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II. É TAT DES CONNAISSANCES SUR LE STATUT FONCTIONNEL DES PIECES BIFACIALES Depuis le début des recherches en archéologie préhistorique, si de nombreuses études ont été consacrées Depuis le début des recherches en archéologie préhistorique, si de nombreuses études ont été consacrées

2. Des objets mobiles

Les bifaces sont considérés assez unanimement comme des objets plus mobiles que les produits issus du débitage à la fois à l’Acheuléen et au Paléolithique moyen. En effet, il est courant que l’ensemble des produits et déchets de fabrication des bifaces ne soient pas présents in situ, ce qui témoigne du fractionnement spatial et temporel de la production bifaciale. La présence et la fréquence des bifaces et éclats de taille de biface, l’absence de remontage ainsi que la nature des matières premières, souvent exogènes, constituent les principaux outils et arguments technologiques utilisés pour discuter du caractère mobile des bifaces et des différents statuts de sites. Plusieurs cas sont ainsi envisageables (cf. chapitre I. 1. 3.) : des sites avec des bifaces et des éclats de taille, correspondant à des sites de fabrication (ou site A, Turq 2007), des sites avec des bifaces seulement, ces derniers ayant été importés (sites B) et des sites « de passage » (sites C) avec des éclats d’entretien des bifaces ; les deux derniers correspondant a priori à des sites de consommation (Lhomme et Connet 2001). Les sites de fabrication peuvent également contenir des bifaces importés, donc constituer des sites mixtes A/B.

Une des premières évidences de la mobilité des bifaces remonte au XIXème siècle. Spurrell (1880, cité par Holdaway et Stern 2004) mentionne le remontage d’éclats de taille de biface en l’absence de tout biface sur le site acheuléen de Caddington en Angleterre : selon lui, les bifaces sont donc utilisés pour des activités réalisées en dehors des sites sur lesquels ils étaient fabriqués. Par la suite, d’autres études de sites acheuléens, variés d’un point de vue chronologique et géographique, ont montré qu’il s’agissait de pièces mobiles. Les bifaces, ainsi que les hachereaux, souvent en matière première exogène, étaient des pièces mobiles dans l’Acheuléen tarnais (stations de Campsas, Tavoso 1978, Villa 1983, Jaubert et Servelle 1996). Des bifaces ont également été importés à La Ville-Mein (Côtes-d’Amor, Lamotte et Monnier 1997), à Soucy (Yonne, Lhomme et al. 2000, Lhomme et Connet 2001), ou encore à Gran Dolina

(Espagne, Marquez et al. 2001). C’est également le cas pour les nombreuses découvertes en surface de bifaces acheuléens isolés, en Angleterre (Roe 1981, Keeley 1993) : ces derniers ont été abandonnés hors des habitats. Un double flux (importation et exportation de bifaces) a également été mis en évidence sur le site acheuléen de Cagny-l’Épinette (niveau H) (Hallos 2005). Même le site très ancien de Peninj (Tanzanie, 1,7-1,4 Ma) montrerait l’exploitation de matière première éloignée et un transport des bifaces sur plusieurs kilomètres (Dominguez-Rodrigo et al. 2001).

Les sites européens attribués au Paléolithique moyen ancien ont également fourni des indices de mobilité extra site pour les bifaces. Par exemple, Soriano (2000), étudiant des sites de l’Europe nord occidentale, a montré que les pièces bifaciales n’avaient pas été façonnées sur place mais importées3, déjà retouchées ou en phase finale de production, et qu’elles étaient bien plus mobiles que les outils sur éclats. Sur un site plus récent, attribué au stade isotopique 6, Barbas C’3 en Dordogne, Boëda et al. (2004) ont mis en évidence la fabrication sur place puis l’exportation d’un grand nombre de bifaces (250) et l’importation de bifaces, notamment en matières premières exogènes, abandonnés sur place (167) ou bien retouchés puis exportés. Les bifaces, dont la production, l’utilisation et la maintenance sont segmentés tant dans le temps que dans l’espace, s’opposent selon eux aux outils sur éclats, éphémères, retrouvés au sein des amas de taille et donc fabriqués et utilisés dans l’espace domestique.

Pour les industries qui nous intéressent directement, attribuées au Paléolithique moyen récent, plusieurs études ont également contribué à illustrer la mobilité des bifaces. Certaines ont d’ailleurs déjà été évoquées lors de la présentation des différents faciès, dans le chapitre précédent.

