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Le prêtre greffier : la tenue des registres de mariage

II. Le prêtre : acteur, juge et greffier de la cérémonie nuptiale

II. 3 Le prêtre greffier : la tenue des registres de mariage

Comme dans la législation sur la publication des bans, différences d'interprétation entre le concile de Trente et la monarchie française

Dans le premier chapitre du De reformatione matrimonii, les Pères du concile de Trente ordonnent aux curés de paroisse la tenue d'un registre des mariages223. Cette exigence est reprise par l'article 40 de l'ordonnance de Blois : celle-ci rend obligatoire la présence non pas de trois témoins mais de quatre, de laquelle « sera fait registre224 »225. Cependant, le but de ces

221 Ibid.

222 BETHERY DE LA BROSSE A., op. cit., p. 201-204.

223 « Le curé aura un livre qu'il gardera soigneusement chez lui, dans lequel il notera les noms des époux et des témoins ainsi que le jour et le lieu du mariage contracté. » ALBERIGO G., op. cit., p. 1531-1543.

224 ISAMBERT F.-A., op. cit., t. XIV, n° 103, art. 40.

225 La tenue des registres paroissiaux n'est pas une invention de l'époque moderne, comme le souligne Carole

Chapitre I : le prêtre desservant, cheville entre le droit matrimonial et la population.

86 registres de mariage n'est pas le même pour le pouvoir séculier et pour le pouvoir ecclésiastique : le premier voit dans ces registres un moyen de témoigner du respect des nouvelles formalités prescrites afin d'éviter les mariages conclus sans consentement parental, tandis que le second y voit une possibilité de lutter contre la bigamie, c'est-à-dire le fait d'avoir déjà contracté un premier mariage.

De fait, les sources de l'officialité de Beauvais font plutôt transparaître la volonté de lutter contre les certificats de mariage invalides, qui aboutissent à déclarer un mariage clandestin : dans ce contexte, il s'agit plutôt de lutter contre l'usurpation de l'autorité ecclésiastique du proprio parocho en enquêtant sur la validité des certificats de mariages contractés en dehors de la paroisse d'origine des époux. Louis Sohiec et Marie Chedeville, dont le cas a déjà été évoqué au sujet de l'importance de la publication des bans, ne sont pas attaqués sur leur concubinage en tant que tel : ils sont « tenus incontinent et sans délai de justifier le prétendu mariage entre eux contracté226 ». Cette phrase laisse entrevoir, malgré son caractère formel, le processus qui l'a précédé : l'adjectif « prétendu » qualifiant le mariage entre Louis Sohiec et Marie Chedeville suggère que le couple, qui demeurait à Aubervilliers et s'est installé à Méru après son mariage clandestin, a laissé entendre aux paroissiens et au curé de la paroisse de Méru qu'il était bien et valablement marié. Le curé de Méru n'ayant pas eu souvenir d'avoir marié le couple et n'en n'ayant pas trouvé preuve dans ses registres paroissiaux, demande au couple de « justifier » son mariage, c'est-à-dire de présenter un certificat extrait d'un registre de mariage. Le couple présente alors l'attestation rédigée par le vicaire de la paroisse Sainte-Marine de l'officialité de Paris qui, on le sait, a marié clandestinement le couple : on suppose que ce certificat a éveillé les soupçons du prêtre de Méru qui en a fait part à l'évêque de Beauvais. Commence alors une enquête sur la validité du certificat du mariage de Sohiec et Chedeville, pour laquelle est requis l'official de Paris qui conduit lui-même l'information :

J'avais écrit que peut-être se trouverait-il quelque chose d'écrit sur le registre de la paroisse de Sainte-Marine. Mais le curé de Sentoux nous a assuré qu'il n'en a jamais ouï parler et n'y en a rien

Avignon : « Le contrôle du lien paroissial combiné à celui de la mobilité matrimoniale est (…) à l'origine du développement d'un recours à l'écrit qui préfigure les prémices de l'enregistrement systématique du XVe siècle, dans le grand ouest. Entre 1238 et 1244, l'archevêque de Rouen, Pierre de Colmieu, fait également préciser que dans chaque paroisse, le prêtre doit tenir par écrit la liste de ses paroissiens afin de pouvoir identifier les ''étrangers'' (extranei) », AVIGNON C. op. cit., p. 306.

