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II. É TAT DES CONNAISSANCES SUR LE STATUT FONCTIONNEL DES PIECES BIFACIALES Depuis le début des recherches en archéologie préhistorique, si de nombreuses études ont été consacrées Depuis le début des recherches en archéologie préhistorique, si de nombreuses études ont été consacrées

4. Des outils polyfonctionnels ?

Le terme anglophone handaxe (ou handax ou hand-axe), choisi pour désigner les bifaces acheuléens, traduction du « coup-de-poing » (de Mortillet 1883), évoque l’utilisation de cette pièce comme une hache tenue à la main. Depuis le choix de ces termes, au XIXème siècle, qu’a-t-on appris sur les modes de fonctionnement des bifaces ?

4. 1. Des outils à tout faire : un vieux paradigme

Dès les premières découvertes de bifaces acheuléens, la question de leurs modes de fonctionnement s’est posée, et l’idée assez universelle qui s’est dégagée de leur forme, associant deux bords coupants, une pointe opposée à une base non coupante, une taille et un poids assez importants, est celle qu’ils pouvaient servir, tenus à la main, à un grand nombre d’activités, ce qui en faisait des outils polyfonctionnels. Lubbock (1862, cité par Mitchell 1998) proposait des utilisations variées, y compris en guise d’armes : « Almost as well might we ask to what would they not be applied…with these weapons, rude as they seem

to us, he (the primitive savage) may have cut down trees, scooped them out into canoes, grubbed up roots, killed animals and enemies, cut up his food, made holes in winter through ice, prepared fire wood, built huts, and in some cases at least, they may hace served as sling-stones.”

Macalister (1921, p. 232-233) soulignait aussi le caractère polyfonctionnel des bifaces : « Rather is it a tool combining within itself the functions of axe, scraper, borer, knife and saw », tout comme Clark (1959), Posnansky (1959), ou Bordaz (1970, p. 21) : “Exactky how they were used ? ... most of them appear to have been all-purpose handheld tools for scraping, cutting and chopping”.

À cette époque, plusieurs chercheurs étaient pourtant en désaccord avec cette idée, comme David (1959) ou Cole et Kleindienst (1974). Le premier, réagissant à l’avis de Posnansky (1959), insistait sur la grande variabilité morphologique entre les bifaces, qui empêchait toute généralisation sur leur fonction : « It is surely ludicrous to assume anything approaching functional identity between a Middle Acheulian S-twist ovate and an Abbevillian specimen ». Les seconds étaient au contraire d’avis que les bifaces étaient trop définis morphologiquement pour être multifonctionnels.

De la même manière, l’emmanchement des bifaces a été supposé par plusieurs auteurs, comme Raw (1884, cité par Kleindienst et Keller 1976), Sankalia (1964), ou Washburn et Lancaster (1968). Bordes (1961) avait même proposé un possible emmanchement des bifaces triangulaires à base tranchante, à la manière d’une hache, cette configuration pouvant être responsable de cassures parfois observées sur les bifaces archéologiques, situées aux deux tiers de leur longueur.

Malgré ces quelques avis divergents sur le fonctionnement et la préhension des bifaces, le modèle du biface polyfonctionnel tenu à la main a été longuement conservé et constitue encore aujourd’hui un paradigme : mais a-t-on suffisamment d’éléments pour affirmer ce statut ? Constate-t-on des différences dans les modes de fonctionnement identifiés ou proposés pour les bifaces selon la période chronologique, la région, la morphologie / réduction des pièces ou encore le statut des sites ?

Par ailleurs, l’ensemble des outils au Paléolithique moyen sont considérés comme non spécialisés : « D’une manière générale, et à quelques expressions près, les outils sont polyfonctionnels, sortes d’outils à tout faire » (Jaubert 1999b, p. 56). Mais ce statut polyfonctionel des outils est hérité des résultats des études tracéologiques ayant montré l’absence d’adéquation entre les types d’outils et leurs fonctionnements (Anderson-Gerfaud 1981, Beyries 1987a). Or, les types peuvent recouvrir des morphologies différentes, donc des potentiels fonctionnels différents, y compris les bifaces. Ainsi, l’idée d’outils polyfonctionnels est au moins en partie liée à une incompréhension de la part des préhistoriens qui n’ont pas, jusqu’à présent, raisonné sur des groupes d’outils cohérents. C’est ce qu’exprime Soriano (2000, p. 122) : « l’analyse fonctionnelle a réussi à émerger et à éviter les principaux écueils sans toutefois éclairer de façon déterminante les conceptions sous-jacentes à l’outillage moustérien. Tant que les identifications de fonctionnement seront rapportées à des classes typologiques d’outils, il sera impossible d’y percevoir la cohérence techno-fonctionnelle de ces objets. »

Plusieurs sources et méthodes ont été utilisées pour connaître les modes de fonctionnement des bifaces : expérimentales, techno-fonctionnelles, tracéologiques4… La nature des sites, en particulier la faune associée, ainsi que la répartition et la disposition des bifaces dans l’espace fouillé ont aussi été pris en compte dans cette requête.