La mobilité des bifaces dans les industries du Nord de la France a été soulignée par Depaepe (2007), qui a mis en évidence que les bifaces en matières premières exogènes de la Vallée de la Vanne, notamment du site de Lailly « Tournerie », étaient amenés sur le site, terminés ou à l’état d’ébauche, façonnés ou ravivés et ensuite de nouveau emportés. Locht et Antoine (2001) ont, quant à eux, souligné l’absence de remontages entre pièces bifaciales et éclats de taille sur les sites du Nord de la France, contrairement au débitage. Il en est de même pour le Moustérien à pièces bifaciales dominantes d’Armorique, qui compte des sites de production, avec de nombreux éclats de taille et de rares bifaces (Karreg-ar-Yellan, Côtes-d’Armor, Monnier 1986, 1987) et des sites de production et consommation, où les bifaces sont fabriqués, utilisés et entretenus (Saint-Brice-sous-Rânes et le Bois-du-Rocher, Cliquet 2001b, Launay et Molines 2005). Enfin, la mobilité des outils bifaciaux, notamment des pointes foliacées, a également été soulignée au Micoquien (site de Kabazi II, niveau VI/6, Ukraine, Richter 2005a et b). Les pièces bifaciales à coup de tranchet de l’Abri du Musée (Dordogne, Bourguignon 1992), de type Prondnik, sont également certainement plus mobiles que les pièces unifaciales portant le même aménagement, sur la base de la fréquence des coups de tranchet et les matières premières représentées.

Les études les plus nombreuses sur la mobilité des bifaces au Paléolithique moyen récent se rapportent au faciès MTA. L’absence de remontage entre bifaces et éclats de taille a été maintes fois soulignée, notamment à Toutifaut, Combe-Grenal (Dordogne, Turq 2001) et La Quina (couche 6d, Park 2007), tout comme la présence de bifaces ou d’éclat de taille en matières premières d’origine exogène (Tavoso 1978, Geneste 1985, Soressi 2002). Les nombreuses découvertes de bifaces isolés, notamment en plein air, ont également suggéré l’utilisation de pièces bifaciales dans les déplacements (Turq 2000, Soressi 2002, p. 248).

Il découle de ces remarques l’existence de sites aux statuts différents :

- des sites où les bifaces sont produits puis exportés, certains recevant également un flux entrant de bifaces (comme La Quina, Park 2007 et Pech de l’Azé I, Soressi 2002),

- des sites où les bifaces, importés, sont utilisés sur place sans modifications (comme les sites de plein air récemment fouillés par l’INRAP en Dordogne de La Graulet, La Conne de Bergerac et du Vieux Coutet, Boëda et al. 2003, Bourguignon et al. 2004b) ou avec retouches (Grotte XVI, Dordogne, Soressi et Hays 2003),

- et enfin des sites où des bifaces ont été ravivés et probablement utilisés, puis ont été exportés (Les Fieux, Lot, Faivre 2003, 2006).

3 Ont été importées l’ensemble des pièces bifaciales pour Mesvin IV (Belgique) et Gouzeaucourt (Nord) et les pièces les plus élaborées seulement pour la Cotte de Saint Brelade (Jersey, Angleterre).

Soulignons que sur le site des Fieux dans le Lot et de Vieux Coutet en Dordogne, la présence d’éclats Levallois bruts (Les Fieux) ou retouchés (Le Vieux Coutet), importés comme les bifaces, donc ayant un statut de pièces mobiles, a également été mise en évidence (Faivre 2003, 2006, Bourguignon et al. 2004b).

Selon Soressi (2002), les bifaces MTA en matières premières non locales sont parmi les pièces dont la taille a été la mieux maîtrisée et la plus soignée (investissement technique plus important et retouche plus fréquente) : ils obéissent donc à la règle selon laquelle « plus la distance aux gîtes est importante, plus les produits importés sont élaborés » (Geneste 1985, Flébot Augustin 1997, Turq 2000, Depaepe 2003). Les pièces bifaciales transportées sont principalement des pièces prêtes à être retouchées ou bien récemment transformées en outils (p. 140). Les sites où il n’y a pas production de bifaces mais consommation (bifaces importés, abandonnés ou réduits) se retrouvent dans des contextes où il n’y a pas de pénurie de matière première : leur statut n’est donc pas contraint par la matière première mais dépend d’une dynamique, de mouvements témoignant d’une planification de l’activité de taille à long terme, l’activité étant organisée en fonction d’autres facteurs liés à la mobilité résidentielle des groupes, tels que la saison d’occupation du site ou sa localisation par rapport aux lieux d’acquisition des ressources alimentaires (Soressi 2002, p. 155).

