économiques expérimentées par les citadins (voir aussi Lind, 2014 : 81-82 ; Mitchell, 2013 [2003] ; Widmer, 2013 : 149). La vie dans les villes mélanésiennes est ainsi fréquemment pensée comme violente et dangereuse, du fait des tensions interethniques, des crimes, de la délinquance, de l’augmentation des difficultés économiques ou de la perméabilité avec l’Occident. Le « désordre urbain » est souvent opposé à « l’univers clos et rassurant du village mélanésien » régi par des règles coutumières – alors même qu’il existe dans cette région, comme on le verra, un fort continuum entre les mondes ruraux et urbains (Connell et Lea,

103 1994 : 276 ; Philibert, 1994 : 197 ; Jolly, 1999 : 293-294 ; Wittersheim et Dussy, 2013 : 26 ; Lind, 2010).

Le prochain chapitre présente une communauté urbaine souvent considérée comme dangereuse et violente par les habitants de la capitale et le personnel des ONG dans laquelle j’ai pu observer le déroulement de plusieurs actions de prévention des IST. En retraçant l’histoire et en exposant le contexte de la communauté de Seaside Tongoa à Port-Vila, je vais ainsi continuer à définir ce qui constitue, pour moi, la vie en ville au Vanuatu, ainsi que les manières d’être et d’agir valorisées dans cette entité urbaine.

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Chapitre III. Seaside Tongoa,