4. 2. L’association avec la nature du site

L’association de carcasses de grands animaux avec des bifaces acheuléens ou au contraire de simples éclats a été utilisée pour discuter de la possibilité que les bifaces aient pu servir pour la boucherie de la grande faune.

Ainsi, Clark et Haynes (1970), dans une synthèse sur les sites acheuléens de boucherie d’Afrique de l’Est, ont souligné le fait que les bifaces et hachereaux étaient rares ou absents sur les sites de boucherie seule, et plus fréquents voire très fréquents sur les sites où diverses activités, en plus de la boucherie (site d’habitat), avaient été pratiquées. Selon eux, la boucherie était donc effectuée avec des éclats bruts et des

4 Les sources ethnographiques n’ont été pas été utilisées, car les peuples actuels utilisant des bifaces ou des formes similaires sont très rares (Schick et Toth 1993).

outils légers, et les bifaces et hachereaux intervenaient seulement de manière complémentaire, et n’étaient donc pas les outils de prédilection pour cette activité. Cependant, l’on sait actuellement que les bifaces sont des pièces mobiles, et qu’elles ont pu être utilisées sur place pour découper les animaux puis être exportées, l’absence de bifaces sur ces sites ne peut donc pas être utilisée pour discuter de leur mode de fonctionnement. Jones (1980) soulignait déjà ce problème : « what we find at these sites is not necessarily what was actually used for the majority of the work », et proposait que les éclats présents sur les sites pouvaient être liés au ravivage des bifaces qui ont été emportés.

D’un autre côté, l’association des bifaces acheuléens avec des carcasses de grands animaux, portant parfois des stries de découpe, est effective sur d’autres sites, suggérant, cette fois, mais sans aucune certitude, leur utilisation comme couteaux de boucherie, par exemple à Aridos et Torralba en Espagne (Shipman et Rose 1983, Villa 1990), Boxgrove en Angleterre (Roberts et Parfitt 1999), et sur plusieurs sites du Middle Awash en Éthiopie (Bouri et Dawaitoli Formation, Schick et Clarck 2003).

L’association des bifaces, ou non, avec des restes de grande faune nous donne donc peu de renseignements sur la manière dont ils ont été utilisés, car ces pièces sont mobiles, mais une utilisation privilégiée pour la boucherie reste tout-à-fait envisageable, contrairement à l’idée développée par Clarck et Haynes (1970). Nous verrons justement plus tard que les bifaces se révèlent particulièrement efficaces pour la découpe des animaux et qu’un nombre assez conséquent de bifaces acheuléens portent des traces d’utilisation liées à cette activité.

4. 3. La répartition spatiale et position des bifaces

La première information spatiale sur les bifaces à notre disposition concerne le fait que sur plusieurs sites ils aient été retrouvés groupés par deux ou plus. C’est par exemple le cas à :

- Orgnac 3 (Ardèche, Acheuléen final, Moncel et Combier 1987), où les choppers et bifaces sont situés côte à côte, par deux ou plus,

- Kervouster (Finistère, Moustérien à pièces bifaciales dominantes, Monnier 1988), où deux couches comprennent deux bifaces groupés,

- Villeneuve-l’Archevêque La Prieurée, niveau A (Yonne, Charentien à tradition micoquienne, Locht et al. 1994), où quatre bifaces ont tous été retrouvés dans un seul m2 et sans aucun artefact alentours

- Chez-Pinaud / Jonzac (Charente-Maritime, MTA, Soressi et al. 2007), où trois bifaces ont été retrouvés à quelques centimètres,

- La Grotte XVI et Pech de l’Azé 1 (Dordogne, MTA), sites sur lesquels, d’après les auteurs précédents, des concentrations de bifaces et éclats de taille sont présentes.

Ces informations sont souvent données de manière anecdotique dans la littérature, et malgré la présence de phénomènes taphonomiques ayant parfois perturbé les dépôts, notamment à Jonzac, leur répétition sur plusieurs sites, en particulier moustériens, nous a suggéré qu’il était possible que ces pièces aient été volontairement associées. Cependant, l’interprétation de ces concentrations est bien délicate : s’agit-il de zones de stockage, d’aires spécialement dédiées à l’utilisation pour les bifaces … ?

