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Le Concile des pasticheurs

Dans le document Ce volume consacré aux (Page 145-170)

A Jacques Laurent

Ils étaient tous là, ce soir quelconque, 87 rue de Rome: les vivants et les morts, les grands et les obscurs, autour de la table, demi-ronde et trop vaste pour les dimensions de la salle-à-manger, avec le pot à tabac qui trônait au centre, et le brouillard léger des fumées de tous flottant comme un nuage domestique. Près du grand poêle où se mouraient des braises, l‟on discutait littérature, comme à l‟ordinaire. Et un moment, l‟œil fixé au miroir, Remy de Gourmont, s‟adressant à l‟hôte mais comme se parlant à lui-même, laissa tomber ces mots:

— Il y aura toujours deux sortes d‟écrivains, ceux qui écrivent — et les autres. Et vous serez toujours le Maître des premiers et le scandale des autres. Le génie du verbe est ce qui se pardonne le moins, étant l‟inimitable.

Le sujet ne laissa personne indifférent. Ce qu‟ils se dirent lors, nul n‟avait songé sur l‟instant à en fixer le souvenir. Il fallut reconstituer le débat, lui donner forme, le découper; la chose était assez facile tant chacun, ou presque, parlait comme un livre. C‟est Mauclair qui, dans le silence gêné qui suivit, enchaîna.

Le mythe

Camille Mauclair — On a dit, Maître, que vous professiez, et enseigniez la doctrine symboliste à des jeunes gens dont vous faussiez l‟esprit. C‟est absolument inexact : l‟attitude que, poète, vous eûtes toujours fut celle d‟un individualiste, écrivant d‟après une méthode purement applicable à sa propre inspiration, récusant tout enseignement et engageant chacun à ne se fier qu‟à soi-même. Si vous eûtes jamais une influence, c‟est par le prestige du caractère, du désintéressement, de la sobre élégance et de la noblesse d‟âme.

René Ghil (bas, à Theodor de Wyzewa) — En voilà un qui vous surpasse en flagornerie.

Theodor de Wyzewa (bas, à René Ghil) — Taisez-vous, imbécile. Il montre comme votre entreprise est vaine.

René Ghil — Je ne vois pas de quoi vous parlez.

Camille Mauclair — J‟insiste: il n‟y a rien là pour pervertir ni faire école; et quant aux formes mêmes de l‟œuvre poétique et prosaïque de Mallarmé, personne n‟en a fait usage que lui. A peine deux ou trois tournures de phrase, une certaine manière de placer les épithètes appliquées au sujet entre virgules, et un

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usage momentané de l‟infinitif comme participe présent pour produire un effet spécial, ont-ils passé des écrits du poète à ceux de quelques-uns de ses amis. C‟est tout ce qu‟on peut constater, c‟est-à-dire presque rien. Stéphane Mallarmé est un homme inimitable, sans analogue dans son passé, un organisme dont tout le mystère est né de ce manque total de similitude à qui que ce fut, qui ne pouvait être pastiché en aucune façon.

Roland Barthes — C‟est la figure absolue de la fonction utopique de la littérature.

Albert Thibaudet — Je ne suis qu‟à demi d‟accord avec vous, Mauclair. La langue et le style de Mallarmé sont quelque chose, chez nous, de paradoxal et d‟unique, plus certes que la musique de son vers. Sa poésie, en tant que telle, on peut la rattacher sinon à des antécédents, du moins à des analogues. Elle ne paraît guère, dans la suite des écoles, isolée. Sa prose, en revanche, ne ressemble à rien. Sans point d‟attache dans le passé, elle est pareillement garantie pour l‟avenir de toute imitation, sinon ridicule. La langue et le style qui s‟y montrent à nu, dépouillés du mode incantatoire par lequel le vers les ordonnait selon un type antérieur, forment, sur les confins extrêmes du français, un jeu très curieux, qui nous révèle parfois certaines puissances, certaines tendances, irréalisables, de notre écriture littéraire.

Paul Valéry — Qu‟il y ait certains résultats de cette œuvre précise qui «n‟aient pas tardé à passer dans l‟industrie», nous le montrons tous. Mais Mallarmé ne devait pas avoir d‟influence: c‟est une proposition qui peut se démontrer. Influence, c‟est imitation ou continuation. Imiter un être si singulier, c‟est crier qu‟on imite. Imiter un art si parfait, c‟est une désastreuse affaire: cela coûte plus cher que de risquer d‟être «original».

