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Présentation et règle du jeu des

Dans le document Ce volume consacré aux (Page 39-47)

Demoiselles d‟A.

«Ce n 'est pas la colle qui fait le collage»

Max Ernst

C‟était en 1979. Les Demoiselles d ‟A paraissaient aux éditions Belfond. A l‟époque, j'exposais à peu près ainsi le fonctionnement mécanique du livre : Mode d’emploi

Présentant N a pris les dés à la télévision, Alain Robbe-Grillet déclarait possible la réalisation d‟un long métrage au moyen de chutes de courts métrages non distribués. Rêve de pellicule et désir. Mais la continuité disparaissant (personnages, décors, atmosphère, densité, rythme, couleurs, etc.), la causalité se perdrait du même coup.

Dans un texte, l‟imagination travaille plus au large. De «En nettoyant un fusil chargé, Dupont pressa la détente et libéra la balle qui lui perça la cuisse. Il voulu appeler à l‟aide et tomba dans l‟escalier, incapable de se relever», je peux faire, en allant chercher ailleurs un autre élément, une première phrase différente : «Durand avait tellement bu qu ‟il ne trouvait plus la serrure. Il voulut appeler à l'aide et tomba dans l'escalier, incapable de se relever.»

Il - Dupont devient il - Durand. La continuité narrative fonctionne sur ces ambiguités. On en trouvera maints exemples - plus complexes - dans Les Demoiselles d ‟A.

750 citations

Le livre se composait de 750 citations d‟auteurs, à raison d‟une seule phrase citée par ouvrage, qu‟elle vienne d‟un roman, d‟une nouvelle, d‟une pièce de théâtre, etc. Les phrases étaient servies intactes, ponctuation comprise. L‟ensemble était à l‟imparfait, temps d‟élection de la littérature romanesque. Par souci d‟uniformité, certains auteurs usant de guillemets, d‟autres pas, j‟avais choisi d‟aller systématiquement à la ligne et de marquer toute prise de parole d‟un personnage par un tiret.

408 auteurs se trouvaient cités. Certains, que j‟aimais ne l‟étaient pas ; d‟autres que je n‟aimais guère, l‟étaient. Les plus cités, brièvement et sans commentaires :

Balzac (22 fois), Hemingway (18), Maupassant (14), Maugham, V illiers de TIsle-Adam (10), Tolstoi (9), puis Musset, Kipling, Queneau (8), Christie, Dickens, Stendhal, Van Vogt (7), Dostoïevski, Henry Millet, Leblanc, Sartre, Tourgueniev, Vian (6), Bataille, Aragon, Barbey d‟Aurevilly, Owen,

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syne, Witkiewicz (5), Bernanos, Chandler, Gide, Céline, Hougron, Jarry, Love- craft, Le Braz, Mérimée, Zola, Sade (4)...

Méthode de travail

Je notais les phrases qui m‟émouvaient à raison d‟une par étiquette. A huit ou dix butinées par ouvrage, c‟étaient plus de cinq mille étiquettes qui encombraient ma table de travail et les murs. Curieusement, d‟ailleurs, la première citation prélevée, la phrase déclencheuse, grosse du désir charnel et matériel d‟écrire (papier, ciseaux); disparut en cours de travail. Motivante, imagée, c‟était :

Stendhal : Suivi de ses deux soldats, il se L „Abbesse de Castro précipita dans le jardin, courant

vers la petite porte de l‟escalier des pensionnaires ; mais il fut accueilli par cinq ou six coups de pistolet.

D‟autres encore, riches de faisceaux de possibles, et particulièrement deux, furent abandonnées à regret :

Borges : Sous les grandes arches des Ponts Histoire de l'infamie et Chaussées furent laissés pour compte

sept blessés graves, quatre cadavres et un pigeon mort.

