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Oral et écrit au sein des procédures judiciaires en matière matrimoniale

Comme on a pu le constater, les procédures de dispense sont composées d'interrogatoires de paroissiens conduits le plus souvent par les doyens ruraux et retranscrits par leur greffier : dans ce contexte l'absence de traces d'oralité, c'est-à-dire d'un discours spontané des impétrants, paraît étonnante. Dans sa thèse sur les visites pastorales dans le diocèse de Chartres au XVIIe siècle410, Robert Sauzet souligne le phénomène d'affleurement de l'oral dans certains comptes-rendus :

Certes, les propos des uns et des autres sont le plus souvent résumés par le greffier pressé.

Cependant, il arrive que le discours oral affleure : tantôt l'oral du clergé est transmis directement comme, en 1630, à Bazoches en Dunois, où le curé répond insolemment à l'archidiacre « qu'il estoit maistre en son église » et déclare que les paroissiens qui l'accusent d'intempérance sont

« gens hostelliers qui vendent jour et nuict et contre lesquels il a obtenu sentence du juge dudict lieu ». Tantôt les propos des clercs sont rapportés par les fidèles comme à Saint-Léonard en 1640 où des habitants témoignent que leur prieur a refusé d'administrer la femme Denyau disant qu'« elle estoit une vieille sorcière, qu'il ne luy administreroit les saints sacrements et qu'il luy falloit plustost mettre le feu au cul »411.

Disparition de l'oral des impétrants dans le processus de copie des enquêtes

En réalité, les dossiers de dispense présentent une grande régularité : l'écriture y est très lisible et l'on y trouve peu de ratures, de renvois ou encore d'abréviations, contrairement à l'interrogatoire de Jeanne Delahaye figurant dans les sources de l'officialité de Beauvais412. Cela s'explique peut-être par le caractère essentiellement écrit de la procédure d'obtention de dispense, et le fait que l'enquêteur s'adresse au promoteur qui doit donner son accord à la dispense, dans un jeu de navette entre l'officialité et le doyenné que Durand de Maillane expose dans son Dictionnaire :

Les impétrants ayant été ouïs, l'official ordonnera que leur audition sera communiquée au promoteur, pour être par lui prises, telles conclusions que de raison : et le promoteur ayant examiné cette audition, requerra que les impétrants vérifieront par manière d'enquête les faits qu'ils ont exposés au pape, et sur lesquels ils ont obtenu la bulle dont il s'agit. (…) Ces actes étant

410 SAUZET R., op. cit.

411 Ibid. p. 96.

412 Outre les nombreuses abréviations, on observe un long renvoi à la ligne. AD 60, G 3591, cf annexe n°16, document n°12, t. II, p. 91.

Chapitre III : Écrit et oral, formalisme et acteurs de la procédure.

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achevés, l'official ordonnera que le tout soit communiqué au promoteur, et le promoteur ayant examiné toute la procédure, donner ses conclusions définitives, et l'official sa sentence (…)413.

Ainsi, lorsque le greffier rapporte les propos de ses paroissiens, il s'adresse en réalité au promoteur et à l'official de la justice de Noyon : son écriture doit être lisible et peut-être doit-elle également correspondre à ce que l'on peut attendre d'une procédure en matière matrimoniale, énonçant des arguments de droits comme on a déjà pu le voir plus haut dans les causes de dispense fréquemment alléguées. Dès lors, on peut se demander si le document que renvoie le greffier du doyenné à l'officialité n'est pas une copie faite au propre d'un brouillon, dans laquelle les propos des paroissiens sont transformés : c'est en réalité ce que Robert Sauzet a pu observer en comparant la transcription par « un doyen particulièrement zélé » nommé René le Geleux d'un « registre de ses procès-verbaux de visite de 1646414 ». Ainsi peut-on lire :

Peut-être ce qui a déterminé le doyen à reprendre le travail de son collaborateur c'est le manque de cohérence en même temps que la sécheresse de sa rédaction. Ainsi à Meslay-le-Vidame, ce décousu « avons interrogé ledit sieur curé s'il ne hantoit plus une certaine servante dont il nous a faict réponse que non et qu'elle luy estoit indifférente. Avons aussi enjoinct audict curé qu'il laisse les registres dans l'église. Nous luy avons enjoinct de ne hanter plus ladite servante de peur de scandale » devient sous la plume de Le Geleux « ledit sieur curé interrogé (secreto) s'il hantoit une certaine servante qui est dans le village, il a dit qu'il la hantoit indifféremment comme une autre.

Nous luy avons très expressément enjoint de ne la hanter plus du tout de peur que telle hantise ne fut préjudiciable à son honneur et ne donnast subject de scandale à ses paroissiens ».415

La seconde version de la visite réécrite par Le Geleux laisse de côté « la recommandation concernant les registres » mais développe l'argument juridique du scandale, utilisé également dans les procédures contre les concubinaires, ainsi que dans les dossiers de dispense où l'on demande aux impétrants si leur dispense de mariage, une fois accordée, ne causera pas scandale.

La parole rapportée devant les différents tribunaux

On peut se demander également comment la parole des justiciables ainsi que leur témoignage, sont rapportés dans les différentes justices qui ont compétence sur le mariage.