226 AD 60, G 3360, cf annexe n°23, document n°4, t. II, p. 147.

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d'écrit sur son registre. Vous devez jugez là-dessus, monseigneur, de la clandestinité du mariage.227

L'absence de mention du couple dans le registre paroissial de Sainte-Marine conduit l'official de Beauvais à entamer une procédure contre le couple réfractaire. Cependant le mot

« concubinage » n'y est jamais mentionné quand, en revanche, le faux certificat de mariage occupe toute l'attention du juge : dans une lettre adressée à Gontier, greffier de l'officialité, l'auteur nommé Dubois, et que l'on présume être un prêtre, explique que le couple n'a plus « à ce qu'ils disent de certificat de leur prétendu mariage ». Plus haut, l'auteur préconise « que l'on continue à les intimider comme l'on a commencé228 » : on devine que le verbe « intimider » implique, avant même d'obtenir la séparation du couple, de faire parler les accusés afin que le couple avoue la fausseté du certificat, d'autant que les informations contenues dans cet aveu permettraient de faire condamner le vicaire fautif, comme l'a requis l'official de Paris229.

Importance des certificats et de l'écrit dans les procédures de la justice de Beauvais L'importance donnée au processus de dénonciation de la fausseté du certificat révèle bien la valeur de l'écrit dans les cas matrimoniaux : cette affaire nous montre que dans la seconde moitié du XVIIe, c'est l'écrit qui fait le mariage aux yeux des juges de l'officialité de Beauvais, et non la simple parole des justiciables qui prétendent être mariés. L'enjeu est en outre considérable : dénoncer la fausseté d'un certificat de mariage revient à mettre en cause l'autorité d'un détenteur de l'autorité ecclésiastique. Le caractère valide du certificat a d'autant plus d'importance qu'un grand nombre de procédures reposent moins sur des témoignages, comme c'est pourtant le cas au bailliage de Beauvais, que sur des certificats et des déclarations écrites : l'écrit prend donc une valeur importante, sa validité dépend entièrement du prêtre qui l'a produit.

La préférence accordée aux certificats rédigés par des prêtres plutôt qu'à des témoignages se perçoit également dans l'affaire de Jeanne Delahaye. Après avoir eu connaissance de lettres présentées par le procureur de Sébastien Dufour auquel Jeanne est opposée, le promoteur émet des doutes sur la validité du certificat de décès du premier mari

227 AD 60, G 3360, cf annexe n°23, document n°1, t. II, p. 143.

228 Ibid., document n°2, t. II, p. 145.

229 « (…) mais auparavant que de le réhabiliter si vous y trouvez le lieu nous vous prions de faire interroger les parties sur les faits que dessus, afin que leurs réponses nous servent contre le vicaire fugitif, lequel je pourrai bien faire appréhender quelque part qu'il soit. » Ibid., document n°1, t. II, p. 143.

