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Les objectifs de la boucherie étaient de récupérer la viande, qui a été consommée dans le cadre du PCR, la peau pour la traiter, et les tendons pour faire des ligatures servant à l’emmanchement ou la « couture » de sacs. Dans de plus rares cas, les os ont été raclés pour retirer le périoste, fracturés pour récupérer la moelle, puis utilisés pour en faire des retouchoirs ou servir au travail des matières dures animales.

Des outils de morphologie et taille variées, rarement emmanchés, ont été utilisés : éclats bruts de petit ou grand module, racloirs de type Quina sur support épais, racloirs fins à retouches écailleuses rasantes, denticulés, et nombreux bifaces. Des animaux de petite taille (poulet, blaireau et fouine), de moyenne taille (mouton, sanglier et chèvre) et de grande taille (cheval et bœuf) ont été traités, les expérimentations sur les animaux de grande taille étant nécessaires car des restes de grands bovidés et de chevaux ont été retrouvés dans la série de Chez-Pinaud à Jonzac. Ces derniers n’ont pas fait l’objet d’un traitement

complet de la carcasse : j’ai travaillé sur quatre avants complets de bœuf (côtes et membres antérieurs), des extrémités de pattes de boeuf et un quart avant entier de cheval. Pour les autres animaux, dans la majorité des cas, l’animal a été traité en entier. Toutes les étapes de la chaîne opératoire de boucherie ont donc été réalisées au moins une fois.

Afin d’acquérir une expérience pratique et technique indispensable à la réalisation de cette activité, la première expérience de boucherie, sur un sanglier de 80 kg, a impliqué un éleveur et boucher expérimenté (découpant environ 120 sangliers par an avec des outils modernes), qui a lui-même utilisé des outils en silex et nous a guidé dans la découpe. Nous avons par la suite conservé pour les autres animaux de taille moyenne le même enchaînement des gestes techniques, que nous exposons ci-dessous. En effet, cette approche était nécessaire dans la mesure où nous disposons de peu de références ethnographiques (Hayden 1977, Beyries 1993a) et expérimentales (Poplin 1972, Frison 1979, Jones 1980, Helmer et Courtin 1991, Bez 1995, Mitchell 1995, Vallet 1997) décrivant le déroulement des étapes de boucherie, et que celles-ci montrent une certaine variabilité des méthodes, qui de plus sont difficilement applicables d’un seul point de vue théorique.

Les carcasses ont été soit suspendues par les tendons des pattes arrière pour les premières étapes de la chaîne opératoire, soit disposées à terre, protégées par une bâche dans le cas de la consommation de la viande. Enfin, toutes les expérimentations ont été réalisées sur des animaux crus, sauf une, au cours de laquelle j’ai décarnisé un poulet cuit.

Figure 72. Différentes opérations de la boucherie expérimentale d’un mouton, réalisées avec des bifaces à bords convergents. b., c. et d. PCR « Des Traces et des

ƒ L’éviscération

Tout d’abord, une incision longitudinale est délicatement pratiquée sur l’abdomen de l’animal en évitant de percer la membrane contenant les viscères. Puis la peau est décollée et écartée sur les côtés pour éviter d’être souillée par cette opération. La fine membrane est alors coupée, et dans le cas où l’animal est suspendu par les pattes arrière, la quasi-totalité du volume des viscères tombent au sol. Seuls les poumons, le cœur, la rate, le foie, l’extrémité de l’intestin, la vessie et les organes génitaux, encore accrochés, nécessitent d’être retirés en utilisant un outil coupant pendant une durée brève.

Cette étape nécessite l’intervention de peu d’outils, et le seul moment pouvant être délicat est la coupe de la peau de l’animal, assez résistante sur certains animaux de moyenne taille comme le sanglier, et on l’imagine, encore plus sur les animaux de grande taille, la terre et la poussière contenue dans les poils pouvant contribuer à la rendre plus dure. Cette opération nécessite donc à la fois un tranchant très coupant, d’angle fermé et qui puisse être tenu avec force (zone préhensive confortable, gaine ou manche). Un bord brut peut convenir, à condition qui soit très acéré et donc qu’il n’ait pas servi auparavant. Des outils à retouches rasantes, comme certains racloirs et les bifaces ou des denticulés ont plus de mordant et permettent de mieux accrocher la peau. Une zone active pointue (biface, racloir convergent) peut permettre au départ de perforer la peau et de faciliter la suite du travail.

ƒ Le dépouillage ou écorchage

Après incision de la peau au niveau des pattes arrière, celle-ci est tirée à la main, ce qui la décolle légèrement de la couche de gras sous-cutanée ou du muscle (Figure 72 a.). Le tranchant d’un outil en silex est alors utilisé pour couper tangentiellement à la peau les tissus tendus la retenant à la carcasse, en prenant soin de laisser le moins de matières grasses et carnées sur la fleur et de ne pas la trouer. Cette dernière contrainte, importante pour disposer d’une peau de bonne qualité, exige une morphologie de tranchant régulière, brut ou retouché, et plutôt convexe en plan. En effet, nous avons constaté que l’utilisation d’une zone active pointue comme la pointe d’un biface pouvait créer des accidents malgré la connaissance du problème et l’attention portée à l’éviter. Par contre, un tranchant très acéré n’est pas forcément nécessaire car les tissus sont tendres et sont tendus, ce qui facilite leur découpe.