Stéphane Mallarmé — Puis, sachez: à quoi bon trafiquer de ce qui, peut-être, ne se doit vendre, surtout quand cela ne se vend pas?

Daniel Bilous — Mais cela coûte parfois moins que ça ne rapporte, en valeurs temporelles. Chez Grasset, je suppose que l‟on se félicite encore d‟avoir les premiers publié les^4 la manière de...

Paul Reboux — Et qui avaient d‟abord été refusés par les Ollendorff, les Calmann-Lévy, Fasquelle et autres Flammarion! Toutefois, pour répondre à Paul Valéry, l‟opportunité est une chose, la question de la possibilité en est une autre. Je tiens qu‟il est possible de railler l‟humanitarisme fougueux d‟un Mirbeau, la nostalgie d‟un Loti, la bonhomie d‟un J. H. Fabre, le style 1900 d‟un Henry Bataille, et bien entendu, l‟hermétisme de Stéphane Mallarmé, les redondances de tel homme politique, la vertu bourgeoise de tel moraliste. Mais savez-vous pourquoi nous avons imaginé, pour notre Maupassant, que son célèbre récit «La Parure» était demeuré à l‟état de canevas, pour le faire narrer par ses amis Dickens, Goncourt, Zola et Daudet? C‟est qu‟il est impossible de réussir un pastiche d‟après Anatole France au style de diamant, d‟après le lumineux Voltaire, d‟après l‟irréprochable Maupassant, d‟après l‟inimitable Molière... Jean-François Marmontel — Rousseau, avec le talent de l‟épigramme, a pris le

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147 tour, le style de Marot; La Fontaine en a imité, en a surpassé la naïveté. Mais qui contrefera jamais, qui même imitera de loin l‟heureux et riche naturel de La Fontaine?

Paul Reboux — Sur de tels écrivains les railleries glisseraient comme des gouttelettes sur un plumage impénétrable.

Gérard Genette — Impénétrabilité fort relative, en tous cas: n‟avez vous pas vous-même assigné un «L‟Anglois et les rieurs»1 à cet «inimitable» fabuliste? Mais passons. A vous entendre, ceux-là pratiqueraient ordinairement une sorte de degré zéro ou d‟écriture blanche, la langue même en sa pureté foncière? Paul Reboux (bas, à Millier) — Drôle de volapük! On pourrait peut-être... Tu notes, Charles? (Haut) Moins «blanche» que claire, lumineuse, Monsieur le professeur!

Gérard Genette — J‟avais compris. Il y a, sous-jacente à la pratique et à la tradition de la charge — vous permettez que j‟appelle ainsi vos délicieux H la manière de...?...

Paul Reboux — Je vous en prie: Müller et moi n‟avons jamais fait que des caricatures en mots.

Gérard Genette — Il y a, disais-je, une norme stylistique, une idée du «bon style», qui serait cette idée (simple) que le bon style est le style simple. Charles Müller (levant les yeux au ciel) — Heureux les simples, car le Royaume du Style est à eux!...

Daniel Bilous — Si je puis me permettre d‟intervenir, je crois comprendre que pour Monsieur Reboux, peu importerait que ces auteurs fussent salués comme des maîtres, si ce n‟est pas leur «style simple» qui les rend insaisissables, mais bien une... absence de style. Ils ne seraient des «maîtres», précisément, que pour avoir su ne pas demeurer des «stylistes», alors que les autres s‟en contentent — les médiocres, ceux qu‟il est possible d‟imiter. J‟ajouterais cependant que cette hypothèse maximaliste ne tient guère, au plan théorique.

Paul Reboux — Oh, vous savez, nous, la théorie...

Daniel Bilous — Vous en avez une, comme tout le monde: votre discours illustre la vision du style comme «idiolecte», qu‟on rencontre si couramment opposé aux sociolectes et surtout à une «langue», la langue dite, pour les besoins, «commune», et où l‟on retrouve le substrat (explicite ou non) de ce qu‟on appelle la «stylistique de l‟écart».