La deuxième information concerne la position de certains bifaces à la fouille sur des sites acheuléens d’Afrique de l’Est (Howell 1961, Kleindienst et Keller 1976 : Isimila, occupation area H9 et J6/J7-L ; Olorgesailie ; et Kalambo Falls, Montagu Cave) et le site d’Orgnac 3 en Ardèche (Moncel et Combier 1987). Des bifaces et hachereaux ont été retrouvés en position verticale dans le sol, souvent avec un bord latéral exposé, plus rarement leur base. Selon Kleindienst et Keller (1976), cette position ne pourrait ni être liée à des processus post-dépositionnels, ni au hasard. Ils y voient plutôt une signification fonctionnelle : des outils passifs, insérés dans le sol ou tenus par les pieds, auraient pu servir à scier du bois dur ou de l’os en utilisant les deux mains libres pour tenir la matière à transformer. Par ailleurs, Hayden (1977) a documenté l’utilisation d’objets « pivots », fichés dans le sol et utilisés par les Aborigènes pour redresser leurs épieux. Ce dernier pense que les bifaces d’Isimila ont pu également avoir ce rôle : « On the basis of the above observation, I would argue that there is a strong probability that the vertically oriented handaxes were used as fulcrums for straightening spears » (p. 187).

Cependant, peu d’informations sont disponibles sur la morphologie exacte des bifaces et des bords censés avoir été utilisés. Aucune expérimentation n’a par la suite pu vérifier que les activités proposées étaient efficaces ou simplement réalisables dans cette configuration. Les analyses tracéologiques, certes rares,

n’ont pas non plus mentionné ce type de maintien. De plus, l’on peut se poser la question de la raison du façonnage d’une fine pointe coupante, puisqu’a priori celle-ci n’est pas utilisée… Enfin, le fait que les bifaces soient fichés dans le sol, ce qui demande selon nous une préparation avant utilisation pour caler la pièce dans l’optique d’une stabilité minimale, ne s’accorde pas avec l’idée que les bifaces soient les pièces privilégiées dans les déplacements, donc rapidement opérationnelles.

4. 4. Les approches techno-fonctionnelles

4. 4. 1. Introduction

L’approche techno-fonctionnelle étudie les caractéristiques morpho-technologiques des bords d’un outil et leurs potentiels en terme de fonctionnement.

La méthode des Unités Techno-Fonctionnelles, développée par Boëda (2001), permet de définir des zones fonctionnelles des bifaces (ou UTF de Contact Transformatif ou UTF CT) et du fait de leur morphologie (longueur, angle, section) d’en proposer un mode de fonctionnement : dureté de la matière travaillée et de mouvements possibles. Des UTF de Contact Préhensif et Réceptif peuvent également être identifiés ; ils sont confondus dans le cas d’un outil non composite, c’est-à-dire tenu à main nue ou par l’intermédiaire d’une gaine (UTF CP/CR).

Cette méthode est basée sur la théorie artisanale de l’outil et la méthode « du tranchant d’abord », proposée par Lepot (1993), qui a défini les types de contacts (transformatif, réceptif et préhensif) et proposé une grille de lecture permettant d’identifier et de qualifier les contacts transformatifs : ils sont définis par un dièdre de coupe, composés d’un fil coupant, de deux surfaces tranchantes et d’un plan de section. Un tranchant utilisable se caractérise alors par une matière aux propriétés coupantes, la présence d’un fil coupant à l’intersection de deux surfaces aux caractéristiques techniques homogènes, entre lesquelles on observe la translation d’un plan de section régulier.

Cette approche permet de reconnaître, au travers de régularités et de récurrences, les principes et conceptions qui structurent l’assemblage d’outils et ainsi d’individualiser des « groupes fonctionnels » (Soriano 2000), chacun étant caractérisé par la nature, le nombre, l’orientation, l’association des parties retouchées et leur disposition par rapport aux parties non retouchées. Des domaines possibles d’utilisation sont proposés, sur la base de référentiels actualistes, comme Geneste et Plisson (1996), qui ont utilisé des données sur les couteaux métalliques. La limite de cette approche est qu’il s’agit uniquement d’hypothèses, et que pour qu’elles soient validées, des tests expérimentaux de faisabilité sont nécessaires, ainsi que des analyses tracéologiques5.