Sue :

Le Marquis de Létorière II expira sans nul secours, et le

lendemain matin il fut trouvé mort sur les dalles du cloître

Sans doute la charge explosive de ces trois citations se trouva-t -elle peu à peu répartie dans l‟ensemble du texte.

Recherches

Le travail fut passionnant. J‟organisais mes investigations dans des directions que je pressentais fructueuses, comme des châteaux de cartes, pour les quitter ensuite au profit d‟idées apparues en cours d‟échafaudage. Je notais aussi des phrases par pure envie, les sachant inutiles au projet ; et certaines servirent.

Je reliais mes étiquettes entre elles avec des trombones, comme des trains de péniches. Des noeuds se condensaient. La phase de recherche désintéressée se doubla d‟une nécessité de meubler les intervalles. Je fis une cinquantaine de rubriques dans des boîtes où caser les envahissantes étiquettes.

Je relus de nombreux textes, souvent de l‟aval vers l‟amont pour échapper au courant narratif, en quête de citations approximativement situées par ma mémoire. Pas d‟idée précise au départ, sinon le plaisir d‟explorer et l‟illusion constante que la partie serait aisée.

Impression frustrée quand je terminai : j ‟aurais adoré continuer.

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41 Personnages et décor

J‟eus une idée claire de mes personnages rapidement, un mois à peu près, au-delà de l‟image de la jeune pensionnaire impulsée par la citation de Stendhal. C‟étaient : le docteur et la comtesse, le jeune homme et la jeune fille. Mythiques, ils fonctionnent comme des rôles théâtraux. Le choix de la comtesse venait de Balzac et Pouchkine, dont une citation ouvre d‟ailleurs l‟histoire.

Je dirai deux mots du jeune homme. Toute narration est un cheminement entre un conditionnement de départ et un conditionnement d‟arrivée. A travers l‟initiation d‟un personnage, elle mesure ce cheminement pour entraîner le lecteur dans son sillage et simultanément pour le dissuader d‟aller au-delà du propos, à la façon de Raskolnikov en présence du commissaire. De nombreux auteurs recourent donc à ce personnage malléable, signifié par son uniforme : le jeune homme. Le XIXe siècle en abuse, le XXe en use.

Je compliquai le cas de la jeune fille en la dédoublant âme et corps (XIXe contre XXe), et tombai sur un prénom : Blanche. Romantique pompier, des auteurs du XXe s‟en servent encore. Je l‟avais heureusement déniché aussi chez Jarry, et ce fut Jarry qui me décida. Il m‟offrait la possibilité de retourner le prénom comme un gant, et, précipitant le mélange Borges-Stendhal-Sue, m‟induisait à remplacer le couvent de départ par un lupanar - sans oulbier le «pigeon mort».

Le titre

J‟étoffai le texte peu à peu. La première composition sensée était de 1977. J‟y ajoutai des phrases comme des vecteurs au gré de lectures nouvelles, qui consolidèrent ou qui transformèrent la structure. Je repris le travail de façon suivie deux ans après. J‟oubliai un titre provisoire (Ça percé), sans doute infuencé par Groddeck, et songeai à La Ronde de nuit, puis à Les Demoiselles d'Avignon, puisque cette peinture, caution culturelle dominante du siècle, représente en fait des putains. Le titre abrégé, il resta Les Demoiselles d‟A.

L’art du centon

Le centon (texte composé d‟extraits prélevés) existait avant ce livre, mais il n‟existait pas en prose. L‟idée de travailler la narration sur l‟entité «phrase» était de moi. Il ne s‟agissait pas d‟une smp le pratique ludique, mais de constater qu‟il y avait du «jeu dans les rouages». M‟appuyant sur l‟héritage culturel, je me conformais aux influences dominantes, je me laissait guider pour mieux en révéler les sources et les fondements, et aller au-delà des conditionnements. Très vite, le jeu déborda les frontières raisonnables, poésie et humour en prime. Jean Dubuffet m‟écrivit à propos de ce livre une quinzaine de lignes. Il déclarait notamment : «L'opération me paraît porter à prendre conscience de l ‟emprise générale du conditionnement culturel et de la prison dans laquelle il enferme la pensée et la création. On se demande si on pourra jamais s ‟en libérer et repartir d'un autre pied.»