Enfin, il faut souligner que les pièces bifaciales, racloirs ou limaces, du Moustérien de type Quina, souvent en matières premières exogènes et importées sur les sites, se révèlent être également des pièces particulièrement mobiles (Slimak 2004, 2008, Park 2007).

Pour résumer, au Paléolithique inférieur et moyen, les pièces bifaciales sont de manière universelle et presque exclusive (mis à part quelques éclats Levallois) des pièces mobiles, suivant les déplacements du groupe. Ce statut en fait des éléments curated, au sens de Binford (1979, Bamforth 1986). Ils sont en ce sens presque systématiquement opposés aux outils « sur éclats » ou unifaciaux (encoches, denticulés, racloirs), fabriqués et utilisés au même endroit (expedient), pour des activités domestiques telles que la boucherie des animaux ou des portions de carcasses rapportées sur le site, la fabrication d’outils ou de matériel en bois, le travail de la peau, etc. Le fait que la mobilité soit une caractéristique fondamentale des bifaces nous donne donc quelques indications sur les modes de fonctionnement pour lesquels ils sont susceptibles d’avoir été fabriqués : ils ont été a priori utilisés pour des activités extérieures au site de fabrication et/ou d’habitat, liées à l’acquisition de matières animales ou végétales, comme les premières étapes de la boucherie après la chasse, la récolte de végétaux ligneux ou herbacés. Ceci n’exclut pas néanmoins la possibilité qu’ils soient utilisés sur les sites d’habitat.

3. Des objets longuement conservés

3. 1. Introduction

Le fait que les bifaces soient des pièces longuement conservées a souvent été avancé, grâce à l’examen de la réduction des bifaces et des éclats de retouche des bifaces, pour les différentes périodes, mais surtout au Paléolithique moyen. Le ravivage, entretenant l’outil tout en maintenant ses caractéristiques, se manifeste par la superposition de plusieurs séquences de retouches, entrecoupées par l’utilisation de la pièce, pouvant parfois être démontrée grâce à des études tracéologiques. La possibilité d’un ravivage prolongé a en outre été soulignée à propos des pièces bifaciales plano-convexes, caractérisant plutôt les industries du Paléolithique moyen (Boëda 1991). Bourguignon (1992) a également mis en évidence le fait que les pièces bifaciales à coup de tranchet du site de l’Abri du Musée (Dordogne), plano-convexes, pouvaient être plus longuement ravivées (plusieurs coups de tranchet successifs possibles) que les pièces unifaciales portant ce même aménagement.

La dénaturation (Boëda et al. 2004) ou le recyclage (Bourguignon 1997) modifient au contraire intensément le biface, en créant un outil différent, souvent moins régulier (racloir irrégulier, encoche…), ou encore en le transformant en nucléus pour produire un ou plusieurs éclats.

Ces modifications ont été observées dès l’Acheuléen, par exemple sur les sites du Middle Awash en Éthiopie (Bouri Formation, Dawaitoli Formation, Herto Member), où des éclats de ravivage et des bifaces

réduits ont été retrouvés (Schick et Clark 2003). Elles sont très présentes au Paléolithique moyen, et perdurent à sa toute fin, puisque Svoboda a montré qu’au Szélétien, les pièces bifaciales étaient ravivées puis recyclées en supports de grattoirs, burins, etc. Par ailleurs, le ravivage prolongé a notamment été identifié par Richter (2001) sur des outils bifaciaux de Sesselfelsgrotte (Micoquien d’Europe centrale) : certains auraient été ravivés environ 35 fois.

La réduction par ravivage et dénaturation témoigne, comme leur mobilité, de la conservation de ces pièces, donc d’un statut d’outils curated (Binford 1979).

3. 2. Conservation et transformations morphologiques, et fonctionnelles ?

