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pratiques, action, structuration.

Dans le document La structuration des pratiques sociales (Page 72-90)

Ou pour un hommage à la science sociale britannique

On peut considérer que l’obstacle majeur, auquel se heurte depuis toujours le projet théorique et empirique des sciences sociales, a trait à la formulation et au positionnement des con- cepts de structure et de pratique. L’exigence énoncée par Marx d’étudier la réalité sociale et historique du point de vue de la pratique a été, on le sait, historiquement dominée par un éco- nomisme généralisé qui, s’autorisant d’un certain nombre d’ambiguïtés et de contradictions internes à l’œuvre de Marx, a déplacé le matérialisme historique en direction d’une théorie de la structure économique, où les agents sociaux et les pratiques sociales ne sont que les effets de cette même structure.

Dans le champ de la sociologie, le britannique A. Giddens est, parmi les sociologues contemporains, l’un de ceux, avec P. Bourdieu (1991), qui, établissant le constat du caractère impro- ductif et pernicieux du dualisme société/individu ou struc- ture/pratique, a entrepris d’en dépasser les limites, en essayant de penser l’implication réciproque de la « structure » et de la « pra- tique » à partir d’une « théorie de la structuration », qui entend substituer à ce dualisme ce qu’il dénomme la « dualité du structu- rel ».

Nous étudierons de quelle manière Giddens, tout en intégrant les apports des « sociologies interprétatives », s’en distancie néan- moins, en formulant les principes d’une ontologie sociale spé- cifique des pratiques, qui ne conçoit plus la « structure » comme une contrainte extérieure aux actions des agents sociaux.

Ce faisant, nous laisserons dans l’ombre beaucoup d’aspects de la théorie de la structuration, plus particulièrement ceux qui con- cernent l’approche des institutions. C’est dire que ce texte ne prétend nullement être un exposé analytique de la théorie de la

structuration ; il s’agit plutôt d’une lecture partielle de la théma- tique de la structuration, telle que celle-ci s’élabore de manière progressive à partir des concepts de pratique et d’action.

Giddens met toujours l’accent, dans nombre de ses ouvrages, sur le « schisme » théorique qui s’est introduit dans les sciences sociales de langue anglaise entre les « sociologies structurelles » (le fonctionnalisme ou le structuro-fonctionnalisme issu de Parsons) et les « sociologies interprétatives » (interactionnisme symbolique, phénoménologie sociale, ethnométhodologie, etc.).

Comme l’indique cette dénomination, les « sociologies struc- turelles » sont ces sociologies qui font un usage majeur des con- cepts de « structure » ou de « structure sociale ». Ceux-ci dési- gnent, dans ce cas, un « modèle régularisé (patterning) de relations sociales ou de phénomènes sociaux » (Giddens, 1984/1987). Giddens souligne notamment à ce sujet l’assimilation courante du concept de structure à des images, « comme le squelette ou l’anatomie d’un organisme, ou la charpente d’un édifice » (Ibid.).

Ces caractérisations du concept de structure s’enracinent dans une figure théorique qui énonce le primat de l’objet sociétal sur le sujet individuel. Elles conduisent à assimiler la notion de struc- ture à celle de contrainte. Une contrainte sociale extérieure à l’individu et à sa conscience. Nous retrouvons ici les termes exacts de la définition durkheimienne des faits sociaux, même si, par ailleurs, le concept de structure n’est guère présent dans l’œuvre de Durkheim, et que lorsqu’il y apparaît, comme dans Les règles de la méthode sociologique (1981), c’est alors dans un sens qui n’entretient aucun lien organique avec la spécification d’une organisation d’ensemble de la société. Mais on peut néanmoins dire que, dans la perspective théorique inaugurée par Durkheim, l’action n’est que la conséquence résiduelle d’une imposition normative macrosociale.

Action, pouvoir et ressources

Giddens élabore sa théorie de la structuration à partir d’une critique du dualisme structure/pratique, individu/société, qui prévaut dans les sciences sociales et qui recouvre notamment, comme nous l’avons montré, l’opposition entre « sociologies structurelles » et « sociologies interprétatives ».

