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Chapitre IV : quel ordre matrimonial ?

I. Ordre ecclésiastique, ordre social

II. 2 Bon ménage, mauvais ménage

À l'origine de la violence conjugale et de la désolidarisation du couple se trouve peut-être le mauvais ménage qui, dans les sources, est une notion qui recoupe deux aspects différents : d'un côté, la mauvaise entente des époux528; de l'autre, la mauvaise gestion des biens communs529.

Discordance des humeurs

Pour Christophe Regina, partie des mauvais traitements infligés aux épouses provient des mariages arrangés qui « s'ils sont rationalisés dans l'espoir d'accorder les intérêts des familles, relèvent du pari dès qu'il s'agit de considérer les sentiments » :

On retrouve (…) le sceau de la puissance paternelle qui contraint à un mariage d'intérêt Élisabeth Ollivier. On apprend dans la plainte que les desseins du père étaient d'assurer un beau mariage à sa fille, qu'il pensait marier avec un bourgeois fortuné, mais qui au contraire était sans le sou. Une union imposée, et de surcroît fondée sur un mensonge initial, ne laissait rien présager de bon. La souveraineté qui procède d'un tel type d'union ne pouvait donc être que conflictuelle530.

L'enquête produite à l'occasion de la plainte de Louise Mesnard laisse également supposer, de manière implicite, un mariage arrangé, puisqu'à cette occasion l'un des témoins rapporte que « le sieur Mesnard de Beauvais fut bien misérable d'avoir donné sa fille audit Lecerf parce que c'était un homme généralement décrié dans Chaumont, qu'il avait eu de mauvaises affaires, qu'il avait été banni et autres choses pareilles531 ». À l'origine des mauvais traitements se trouve donc une discordance d'humeur entre les deux époux qui, dans certains cas, pourrait être le fait d'un mariage de raison pour lequel on n'a pas eu la prudence d'attendre de voir si les futurs conjoints s'entendaient bien.

Plus généralement, le « mauvais ménage » des époux se manifeste au travers de querelles à l'occasion desquelles se font entendre de nombreuses insultes qui relèvent parfois

528 Constatant le piètre état d'Anne Toubert qui porte sur elle les marques des mauvais traitements de son mari, Nicole Meusier, son ancienne domestique, lui déclare que « c'est une grande pitié de faire un tel ménage ».

AD 60, B 1685, annexe n°3, document n°1, t. II, p. 22.

529 La connotation économique de l'expression « mauvais ménage » se retrouve dans un témoignage contre le sieur Delaneufrue : « Comme aussi sait qu'à cause desdits procès et mauvais ménage, ledit sieur de Laneufrue a dissipé la plupart de son bien ». AD 60, BP1700, annexe n°11, t. II, p. 54.

530 REGINA C., op. cit., p. 55-56.

531 AD 60, BP 1775, cf annexe n°12, t. II, p.67.

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181 d'un certain « génie argotique532 ». Ainsi, le sieur de Laneufrue533, appelle sa femme

« putain » et « carogne534 » après que celle-ci lui ait reproché la dissipation de ses biens : dès lors se laisse entrevoir une rupture de communication entre les deux membres du couples, le mari ne souhaitant pas écouter les reproches de sa femme puisqu'après l'avoir insulté, il

« l'aurait chassé de sa maison à coups de pieds535 ». L'autorité du mari, responsable de la bonne gestion de son ménage, est remise en cause par les reproches de son épouse : sa réponse est symétriquement, une remise en cause de la pureté du corps de la femme en l'assimilant à une prostituée par le biais des injures. Dès lors, insultes et mauvais traitements deviennent le symptôme d'une lutte de conception de l'ordre matrimonial, comme l'écrit Christophe Regina :

Les altercations violentes constituent des temps de rupture d'un consensus et une remise en cause de l'ordre censé fédérer le couple. La souveraineté domestique est, finalement, un champs de tension et d'affrontements entre la puissance maternelle et la mission que la société d'Ancien Régime reconnaît aux femmes – à savoir la bonne gestion du foyer dont elles sont les gardiennes – et la puissance paternelle dont la principale démonstration réside dans l'assurance de la subsistance du foyer.536

Le désordre qui survient dans un ménage est donc souvent lié à une remise en cause de la manière de gérer le foyer d'une part, et de gérer les biens communs du couple d'autre part.

