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Althusser et le matérialisme de la pratique

Dans le document La structuration des pratiques sociales (Page 44-58)

Dans ses ultimes écrits, L. Althusser « réalise un tournant déci- sif de sa pensée » (Negri, 1993, p. 83). Ce tournant s’identifie à ce qu’il nomme lui-même le « matérialisme de la rencontre ». Qu’entend-il par là ? Pour lui, il s’agit, dorénavant, de penser une philosophie pour le marxisme, et non pas une philosophie marxiste, comme naguère il le soutenait. Cette philosophie est celle d’un matérialisme « de l’aléatoire et de la contingence, qui s’oppose comme une toute autre pensée aux différents matéria- lismes recensés, y compris au matérialisme couramment prêté à Marx, à Engels et à Lénine, qui comme tout matérialisme de la tradition rationaliste, est un matérialisme de la nécessité et de la téléologie, c’est-à-dire une forme transformée et déguisée de l’idéalisme. » (Althusser, 1994a, p. 540)

On ne peut que constater, à la lecture de cette citation, com- bien Althusser dissout les termes selon lesquels l’opposition entre l’idéalisme et le matérialisme ont été posés dans le champ des marxismes historiques. En effet, Althusser défend l’idée que le matérialisme aléatoire s’oppose radicalement « aux différents ma- térialismes recensés », c’est-à-dire occupe un espace théorique irréductiblement distinct des matérialismes réellement existants, de celui attribué à Marx, Engels et Lénine eux-mêmes, qu’il ins- crit dans une tradition rationaliste, [et] qui, comme telle, ne peut être que nécéssitariste et orientée vers un telos. Affirmation qui conduit à la proposition abrupte selon laquelle le matérialisme des fondateurs du marxisme, n’est « qu’une forme transformée et déguisée de l’idéalisme. » Qu’une forme de matérialisme puisse se révéler être une forme d’idéalisme ne laisse pas, au premier abord, de surprendre : alors que l’on croit avoir affaire au maté- rialisme on n’y découvre, à notre grand étonnement, qu’idéalisme. Comment rendre compte du raisonnement qui commande cette proposition d’Althusser ?

Dans une lettre datée du 10 juillet 1984 et adressée à F. Na- varro, Althusser reconduit la dénomination de « matérialisme » à la problématique de Platon, où l’on voit s’opposer, de manière principielle, « les amis des Idées » et « les amis de la Terre ». (Al- thusser, 1994b, p. 95). Mais, pour lui, ce qui prime, dans cette opposition, c’est moins les deux termes qui la constituent, que le couple lui-même qui instaure un lien intrinsèque entre ces der- niers. Le couple posé « est donc premier par rapport tant à l’idéalisme qu’au matérialisme, avec cette différence, importante, que l’idéalisme étant le courant, la tendance dominante de toute la philosophie occidentale, on peut dire que le couple idéa- lisme/matérialisme est lui-même fondé dans l’idéalisme domi- nant. » (Ibid.)

Ce qu’observe Althusser, nonobstant le partage de l’idéalisme et du matérialisme en deux camps aux frontières étanches, dont l’affrontement scanderait l’histoire de la philosophie, à partir d’un principe de dominance et de détermination (la matière ou la conscience, l’être ou les idées), c’est que, à chaque fois que l’on invoque le matérialisme, « cette appellation reproduit, comme un miroir et en négatif, l’appellation d’idéalisme ». Se référant à Heidegger, il décrit la relation de complicité qu’entretiennent dès lors entre eux l’idéalisme et le matérialisme comme étant dépen- dante du même « principe de raison », à savoir du principe que « toute chose existante, fût-elle idéelle ou matérielle, est soumise à la question de la raison de son existence »… Qu’il s’agisse de Leibniz, avec la ratio rationis, ou des matérialismes du XVIIIe siècle, ou [encore] d’Engels lui-même, avec le concept de matière, leurs philosophies « tombent sous ce critère idéaliste ». (Ibid.)