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88 de Jeanne et demande à ce qu'on interroge celle-ci sur ce fait230 : tant que la validité du certificat de décès, rédigé par un curé du diocèse de Saintes, n'est pas prouvée, l'official ne peut faire droit sur le mariage d'entre Jeanne Delahaye et Sébastien Dufour. Au cours de son interrogatoire, Jeanne Delahaye explique qu'après avoir appris par des témoins la mort de Charles Fournier, son premier mari, elle avait cherché à se remarier, ce que le curé de Cuigy lui avait refusé : nous savons qu'à ce moment là, elle avait présenté au curé de Cuigy une déclaration passée devant notaire par Pierre Cheroy et Louis Bourdon qui attestaient de la mort de Charles Fournier231. Le refus du curé montre que celui-ci n'a pas voulu reconnaître comme valide l'acte passé devant notaire, lui préférant, à ce que l'on suppose, un véritable certificat de décès rédigé par le curé de la paroisse où l'homme était décédé : la prévalence est donc accordée aux actes rédigés par des prêtres plutôt que par un notaire. Poursuivant son récit, Jeanne Delahaye se lave de tout soupçon de corruption en expliquant que c'est un garçon originaire de Cuigy, sa propre paroisse, qui a obtenu le certificat de décès, et « qu'elle ne l'a fait faire ni pour or ni pour argent232 » : l'official Guillaume Cardinal propose ensuite à Jeanne Delahaye de faire certifier par l'official de Saintes la validité de son certificat de décès, ce à quoi l'interrogée acquiesce. De nouveau, l'écrit produit par une personne extérieure à l'administration de l'Église est mis en cause en la personne du garçon natif de Cuigy, tandis que l'alternative du certificat de l'official est vue comme préférable.

Failles de l'administration ecclésiastique en matière de registres de paroisse

Au centre de la cérémonie matrimoniale, le curé de paroisse est également au centre des procédures de la justice ecclésiastique de Beauvais : il joue le rôle d'un notaire ou d'un greffier et les documents qu'il produit sont préférés aux autres. Toutefois, ce caractère central accordé au prêtre de paroisse n'est pas sans danger pour la justice ecclésiastique qui peut se révéler impuissante à fournir les documents nécessaires aux justiciables : lorsque l'évêque de Beauvais écrit à l'évêque de Saintes pour qu'il enquête sur la validité du certificat de décès de Charles Fournier, celui-ci lui répond que « le curé de ce lieu étant mort depuis six mois, on ne peut plus par lui-même éclaircir cette affaire233 ». L'« extrait de deux lettres écrites à

230AD 60, G 3591, cf annexe n°16, document n°11, t. II, p. 90.

231 Ibid., document n°1.b), t. II, p. 79.

232 Ibid.

233 Ibid., document n°13.a), t. II, p. 94.

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89 Monseigneur l'évêque de Saintes par le Père Jousseaume, archiprêtre de la Rochelle des 26 octobre, et 20 novembre 1645 » ne permet pas d'en savoir plus sur l'enterrement de Charles Fournier : on y apprend que le registre mortuaire comporterait une lacune pour l'année supposée de la mort de Fournier, et aucun des anciens paroissiens de Saint-Cyr-du-Doret où il aurait été inhumé ne se souvient de cet événement234.

De fait, les lacunes que comportent les registres paroissiaux ne sont pas rares, comme en témoigne un document trouvé dans le dossier de Charles Vilain et Marguerite Magnie : il s'agit d'un certificat rédigé par des proches de Marguerite Magnie attestant de l'âge de cette dernière, « attendu que les registres baptistaires de la paroisse d'Élincourt-Sainte-Marguerite avaient été perdus durant le cours de l'incendie en l'année mil six-cent trente-six (...)235 ».

C'est sans doute ce qui pousse Louis XIV à exiger en 1667 par l'ordonnance de Saint-Germain-en-Laye que les registres paroissiaux soient produits en double exemplaire, dont l'un doit être déposé au greffe du bailliage ou de la sénéchaussée la plus proche de la paroisse d'origine. Au nom de cette ordonnance, Isaac de Malinguehen, lieutenant général du bailliage de Beauvais, ordonne le 1er avril 1672 que « les curés et vicaires de paroisses » devront

« rapporter dans le greffe principal du ressort dans lequel elles sont, les registres de baptême et mortuaires depuis quarante années pour être paraphé par ledit juge236 ». Par cet édit, les documents produits par les curés passent sous le contrôle des juridictions séculières, comme en atteste l'ordonnance du bailliage de Beauvais : on peut se demander, dans ce contexte, si le prêtre-curé est assimilé à un officier public237. Cependant, cette évolution ne se produit pas

234 « Pour cet enterrement fait à Saint-Cyr-du-Doret, on ne l'a pas trouvé dans les papiers du registre des mortuaires. Il n'y en a pas même de ce temps là ni de cette année. On a interrogé les anciens de la paroisse de l'église mais personne n'a connaissance de cet enterrement, de sorte qu'il y a grande apparence que c'est chose supposée. » Ibid., document n°13.b), t. II, p. 94.