Cette dichotomie s’affirme aujourd’hui avec force, tout parti- culièrement aux États-Unis, dans le cadre du débat « macro- micro » et des controverses entre l’individualisme méthodolo- gique et ses opposants. Celui-ci étroitement lié, dans ce pays, mais sous des appellations diverses, à la Rational Action Theory et illustré dans ses développements récents par les travaux de James S. Coleman (1986), reproduit aujourd’hui les termes de cette antinomie dans les sciences sociales américaines. James S. Cole- man, sur la base d’une théorie de l’acteur rationnel se propose, comme le précisent dans leur excellent article Loïc J. D. Wac- quant et Craig Jackson Calhoun (1989, p. 46), « d’importer en sociologie les principes anthropologiques qui fondent la microé- conomie néo-classique ».

Pour Giddens, les concepts d’individu et de société « ont be- soin d’être reconstruits au moyen d’autres concepts. Dans la théorie de la structuration, la préoccupation centrale des sciences sociales porte sur les pratiques sociales récurrentes et leurs trans- formations ». Ce qui entraîne à penser l’implication réciproque de la « structure » et « des pratiques » (Giddens, 1991, p. 203).

La théorie de la structuration développe de manière explicite les éléments conceptuels d’une ontologie de l’activité sociale. Mais celle-ci n’est pas conçue dans les termes classiques des onto- logies sociales (toujours inscrits à l’intérieur d’un mode métaphy- sique de théorisation), qui sous-tendent les sociologies structu- relles par exemple ; elle prend acte par ailleurs, comme le note Ira J. Cohen (1989), des résultats des travaux des philosophes post-positivistes (Thomas Kuhn, Imre Lakatos, Larry Laudan, etc.). De ce point de vue, comme l’observe aussi Ira. J. Cohen, l’ontologie sociale de la théorie de la structuration récuse les rai- sonnements qui hypostasient les propriétés et les processus so- ciaux. Ainsi, elle opère une distinction entre d’un côté les con- ceptions ontologiques et les théories concrètes et les recherches empiriques de l’autre. Mais pour éviter toute confusion à ce su- jet, on doit souligner que cette distinction ne relève en aucune sorte d’une disjonction entre la théorie sociale et l’investigation empirique, si souvent repérable dans les sciences sociales anglo- américaines, en fonction d’une division, à la fois épistémologique

et sociale, entre le « théoricien social » et le « chercheur empi- rique ».

C’est pour cette raison que l’ontologie sociale structuration- niste ne désigne pas une théorie sociale d’ensemble, susceptible d’avancer, sur un mode plus ou moins exhaustif, des généralisa- tions sur la réalité sociale (de dégager des lois sociales ou histo- riques par exemple). Elle entend seulement traiter des liens entre « pratique » et « structure », des interrelations entre « action » et « institution », ou encore, selon une formulation plus précise, de celles entre l’action organisée de manière réflexive et la con- trainte institutionnelle. Elle se limite donc à fournir un schème conceptuel d’ensemble, qui ne préjuge en aucune manière des variations qui affectent toujours les relations concrètes et obser- vables entre pratiques et contraintes, dans tels ou tels contextes ou conditions historiques donnés, c’est-à-dire, à titre d’exemple, au sein de « systèmes sociaux » particuliers, ou relativement aux « principes structurels » qui organisent des totalités sociétales.

C’est pourquoi aussi l’ontologie sociale de Giddens se refuse à doter l’action de propriétés « internes » spécifiques, car celles-ci seraient, dès lors, pourvues d’un statut transhistorique, comme on le voit parfaitement avec la Rational Action Theory ou dans la so- ciologie de Homans (1974) L’ontologie sociale laisse donc ici toute sa place à l’historicité des pratiques sociales à leur diversité spatio-temporelle constitutive. Elle ne prédéfinit ni ne prédéter- mine le contenu des pratiques ce dernier ouvre, au contraire, ses champs aux enquêtes démonstratives de la recherche empirique. Elle circonscrit par là même une « anthropologie minimale », que l’on peut assimiler à un projet de caractérisation des potentialités de la vie sociale, comme l’indique Ira J. Cohen.