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42 Exergue

C‟était le problème. Et pour jouer le jeu déconditionné, défouisseur, l‟idée m‟était venue, dérisoire, de chapeauter ce comble de la citation par un comble, en le munissant d‟un exergue. Mais comment prendre du recul suffisamment ? Je décidai (comme le magnétophone de Roche à Cerisy) d‟ouvrir les Fables de la Fontaine, auteur hors-circuit donc potentiellement dissident, et de retenir la première sentence «au hasard». Je n‟ai pas triché, je n‟ai pas eu à le faire, cent autres eussent sans doute convenu, mais celle que je trouvai «Notre ennemi, c 'est notre maître : Je vous le dis en bonfrançois» faisait mouche ! Elle justifiait cette démolition du mur des habitudes et le désir ardent de privilégier la pulsion contre l‟ordre. «Que détruire lorsque enfin tu auras détruit ce que tu voulais détruire

? écrit Michaux. Le barrage de ton propre savoir.»

L’autre côté du miroir

En 1979, j‟avais quarante ans. J‟avais décliné l‟offre d‟une préface de Perec pour ce livre. Je pressentais que Les Demoiselles d‟A. étaient une ouverture vers d‟autres territoires, non balisés. Le jeu (au-delà des exercices potaches de l‟Oulipo), son rapport direct à l‟inconscient libéré par la contrainte, me permettait de renouveler la pulsion au lieu d‟implanter de l‟ordre, avec sa petite logique de phase ascendante brève et de phase descendante longuette. (Au fond, le seul auteur (oulipien ?) qui m‟ait jamais passionné était Queneau - qui d‟ailleurs avaitpublié mon premier roman, Général Francoquin, en 1967.)

Le mur abattu

J‟ai dit que Les Demoiselles d‟A. étaient pour moi le percement d‟une brèche dans un mur. Restait à attendre une réponse de la vie. J‟étais instituteur. J‟écrivais et peignais, mais je faisais tout cela APRES ma classe. En 1983, un élève vint me demander une histoire sur lui et pour lui, à partir du rêve d‟un pouvoir fantastique. J‟écrivis cette histoire en y faisant entrer ce que j‟avais appris à tresser ailleurs. Je la lui lus en classe. Les demandes affluèrent : moi je rêve de ceci, moi de cela... Ainsi naquirent mes premières histoires des Enfantatisques. Les enfants venaient de m‟aider à abattre le mur entre ma vie professionnelle quotidienne, et l‟autre, artistique et littéraire ; ils venaient de m‟aider à me réunir et à m‟assumer. Je me mis à transférer dans mes contes ce que j‟avais expérimenté ailleurs, des années durant. Ainsi débuta une longue, heureuse et fructueuse collaboration avec l‟Ecole des Loisirs.

Les jeux littéraires aux enfants

Je travaillai mes jeux dans mes classes, non plus épisodiquement comme auparavant, mais profondément, de façon suivie, et sur tous les champs du langage. J‟affinais des pratiques nouvelles, susceptibles là encore, de privilégier la pulsion, j‟inventais avec la complicité des enfants, tout cela à contre-courant, les «jeux littéraires» constituant alors une sorte de domaine réservé, marginal et ronronnant.

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43 C‟est à rebrousse-poil que parurent donc Les sorcières sont N.R. V. et les Contes du miroir en 1988. (Pour citer une remarque entendue alors, on me publiait «un livre de jeux pourfaire plaisir à un auteur qui marche» : c‟était le reflet de l‟époque). Mais les enfants s‟approprièrent les livres, les montrèrent à leurs professeurs préférés, qui prirent le relais. De nombreux collèges ouvrirent des ateliers d‟écriture sur l‟appui de ces deux premiers livres, l‟un consacré aux mots, l‟autre aux enchaînements et constructions syntaxique. (C‟est au point qu'aujourd‟hui, nous devons même nous battre pour empêcher les enseignants d'en faire des manuels scolaires !)

