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De plus en plus promus actuellement dans de nombreux pays, les réseaux de chaleur ne sont pas pour autant une nouvelle technologie d’approvisionnement. Selon les historiens, le premier ré-seau de chaleur connu et toujours en opération est celui de Chaudes-Aigues en France qui, dès le 14èmesiècle, alimente en chaleur plusieurs maisons d’un village à partir d’une source géothermale [19]. Initialement, l’eau chaude était alors distribuée par d’anciens canaux romains, puis par des troncs d’arbres évidés.

C’est toutefois à la fin du 19èmesiècle, aux Etats-Unis, que seront mis en service les premiers ré-seaux de chauffage à distance de l’ère moderne, alors essentiellement basés sur des systèmes de

distribution de vapeur surchauffée [20]. Le premier système commercial voit le jour à Lockport en 1877. Dans les années suivantes, plusieurs grandes villes américaines avec des densités de chauf-fage importantes se dotent de systèmes similaires, notamment la ville de New York dès 1882. Cette technologie de chauffage est également introduite quelques années plus tard dans les centres villes de quelques grandes villes européennes : Hambourg en 1921, Copenhague en 1925, Ber-lin en 1927, Zurich en 1928 et Paris en 1930. Cette première vague de développement des réseaux de chaleur constitue ce qui est aujourd’hui appelé la première génération des réseaux de chaleur (figure 1.10) [21]. Le principal moteur de son développement n’était pas directement la volonté d’intégrer des rejets thermiques ou de valoriser des sources renouvelables, mais de réaliser des économies d’échelle en centralisant les infrastructures de production de chaleur, de limiter la pol-lution de l’air dans les zones urbaines particulièrement denses et de remplacer des chaudières individuelles en appartements afin de réduire les risques d’explosions. Les centrales de produc-tion étaient alors essentiellement alimentées par du charbon voire, dans certaines villes déjà, par les rejets thermiques des premiers incinérateurs de déchets.

Chauffage de quartier

1G / 1880-1930 2G / 1930-1980 3G / 1980-2020 4G / 2020-2050

Développement (Génération de réseaux de chaleur / Période de la meilleure technologie disponible)

Chauffage urbain

1G: VAPEUR 2G: IN SITU 3G: PREFABRIQUE 4G: 4ème GENERATION

Système vapeur, conduites en caniveaux

Système à eau surchauffée sous pression, Equipements lourds,

(optimisation des interactions entre les sources d'énergies, les vecteurs de transport et la consommation) Réseaux bidirectionnels

Réseaux bidirectionnels

Figure 1.10 – De la 1èreà la 4èmegénération des réseaux de chaleuradapté de Lund et al. [21]

Chapitre 1. Réseaux de chaleur : caractéristiques et fondamentaux

Le passage vers la seconde génération des réseaux de chaleur se caractérise par la transition vers des systèmes de distribution basés non plus sur de la vapeur, mais sur de l’eau surchauffée à des températures supérieures à 100˚C. L’abandon progressif des systèmes basés sur la vapeur est lié d’une part aux risques d’explosions dans les conduites, d’autre part aux pertes de distribution im-portantes. Les réseaux de deuxième génération émergent à partir des années 1930 et constituent la technologie de réseau dominante jusque dans les années 1970. Ils se développent principale-ment en Europe, notamprincipale-ment dans la période d’après-guerre, où ils sont parfois intégrés dans les grands plans urbains de reconstruction de certaines villes. La plupart du temps introduits dans des pays fortement dépendants des importations d’énergies fossiles, la motivation première de leur développement est alors de réaliser des économies sur la consommation de combustibles grâce à la récupération de chaleur sur la production électrique (CCF). Bien que moins efficients que les systèmes qui se développent en Europe de l’ouest (Danemark, Suède, Allemagne), de nom-breux grands réseaux de chaleur sont construits dans plusieurs villes d’Europe de l’est et d’ex-pays d’URSS. Les caractéristiques urbanistiques de ces villes en construction ou re-construction, basées sur le modèle architectural des "grands ensembles", se prêtent particulièrement bien à la distri-bution de chaleur en réseau.

L’avènement de la troisième génération a lieu dans les années 1980, en réponse aux chocs pé-troliers de 1973 et 1979 qui ont révélé la fragilité des économies des pays industrialisés face à la fluctuation des prix des énergies fossiles. C’est également l’émergence des problématiques liées à la pérennité des ressources naturelles (Club de Rome en 1972). Cette génération, qui constitue la technologie dominante aujourd’hui, se caractérise par des niveaux de température plus bas, généralement inférieurs à 100˚C, ce qui permet d’améliorer l’efficience énergétique des systèmes de production et de distribution de chaleur. Au niveau de la production, c’est également le dé-veloppement des couplages chaleur-force décentralisés, de l’utilisation de la biomasse et de la récupération de rejets de chaleur sur les incinérateurs de déchets. Dans certains cas, des rejets de chaleur industriels, de la géothermie, de la chaleur solaire ou des pompes à chaleur participent également en partie à l’approvisionnement en chaleur de ces réseaux. Cette troisième génération est aussi dénommée le "modèle scandinave" dans la mesure où ces réseaux ont passablement été développés dans les pays du nord de l’Europe, notamment au Danemark, en Suède et en Finlande.