L’ontologie sociale de la théorie de la structuration implique une théorie du sujet agissant. On peut dire, tout d’abord, que celle-ci s’accorde parfaitement, pour nous, avec la thèse défendue naguère par Louis Althusser (1972) selon laquelle il n’y a pas de Sujet de l’Histoire et que, pour cette raison, l’histoire est un pro- cès sans Sujet ni Fin(s). Concepts qui renvoient à un humanisme téléologique, qui est souvent l’envers symétrique d’un écono- misme généralisé, dont on trouve des formulations quasi exhaus- tives dans certains courants du marxisme historique.

Parler de sujet agissant, ne revient pas non plus à porter l’accent sur la subjectivité d’un sujet défini en tant qu’intériorité ou, si l’on préfère, d’un sujet qui se caractériserait par une auto- réflexion consciente, par une relation transparente de soi à soi, etc. Comme le souligne maintes fois Giddens, nombre d’aspects mis à jour par le structuralisme et le post-structuralisme, concer- nant le « décentrement du sujet », sont des acquis irréversibles, comme l’est, avant eux, selon nous, la critique énoncée par Marx de toute essence humaine.

De même, évoquer un sujet agissant, ne signifie pas que l’on postule une relation de connexion entre un sujet et l’action, qui se réfèrerait à une subjectivité fractionnée en une série d’entités psychiques autonomes et discrètes, antécédentes à l’action (inten- tions, raisons, mobiles), comme y invitent explicitement certaines formulations de la philosophie analytique de l’action, ainsi que nous allons le voir.

Dire que le sujet ne peut exister comme sujet que référé à l’action, c’est dire qu’il est indissociablement un agent ; c’est in- troduire le concept d’action pour rendre intelligibles les pratiques et leur structuration. Mais, à la différence des traditions interpré- tatives de la sociologie, Giddens n’approche pas l’action du point de vue des orientations subjectives des acteurs sociaux envers leurs actes et ceux d’autrui, comme on le constate, par exemple, chez Blumer, mais également chez Weber 1

. Il ne s’agit pas de dire par là que cette dimension interprétative doive être aban- donnée ou ignorée, mais plutôt d’insister sur le fait qu’elle ne peut être clairement positionnée et articulée, que si l’on met en évidence prioritairement la dimension pratique de l’action. Ce point est décisif : en raison des tendances, récurrentes au sein des théories de l’action, qui privilégient la dimension interprétative, dans sa version communicationnelle ou discursive, comme chez Habermas (1987) 2

.

1. On peut observer à ce propos, que Blumer n’invoque jamais, à notre connais- sance, la dette théorique « objective » de l’interactionnisme symbolique à l’égard de la théorie wébérienne de l’action sociale.

2. Cf. Giddens, 1987 qui examine, notamment, la théorie de Habermas. On peut se référer aussi, à ce sujet, à Callinicos, 1989.

Insister sur la dimension pratique de l’action, c’est élucider cette dernière grâce aux concepts de capacité et de pouvoir. Ces deux concepts sont étroitement articulés. Définir l’action, c’est mettre en exergue la capacité des agents, comme pouvoir d’intervention dans le monde social, dans les événements, afin de modifier le cours de ceux-ci. Cette définition générique du pou- voir, désigne la capacité transformatrice des agents sociaux par et dans l’action. Agir c’est créer des différences, être capable d’agir autrement.

Cette introduction du concept de pouvoir, dans sa relation à celui de capacité, afin de comprendre la dimension pratique de l’action, dessine une rupture avec ses acceptions dominantes, en sociologie, où, de manière générale, il désigne exclusivement le pouvoir d’organisations, d’institutions, ou de collectivités.

L’insistance de Giddens sur l’élément pratique, en tant que trait distinctif de l’action amène aussi – dans le droit fil des tra- vaux de Garfinkel (1984) – à considérer la réalité sociale, non comme un ensemble de « faits sociaux », mais, à l’opposé, comme un « accomplissement pratique » habile, qui s’exerce dans le cours des activités ordinaires de la vie quotidienne. Relier les accomplissements pratiques des agents à leur capacité et à leur pouvoir (entendu toujours ici dans un sens générique) croise éga- lement d’autres apports théoriques : celui de représentants de la philosophie analytique de l’action (G. H. von Wright, E. Ans- combe), comme le signale P. Ricœur 3 (1986, p. 169), qui mar- quent la centralité du concept de pouvoir, quand ils entendent expliquer la réalité de l’action ; celui de Marx, comme l’observe Giddens, où la capacité transformatrice est une détermination fondamentale du concept de pratique (ou de praxis), plus spécia- lement quand Marx s’attache à comprendre le travail (Giddens, 1976, p. 111).