De fait, l'expression « mauvais ménage » désigne également la mauvaise gestion des biens du mariage.

La mauvaise gestion des biens

Ainsi, à l'origine des mauvais traitements assenés à Anne Toubert par son mari se trouve la menace de la ruine du ménage :

(…) Ledit Ménestrel disait à ladite Toubert sa femme que ledit Delamouque ne se voulait pas contenter de la promesse qu'il lui avait faite et qu'il voulait qu'elle s'obligeât avec lui solidairement au paiement en ce qu'il lui devait, autrement, qu'il le poursuivrait à toute rigueur et que cela était capable de le ruiner, pourquoi il voulait qu'elle s'obligeât avec lui, ce que ladite Toubert aurait refusé en tant qu'elle ne s'obligerait pas. À cause de quoi ledit Ménestrel aurait pris un bâton duquel il aurait frappé ladite Toubert plusieurs coups en plusieurs endroit de son corps, et bien qu'il y eût plusieurs personnes qui tâchaient de l'empêcher, personne n'osa pourtant l'aborder parce qu'il

532 REGINA C., op. cit., p. 58.

533 AD 60, BP 1700 cf annexe n°11, t. II, p. 54.

534 « Carogne. s. f., femme de mauvaise vie ». CLASSIQUES GARNIER NUMERIQUES, op. cit., éd. de 1687, avant-première 2, article « carogne ».

535 Ibid.

536 REGINA C., op. cit., p.69.

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menaçait de frapper ceux qui l'empêcheraient, disant que c'était ses affaires et non les leurs (…).537

Il ne s'agit plus ici d'une rupture de communication entre les deux époux, mais d'une rupture de la solidarité économique qui fonde le lien conjugal. La violence du mari doit alors rétablir par la force cette solidarité :

(…) Ladite femme faisait réponse : « c'est encore pour Lemouque, il nous brime et veu[t] donc ruiner à me faire toujours signer ». À quoi ledit Ménestrel fit réponse : « nous paierons aussi bien l'un que l'autre avec le temps, il faut que tu signes », ce que ladite Toubert accorda, ledit Ménestrel continuant toujours à frapper.538

La mauvaise gestion des biens peut également être à l'origine d'une séparation de fait entre les époux. Cela manifeste clairement la rupture du lien conjugal. C'est ce qui se produit pour Jeanne Gaigne, délaissée par son mari du fait des poursuites judiciaires dont ce dernier fait l'objet à cause des dettes qu'il a contractée :

(…) il [Charles Picart, mari de Jeanne Gaigne] aurait vendu tout ce que la suppliante aurait eu en mariage (…), ayant aussi fait diverses dettes en telle sorte que les sergents auraient enlevé tout ce qui pouvait rester en la maison de la suppliante et depuis ce temps icelui Picart l'aurait quittée et s'en serait allé en la ville de Paris.539

Rien n'est dit d'une probable mésentente entre Jeanne et son époux, ni même de mauvais traitements, pourtant monnaie courante dans ce type d'affaires. Cependant, l'abandon du domicile conjugal témoigne d'une impossibilité pour le couple de vivre ensemble et de faire face solidairement à la faillite du ménage, contrairement au mari d'Anne Toubert qui tente de maintenir cette solidarité par la violence.

Le « mauvais ménage » serait donc causé par le « mauvais ménage »540 : la mauvaise gestion des biens, qu'elle soit le fait de l'homme ou de la femme, à l'origine d'une rupture du lien matrimonial, entraîne le recours à la force ou l'abandon pur et simple du domicile conjugal. Cependant, la dissipation des biens n'est pas la seule cause de la mauvaise entente des époux : dans les plaidoiries portées devant le bailliage de Beauvais se laissent entrevoir également une déception des attentes des épouses envers leur mari, et, plus rarement, de celles des mari envers leurs épouses.