Des livres suivirent, avec d‟autres jeux. Etant invité dans divers établissements, j‟expérimentais sur plusieurs niveaux. Ainsi naquirent une dizaine de livres, sans compter une Grammaire impertinente chez Retz (1988) qui eut l‟honneur d‟être plagiée.

Tous les champs du français scolaire me motivaient. Je modifiais des jeux existants, j‟en inventais d‟autres, mais toujours au bénéfice de la pulsion. Dans Les Demoiselles d‟A., la juxtaposition des citations renouvelait l‟émotion de i'incipit. Si la cristallisation s‟opérait, les idées pointaient, riches de promesses d'écriture jusqu‟à la fin de l‟acte d‟écrire. Après ce livre, et privilégiant mes interlocteurs quotidiens, je passai simplement du support romanesque catalogué «adultes» au support «conte» catalogué «enfants». Tous mes jeux ensuite (même les plus longs puisque Les 7 Soeurs Sapins compte 240 pages), prirent appui sur cette forme.

Le jeu et ses exigences

Avant d‟évoquer quelques expériences, je m‟excuse de me montrer tranchant. Le jeu l‟exige. Des jeux classiques anciens, je ne retins que le lipogramme (en E). Sans tricher, et c‟est sur ce point que je dois m‟attarder. Georges Perec, auteur de La Disparition, a hélas beaucoup triché. (A ce jour, je n‟ai rencontré personne qui ait lu le livre entièrement, ceci expliquant cela, peut-être.) L‟auteur s‟y permet de nombreuses licences. Tous ses H sont muets (l‟hamster, l‟hasard, l‟hérisson), on trouve «infantil», «infant» pour enfant, il m‟a

«u». J‟en passe. Le jeu, ce n‟est pas cela, pour moi. C‟est Charlie Parker attaquant Cherokee sur une nouvelle grille d‟accords qu‟il s‟impose pour élever le débat, et qui, du fait qu‟il improvise en s‟y tenant sans faille, compose un morceau neuf : Ko-kol. Comme Charlie Parker, il faut tenir sa grille pour ne pas retomber dans les ellipses anciennes. La Disparition de Georges Perec perd vite sa pulsion, et traîne en trichant une longue phase descendante. Le jeu ne «donne » pas d‟imagination, comme l‟espérait son auteur. Il permet seulement à qui en a, de multiplier en condensant, de cristalliser en ouvrant au lieu de replier. Perec croyait, il l‟a écrit, que le lipogramme était lié à notion de fratrie. Chaque fois qu‟il séchait, il forçait le sens vers cette illusion. Résultat répétitif, rassuré par la conviction d‟avoir traité, lui aussi, de la fratrie. Hélas ! j‟ai pratiqué le jeu sur la base d‟un conte {Moipas grand mais moi malin, Ecole des Loisirs, 1994) pour enfants :

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donc interdit de tricher, interdit de partir en dérive, interdit de perdre de vue les enjeux, les personnages, les stratégies. Quand j‟étais en panne, je travaillais, le laissais mûrir.

(«Commentje m ‟y prends pour écrire ? Je perce un petit trou, je fourre mon cœur dedans et je laisse germer. » Léon-Paul Fargue, cité par André Beucler). Je ne repartais que chargé du potentiel dynamique nécessaire, sans idée préconçue. Le résultat dément l‟assertion : pas d‟histoire de fratrie à l‟arrivée.