Ce qu’Althusser a ici en vue, c’est la conception même de Marx, quand il désigne la matérialisme comme une remise sur ses pieds de l’idéalisme hégélien. Le recours au matérialisme est un signe d’exigence critique et [celui] d’une négation nécessaire de l’idéalisme, mais, demeurant enveloppé dans la relation spéculaire idéalisme/matérialisme, le matérialisme ne parvient pas à se dé- prendre du piège qui le guette inéluctablement : nier l’idéalisme ne peut se résoudre en « envisageant son contraire », en le « ren- versant ». C’est pourquoi, selon Althusser, « la plupart des maté-

rialismes ne sont que des idéalismes renversés, c’est-à-dire encore des idéalismes. » (Ibid., p. 97)

On ne peut ici qu’être frappé par la continuité de la réflexion d’Althusser concernant le caractère non opératoire de la notion de renversement, employée par Marx, pour caractériser la nou- veauté de sa découverte en relation avec l’idéalisme hégélien. Mais Althusser en tire désormais des conséquences qui sont autres que celles qui prévalurent dans ses premiers écrits. Il montre que le matérialisme doit rompre avec la matrice même du principe de raison. Principe qui ne renvoie pas uniquement à la question de l’origine, mais, aussi, à celle de fin. Origine et fin n’existant que dans une relation d’interpellation, elles sont solidaires l’une de l’autre, mieux : elles se présupposent mutuellement. Il s’ensuit que si l’on veut se soustraire à « ce couple infernal », cela a pour condition la réfutation de toute origine ou fin, et de la relation de complicité ontologique sur laquelle elles s’étayent toutes deux. Cette critique dévastatrice du couple spéculaire idéa- lisme/matérialisme, où le matérialisme enfermé à l’intérieur de celui-ci en vient à revêtir, sous une forme travestie, la figure de l’idéalisme ne conduit-elle pas à une aporie ?

S’appuyant sur les idées avancées par P. Macherey, puis par P. Raymond, dans son livre Le passage au matérialisme (1973), Al- thusser va se donner les outils conceptuels capables de dénouer ce qui n’est, qu’en apparence, une aporie. Ce qu’il faut considérer, énonce t-il, c’est que « dans toute grande philosophie il y a des éléments d’idéalisme et de matérialisme, que dans une philoso- phie idéaliste (Platon par exemple) il y a un point de “rebrous- sement” (de retour en arrière) vers le matérialisme et vice-versa. » Analyse qui tranche, insiste t-il, de manière notable, avec les thèses d’Engels et de Lénine, pour qui « les philosophies sont ou idéalistes ou matérialistes ou entre les deux “honteusement” » (Althusser, 1994b, p. 103).

Mais il convient, selon Althusser, de pousser plus loin la réflexion engagée par P. Raymond. Tout d’abord, il est, sans doute, préférable de parler de tendances plutôt que d’éléments, et, d’autre part, la catégorie de « rebroussement » est par trop descriptive, et Althusser propose de lui substituer la catégorie d’empiétement. Raisonner en termes de « rebroussement » a,

certes, le mérite d’incorporer l’idée du mouvement dans l’histoire de la philosophie et à l’intérieur de chaque philosophie, mais elle n’arrive pas à expliquer « pourquoi on trouve dans chaque philo- sophie cette contradiction d’éléments ou de tendances » (Ibid., p. 104).

C’est dans ce cadre qu’Althusser se réapproprie la thématique, chère à Kant, de la philosophie comme Kampfplatz, mais en lui conférant, ici, des connotations gramsciennes explicites, par la convocation du concept politique stratégique de « guerre de po- sition ». Lier la pratique philosophique à la notion de position appartient aux écrits postérieurs à Lire le Capital, où Althusser met au jour que toute philosophie délimite des thèses. Les thèses phi- losophiques sont des positions. Mais toute position ne peut s’assurer qu’en étant une prise de position. Elle prend position, dit-il, dans l’espace philosophique, mais il s’agit aussi d’une « prise de position contre les adversaires ou un adversaire occupe lui aussi des positions historiques » (Ibid.).