537 AD 60, BP 1685, cf annexe n°3, document n°1, t. II, p. 21.

538 Ibid.

539 AD 60, BP 1685, cf annexe n°3, document n°1, t. II, p. 21.

540 La confusion dans les sources des deux notions que recouvre l'expression « mauvais ménage » atteste peut-être d'un lien étroit entre mauvaise gestion des biens et mauvaise entente du mari et de la femme.

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183 II. 3 Droits et devoirs du mari et de la femme

Devoirs de l'époux

À l'occasion de son enquête sur le divorce en Roumanie541, Constanţa Vintilă-Ghiţulescu a été amenée à définir les rôles respectifs des hommes et des femmes au sein de leur ménage. Ainsi, elle écrit :

Responsable de l'économie familiale, le mari a l'obligation de garantir la stabilité matérielle de la maison. L'accomplissement de ses devoirs s'évalue à l'aune de la prospérité du ménage : vêtements, bijoux, nourritures, logement et domestiques figurent comme preuves tangibles du soin qu'il a envers sa famille et de « l'amour » à l'égard de sa femme. (…). C'est autour de la réalisation, partielle ou inexistante, de ces attentes qu'émergent les disputes et les revendications des époux.542

Rôles de l'homme et de la femme sont ainsi définis pour le cas de la Roumanie. Le fonctionnement des couples du Beauvaisis n'est pas si différent. En effet, les devoirs de l'homme se dessinent dans de nombreuses plaidoiries, notamment celle de Jeanne Gaigne contre son mari Charles Picart, « lequel n'aurait pas été si tôt marié qu'il aurait commencé à mener une vie débauchée, étant journellement au cabaret, quittant son ménage et son art pour se donner du bon temps (…).543 » Ainsi, deux choses sont attendues du mari : il doit être présent auprès de son épouse pour l'assister dans la gestion du ménage, et il doit également

« vivre de son art » afin d'assurer la subsistance de son épouse et de ses éventuels enfants. Dès lors, l'homme qui livre sa femme à la mendicité devient l'objet du blâme de la communauté, comme en témoigne la déposition de Marie Châtelain sur sa voisine :

(…) Et était ladite Lersin en telle nécessité que la déposante avait été obligée de chercher la charité pour elle, et sur ce que la déposante disait audit Nouri que c'était grande pitié de laisser mourir sa femme de faim, il aurait dit qu'elle aurait du bien et qu'elle le pouvait vendre pour vivre du fruit (…).544

Quoi qu'il en dise, Nouri, mari de Lersin, ne remplit par son contrat : ce n'est pas à la femme de vivre de son bien mais à l'homme de « se mettre en peine de soi pour faire subsister545 » son épouse et ses enfants. Mais plus encore que la subsistance du ménage, la conservation du patrimoine en vue de sa transmission aux héritiers doit être le premier souci de l'époux : la négligence affectée par l'homme dans la gestion de ce patrimoine devient alors

541 VINTILĂ-GHIŢULESCU C., op. cit., p. 77-99.

542 Ibid. p. 78

543 AD 60, BP 1696, cf annexe n°8, t. II, p. 47.

544 AD 60, BP 1699, cf annexe n°10, t. II, p.51.

545 AD 60, BP 1696, , cf annexe n°8, t. II, p. 47.

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184 un objet de dénonciation à part entière. Charles de l'Esglantier, époux de Françoise de Maisy, se voit ainsi poursuivi parce qu'il « est un homme de mauvais ménage », et qu'il « ne se soucie de ce qu'il se passe dans le ménage de sa famille ni de ses affaires ». L'un des témoins conclue en disant « que ledit l'Esglantier est fort négligent des affaires de sa famille546 ». Dans le cas de Claude de Belloy, sieur d'Athin, la négligence est rendue manifeste par la mauvaise vente de la terre de Château Rouge, « qui ne provient que du soin dudit sieur d'Athin qui a laissé en friche du moins LX arpents de terre, XII arpents de vigne et les bâtiments en ruine, et notamment le pressoir qui est tout découvert (…).547 » Claude de Belloy dénie les accusations.