Qu‟on se comprenne : le jeu n‟est pas fait pour colorier une structure, mais pour l‟inventer autre, en puisant au fond de sa culture et de soi-même. Tricher, dans cette logique, est inconcevable : ce serait se priver du plaisir d‟œuvrer. Dans une note critique favorable auxDemoisellesd‟A., Jacques Sternberg écrivait naïvement que j'aurais pu produire l‟histoire

«en une quinzaine de jours». C‟est évidemment impossible. Je ne savais pas où j‟allais, si je l‟avais su je n‟aurais rien fait. Les citations commandaient, fournissaient l‟énergie. Je ne repartais (autant vers l‟aval que l‟amont) qu‟une fois la transgression pulsive au rendez-vous, suffisamment puissante pour faire pièce à la mise en ordre qui guette tout écrit {«Pour sortir d‟une impasse il faut en prendre une autre», écrit Robert Pinget dans Monsieur Songe.)

Pas de sujet

Un écrivain, selon, à peu près, Alain Robbe-Grillet, c‟est d‟abord quelqu‟un qui n‟a rien à dire. Les jeux m‟ont fait entrer de plain-pied dans cette exigence depuis Les Demoiselle d‟A., et ce n‟est pas le fait qu‟ils aient été produits sur une base de conte, ou qu‟ils aient eu vocation pédagogique (parce que j ‟ en avais marre de la pédagabegie) qui y changera quelque chose. Le public ne s‟y est pas trompé. (En littérature jeunesse, comme en littéraire vieillesse, il y a nombre de romanciers qui en sont encore à croire que le livre a un « sujet » !)

Jeux pédagogiques

A la demande de François Richaudeau, qui animait les éditions Retz, et qui avait déjà publié mon jeu sur l‟écriture verticale, je mis mes recettes dans des livres à destination du monde enseignant. J‟y classais les jeux (les miens compris), et surtout j‟y fournissais de très nombreuses pistes pratiques. J‟ai le bonheur de constater qu‟ils servent dans les établissements scolaires, du premier et du second degré. (J‟avais ajouté, dans la foulée, un petit livre de jeux de lecture, pour le travail de l‟œil et de l‟oreille).

De l’unité phrase à l’unité segment

Observant le divorce entre l‟écrit (unité : la phrase) et l‟oral, je découvris à ce dernier une autre unité : le segment rythmique. J‟exposai mes découvertes sur le fonctionnement de l‟oral d‟abord au plan pédagogique puis dans un petit roman policier {Les Enquêtes de Glockenspiel, Ecole des Loisirs, 2000).

Le jeu débouche tout à coup dans la mare sociale, et les découvertes couvrent des espaces où la langue exerce un pouvoir sans appel : éducation, politique, télévision, police, justice. Autant avouer les choses crûment : les premières

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45 fois que j‟en parlai, cela faisait peur à tout le monde. Une méthode permettant de mesurer le degré de conviction d‟une prise de parole, de mesurer jusqu‟où et sur quels points elle s‟ouvre à la négociation, d‟étalonner le mensonge ou les probabilités de mensonges potentiels, de distinguer le dit du non-dit, cela ne plaisait pas forcément. J‟en fis l‟expérience : les gens d‟un camp voulaient bien entendre ce qui concernait l‟autre, pas ce qui les concernait. Pour être complet, puisque Les Demoiselles d'A. étudiaient la phrase écrite, je dirai donc quelques mots de la segmentation de l‟oral. (Une revue «scientifique» m‟avait demandé un texte de présentation étoffé d‟exemples réels. Mais au vu de ceux-ci, cette revue

«scientifique» me suggéra de remplacer mes exemples par des exemples imaginaires ! Sans commentaire...)

Parenthèse donc : les segments rythmiques : la rythmanalyse

1. Le langage est comme la marche. La pulsion force à parler comme à avancer la jambe. L‟ordre consiste à rétablir l‟équilibre en posant le pied devant soi, ou en se servant de sons qui font sens et s‟appellent mots ou groupes de mots. La phrase n‟existe que par référence à l‟écrit ; on ne la parle plus.