Le matérialisme aléatoire est un matérialisme de la contin- gence, de la rencontre. Il s’oppose à toute téléologie : il est a- téléologique. Penser le matérialisme, c’est localiser toute matéria- lité dans l’élément de l’aléatoire et, pour Althusser, annihiler, de manière irréductible, comme nous allons le voir, toute mobilisa- tion des catégories d’origine, de cause, de centre, de raison, de sens, de fin. C’est, en conséquence, ruiner le principe de raison comme substrat théorique de l’idéalisme, c’est, enfin, asseoir sur des bases désormais affermies, l’histoire comme « procès sans Su- jet ni Fin », problématique dont il continue à soutenir la perti- nence. Pour Althusser, occuper la position matérialiste aléatoire, c’est déterminer un processus historique sans Sujet, « que ce soit Dieu ou le prolétariat », précise t-il, c’est le déterminer comme un processus « sans fin assignable » (Ibid., p. 40).

C’est, conformément à sa ligne stratégique d’appréhension des tendances matérialistes en toute philosophie, qu’il opère un re- tour, ou un détour, en direction des matérialistes de l’antiquité. Tout se passe comme si, pour se débarrasser de la figure téléolo- gique de l’idéalisme hégélien, il se devait de parcourir un chemin inverse à celui de Marx : il ne s’agit plus, comme chez Marx, de passer de Democrite à Hegel, via Feuerbach, pour, par la suite

remettre la philosophie hégélienne sur ses pieds. Après avoir re- connu grâce, notamment, aux travaux de J. Bidet 1

, que la rup- ture de Marx avec Hegel n’avait jamais été que tendancielle, il s’agit, maintenant, de revenir au point de départ marxiste : celui qui se cristallise dans « la ligne de Democrite ».

Pour le dernier Althusser, ce sont les atomistes matérialistes de l’Antiquité, Democrite, mais surtout Épicure, avec sa théorie du clinamen, qui ouvrent l’espace du matérialisme aléatoire, qui, his- toriquement, dit-il, fut retourné en idéalisme de la liberté. « In- voquer “les mondes d’Épicure”, c’est rappeler sa thèse princi- pale : avant la formation du monde, une infinité d’atomes tombent dans le vide, parallèlement. Les implications de cette affirmation sont fortes : 1) avant qu’il n’y eût monde, il n’existait absolument rien de formé et, en même temps, 2) tous les éléments du monde existeraient déjà isolément de toute éternité, avant qu’un monde ne fut. » (Althusser, 1994b, p. 40)

On voit ici de quelle manière Épicure annule toute idée de recommencement, de cause, d’origine, de fin. Les atomes exis- tent de toute éternité, aucune fin ne prédétermine le mouvement qui les affectent. Et c’est là que « survient le clinamen : une décli- naison infinitésimale qui a lieu on ne sait où, ni quand, ni com- ment. L’important est que le clinamen provoque la déviation d’un atome au cours de sa chute dans le vide et provoque une rencontre avec l’atome voisin… et de rencontre en rencontre – chaque fois et partout où elles sont durables et non pas fugitives – naît un monde. » (Ibid.)

Ce qu’il faut retenir, ici, comme va le préciser Althusser en réponse à une question de F. Navarro, c’est la conception qu’il confère à l’idée de déviation aléatoire : elle atteste que ce qui est à l’origine du monde, ce n’est ni la raison ni la cause première. Puis il affirme, de manière elliptique : c’est une fois le monde constitué que s’instaure le règne de la raison, de la nécessité, du sens » (Ibid., p. 41). Formulation pour le moins équivoque : re- présente-t-elle le point de vue d’Épicure ? Ou s’agit-il d’un énoncé propre à L. Althusser lui même ? Dans les deux cas, ils ne

1. En particulier Que faire du Capital ? (1985). Cette idée m’a été suggérée par Sta- this Kouvélakis que je remercie.

peuvent que contredire la critique du principe de raison comme philosophème commun à l’idéalisme et aux matérialismes réelle- ment existants.

Quelle fonction Althusser attribue-t-il au clinamen ? La ré- ponse apparaît ici particulièrement nette : il s’agit de reconnaître dans la déviation introduite par le clinamen « l’existence de la li- berté humaine dans le monde de la nécessité » (Ibid., p. 42). Au- trement dit, Althusser s’efforce, par ce recours à Épicure, tel que Lucrèce en a rendu compte, de se soustraire au matérialisme de la nécessité, et au déterminisme mécaniste qu’il présuppose. Mais, ce faisant, il assimile l’aléatoire à la catégorie de liberté, une liber- té logée à l’intérieur de la nécessité. Au vrai, il retombe dans l’antinomie traditionnelle et idéaliste de la nécessité et de la liber- té, alors que, selon nous, il s’agirait de s’extraire de cet espace catégoriel pour penser une autonomie des agents sociaux, qui, indice de l’historicité des pratiques sociales, échapperait à un cau- salisme et à un nécessitarisme pris dans les rêts d’une vision no- mologique et monologique du monde social.

