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II. É TAT DES CONNAISSANCES SUR LE STATUT FONCTIONNEL DES PIECES BIFACIALES Depuis le début des recherches en archéologie préhistorique, si de nombreuses études ont été consacrées Depuis le début des recherches en archéologie préhistorique, si de nombreuses études ont été consacrées

6. Conclusions sur le statut fonctionnel des bifaces et objectifs du travail

Les bifaces, de manière générale et au Paléolithique moyen récent, sont des pièces mobiles, probablement fabriquées pour répondre de manière anticipée aux besoins lors des déplacements. Leur fabrication, utilisation et entretien sont fractionnés dans le temps et l’espace, en lien avec l’existence de sites aux statuts différents : sites de fabrication, sites de consommation, sites mixtes. Il s’agit de pièces curated (Binford 1979), longuement réduites par ravivage, grâce à leur morphologie plano-convexe autorisant un entretien prolongé, et parfois dénaturées, intégrées à une évolution technologique, avec des stades successifs pouvant induire des changements dans la forme générale des bifaces et dans la morphologie des bords, comme le passage de bifaces à bords convergents coupants à des bifaces denticulés ou encochés. Ce phénomène doit donc être pris en compte pour la compréhension du statut fonctionnel des bifaces, car il est fort possible que de tels changements morphologiques aient été accompagnés par des changements fonctionnels, et qu’il existe une « évolution fonctionnelle » de ces pièces au cours de leur réduction.

Les données fonctionnelles sur les bifaces du Paléolithique moyen récent sont rares, et ne nous permettent pas actuellement d’appréhender leurs modes de fonctionnement, notamment leur caractère polyfonctionnel ou au contraire spécialisé, et leurs relations avec les différentes morphologies (différences de taille, d’organisation des bords…) et leur réduction. Il est difficile de savoir si les différentes utilisations révélées par les études tracéologiques se rapportent à des formes et des stades techniques similaires ou bien si elles sont liées à une évolution fonctionnelle en rapport avec leur réduction. Contrairement aux bifaces acheuléens, peu d’expérimentations ont été conduites avec

ces pièces, notamment afin de vérifier qu’elles puissent être, tout comme les bifaces acheuléens, utiles pour les activités de boucherie et des travaux de grande ampleur sur le bois ; ou encore tester les possibilités d’utilisation proposées par les études techno-fonctionnelles des bifaces MTA : raclage avec un bord latéral, perçage avec la pointe, coupe profonde avec la partie distale…

Les bifaces sont des pourvoyeurs d’éclats dont on sait qu’ils ont été utilisés, notamment au MTA du fait de la présence d’éclats de taille de biface retouchés en racloirs et raclettes. Si les approches techno-fonctionnelles ont proposé l’utilisation spécialisée de tels racloirs pour la coupe délicate de matières tendres, les études tracéologiques sont encore très rares et ont livré peu d’informations. Celles-ci permettraient pourtant de connaître les modes de fonctionnements de ces éclats, bruts ou retouchés, d’évaluer les critères de sélection retenus et ainsi de discuter de la possibilité d’une production volontaire, récurrente de tels supports. Enfin, des éclats ont pu être obtenus par débitage au percuteur dur, en exploitant la face convexe du biface depuis un bord ou la base, parfois après cassure volontaire. Même si les éclats en résultant sont difficiles à identifier, il serait important de vérifier leur utilisation, en particulier d’exclure dans certains cas un processus de reprise du volume intégrée à l’entretien de l’outil, ainsi que l’absence de traces sur les portions de bifaces nouvellement créées.

Le fait de fournir des éclats utilisables, pouvant servir en cas de manque de matière première et/ou pour des besoins particuliers, immédiats ou futurs, confère aux bifaces une qualité supplémentaire en tant qu’outils mobiles. Ces objets correspondent bien aux critères des mobiles toolkits définis par Kuhn (1995) : transportabilité, flexibilité et durabilité.

Pour préciser le statut fonctionnel des bifaces au Paléolithique moyen récent en Europe occidentale par rapport aux informations disponibles, plusieurs manques doivent être comblés, et ce pour chaque ensemble à bifaces :

- les modes de fonctionnement des bifaces : sont-ils polyfonctionnels ou au contraire spécialisés, quels sont les rapports avec les différentes morphologies de bifaces, avec les différents stades de réduction ou encore la matière première ? Différentes morphologies d’outils dédiés à des activités distinctes ont-elles été recherchées au départ ? Existe-t-il un fonctionnement privilégié au départ puis une évolution fonctionnelle ?

- qu’en est-il de l’utilisation des éclats de taille de biface ? Les éclats bruts sont-ils utilisés, si oui, le sont-ils pour les mêmes travaux que les racloirs ? Ont-ils un fonctionnement spécialisé ? Observe-t-on une sélection, morphologique et/ou technologique, sur l’ensemble des éclats utilisés ?

- ces éléments varient-ils en fonction du statut du site et des caractéristiques du reste de l’outillage ? Quelles similitudes et différences de statut fonctionnel y a t-il entre d’une part les bifaces et les éclats de taille, et d’autre part le reste de l’outillage ?

Pour contribuer à répondre à ces questions, nous avons choisi de mener une étude tracéologique intégrée des bifaces et des éclats de taille de biface, c’est-à-dire de mettre en parallèle les traces d’utilisation et les caractéristiques techno-fonctionnelles (UTF) et technologiques (stades de réduction, matière première). Nous nous sommes intéressés aux contextes dans lesquels ces bifaces et éclats de taille ont été retrouvés, notamment aux relations entre ces pièces et le reste de l’outillage quand celui-ci est présent, afin de comprendre la manière dont ils s’en distinguent, ou non, fonctionnellement. De nombreuses expérimentations nous ont permis, en plus, de disposer d’un référentiel expérimental de traces macro- et microscopiques spécialisé, d’appréhender l’utilité des bifaces dans différentes activités. Nous avons choisi, dans le cadre de cette thèse, de nous concentrer sur l’un des faciès du Paléolithique moyen récent, le Moustérien de Tradition Acheuléenne, pour les raisons suivantes :

- le MTA comprend de nombreuses séries issues de sites en place, ce qui augmente nos chances d’avoir accès à des séries suffisamment bien conservées pour réaliser une étude tracéologique, - ayant fait l’objet d’études récentes, il est assez homogène du point de vue de la morphologie

générale et de la technologie des bifaces,

- des éclats de taille de biface ont été utilisés, parfois en grand nombre, pour aménager des racloirs et des raclettes,

- pour la plupart des séries, du moins pour la partie Nord de l’Aquitaine, c’est le silex qui a été exploité, matière première qui se prête généralement très bien aux analyses tracéologiques,

- il comporte des gisements situés dans des contextes topographiques variés (grotte, abri, pied de falaise, plein air), et correspondant à des sites de fonctions différentes (fabrication, consommation…), ce qui permet d’aborder le statut fonctionnel des bifaces en lien avec la mobilité des groupes dans le territoire,

- enfin, il est, en grande majorité, rapporté à une période chronologique bien précise (stade 3), où le foisonnement des types d’industries est remarquable, et son étude, en ce sens, pourra participer à la compréhension de la diversité du Moustérien récent, et illustrer les comportements des derniers Néandertaliens.

Partie 2 : Matériel et méthodes

Partie 2