Un ange passa. Dans le fond du salon, un aparté se tramait:

Charles Müller (bas, à Reboux) — J‟ai pris au vol: «degré zéro», «écriture blanche»,

«la langue en sa pureté foncière», «une norme stylistique», «hypothèse maximaliste», «le style comme idiolecte», «le sociolecte», «la langue dite, pour les besoins, «commune»», «la stylistique de l‟écart». Il m‟en manque un. Paul Reboux (bas, à Müller) — «Le substrat»: ce serait dommage de l‟oublier, celui-là. Si avec tout ça on n‟arrive pas à trousser un morceau structuraliste!

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PUIS,la voix du Faune s ’éleva.

Stéphane Mallarmé — S ‟il plaît à un, que surprend l‟envergure, d‟incriminer... ce sera la Langue, dont voici l‟ébat.

Daniel Bilous — Un ébat, et non un écart (merci, Maître). On le sait de reste, la difficulté du stylisticien qui part de telles prémisses sera d‟isoler cette entité générale, la norme a-stylistique. L‟objection viendra d‟ailleurs du lecteur le plus obtus, non moins que du linguiste : ces écrivains sont inimitables, soit!... du moins le sont-ils chacun à sa manière. On a toujours affaire à du style, c‟est-à- dire à un style et c‟est vous, Monsieur Reboux, qui l‟énoncez : l‟un est «adamantin», l‟autre

«lumineux», le troisième «irréprochable» (quels que puissent être les griefs opposables à un style), etc. Sinon, il serait tout bonnement impossible de les distinguer entre eux. Et en tant que telle, cette manière-là s‟imite comme une autre.

Jean-François Marmontel — Mais ne peut-on arguer que plus un écrivain a de la manière, c‟est-à-dire de singularité dans le ton et l‟expression, plus il est aisé de le contrefaire?

Marcel Proust — Je crois bien: inversement, l‟extrême complication et l‟extrême nudité rendent les pastiches difficiles.

Daniel Bilous — Difficiles, mais non impossibles. S‟il s‟agit d‟imiter un style et si même l‟«absence de style» fait style, alors l‟inimitable est une chimère, c‟est-à-dire, à un autre niveau, un pur et simple postulat stratégique. L‟inimitabilité constitue l‟une des vertus qu‟honore l‟hagiographie, cette maladie endémique de la critique littéraire. L‟on peut douter que le virus soit toujours l‟enthousiasme passionné du spécialiste pour son objet. Encenser la littérature comme art de l‟unique ne permet pas seulement de lui conserver une certaine valeur. Cela autorise aussi à toucher les dividendes de l‟opération : l‟unique, c‟est par définition ce que l‟on ne peut épuiser ; parler de l‟unique, donc, apparaîtra une entreprise noblement téméraire. Dès lors ce n‟est pas assez de dire que toute œuvre est, comme son auteur, unique. Il faut renforcer le tmisme, ou le mythe — et poser emphatiquement que l‟œuvre est

«originale». En amont, par rapport à toutes celles qui l‟ont précédée — voilà une demi-vérité ; en aval, non moins : pour garantir sa plénitude à l‟originalité, il faut que tout essai pour la refaire ou la continuer soit inéluctablement voué à l‟échec ou au dérisoire — et voilà le demi-mensonge. Le socle idéologique de l‟édifice ainsi construit — Monsieur Proust ne me contredira point — est un beuvisme toujours renaissant : assimilez l‟écrivain à l‟homme, associez l‟œuvre à l‟homme comme le fruit à son arbre, et nul écrivain ne sera plus imitable.

Pol Vandromme — Les apparences ne sont pas toujours aussi trompeuses qu‟on se l‟imagine d‟habitude. Encore faut-il bien se persuader que ce ne sont que des apparences et que, toujours, le génie des auteurs de premier rang échappe aux rases d‟une attention inquisitoriale. Il y a, chez un grand écrivain, une part irréductible, rebelle à tout, aux mécanismes de sa propre création comme aux prises

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149 d‟une critique qui s‟exerce au mimétisme. Une mémoire profonde ne se laisse pas entamer par une mémoire de surface.

Daniel Bilous — Qu‟un pasticheur tienne un propos semblable ne peut signifier qu‟une chose: combien sa théorie demeure en deçà de la pratique.

Pol Vandromme — Et je m'en vante, cher Monsieur!

Maurice Maeterlinck — Mais vous ne dites rien, Maître, et gardez le silence depuis un moment.

