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Le comportement de nature à engendrer un préjudice grave aux intérêts

2. Le droit au maintien d’une citoyenneté multiple dans le contexte de la déchéance

2.2. La déchéance de citoyenneté en droit britannique

2.2.1. Les motifs de déchéance de citoyenneté

2.2.1.1. Le comportement de nature à engendrer un préjudice grave aux intérêts

Le motif de déchéance instauré en 2002 par la BNA consiste en un comportement « seriously

prejudicial to the vital interests of the United Kingdom ». Nous traduisons cette formulation

en le comportement « portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État ». La BNA récupérait en effet la formulation prévue par la Convention de 1961 et la CEN, mais sans plus de précisions. L’objectif avoué était de proposer de larges motifs de déchéance de citoyenneté compte tenu des nouvelles réalités imposées par le terrorisme322.

La notion de prejudice grave aux intérêts essentiels de l’État a fait l’objet du commentaire suivant par le gouvernement britannique : « We do not want to be overly prescriptive about what this phrase means, but we would envisage it covering those involved in terrorism or espionage or those who take up arms against British or allied forces »323.

Outre ce passage, il n’y a pas de jurisprudence particulière sur le préjudice grave aux intérêts essentiels dans un contexte de déchéance de citoyenneté. Ce motif de déchéance n’a été utilisé que dans deux affaires : dans l’affaire Abu Hamza324, où elle n’a pas donné lieu à une quelconque forme d’interprétation, puis dans l’affaire Hicks, où elle a connu des développements substantiels.

Dans cette affaire, Hicks était un citoyen australien arrêté en Afghanistan et détenu à la prison de Guantanamo Bay. Après avoir échoué en droit australien à faire exercer la protection diplomatique de l’État à son endroit325, il entreprit des démarches en droit britannique afin d’obtenir une seconde citoyenneté afin que cet État puisse négocier avec les États-Unis sa libération326. La mère de Hicks était en effet citoyenne britannique, ce qui lui donnait droit à la citoyenneté britannique en vertu du jus sanguinis. La démarche lui semblait d’autant plus

322 House of Commons Debates, Nationality, Immigration and Asylum Bill in Standing Committee E, 2002,

par. 62, en ligne : <https://publications.parliament.uk/pa/cm200102/cmstand/e/st020430/pm/20430s16.htm> (consulté le 21 août 2017).

323 Immigration Bill. Fact Sheet : Deprivation of Citizenship (clause 60), Gov.Uk, 2014, en ligne :

<https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/277578/Factsheet_15_Depriv ation.pdf> (consulté le 21 août 2017).

324 Hilal Abdul Razzaq Ali Al Jedda v Secretary of State and Home Department, SC/66/2008, par. 3. 325 Hicks v Ruddock, 2007 F.C.A. 299.

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avantageuse que le gouvernement britannique avait réussi à faire libérer un certain nombre de prisonniers de Guantanamo Bay327.

Hicks respectait l’ensemble des conditions d’obtention de la citoyenneté britannique328, imposant ainsi à l’État de lui accorder ladite citoyenneté329. Le gouvernement accorda la citoyenneté à Hicks, pour ensuite immédiatement la lui retirer au motif que s’il avait été arrêté puis détenu à Guantanamo, c’était parce qu’il s’était comporté de manière à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de la Grande-Bretagne330. De toute évidence, ce positionnement était motivé par la crainte du gouvernement que Hicks renonce à sa citoyenneté australienne, laissant ainsi la Grande-Bretagne comme seul État ayant l’obligation d’exercer une responsabilité diplomatique à son endroit331.

Le cœur du litige visait ainsi à déterminer si une personne pouvait être déchue de sa citoyenneté pour un motif survenu avant l’obtention de celle-ci. Conformément aux développements élaborés plus haut, la réponse est non : le cœur de la déchéance de citoyenneté consiste à reprocher à un individu son manque d’allégeance envers l’État. En ce sens, un individu ne peut pas manquer d’allégeance envers un État s’il ne possède pas le moindre lien juridique avec lui. En conséquence, peu importe ce qui était reproché à Hicks, la Cour en vint à la conclusion qu’il ne pouvait pas avoir manqué à son devoir d’allégeance envers la Grande-Bretagne332. Cette décision fut ensuite confirmée en appel333, cristallisant ainsi la portée temporelle de la notion de préjudice grave aux intérêts essentiels.

A priori, le dossier paraissait clos. Néanmoins, peu après que la décision soit rendue, un

nouveau motif de déchéance de citoyenneté est entré en vigueur, remplaçant ainsi le précédent334. Depuis, l’État n’a plus besoin de plaider que le comportement d’un individu a porté un préjudice grave à ses intérêts essentiels, mais plutôt qu’il a eu un comportement qui n’est pas conducive to the public good (« conforme au bien public », en traduction libre).

327 Id. 328 Id., par. 7.

329 Sandra MANTU, Contingent Citizenship. The Law and Practice of Citizenship Deprivation in International,

European and National Perspectives, Leyde, Brill Nijhoff, 2015, p. 206.

330 R (Hicks) Claimant - and - Secretary of State for the Home Department, préc., note 324, par. 7. 331 Id., par. 30.

332 Id., par. 37.

333 Secretary of State for the Home Department - and - David Hicks, 2006 E.W.C.A. Civ 400. 334 K. RUBENSTEIN et N. LENAGH-MAGUIRE, préc., note 36 à la page 280.

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L’amendement avait été proposé en octobre 2005, en réaction aux attentats de juillet de la même année. De l’aveu du premier ministre d’alors, M. Tony Blair, l’objectif de cet amendement était de rendre les motifs de déchéance « plus simples et plus effectifs »335. Une fois ce nouveau motif de déchéance adopté, le gouvernement britannique profita de son pouvoir élargi afin de retirer de nouveau la citoyenneté de Hicks dans le but apparent de contourner la jurisprudence qui avait limité la portée temporelle de la déchéance de citoyenneté336. En effet, tel que l’ont reconnu quelques années plus tard les tribunaux britanniques,

The legislative purpose of the amendment seems clear : to broaden the grounds upon which a person may be deprived of citizenship and to permit the Secretary of State to take into account all relevant factors, whether they occurred before or after a person who acquired British citizenship by registration or naturalization did so, thus reversing R(Hicks) v Secretary of State for the Home Department [2005] EWHC 2818 (Admin)337 [Nous soulignons].