235 AD 60, G 3360, cf annexe n°20, document n°2.c), t. II, p. 126.

236 AD 60, BP 1710.

237 Jules Basdevant affirme que par le biais des registres paroissiaux, de plus en plus assimilé à l'établissement de l'état-civil des personne, le prêtre aurait été vu, en tout cas à la fin de l'Ancien Régime, comme un officier public : « Le curé qui assistait au mariage en dressait un acte destiné à en faire la preuve. C'était une pratique ancienne dont le Concile de Trente fit une obligation aux prêtres. L'art. 181 de l'ordonnance de Blois reproduisait la même règle. Mais l'acte ainsi dressé n'était qu'un moyen de preuve commode, mis à la disposition des intéressés et n'excluant pas les autres. Au contraire, à partir de l'ordonnance de 1667, la preuve du mariage ne fut en principe possible que par les registres. En 1736, une déclaration royale règle la forme des registres et des extraits qui en sont délivrés. Les actes dressés à l'origine pour constater le baptême, la bénédiction nuptiale, la sépulture ecclésiastique, apparaissent de plus en plus comme établissant l'état-civil des personnes. Aussi le pouvoir royal veille-t-il à leur bonne tenue. En même temps, le caractère religieux du prêtre apparaît moins et l'on est de plus en plus disposé à voir en lui un officier public. » BASDEVANT J., op.

cit., p. 6.

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90 comme un coup de tonnerre dans un ciel serein : l'importance des certificats rédigés par les curés dans le déroulement des procédures de l'officialité de Beauvais a été assez démontrée.

Au moment où Durand de Maillane écrit son Dictionnaire, les certificats et attestations provenant des registres de paroisse sont devenus incontournables pour se marier de manière valide :

Le règlement du Concile de Trente touchant les vagabonds et gens sans domicile est exactement suivi dans la pratique du royaume, il y avait été déjà adopté par plusieurs conciles de France, (…).

En conséquence les curés à qui ces gens s'adressent, soit qu'ils soient tous étrangers ou qu'il n'y ait que l'une des parties, sont dans l'usage d'exiger : 1°. L'extrait du baptême, les extraits de mort de leurs père et mère, ou leur consentement s'ils sont encore en vie, et que ces passants soient mineurs.

2°. Le consentement du tuteur ou curateur et des proches parents s'ils sont mineurs. 3°. La réquisition faite au père et à la mère, s'ils sont encore vivants, et que les passagers aient atteint l'âge de majorité. 4°. L'attestation du curé de leur naissance et des parents, qui certifient avoir une pleine connaissance que cette personne n'a pas été mariée, ou est veuve ou veuf. 5°. Si la personne a été mariée, on demande l'extrait mortuaire de feu son époux. Tous ces actes doivent être légalisés par l'ordinaire du lieu de naissance.238

On voit par l'abondance des documents exigés par les curés au moment de marier des personnes qui ne sont pas de leur paroisse qu'il devient très difficile de se marier hors de sa paroisse ou de son diocèse d'origine, en témoigne le cas déjà cité plus haut de Joseph Lefebvre, obligé de se choisir des tuteurs pour pouvoir se marier239. Cette mobilité géographique réduite pour le mariage favorise peut-être un contrôle accentué des curés sur leurs paroissiens, faisant d'eux des relais pour un pouvoir royal qui cherche à connaître sa population d'administrés.