ƒ La désarticulation de la tête

À la fin du dépouillage, la peau est coupée au dessus de la tête et celle-ci est séparée du reste du corps. La désarticulation se fait en force entre deux vertèbres cervicales, l’outil doit pouvoir pénétrer entre les vertèbres et donc être fin et assez grand. De plus, la coupe du tendon, qui est une matière très élastique et assez difficile à couper, nécessite un outil acéré.

ƒ La désarticulation des membres antérieurs

Les pattes avant sont séparées du corps au niveau de l’épaule, en désarticulant la scapula de la clavicule. Cette opération se fait facilement sur les animaux de moyenne taille, l’articulation étant assez labile, et n’est pas très exigeante sur la morphologie des outils à utiliser, tant que les tranchants présentent un angle fermé. Pour le cheval, les contraintes sont toutes autres, car si l’articulation est certes labile, encore faut-il parvenir jusqu’à celle-ci. En effet, la masse musculaire l’entourant est très développée (d’une épaisseur de plusieurs dizaines de centimètres), et cette opération nécessite des outils de grande taille, aux tranchants longs, fins et munis d’une zone préhensive confortable permettant d’exercer une certaine force.

ƒ Le traitement du tronc

Les deux filets dorsaux situés le long de la colonne vertébrale (correspondant à la longe chez le porc) sont retirés sur toute la longueur. La viande y est assez épaisse, il s’agit donc de couper profondément le long des vertèbres le muscle, puis de décoller celui-ci des côtes. Nous avons trouvé que pour cette opération un tranchant long était indispensable à une découpe propre et régulière, d’autant plus s’il était associé à une pointe, comme c’est le cas sur certains bifaces que nous avons utilisé.

Les filets situés au niveau de la colonne vertébrale mais à l’intérieur cette fois-ci de la cage thoracique (« filets mignons ») sont retirés dans le même temps. En effet, dans la boucherie moderne, ces derniers sont associés aux côtes, constituant une grande partie de la viande sur ces morceaux. Mais une telle découpe exige de trancher les vertèbres et les côtes, ce qui ne nous est pas permis avec des outils en silex. Le traitement des côtes a été différent selon la taille de l’animal. Pour les animaux de taille moyenne, des incisions entre chaque côte le long de celles-ci, en partant de la partie sternale et allant vers les vertèbres,

ont été effectuées. Les côtes ont ensuite été détachées des vertèbres par cassure en flexion, en les tirant à l’extérieur de la cage thoracique. Chaque côte retirée porte donc des fragments de muscles recouvrant la cage thoracique (« poitrine »). Cette étape nécessite un outil fin permettant de passer entre les côtes. Les vraies côtes, fixées sur le sternum, doivent en premier lieu être séparées de celui-ci. Nous avons testé le sciage du cartilage reliant les côtes et le sternum, et la percussion lancée directe avec des bifaces sur le sternum pour le trancher en deux (Figure 72 d.). Si ces deux solutions nous ont permis de détacher les côtes, elles se sont avérées insatisfaisantes car la première méthode est très longue, surtout vis-à-vis du peu de viande récupérée, et la deuxième produit énormément d’esquilles d’os, de cartilage et de silex, qui souillent donc la viande. Nous avons par la suite laissé la cage thoracique entière, et prélevé la viande qui la recouvrait en un seul morceau par côté, puis celle située entre les côtes, cette opération étant beaucoup moins coûteuse en temps et en outils, et la viande étant par ailleurs beaucoup moins fragmentée.

La question ne s’est pas posée pour le traitement de la cage thoracique du cheval et du bœuf, car il n’était pas possible de casser l’extrémité vertébrale des côtes par simple flexion ! Nous avons donc opéré de la même manière que précédemment, en retirant des grands morceaux de muscles abdominaux sur les côtes et entre les côtes sans les désarticuler.

Les lambeaux de viande restant attachés sur la colonne vertébrale, en particulier au niveau du collet ont parfois été récupérés. Pour cela, de petits éclats bruts à tranchant fin suffisent.

ƒ La désarticulation des membres postérieurs

Tout comme les membres antérieurs, les pattes arrière sont détachées de la carcasse, en désarticulant la tête fémorale de l’acétabulum du bassin. Le tendon y est particulièrement profond et résistant, ce qui nécessite l’utilisation d’un outil acéré et qui puisse pénétrer dans la cavité de l’articulation, par exemple un support fin portant une zone active pointue.

ƒ Le traitement des membres détachés

Ayant rarement conservé les membres entiers, l’expérimentation s’est poursuivie par la désarticulation des différentes parties composant les membres (Figure 72 c.), la décarnisation (Figure 72 b.) et la découpe de la viande en filets.