Cette méthode des UTF a été appliquée à l’outillage moustérien sur éclat (Lepot 1993, Geneste et Plisson 1996, Bourguignon 1997), et sur les pièces bifaciales (Brenet 1996, Soriano 2000, Boëda 2001, Soressi 2002, Brenet et al. 2004), afin d’identifier les groupes fonctionnels, et parfois de proposer un mode de fonctionnement pour ces groupes. Il faut souligner que si l’approche techno-fonctionnelle est surtout connue depuis la fin des années 1990 grâce aux travaux précurseurs de Lepot (1993, non publié), deux études, en outre sur des bifaces, ont utilisé le même type d’approche avant la diffusion de la méthode classique des UTF : il s’agit des travaux d’Albrecht et Müller-Beck (1988) sur les bifaces acheuléens récents (entre 150 et 80 ka) de Sehremuz en Turquie et de Philipson (1997) sur les bifaces acheuléens anciens de Kariandusi au Kenya (environ 1 Ma).

4. 4. 2. Les interprétations en terme de potentiel fonctionnel

La polyfonctionnalité est une notion récurrente dans les études suivantes. Si certaines ont plutôt mis l’accent sur la présence de groupes fonctionnels distincts au sein des bifaces et donc sur une multifonctionnalité des bifaces à l’échelle de l’assemblage, d’autres ont mis en évidence une polyvalence fonctionnelle à l’échelle d’une pièce.

• Multifonctionnalité à l’échelle de l’assemblage : différents groupes (techno-)

fonctionnels

Étudiant les zones tranchantes en considérant la présence de fil coupant (pourtour de la pièce) et l’étendue de la surface tranchante (vers l’intérieur de la pièce), Albrecht et Müller-Beck (1988) distinguent au sein des bifaces acheuléens de Sehremuz en Anatolie, trois catégories morphologiques associées à trois potentiels fonctionnels, complètement indépendantes des formes générales des bifaces (ovalaires, cordiformes…) :

- ceux avec une surface tranchante étendue et un tranchant long, situé symétriquement ou presque de part et d’autre de l’extrémité distale, pouvant servir pour les actions de coupe profonde (Figure 17),

- ceux avec une surface tranchante étendue mais un tranchant court, localisée de manière asymétrique ou non, la zone distale n’étant pas toujours comprise, pour les actions transversales (« transverse cutting function »),

- et ceux avec une surface tranchante réduite, de localisation variée, qui peuvent être uniquement utilisés en coupe superficielle.

Phillipson (1997) distingue également plusieurs formes différentes adaptées à des travaux variés au sein du groupe de bifaces de Kariandusi (Kenya). Elle prend en compte la localisation des zones affûtées, leur angle, et la nature des modifications (retouches, écrasements, esquillements « liés à l’usage »…). Quatre patterns sont présents, qui se différencient surtout par la localisation des zones actives et préhensives. Les bifaces à la pointe ou zone distale affûtée auraient pu servir pour des actions délicates et contrôlées de perçage, raclage ou rabotage, ou pour hacher et creuser, en fonction du type de préhension, notamment de la position du pouce (Figure 14); et ceux avec un bord latéral pour hacher, scier, couper et racler, selon qu’ils sont ou non associés à la pointe distale. Selon elle, la multifonctionnalité des bifaces ne s’observe pas forcément à l’échelle d’une pièce mais est plutôt liée à l’existence de plusieurs formes, certaines étant spécialisées, d’autres moins.

Enfin, Gouédo (2001) sépare les bifaces de Vinneuf et Verrières-le-Buisson (Paléolithique moyen récent, Yonne et Essonne) en deux groupes : les bifaces pointus, pouvant servir à perforer en percussion lancée directe, éventuellement à trancher ou racler avec les bords latéraux, et les bifaces non pointus à dos, servant à racler et couper.

Ces approches soulignent l’importance de prendre en compte la morphologie des bifaces, notamment de leurs bords, pour savoir si une polyfonctionnalité apparente, sur la base de traces d’utilisation variées (traces de boucherie, de raclage de bois…) se situe à l’échelle d’une même pièce ou bien si elle est liée à la présence de différents groupes spécialisés.

Figure 14. Hypothèse de préhension d’un biface à pointe retouchée du site de Kariandusi (Kenya), dont les actions proposées sont hacher ou creuser (Phillipson 1997).