Cependant, circonscrire l’action en termes de capacité et de pouvoir entraîne des conséquences immédiates par rapport à cer- tains développements théoriques de la philosophie analytique de l’action.

3. Selon nous, l’œuvre admirable de P. Ricœur constitue un « socle » théorique in- dispensable à toute reformulation du concept de pratique.

Eu égard à cette dernière, Giddens 4 n’admet pas les diffé- rences qui sont souvent introduites entre mouvement et action : réfléchir l’action en la distinguant du mouvement, revient à con- sidérer qu’ils puissent être, dans la vie ordinaire, dissociés l’un de l’autre. En effet, quand des philosophes analytiques de l’action recherchent des critères de distinction, ils commettent, nous semble-t-il, une bévue. Ils décontextualisent les pratiques ordi- naires, ils présupposent que le mouvement qui « supporte » phy- siologiquement l’action, puisse se soustraire à des inférences in- terprétatives. Qu’un « soi agissant » (acting self) observe à coup sûr un mouvement, lorsqu’il est confronté à l’action d’autrui, il est difficile de le nier ; mais il n’observe qu’« involontairement » ce mouvement (dans ses mécanismes physiologiques), un mouve- ment qui est enchâssé dans l’action, qui lui est « incorporé ». Par conséquent, les participants n’opèrent pas (dans la durée d’une interaction liée à des intérêts éminemment pratiques), un décou- page qui opposerait le mouvement à l’action. Les agents ordi-

naires n’ont pas, « clefs en main », deux « langages

d’observation » : l’un, qui saisirait les mouvements au moyen de références exclusivement observationnelles, dépourvues de toute qualité interprétative ; l’autre, qui appréhenderait l’action grâce à des inférences interprétatives. Postuler l’existence, dans la vie de tous les jours, de deux (ou plusieurs) « langages d’observation » pour une même action, conduit à se situer du point de vue d’un observateur ayant le statut d’un spectateur extérieur et l’action, corrélativement, celui d’un spectacle 5

. Ce postulat s’établit, plus largement, en fonction d’une posture qui privilégie, sur un mode objectiviste, la place accordée à l’observateur au détriment de la compétence in situ de l’agent ordinaire. Elle est solidaire d’une

position « de surplomb » qui ne reconnaît pas que

l’« herméneutique » de l’observateur doit s’articuler à la compé- tence des acteurs.

4. Cf. Giddens, 1976, notamment dans le chap. 2, lequel cite à ce sujet Peters, 1958.

5. Notre analyse prend ici pour référence les développement qu’A. Giddens (1976, ch. 2), consacre à la philosophie du langage ordinaire ou philosophie analytique de l’action. Giddens évoque, outre l’ouvrage déjà cité de Peters, celui de Taylor, 1966.

De même qu’on ne saurait définir l’action par opposition au mouvement, on ne saurait, non plus, la caractériser par un conte- nu intentionnel, psychiquement autonome, qui lui serait antécé- dent.

L’action ne présuppose pas une intention, c’est, à l’inverse, l’intention qui présuppose l’action ; mais il ne s’agit nullement, dans ce cas, d’une entité psychique discrète, mais plutôt d’un processus intentionnel ; d’une intentionnalité en acte, qui ac- compagne continûment le flux de l’action, et qui n’acquiert son contenu que dans l’échange réciproque entre partenaires d’interaction. C’est la seule manière, croyons-nous, d’envisager des traits intentionnels de l’action. Elle se sépare, pour cette rai- son aussi, des théories de l’acteur rationnel, où l’action est référée à une finalité consciente. La dimension intentionnelle de l’action est le produit d’une codétermination processuelle et publique, dont le contenu varie en fonction des différences introduites par l’action dans l’interaction sociale. Cette conception recouvre chez Giddens, comme nous le verrons bientôt, le concept de « contrôle réflexif de l’action » 6

.