Avec la prise de conscience générale des enjeux climatiques (sommet de Rio en 1992, protocole de Kyoto en 1997), un regain d’intérêt a eu lieu pour les réseaux de chaleur dès la fin des années 1990. Le concept de la 4ème génération des réseaux de chaleur a alors été théorisé pour antici-per la manière de concevoir les réseaux de chaleur du futur en vue de répondre à la volonté d’un basculement vers un système énergétique durable, sans fossile et sans nucléaire [21]. De nom-breuses études ont démontré qu’un système énergétique basé essentiellement sur les énergies renouvelables est techniquement possible, mais que cela nécessitera d’une part d’augmenter en-core l’efficience énergétique, d’autre part de gérer l’intégration massive des énergies renouvelables fluctuantes (solaire, vent) en exploitant au mieux les synergies entre les différentes infrastructures énergétiques et les différents secteurs énergétiques [22, 23, 24]. Un tel système est défini comme

"Smart Energy System", c’est-à-dire "un système énergétique dans lequel des réseaux électriques, thermiques et gaz intelligents sont combinés et coordonnés pour identifier les synergies entre eux afin d’atteindre une solution optimale pour chaque secteur et pour le système énergétique global"

[25]1.

L’intégration des réseaux de chaleur dans un tel système constituera donc l’un des enjeux clé de la 4ème génération (figure 1.11). Couplés aux réseaux électriques par l’intermédiaire de pompes à chaleur, les réseaux de chaleur devraient offrir la possibilité d’absorber des surplus de produc-tion d’électricité fluctuante d’origine renouvelable (concept de "power-to-heat"), avec l’avantage que les réseaux de chaleur permettent l’accès à des solutions de stockage relativement impor-tantes et bon marché comparées à d’autres solutions [26, 27, 28]. A ce titre, la capacité des réseaux de chaleur à être pilotés de façon intelligente pour exploiter les synergies avec les autres réseaux énergétiques nécessitera des systèmes d’information et communication performants.

Réseaux de

Figure 1.11 – Caractéristiques et enjeux principaux liés au développement des réseaux de chaleur de 4èmegénération

adapté de Schmidt et al. [18]

1. Traduction personnelle vers le français de : "an energy system in which smart electricity, thermal and gas grids are combined and coordinated to identify synergies between them in order to achieve an optimal solution for each sector as well as for the overall energy sector."

Chapitre 1. Réseaux de chaleur : caractéristiques et fondamentaux

Le concept de 4èmegénération repose également sur l’intégration massive de sources de chaleur locales renouvelables, géothermie et chaleur solaire notamment, et de rejets thermiques à basse température. Caractérisées par des profils temporels parfois différents de la demande, l’intégra-tion de certaines de ces sources de chaleur nécessitera le développement du stockage de chaleur saisonnier. Ces réseaux verront également l’apparition de "prosommateurs", autrement dit des clients pouvant non seulement soutirer de la chaleur, mais également en fournir au réseau (excès de production solaire, rejets de chaleur).

Pour favoriser l’intégration de ces sources de chaleur et limiter encore davantage les pertes de distribution, les réseaux de chaleur de la 4ème génération devront être à même de fonctionner avec des températures toujours plus basses et proches des besoins, typiquement entre 50 et 60˚C.

Ceci implique une série d’enjeux liés aux dimensionnements et à l’exploitation des infrastructures de transport et distribution de chaleur, des sources de production jusque dans les bâtiments. Cette baisse des températures est également un enjeu important pour maîtriser les coûts de distribution inhérents aux réseaux, dans un contexte où la densité énergétique de la consommation devrait baisser avec l’amélioration de la performance thermique des bâtiments.

Pour intégrer des sources de chaleur toujours plus décentralisées, la planification énergétique ter-ritoriale deviendra essentielle pour coordonner le développement cohérent des infrastructures énergétiques dans le temps et dans l’espace. Cette décentralisation devrait également contribuer à complexifier les modèles organisationnels standards sur les réseaux et à pousser les gestionnaires de réseaux à développer de nouveaux modèles d’affaires innovants.

CHAPITRE 2

Les réseaux de chaleur dans les contextes européen et

suisse