• Plurifonctionnalité ou polyvalence fonctionnelle à l’échelle du biface

Deux études ont mis l’accent, à partir de l’analyse des UTF, sur le caractère polyfonctionnel du biface. La première porte sur les pièces bifaciales des sites de La Cotte de Saint Brelade (couche 5, Jersey), Mesvin IV (Belgique) et Gouzeaucourt (niveau G, Nord), attribués au Paléolithique moyen ancien. Selon Soriano (2000), les bifaces sont conçus et structurés pour porter plusieurs UTF CT sans altération de la structure : la présence de plusieurs UTF CT aux caractéristiques morphologiques distinctes sur une même pièce, comme un tranchant distal à angle de coupant fermé dégagé par un coup de tranchet et un ou des tranchant(s) latéraux ou proximaux à angle intermédiaire ou ouvert (Figure 15), en ferait des outils plurifonctionnels, capables de couper avec l’extrémité distale et de racler avec les autres tranchants. Il note cependant une tendance à la spécialisation pour les bifaces de Mesvin IV portant un coup de tranchet : « même si les bifaces conservent leur polyvalence, une tendance à la spécialisation du bifacial, structurellement mais aussi probablement fonctionnellement, s’amorce avec les pièces bifaciales à coups de tranchet ».

Figure 15. Biface de Gouzeaucourt, niveau G, présentant plusieurs UTF CT (Soriano 2000, modifié).

La seconde concerne les bifaces du MTA (Soressi 2002). Celle-ci note l’opposition entre une partie latéro-distale, affûtée, et la partie proximale, parfois corticale, le plus souvent épaisse et d’angle ouvert : cette dernière partie constituerait la zone préhensive, pouvant être tenue en force par un contact avec la face palmaire (pour les plus grands bifaces) et manipulée avec précision avec le pouce et l’index, la taille variée des bifaces pouvant révéler des travaux de nature différente. Sur la base de la morphologie la plus commune au sein des assemblages étudiés, c’est-à-dire portant deux bords convergents retouchés en racloirs de part et d’autre d’une fine pointe, elle propose des utilisations possibles6 (Figure 16) : à l’aide de la pointe pour piquer ou percer, et des bords latéraux, d’angle de coupant intermédiaire (environ 53°) pour racler et couper, une coupe profonde étant possible du fait de l’étendue de la surface tranchante (Albrecht et Müller-Beck 1988, Figure 17). Un tel angle confère aux bords latéraux, d’après un référentiel de couteaux métalliques (Geneste et Plisson 1996), un coupant faible d’une longévité importante, véritable « coupant à tout faire », le degré de spécialisation de l’outillage diminuant avec l’augmentation de l’angle de coupant. Il s’agirait donc d’outils polyvalents.

6 Selon Soressi (2002), une utilisation en percussion lancée serait à exclure car cette action aurait ébréché les bords et nécessité un emmanchement contraignant capable de résister aux forces mises en jeu en contenant l’outil, dont les traces d’utilisation n’ont pas été observées. Néanmoins, on ne peut pas exclure que cette absence puisse être liée au faible nombre d’études tracéologiques sur les bifaces du MTA (cf. chapitre 4. 6.).

Figure 16. Probables modes d’usage proposés sur la base des caractéristiques techno-fonctionnelles des bifaces du MTA (Soressi 2002).

Figure 17. Coupe superficielle et profonde (Soressi 2002).

Enfin, Bourguignon (1997) a également souligné le caractère polyvalent des racloirs Quina sur la base des caractéristiques morphologiques de leurs bords affûtés par retouche écailleuse scalariforme (convexe en plan, rectilignes ou convexes en profil, d’angle de coupant ouvert, entre 60 et 70°). Les racloirs bifaciaux présentant les mêmes morphologies de bords retouchés que les unifaciaux, ces derniers seraient susceptibles d’avoir été utilisés selon des usages variés comme la coupe et le raclage, avec une force transmise importante grâce à la présence d’un dos cortical ou de débitage opposé facilitant la préhension. La polyvalence fonctionnelle proposée ici à l’échelle d’un biface n’exclut pas la présence de plusieurs groupes fonctionnels et d’une certaine multifonctionnalité à l’échelle de l’ensemble des bifaces. On peut par exemple évoquer la présence de bifaces encochés ou à base tranchante au MTA, se distinguant des morphologies interprétées en terme fonctionnel par Soressi (2002).

La complexité fonctionnelle révélée par les approches techno-fonctionnelles se situe donc souvent à l’échelle d’un ensemble de bifaces et parfois à l’échelle d’une seule pièce.

4. 5. Les expérimentations

Des travaux expérimentaux, dont l’objectif était d’évaluer si les bifaces étaient utiles ou efficaces pour la réalisation de certaines activités, nous permettent d’avoir accès à un champ de possibles. L’efficacité est souvent évaluée de manière intuitive, les auteurs mentionnant rarement les critères qu’ils utilisent pour la mesurer, mais le fait de pouvoir ou non réaliser le travail et la rapidité avec laquelle il est effectué interviennent a priori. La grande majorité des expérimentations utilisent des répliques de bifaces