Le ravivage de bifaces a été démontré sur d’assez nombreux sites, notamment Paléolithique moyen, dont nous pouvons ici retenir les exemples démonstratifs de la Grotte XVI (MTA, Dordogne, Soressi et Hays 2003) et du Site 8-B-11 (MSA, Soudan, Rots et Van Peer 2006), où les études tracéologiques, combinées à l’étude technologique, ont révélé que les pièces bifaciales, importées, ont été utilisées, ravivées puis parfois réutilisées sur place, grâce aux recoupements des traces d’utilisation par les enlèvements d’affûtage et inversement.

Le ravivage a parfois été reconnu comme responsable de la variabilité morphologique entre bifaces au sein d’une même série : en plus des démonstrations de McPherron (1999, 2000, 2003) sur les bifaces acheuléens, Soressi (2002) a proposé une possible « évolution » des bifaces à bords retouchés latéraux symétriques en longueur vers des bifaces à bords asymétriques sur les sites du MTA À de Pech de l’Azé I, le Moustier et la Grotte XVI (Dordogne), et Cliquet (2001b) le passage de racloirs unifaciaux à des racloirs bifaciaux sur le site de Saint-Brice-Sous-Rânes (Orne). Gouédo (2001) propose, lui, pour les sites de Vinneuf (Yonne) et Verrières-le-Buisson (Essonne), le passage des bifaces pointus aux bifaces non pointus à dos. Les bifaces portant des racloirs doubles constitueraient une étape intermédiaire, une transformation typologique interne aux bifaces pointus, liée à une erreur ou une difficulté au moment du ravivage. Ces exemples démontrent donc la possibilité d’un continuum technologique entre bifaces de morphologies différentes.

La dénaturation de pièces bifaciales a également été renseignée au Moustérien, par exemple au Bois-du-Rocher (Côtes-d’Armor, Launay et Molines 2005), où les nouveaux enlèvements et cassures pourraient être responsables du passage de morphologies cordiformes ou amygdaloïdes à ovalaires ou discoïdes ; à Saint-Brice-Sous-Rânes (Orne, Cliquet 2001b), où les bifaces, « endommagés », ont été recyclés en nucléus ; ou encore sur de nombreux sites MTA (La Quina, Pech de l’Azé, le Moustier…), où des enlèvements en forme d’encoches ont été pratiqués (Soressi 2002, Park 2007, Figure 2 c.) et où les bifaces ont parfois servi de nucléus (cf. chapitre 5., La Rochette, Turq 2001). Ces dénaturations interviennent, quand l’information est précisée, sur des bifaces cassés ou ayant accumulés les rebroussés, et ne pouvant plus être ravivés (Soressi 2002), et donc constituent une étape ultime de transformation. Nous tenons à développer ci-dessous deux études de cas, traitant des bifaces de Gouzeaucourt, niveau G (Paléolithique moyen ancien, Nord, Soriano 2000) et Barbas I, niveau C’3 (Acheuléen final, Dordogne, Boëda et al. 2004), car elles nous semblent avoir parfaitement mis en évidence et illustré la réduction des bifaces, par la succession complète des transformations technologiques, ainsi que leurs effets sur la morphologie des bifaces, et donc l’importance de considérer l’étape technique dont est issue la pièce. Soriano (2000) a montré que les différentes formes de bifaces de Gouzeaucourt (niveau G) étaient liées à l’existence de « processus évolutifs ». Tout d’abord, il observe un ravivage, ne créant pas de changement de statut fonctionnel : les affûtages se superposent, un pré-affûtage peut également être observé (enlèvements rasants pour régulariser le bord avant l’affûtage sur la face opposée), et des séquences de reprise du volume du support bifacial peuvent être réalisées pour rectifier les portions de surface saturées par de multiples affûtages. Suivent des transformations entraînant une rupture avec la forme antérieure : les zones fonctionnelles sont différentes, moins élaborées, ou bien complètement absentes. Les bifaces sont les seules pièces de l’assemblage soumises à ce processus, seuls quelques racloirs intensément retouchés ayant pu être ravivés et conservés.

À Barbas C’3, un « processus fonctionnel dynamique » a également été identifié pour les bifaces (Boëda et al. 2004), avec l’existence de stades techniques successifs, allant de la préforme au biface dénaturé. En effet, certains bifaces sont peu ou pas affûtés alors que sur d’autres « la succession des affûtages et des réaménagements du volume a dénaturé le support bifacial ». Ils distinguent plusieurs stades :

- le stade 1 : préforme pouvant présenter sur un ou plusieurs segments des aménagements assimilables à de la retouche (racloirs, denticulés, encoches),

- le stade 2 : biface outil ou support d’outils (racloirs convergents…), - le stade 3 : pièces ravivées conservant la même association d’outils,

- le stade 4 : pièces avec un nouveau type d’affûtage (denticulé, encoche ou bec), dénaturant la structure volumétrique et empêchant par la suite tout retour à l’état antérieur.