Sa femme s'empresse aussitôt de qualifier « la dénégation du défendeur très calomnieuse et sans correction » :

Car il sera très aisé à la demanderesse de prouver qu'elle a selon sa condition fait ce qu'elle a pu pour conserver les biens de la communauté d'entre ledit sieur son mari et icelle, ayant toujours eu l'œil sur ses domestiques en telle sorte que l'on ne lui saurait rien imputer de la perte des biens de la communauté.

Devoirs des épouses

Cette réponse d'Anne Dufay dessine ce que l'on peut attendre d'une femme au sein du ménage : surveiller les domestiques mais aussi et surtout « administrer tout ce qu'elle reçoit en contribuant à la prospérité de sa famille548 ». Dès lors, Claude de Belloy est tout à fait fondé à attaquer sa femme sur la gestion de son propre patrimoine, de même que les proches de Jean Delamouque, lorsqu'ils attaquent le comportement d'Anne Toubert qui « se serait donnée grande autorité sur son mari en telle sorte qu'elle passait dans la maison pour sa maîtresse549 ».

En effet, l'épouse « doit en outre ''connaître son mari comme homme et comme époux'', c'est-à-dire qu'il lui faut montrer sa soumission et sa fidélité550 ».

La négligence de la femme dans le soin de son ménage est dénoncée au même titre que celle de l'homme dans la gestion de ses biens. Ayant étudié les procès matrimoniaux conservés dans les archives épiscopales de Cadix, Alessandro Stella donne l'exemple de Josepha Quixano qui est enfermée dans la Casa de Recojidas, une « maison de pénitence », notamment en raison de sa négligence :

546 AD 60, BP 1696, cf annexe n°7, t. II, p. 45

547 AD 60, BP 1694, cf annexe n°4, t. II, p. 30.

548 VINTILĂ-GHIŢULESCU C., op. cit., p. 78.

549 AD 60, BP 1685, cf annexe n°3, p. 23.

550 VINTILĂ-GHIŢULESCU C., op. cit., p. 78.

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(…) Toutes les dissensions venaient du fait que Josepha Quixano ne voulait s'occuper ni de la maison, ni de la cuisine, ni de son mari, et que la paix entre les époux ne durait pas plus de trois ou quatre jours, et parfois moins de vingt-quatre heures. Elle tenait son appartement « avec la plus grande indécence, empli de saletés, sans même laver les assiettes, et empêchant son mari de le faire ». (…) Elle [la mère de Josepha] s'insurgeait de voir sa fille enfermée, « alors qu'on ne peut pas mettre les femmes chez les Recojidas parce qu'elles sont un peu négligentes ou cochonnes [sic] ».551

Mais la négligence dans l'entretien de la maison n'était pas le seul motif valable d'enfermement : « la plupart du temps, c'était le comportement sexuel hors norme, l'infidélité conjugale en particulier, qui poussaient le mari ou les parents de la femme à demander sa réclusion.552 ». En effet, l'un des devoirs de l'épouse, si ce n'est le principal, est de conserver son corps intact en ne commettant pas l'adultère, afin de préserver la pureté du lignage et l'honneur de son époux. Alessandro Stella rapporte notamment le cas de María del Carmen Barrientos :

Au terme de dix ans de mariage, Benito Robelo, charpentier de marine, avait pris la décision douloureuse de demander la séparation et l'enfermement de sa femme dans la Casa de Recojidas.

Alors qu'il s'était toujours bien comporté à son égard, traitant sa femme avec le plus grand amour et beaucoup de tendresse, déclarait-il, « l'infidélité au lit de doña María del Carmen Barrientos est notoire, et mon déshonneur est public. (…) Elle s'est livrée à des vices illicites que j'ai ignorés jusqu'à maintenant, prenant la liberté de coucher hors de la maison, justifiant ses absences par la nécessité d'assister ses parents ; ce que je croyais, dans mon innocence, jusqu'au jour où j'ai pris mes renseignements et j'ai découvert que c'était faux, ce qui m'a atterré et rempli de douleur et de chagrin. »553