Le traitement des membres antérieurs de cheval et de bœuf a révélé l’utilité de tranchants de grande taille, retouchés et dont la morphologie facilite la pénétration dans la masse musculaire, notamment présentant une zone active pointue. Les bifaces à bords latéraux convergents se sont en ce sens révélés très efficaces. Avec des éclats bruts de taille moyenne (environ cinq centimètres), le travail est certes réalisable, mais beaucoup plus fatiguant, car les tranchants, lisses, glissent sur les tendons et sur l’enveloppe des muscles (aponévrose, particulièrement épaisse sur certains muscles du cheval) : il est donc nécessaire de forcer davantage (d’où des risques de coupure si une zone préhensive n’est pas aménagée). L’efficacité supérieure du biface est une évidence quand l’on passe d’éclats bruts ou retouchés de taille moyenne utilisés pendant une ou deux heures à cet outil.

L’emmanchement de pièces lithiques a rarement été testé : la pénétration dans la viande exige un manche « profilé » qui ne doit pas bloquer la progression dans la chair, et les ligatures doivent être proscrites car l’humidité de la viande les rendrait lâches. Un biface, dont la partie latéro-proximale a été collée dans un manche creusé avec un adhésif composé de résine de pin, cire d’abeille et ocre, a été utilisé pour décarniser et désarticuler une patte avant de bœuf : le manche n’a aucunement gêné la pénétration et la découpe, et a au contraire permis de tenir l’outil composite des deux mains quand une force importante était nécessaire.

Les désarticulations ont parfois été réalisées en force, par percussion lancée directe, avec des outils assez lourds. La décarnisation a été réalisée par des actions longitudinales de coupe, sauf dans le cas de bifaces à tranchant transversal similaires aux bifaces des sites de la déviation de Bergerac. En effet, les bords distaux des bifaces archéologiques présentent après examen des esquillements interprétés comme étant liés à une action de percussion avec des matières moyennement dures. Nous avons donc réalisé des expérimentations comparatives afin de déterminer si ces traces étaient liées à une activité de boucherie ou au travail du bois végétal. Les tranchants transversaux, d’angle fermé, ont donc servi à trancher la viande pour décarniser et à désarticuler en force deux membres antérieurs de bœuf. Sceptique au départ, j’ai finalement constaté que cette technique pouvait être effectivement utilisée pour décarniser : la percussion permet de séparer les muscles en percutant au niveau de l’enveloppe les séparant mais aussi de trancher un muscle en deux. D’autre part, la percussion avec de tels tranchants, sur des tendons épais (plus d’un centimètre de diamètre), les rompt en un ou deux coups, il s’agit donc d’un

outil particulièrement efficace pour désarticuler. Néanmoins, je n’ai pas décarnisé l’ensemble des membres uniquement en utilisant la percussion, les tranchants latéraux s’étant révélés utiles pour couper des muscles ou tendons dans des zones délicates ou lorsque les muscles et tendons n’étaient pas tendus. En effet, lorsque ces derniers étaient détachés d’un ou des deux côtés, il devenait impossible de les trancher par percussion. Les actions de coupe, bien que possibles, sont également moins efficaces sur des tissus détendus.

Par contre, nous avons constaté que l’utilisation de ces tranchants distaux en percussion n’était réellement efficace que lors des premières minutes (15 à 20 minutes), le tranchant semblant s’user rapidement, tandis que les bifaces convergents utilisés en coupe ont une durée de vie plus élevée : ils deviennent moins efficaces après environ une heure trente d’utilisation en décarnisation et désarticulation, stade auquel le tranchant à tendance à glisser sur la viande et où la force appliquée doit être nettement supérieure à celle nécessaire au départ.

ƒ Le raclage du périoste et des restes de viande

Des actions transversales ont été effectuées pour racler des restes de viande et le périoste sur les os longs. Des outils bruts et retouchés ont été utilisés, les angles de coupant et la longueur du tranchant pouvant être variables. Nous avons constaté que des zones actives rectilignes ou concaves en plan et parfaitement régulières (non sinueuses) en profil offraient plus de contacts avec l’os, de surface convexe, et étaient par conséquent plus adaptées à ce travail. Le raclage du périoste, attesté en ethnologie (Binford 1981), n’est pas indispensable pour fracturer les os afin d’en récupérer la moelle, mais facilite la libération des fragments d’os, donc de la moelle (Lemorini 2000).

ƒ La fracturation des os longs

Des os longs de bœuf (tibia et fémur) décongelés ont été fracturés par percussion lancée directe sur enclume. Un racloir épais et de grande taille a été testé, il s’est révélé inefficace car son tranchant était trop fragile : de grandes esquilles se sont produites, alors que l’os s’écrasait sans se casser.

Finalement, les supports qui ont permis de fragmenter les os sont des nucléus volumineux. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs été utilisés dans le cadre d’une expérimentation comparative : un nucléus de Chez-Pinaud présentait des traces d’impact intenses dans une zone en creux et nous voulions savoir si ces traces pouvaient se produire lors de fracturation des os, ce qui n’a pas été vérifié.