Un même support bifacial, selon son stade technique, est donc susceptible de porter des outils aux caractéristiques distinctes et pouvant être éventuellement utilisés selon des modes de fonctionnement distincts. Ainsi, il est possible que des bifaces aient pu être fabriqués au départ pour répondre à un besoin particulier, puis que ces pièces aient pu voir, au fur et à mesure de leur réduction, notamment par dénaturation, leurs modes de fonctionnement changer, en lien avec la morphologie de leurs nouveaux tranchants.

Ainsi, la réduction, le fonctionnement et la morphologie du biface sont fortement imbriqués, et l’exploration de la fonction des bifaces nécessite obligatoirement l’étude intégrée des trois types de données.

Figure 13. Succession des stades de la « chaîne opératoire fonctionnelle » des pièces bifaciales sur le site de Barbas I C’3 (Boëda et al. 2004).

3. 3. Le cas des pièces bifaciales du Moustérien de type Quina

Nous évoquons ici le cas particulier des pièces bifaciales du Moustérien de type Quina qui semblent se distinguer, dans leur processus de réduction, des autres pièces bifaciales. En effet, on n’observe pas une évolution linéaire liée aux ravivages successifs puis à un recyclage final, pouvant consister à débiter un ou plusieurs éclats, mais à des transformations cycliques des racloirs et limaces Quina, tour à tour racloirs et nucléus (Park 2007). Ces pièces, longuement conservées, sont tout d’abord unifaciales ; elles sont réduites par ravivage, puis débitées, à nouveau ravivées, puis débitées, etc., et elles peuvent donc devenir, en passant par le stade racloirs à talon aminci, et racloirs bifaciaux partiels, des pièces complètement bifaciales, sans que le cycle ne s’arrête.

On peut enfin indiquer l’existence fréquente, à La Quina (Park 2007), de modifications nettement séparées dans le temps, mises en évidence par un phénomène de double patine, et qui indiquent, non plus la curation, mais la récupération de supports.

3. 4. Réduction et mobilité

Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, le façonnage est fractionné dans l’espace, la fréquence et la présence des différents stades de réduction peuvent donc varier selon le statut des sites sur lesquels les bifaces sont retrouvés. Il semble, pour le MTA, que les bifaces retrouvés sur des sites de plein air soient moins réduits que ceux retrouvés en grotte, abri ou pied de falaise (Turq 2000), en relation a priori avec le statut des sites : ceux en grottes sont souvent utilisés pour la fabrication et la consommation des bifaces (sites A/B), et les sites de plein air comptent le plus souvent des bifaces isolés importés pour y être utilisés, donc une consommation des bifaces sans production (sites B). En grotte, les bifaces fabriqués sont exportés et les bifaces importés sont réduits, malgré la présence également de belles pièces en matières premières exogènes non réduites... En plein air, il est étonnant de constater que les bifaces, importés, ont été abandonnés à un stade où ils auraient encore pu être réduits, à commencer par un simple ravivage (La Graulet, La Conne de Bergerac, Le Vieux Coutet, Boëda et al. 2003, Bourguignon et al. 2004b). Si la présence de caches a parfois été avancée pour expliquer l’ « abandon » de bifaces peu réduits, par exemple pour le site acheuléen de Hunsgi Valley (Inde, Petraglia et al. 1999), nous pouvons aussi penser qu’une partie de ces derniers, emportés en grand nombre lors d’un déplacement ayant pour but l’acquisition de matières animales ou végétales, ont, une fois utilisés, été délaissés au profit des matières nouvellement acquises devant être déplacées à leur tour. Ces matières animales ou végétales, certainement encombrantes mais indispensables, pouvaient avoir en effet plus de « valeur » dans un contexte où la matière première était abondante et de bonne qualité. Peut-être certains bifaces étaient-ils perdus (Shott 1989), ou bien volontairement abandonnés, alors que d’autres (ayant un meilleur potentiel de ravivage vis-à-vis du poids et de l’encombrement) étaient conservés et emportés sur le prochain site occupé.