Cette position d’Althusser est d’autant plus troublante qu’il va récuser la notion de loi, au sens de loi nomologique, pour la remplacer par « l’expression géniale », selon ses propres mots, que l’on trouve chez Marx : « la loi tendancielle » (Ibid., p. 45). On ne peut manquer, ici, de s’interroger sur les tensions non résolues qui traversent les réflexions d’Althusser. Ne peut-on pas dire que ces tensions, dans leur irrésolution, sont liées aux limites des « matières brutes théoriques » sur lesquelles il focalise son atten- tion ? Althusser n’est-il pas ici la victime paradoxale du provin- cialisme théorique, dont il mettait en lumière, dans l’introduction de Pour Marx, les effets ravageurs dans la philosophie marxiste française de l’après-guerre ?

On ne peut, en effet, passer sous silence les travaux, qui, tout particulièrement en Grande Bretagne, avec notamment A. Gid- dens (1976, 1979 & 1987) et R. Bhaskar (1978, 1986 & 1993), sont amenés, à partir de la deuxième moitié des années 1970, à affronter des questions d’une « étrange proximité », celles qui ont trait à l’autonomie – et non pas à la liberté – des agents sociaux au sein des pratiques sociales régularisées. Giddens et Bhaskar tentent d’apporter des réponses positives à ces questions. Il s’agit

de contester le dualisme sujet/objet, structure/pratique, et d’avancer l’idée de structuration des pratiques (Giddens) ou du modèle transformationnel de l’activité sociale (Bhaskar). Théma- tiques qui, tout en ne niant pas les régularités qui s’attachent aux pratiques, s’efforcent de décrire les éléments d’une autonomie des agents sociaux, sous le double registre de la compétence (knowledgeability), et, surtout, des capacités transformatrices : ce qu’ils désignent sous le concept de pouvoir, comme trait inhérent à tout individu social. Althusser ignore manifestement l’existence de ces travaux, comme il ne prend pas en compte ceux auxquels il pouvait avoir directement accès, car traduits en français : nous voulons parler ici des recherches de Bakhtine (1977) qui formu- lent, dans une perspective authentiquement marxiste, les termes de l’autonomie sociale des agents au sein des interactions et ac- tions sociales.

Il convient de souligner, aussi, que le thème de la déviation aléatoire ne peut être séparé de la relecture faite par Althusser de Machiavel. Une relecture, qui, comme l’a bien mis en lumière T. Negri, s’éloigne considérablement de la lecture de Gramsci. T. Negri dans, « Pour Althusser », met en évidence la manière dont Althusser travaille la pensée de Machiavel : « cela signifie désor- mais s’occuper de la puissance du corps, des corps, de la multi- tude, plus que du pouvoir et du “politique”. Le “pouvoir” et le “politique” apparaissent comme privés de toutes déterminations qui ne soient pas celles de la violence, et, par conséquent, comme l’opposé d’une puissance qui réside dans le peuple, dans le social, dans les articulations microphysiques des corps et des résistances ». On voit donc s’opposer, ici, deux catégories qui désignent des réalités contradictoires : celles de la puissance et du pouvoir, qui est identifié à l’État et à ses appareils idéologiques. Cette invocation de la puissance se fonde sur une conception du corps, où corpus et mens sont définis dans une relation interne, sinon, comme le dit T. Negri, comme « une seule et même chose » (1993, p. 79).

C’est donc à la théorie du corps chez Spinoza qu’Althusser fait appel, et qu’il conjoint à l’approche de Machiavel, comme pen- sée de l’aléatoire en toute conjoncture. Pour lui, de façon toute spinozienne, prendre en compte le corps, c’est se donner comme

profil ontologique la résistance des corps, car, en effet, pour Spi- noza, le corps ne fait qu’un avec la rébellion. Aussi, c’est à partir de cette nouvelle visée philosophique qu’il envisage ce qu’il nomme des « marges », des « interstices » à l’intérieur de la société capitaliste (Althusser, 1994b, p. 42), c’est-à-dire là où les corps résistent à la subsomption capitaliste du social.

