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2. Le droit au maintien d’une citoyenneté multiple dans le contexte de la déchéance

2.2. La déchéance de citoyenneté en droit britannique

2.2.2. Les procédures de contestation

2.2.2.3. La preuve du statut d’apatride

L’ensemble des développements élaborés nous mène à soutenir que lorsque l’individu est visé par la déchéance de citoyenneté, ces procédures imposent sur lui un fardeau presque impossible à surmonter. Par conséquent, sa meilleure option demeure d’invoquer le paragraphe 40(4) de la BNA, qui prévoit qu’une personne ne peut être déchue si cela aurait

391 The Special Immigration Appeals Commission (Procedure) Rules 2003, préc. note 367, art. 37, 47(3). 392 ZZ c. Secretary of State and Home Department, 2013, C-300/11 C.J.U.E., par. 49.

393 Id., par. 3. 394 Id., par. 58.

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pour effet de la rendre apatride395. Elle doit donc faire la preuve qu’elle n’a qu’une seule citoyenneté, puisque la Convention de 1961 ne protège que les individus qui n’ont qu’une seule citoyenneté.

À l’opposé, une personne qui serait déchue de sa citoyenneté, mais qui conserverait une citoyenneté supplémentaire, ne serait pas considérée apatride même si elle ne bénéficie en pratique d’aucun droit lié à sa citoyenneté396. Nous nous référons ici à la notion d’ « apatridie de fait », ou « d’apatride de facto » définie de manière suivante par le conseiller spécial du HCR, Hugh Massey :

De facto stateless persons are persons outside the country of their nationality who are unable or, for valid reasons, are unwilling to avail themselves of the protection of that country.

Persons who have more than one nationality are de facto stateless only if they are outside all the countries of their nationality and are unable, or for valid reasons, are unwilling to avail themselves of the protection of any of those countries397.

Dans l’affaire Abu Hamza, la SIAC en est venue à la conclusion que le paragraphe 40(4) devait être interprété de manière à ce que seuls les individus exposés à devenir apatrides de

jure soient protégés de la déchéance de citoyenneté :

[I]t is hardly likely that Parliament intended to link the prohibition on the making of a deprivation order to an undefined status which has never been the subject of international agreement. The obvious, and, we are satisfied, only proper conclusion is that Parliament intended that the Secretary of State should not make a deprivation order in respect of a person if satisfied that the effect would be that he would therefore be made a person who is not considered as a national by any state under the operation of its law—the definition in Article 1.1 of the 1954 Convention. Such an interpretation has the advantage of aligning domestic law with the United Kingdom’s international obligations398.

Par conséquent, afin de bénéficier du paragraphe 40(4), l’individu doit prouver, par la balance des probabilités – un fardeau de preuve plus lourd que celui qui l’expose à la déchéance de citoyenneté – qu’il est exposé à devenir apatride de jure. Plus spécifiquement, s’il plaide qu’il a été déchu de son autre citoyenneté avant d’être déchu de sa citoyenneté britannique, il

395 “The Secretary of State may not make an order under subsection (2) if he is satisfied that the order would

make a person stateless.”

396 Hugh MASSEY, UNHCR and De Facto Statelessness, LPPR/2010/01, coll. Legal and Protection Policy

Research Series, Genève, U.N.C.H.R., 2010, p. 26.

397 Id., p. 61.

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n’importe pas que l’État de déchéance ait agi de manière injuste ou déraisonnable : seule la privation de la citoyenneté est évaluée399. Or, en pratique, l’application de ce principe est loin d’être évidente.

En effet, dans l’affaire B2, un citoyen britannique d’origine vietnamienne, était exposé à perdre sa citoyenneté britannique au motif qu’il s’était converti à l’islam radical pour ensuite aller suivre une formation terroriste au Yémen400. L’individu plaida alors que la déchéance de citoyenneté le rendrait apatride, puisqu’il n’avait pas la citoyenneté vietnamienne401. L’affaire se rendit devant trois instances, la SIAC, la EWCA et la Cour suprême, où la distinction entre apatride de fait et apatride de jure fut essentielle au dénouement du litige. La SIAC jugea d’abord que d’après le droit vietnamien, la détermination de la citoyenneté, qu’il s’agisse de l’acquisition ou de la terminaison, relève de l’entière discrétion du pouvoir exécutif402. Malgré la communication avec le gouvernement vietnamien, celui-ci avait refusé de reconnaître B2 en tant que citoyen. La SIAC en vint à la conclusion que cette omission était délibérée, et qu’en conséquence, B2 ne pouvait pas posséder la citoyenneté vietnamienne403 en dépit de l’absence de toute procédure formelle de déchéance de citoyenneté vietnamienne404. Il s’agit là d’une approche similaire à celle élaborée dans l’affaire Abu Hamza : ce n’est pas le bien-fondé de la déchéance d’une citoyenneté tierce qui est évaluée, mais bien le fait qu’il soit déchu405. B2 était donc considéré apatride de jure. La EWCA en vint cependant à une conclusion différente : puisque les autorités vietnamiennes n’avaient pris aucune mesure afin de déchoir B2, il ne pouvait pas être considéré apatride de jure. Il était certes admis que les autorités ne reconnaissaient pas B2 en tant que citoyen vietnamien, mais il s’agissait d’une circonstance de fait, et non de droit406. Il est donc possible, selon la EWCA, de déchoir un individu de sa citoyenneté britannique même si l’État de citoyenneté tierce ne reconnaît pas cet individu en tant que membre. Cette

399 Id., par. 6.

400 B2 v. Secretary of State and Home Department, SC/114/2012, par. 4. 401 Id.

402 Id., par. 6. 403 Id., par. 7. 404 Id., par. 8. 405 Id., par. 19.

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approche est confirmée par la Cour suprême de la Grande-Bretagne407, qui ne s’est cependant pas prononcée sur cet obiter de la EWCA :

If the relevant facts are known and on the basis of those facts and the expert evidence it is clear that under the law of a foreign state an individual is a national of that state, then he is not de jure stateless. If the Government of the foreign state chooses to act contrary to its own law, it may render the individual de

facto stateless408.

Un éclaircissement sur ce propos aurait été bienvenu de la part de la Cour suprême. En effet, suivant le raisonnement de la EWCA, lorsqu’un État tiers déchoit un individu de sa citoyenneté en bonne et due forme, les autorités britanniques ne peuvent plus retirer la citoyenneté de ladite personne. Dans ce cas, elle serait apatride de jure. À l’inverse, si l’État tiers procède de manière à violer ses propres lois, les autorités britanniques peuvent déchoir le citoyen multiple409. Dans ce cas, il est apatride de facto.

2.2.3. La déchéance de citoyenneté unique obtenue par voie de naturalisation