Que l’action ne soit pas identifiable en termes d’intention, on en a encore la preuve quand on s’attache au caractère non inten- tionnel de beaucoup d’actions. C’est notamment le cas lorsque les conséquences pratiques de l’action sont tout à fait étrangères aux préoccupations premières, de l’agent ou des agents 7

. Mais il

est requis ici de remarquer que les « conséquences non-

intentionnelles de l’action » tiennent aussi à sa dimension pra- tique ; le thème des différences créées et des capacités transfor- matrices engagées par les acteurs nous permet alors d’affirmer cette proposition générale : les pratiques excèdent toujours leurs représentations idéelles et discursives. Si Giddens admet l’existence de conséquences non-intentionnelles de l’action, il considère de même que celle-ci s’exerce à partir de « conditions

6. Sur ces questions, on peut lire les travaux remarquables de L. Quéré, et notam- ment son étude sur l’agir dans l’espace public (1990).

7. A. Giddens note, de ce point de vue, l’intérêt majeur de travaux qui portent sur les « effets pervers », en tant que type particulier de conséquences non intentionnelles. On peut lire ainsi avec profit les belles études que Boudon consacre, dans la perspective qui est la sienne, à cette question – notamment Effets pervers et ordre social (1977).

non reconnues ». La compétence de l’agent est limitée, double- ment restreinte. La théorie du sujet agissant n’est pas celle d’un sujet libre, c’est celle d’un agent compétent qui exerce un pou- voir grâce à la mobilisation de ressources…

Définir l’action par la capacité de créer des différences, d’agir autrement, de modifier le cours des événements en vue d’obtenir des résultats, constitue un énoncé générique pertinent. Mais, maintenu exclusivement en ces termes, il encourt le risque d’être assimilé à une conception « subjectiviste » du pouvoir dans l’action. S’agissant des théories « objectivistes » du pouvoir, elles ont pour défaut essentiel de désigner celui-ci comme le phéno- mène d’une collectivité, ou de le réduire au pouvoir dans l’État, au pouvoir des rapports de production 8

. Mais elles ont, cepen- dant, pour intérêt majeur, comme on le voit avec ces deux der- nières formulations, de relier le concept de pouvoir à celui de domination. Or, lorsque Giddens spécifie le concept de pouvoir, il n’entend nullement le séparer d’une théorie de la domination. Mais pour ce faire, il convient de reformuler celle-ci, car elle demeure dépendante du dualisme structure/pratique. Théoriser le pouvoir dans l’action, c’est alors prendre en compte les moyens d’exercice de ce pouvoir. C’est ce que permet le concept de « ressources » qui reprend, en la modifiant, la grande tradition marxiste d’analyse des « rapports sociaux ». En la modifiant : car Giddens la libère, nous semble-t-il, de l’économisme qui lui est souvent associé. On ne saurait en effet, pour lui, identifier les ressources aux seules relations ou rapports dissymétriques, qui se nouent entre les agents sociaux, autour de l’appropriation/désappropriation des moyens de production.

Les ressources sont des « éléments structurels » ou des « pro- priétés structurelles » des « systèmes sociaux », c’est-à-dire de sys- tèmes de pratiques régularisées.

On peut ainsi opérer une distinction entre des « ressources d’allocation » et des « ressources d’autorité ». Les premières carac- térisent les « ressources matérielles engagées dans la génération du pouvoir » (Giddens, 1987, p. 443) et procèdent « du contrôle

8. Giddens examine cette question dans plusieurs ouvrages, plus particulièrement dans A Contemporary Critique of Historical Materialism (1981).

d’objets matériels ou d’aspects du monde matériel » (Ibid., p. 42). Elles définissent donc des formes de capacité transformatrice, qui assurent le contrôle de ces objets ou aspects du monde matériel. Elles recouvrent non seulement « les caractéristiques matérielles de l’environnement (matières brutes, sources de pouvoir maté- riel) » mais aussi « les moyens de production/reproduction maté- rielle (instruments de production, techniques) » et « les biens produits ». Quant aux ressources d’autorité, elles sont liées à l’« organisation de l’espace temps social », et à la « produc- tion/reproduction du corps (organisation et relations des êtres

humains en association mutuelle) », mais aussi, enfin, « à

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