Althusser s’interroge, aussi, sur ce qu’est un événement en his- toire, interrogation cohérente avec les thèses qu’il énonce sur le matérialisme aléatoire, car si l’on met au centre de la réflexion le concept d’aléa, on ne peut que tourner son regard du côté de l’événement, en tant qu’il est difficile de le penser dans le cadre d’une approche nécessitariste. Pour autant, cette prise en consi- dération n’est pas neuve chez lui, elle est présente dès Pour Marx et Lire le Capital puisqu’il introduit, en partie, le concept de sur- détermination pour décrire la production des événements. Dans Lire le Capital, l’événement est caractérisé comme ce qui fait rup- ture en histoire, et il est notamment associé à la rupture révolu- tionnaire.

Ici, dans son entretien avec F. Navarro, l’événement va être défini à partir de la distinction entre « deux types d’histoires, deux histoires : d’abord, l’histoire des historiens, ethnologues, sociologues et anthropologues classiques qui peuvent parler de “lois” de l’Histoire parce qu’ils ne considèrent que le fait accom- pli de l’histoire passée. Elle se présente alors comme un objet totalement fixé, dont on peut étudier toutes les déterminations comme celles d’un objet physique, un objet mort, parce que pas- sé ». Et Althusser de poursuivre en dénonçant, de manière radi- cale, cette histoire « pétrifiée » qui recourt à « des statistiques dé- terminantes et déterministes » (Althusser, 1994b, p. 45), et qui constitue « la source de l’idéologie spontanée des historiens, des sociologues vulgaires, sans parler des économistes ». La charge, comme on le remarque, est pour le moins vive, sévère.

À ce type d’histoire, Althusser oppose « la Geschichte qui dé- signe non pas l’histoire accomplie mais l’histoire au présent, sans doute déterminée en grande partie, car l’histoire présente, vi- vante, est aussi ouverte sur un futur incertain, imprévu, non en- core accompli et par conséquent aléatoire. L’histoire vivante n’obéit qu’à une constante (pas à une loi) : la constante de la lutte

des classes. Marx n’a pas employé le terme de “constante” que j’emprunte à Lévi-Strauss, mais une expression géniale : “loi ten- dancielle”, capable d’infléchir (pas de contredire) la première loi tendancielle, ce qui signifie qu’une tendance ne possède pas la forme ou la figure d’une loi linéaire, mais qu’elle peut bifurquer sous l’effet d’une rencontre avec une autre tendance et ainsi jusqu’à l’infini. À chaque intersection, la tendance peut prendre une voie imprévisible, parce qu’aléatoire ». (Ibid.)

Réflexion qui va se conclure, toujours en réponse à une ques- tion de F. Navarro sur « l’histoire présente » comme étant « tou- jours celle d’une conjoncture singulière, aléatoire », par une cla- rification de la part de Louis Althusser du concept de conjoncture : « conjoncture signifie conjonction, c’est-à-dire rencontre aléatoire d’éléments, en partie existants mais aussi im- prévisibles ». Faisant référence ensuite à Popper, qui, selon lui, « n’a jamais rien compris à l’histoire du marxisme, ni à celle de la psychanalyse », il complète son propos en précisant que l’histoire vivante, en fonction des objets qui sont ceux du marxisme et de la psychanalyse, est une histoire qui « se fait et jaillit des ten- dances aléatoires et de l’inconscient ». Il s’agit d’une histoire « dont les formes sont étrangères au déterminisme des lois phy- siques ». Seul, en conséquence, le matérialisme aléatoire est « re- quis pour penser l’ouverture vers l’événement, l’imagination inouïe et aussi toute pratique vivante, y compris la politique » (Ibid.).

Citer largement ces passages, fragmentaires et denses à la fois, de Sur la philosophie nous a semblé indispensable à l’intelligibilité et à l’examen des thèses du « dernier Althusser ». Car ce à quoi l’on assiste là, et poussé jusqu’au bout, c’est, vraisemblablement,

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