Nous n'avons retrouvé jusqu'à ce jour aucune affaire d'adultère dans les archives de l'Oise, que ce soit dans les affaires portées devant le bailliage de Beauvais, ou bien devant le tribunal de l'officialité. L'adultère fait pourtant partie des crimes réprimés par les justices séculières, comme en témoigne sa mention dans une des notices de l'inventaire des procédures criminelles du bailliage de Sens554. Aucune explication ne peut être donnée à l'absence notable de ce crime dans les justices du Beauvaisis, sinon peut-être les mots d'Yves et Nicole Castan, selon lesquels « il faut (…) accepter comme représentative la part des procès d'adultères dans

551 STELLA A., op. cit., p. 113.

552 Ibid.

553 Ibid.

554 « Lettres de rémission pour le sieur des Berthiers, et de simple pardon pour le sieur Baillot ; au dossier, une lettre non signée du 7 octobre 1718 adressée sans doute au sieur des Berthiers : ''Par le bruit qui arriva hyer, mon cher Monsieur, entre mon mary et moy, j'ay tout lieu de craindre par ses discours et ceux de mes enfants qu'ils n'ayent envie d'avoir une affaire avec vous, … les craintes où je luy parus être qu'il ne voulut en avoir une avec vous par les mauvais discours que les indignes esprits de cette ville leur ont tenus sur ce qu'ils croyent notre intrigue, même leur père poussé par son extrême jalousie... etc.'' » FORESTIER H., op. cit. p.

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186 la procédure criminelle (…)555 » :

Les plaintes qui apparaissent au nombre de quelques dizaines dans tout le siècle, on trait à des récidives insupportables car dans un premier temps, pour ne pas briser le ménage mais sans excès de discrétion, appel est fait à des médiateurs temporels ou spirituels ou même au commandement militaire dont les actes, pour ostensibles qu'ils soient, ont l'avantage de ne pas laisser de traces judiciaires.556

Conclusion

Ces mots viennent nous rappeler que les affaires matrimoniales, et plus largement, les affaires familiales, sont encore assez peu touchées par la justice dans l'Ancien Régime : « hier comme aujourd'hui, écrit Hervé Piant, la justice ne pénètre que difficilement la vie des couples557 ». Dans ce contexte, quelle place peut-être faite aux sentiments conjugaux et à l'amour au sein des diverses justices ? On ne peut nier en effet que les affaires matrimoniales portées devant le bailliage ou l'officialité de Beauvais semblent effacer le sentiment amoureux derrière des systèmes de droits et de devoirs qui constituent autant d'ordres matrimoniaux différents : seules les enquêtes faites à l'occasion des procédures de dispense portées devant la justice de Noyon laisseraient entrevoir ce que les contemporains appelaient « l'amitié » ou encore « l'inclination ». Ce que révèle cependant la comparaison entre la conception ecclésiastique de l'ordre matrimonial et sa conception séculière au travers de l'analyse des affaires portées devant l'officialité et le bailliage de Beauvais, c'est que la justice du bailliage se rapprochait peut-être plus des attentes et des réalités des justiciables vis-à-vis du mariage et du lien conjugal que l'officialité de Beauvais pour laquelle seul le respect du sacrement importait. Ce décalage entre norme ecclésiastique et norme sociale est rendu patent sous la plume d'Alessandro Stella :

Les témoignages des voisins dans les procès pour concubinage sont éclairants : ils voyaient un homme et une femme faire vie commune, concevoir et élever des enfants, s'aimer au quotidien ; à leurs yeux c'était une famille, un couple légitime, et ils en concluaient qu'ils étaient mariés.

L'apparence de normalité valait pour norme. Cependant les normes existaient, et l'institution religieuse sévissait contre les concubins.558

Pour la justice ecclésiastique, la norme tire donc sa source du droit canonique, tandis que pour les justiciables, elle est issue de la pratique régulière d'un comportement qui

555 CASTAN (Yves), CASTAN (Nicole), Vivre ensemble. Ordre et désordre en Languedoc (XVIIe-XVIIIe siècles).

Paris : Gallimard, Julliard, 1981.

556 Ibid. p. 82.

557 PIANT H., op. cit., p. 151.

558 STELLA A., op. cit., p. 183-196.

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187 acquière une reconnaissance aux yeux de la société : dans ce cas particulier, justice ecclésiastique et normes sociales sont donc en concurrence.