Ainsi à l'officialité de Beauvais, on peut observer dans l'affaire du concubinage de Charles Vilain et Marguerite Magnie un certificat du prêtre-curé de Thiescourt rapportant la séparation

413 DURAND DE MAILLANE P.-T., op. cit., t. I, article « Empêchement », p. 328.

414 SAUZET R., op. cit., p. 97-98.

415 Ibid.

Chapitre III : Écrit et oral, formalisme et acteurs de la procédure.

144 effective du couple :

(…) et de plus le susdit Charles Vilain m'a promis y devoir continuer sa demeure sans en aucune façon voir et hanter dorénavant avec désir d'offenser Dieu la susdite Marguerite.

Les paroles de Charles Vilain sont rapportées au style indirect. Elles semblent avoir été transformées par le style concis et juridique du certificat : peut-on s'attendre à ce qu'un homme de modeste condition, placé comme domestique chez un abbé, dise réellement qu'il ne veut plus « hanter [sa concubine] avec désir d'offenser Dieu416 » ? Il semble que ce sont là plutôt les paroles d'un curé qui veut édifier ses paroissiens sur la conduite qu'ils do ivent tenir pour le salut de leur âme. Par ailleurs, le contraste avec la manière dont est rapportée la parole dans les procédures civiles du bailliage de Beauvais est saisissant. Ainsi, ce témoignage contre Joseph Lecerf, mari de Louise Mesnard, attaqué en justice pour mauvais traitements envers sa femme :

(…) Ledit Dunet demanda audit Lecerf ce qu'il y avait de nouveau qu'il le voyait ainsi à Beauvais, ledit Lecerf fit réponse que lui Dunet savait bien pourquoi il venait, qu'il ne venait pas pour chercher sa femme mais que s'il la trouvait il lui brulerait la cervelle d'un coup de pistolet, qu'ensuite ledit Lecerf en sortit de ladite maison fort en colère jurant qu'il voudrait que le diabète eut emporté toute la sacré famille417.

Les paroles de Joseph Lecerf sont également rapportées au style indirect, mais sans doute avec beaucoup plus d'exactitude, comme en atteste le juron blasphématoire par lequel l'homme termine son dialogue avec Dunet.

Traitement des témoignages dans les différentes justices

Plus généralement, les témoignages qui permettent d'instruire les affaires matrimoniales au bailliage de Beauvais présentent une plus grande variation entre eux que les témoignages utilisés dans les procédures de dispense. Ainsi, toujours dans l'affaire de Louise Ménard et Joseph Lecerf, on observe une différence de taille entre le témoignage de Marie-Anne Roisin, s'étendant sur près de trois pages, et celui de Joseph d'Hercourt, dont la concision des propos fait tenir ce dernier sur une page.

Cet écart entre les témoignages ne s'observe pas dans les procédures matrimoniales des justices ecclésiastiques. Ainsi ces témoignages très similaires portés contre Clément Martin et

416 AD 60, G 3360, cf annexe n°20, document n°4, t. II, p. 128.

417 AD 60, BP 1775, cf annexe n°12, t. II, p.57-58.

Chapitre III : Écrit et oral, formalisme et acteurs de la procédure.

145 Catherine Delisse, concubinaires poursuivis par l'officialité de Beauvais :

Ce même jour et an, Pierre Godefroy, receveur de la terre d'Ully-Saint-Georges et de Cousnicourt, âgé de quarante-cinq ans ou environ, après serment par lui fait, a déclaré que Clément Martin et Catherine Delisse demeurent comme mari et femme ensemble à Cousnicourt, et a dit qu'il n'a pas entendu publier les bans dans l'église d'Ully-Saint-Georges entre l'un et l'autre, et qu'ils n'ont pas été mariés dans le pays, mais que ledit Clément Martin dit bien avoir été marié à Saint-Eustache à Paris, et dit qu'il a entendu dire que le mari de ladite Catherine Delisse est mort, mais qu'il n'est pas certain. Et est ce qu'il a dit. (…)

Ce même jour et an, Anne Testaud, sergent en la justice d'Ully-Saint-Georges y demeurant, âgé de cinquante ans ou environ, après serment par lui fait, a dit que Clément Martin et Catherine Delisse demeurent à Cousnicourt ensemble comme mari et femme, et qu'il n'a pas entendu proclamer de bans en l'église d'Ully entre l'un et l'autre, et qu'ils n'ont pas été non plus mariés ensemble, et a dit qu'il ne sait pas si le mari de ladite Catherine Delisse est mort ou non. Et est ce qu'il a dit418.

Dans les dossiers de dispense présentés à l'officialité de Noyon, la grande majorité des témoignages concordent, au mot près, avec les interrogatoires des impétrants : seuls 15 % de ces derniers apportent des informations supplémentaires aux propos contenus dans les interrogatoires, telles que la trop grande fréquentation des cabarets, les embrassements en tous lieux, la naissance d'un ou plusieurs enfants illégitimes issus de ces fréquentations, ou encore la somme totale atteinte par les biens des impétrants une fois mis en commun par le mariage.

Ayant observé le formalisme des documents produits par les officialité de Noyon et de Beauvais aux XVIIe et XVIIIe siècles, du fait de leur correspondance avec les normes énoncées par Durand de Maillane dans son Dictionnaire, mais aussi des faibles variations que l'on peut mesurer d'un document à un autre, la question se pose de savoir quelle signification peut être donnée par juges et justiciables à des documents qui semblent en apparence éloignés d'une certaine spontanéité verbale, et s'approchent plutôt des normes canoniques.

I. 3 L'écrit produit par les justices ecclésiastiques sont-ils investis d'une