2. L‟oral procède par ouvertures de vannes, lâchers de flux, fermetures de vannes, etc.

3. Comme toute activité humaine, le langage oral consomme une énergie : il consomme du non-dit pour produire du dit.

4. Tout orateur structure inconsciemment sa prise de parole à l‟instant où il y procède, en échafaudant ses segments rythmiques. Il révèle et dissimule en même temps - il dissuade qu‟on aille au-delà de son propos.

5. J‟appelle segment rythmique l‟espace entre deux respirations. Cet espace comporte un nombre de sons émis - je ne parle pas de syllabes.

6. Cinq formes de soudures permettent de lâcher des segments rythmiques plus longs (sans compter les accentuations).

7. Plus l‟enjeu est grand (ou plus l‟interlocuteur est virtuel), plus les segments rythmiques de l‟orateur sont courts.

8. Les segments rythmiques de l‟orateur sont de deux sortes :

- les segments premiers, qui comportent un nombre de sons mathématiquement premier, portent la conviction jusqu‟à l‟intolérance, et sont dynamogènes ;

- les segments multiples, qui comportent un nombre de sons mathématiquement multiple, ne portent pas de forte conviction, mais s‟ouvrent à la nuance, à l‟échange, à la négociation.

9. Le langage oral use des deux segments pour échafauder l‟expression. Un discours qui n‟aurait recours qu‟aux segments premiers relève du fanatisme ; un qui r.‟aurait recours qu‟aux segments multiples serait l‟apanage d‟un faux-cul.

10. Les règles ci-dessus concernent l‟expression. La communication échangé d‟expressions) oblige à établir une pulsation commune entre les interlocuteurs. On n‟échange avec profit que les segments multiples, produits de

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substitution des segments premiers intraitables. Toute discussion achoppe aux segments premiers.

11. L‟écart entre le dit et le non-dit se révèle forcément, s‟il persiste dans le discours, par trois accidents : bredouillement, raté syntaxique, lapsus.

12. L‟oral ne peut pas mentir. Il vient de l‟inconscient, et porte la personnalité d‟un individu aussi clairement que ses empreintes digitales.

Etc. J‟ai bien sûr mûri tout cela au gré de centaines de rythmanalyses de prises de paroles.

Les demoiselles d‟A. Vingt ans après

J‟ai souvent constaté, à revoir certaines de mes anciennes peintures, que je les regardais comme des oeuvres d‟un autre, m‟étonnant de les juger aujourd‟hui avec mes exigences nouvelles. Ce livre, je le relis de même. Il fut dans ma vie à la fois charnière et rupture. Après lui, les enfants me firent devenir institAuteur, me donnèrent le pouvoir de prendre mes forces en touchant ma terre, comme Antée. D‟un auditoire confidentiel, je fis passer lesjeuxàun auditoire, ouvert, plus profond. Un article de J. Soublin dans Le Monde (janvier 2000) soulignait ce qui me tenait à cœur, des Demoiselles d‟A. à la rythmanalyse, en passant par les contes : «/ 'art ne peut surgir que de l ‟inconscient ; toute création valable est

J‟ai souvent constaté, à revoir certaines de mes anciennes peintures, que je les regardais comme des oeuvres d‟un autre, m‟étonnant de les juger aujourd‟hui avec mes exigences nouvelles. Ce livre, je le relis de même. Il fut dans ma vie à la fois charnière et rupture. Après lui, les enfants me firent devenir institAuteur, me donnèrent le pouvoir de prendre mes forces en touchant ma terre, comme Antée. D‟un auditoire confidentiel, je fis passer lesjeuxàun auditoire, ouvert, plus profond. Un article de J. Soublin dans Le Monde (janvier 2000) soulignait ce qui me tenait à cœur, des Demoiselles d‟A. à la rythmanalyse, en passant par les contes : «/ 'art ne peut surgir que de l ‟inconscient ; toute création valable est

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