Charles Müller — Prélude à l'Après-midi d’un aphone...

Marcel Proust (à PaulReboux, Charles Müller et Georges Maurevert) — C‟est le moment! (ensemble, à la manière de Mœterlinck) — Oui, quel silence! Vous entendez le silence! O le terrible silence! Un mot, un mot plutôt que le silence!

Jean-Marc Bernard, qui s‟est glissé sous la table, fait entendre des vers — SILENCE

Funèbre cette nuit présage maints désastres Inscrits au ciel en la noire absence des astres Pour le poète seul agonisant ici.

Silence ! et que retient ton stérile souci ; Car pour l‟éternité le voici tributaire Du Verbe que malgré son cœur il a dû taire.

Aussi bien si d‟un mot vierge ensemble et subtil Quelque jour, ignoré hélas ! te rompait-il, Pur tu t‟exhalerais parmi le soir insigne Et pareil à la mort sur l‟étang d‟aucun cygne.2

René Ghil — Mais taisons-nous: il va parler...

Stéphane Mallarmé — Que, plus ou moins, tous les livres, contiennent la fusion de quelques redites comptées : même il n‟en serait qu‟un — au monde, sa loi — bible comme la simulent des nations. La différence, d‟un ouvrage à l‟autre, offrant autant de leçons proposées dans un immense concours pour le texte véridique, entre les âges civilisés ou — lettrés.

Victor Chklovski — Je vous remercie, Maître, d‟étendre le propos à toutes les nations. J‟élargirais encore: non seulement le pastiche, mais toute œuvre d‟art est créée en parallèle et en opposition à un modèle quelconque. Un critique de chez vous, Ferdinand Brunetière, l‟avait dit avant moi: «De toutes les influences qui s‟exercent dans l‟histoire d‟une littérature, la principale est celle des œuvres sur les œuvres».

Critique et Satire

Jacques Laurent — Pour le critique, l‟idée de double est simple. Il est devant le critiqué comme le savant devant le phénomène. On n‟admettrait pas qu‟un physicien joue les derviches tourneurs parce qu‟il observe un courant sinusoïdal. Le dilemme n‟est pas bien compliqué. Ou le critique cesse d‟être critique ou, s‟il le

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demeure, il se condamne à rester étranger à l‟œuvre étudiée, obligé de se tenir en dehors du coup pour la pouvoir juger, de demeurer lucide devant la démence et prosateur devant la poésie. Le pastiche est la seule issue. Il permet de papillonner si l‟auteur papillonne mais en a le pouvoir sans ridicule parce qu‟il ne se situe pas dans l‟univers du jugement. Le pastiche, comme l‟œuvre pastichée, est un phénomène.

Paul Reboux — Pour autant, le pastiche est une forme de la critique littéraire, et non la moins efficace.

Marcel Proust — Dans mon cas, L'Affaire Lemoine, c‟était paresse de faire de la critique littéraire, amusement de faire de la critique «en action». J‟avais d‟abord voulu faire paraître ces pastiches avec des études critiques parallèles sur les mêmes écrivains, les études énonçant d‟une façon analytique ce que les pastiches figuraient instinctivement (et vice-versa), sans donner la priorité ni à l‟intelligence qui explique ni à l‟instinct qui reproduit.

Daniel Bilous — Vous parliez, Jacques Laurent, d‟appréciation du lecteur. Or, ce qu‟en France on appelle critique littéraire s‟est toujours partagé entre l‟analyse plus ou moins fine d‟un texte ou d‟une œuvre et le jugement plus ou moins sévère que l‟on est en droit de formuler à leur égard. S‟agit-il de décrire un style ou d‟évaluer une pratique et ses résultats?

Paul Reboux — Permettez-moi de répondre: l‟un ne va pas sans l‟autre. Mais à nos yeux, le pastiche est supérieur: un pédant discours ne vaut pas un brocard, pour décourager un ridicule, signaler une erreur, caractériser un écrivain, préserver le public d‟un engouement. Un livre de pastiches est une nécessité esthétique. Il éclaire l‟horizon littéraire. Il sert de garde-fou aux ahuris, dupés par les malins trop habiles à masquer, grâce à une obscurité méthodique, leur impuissance.

Marcel Proust (bas, à Mallarmé) — Suivez mon regard...

Stéphane Mallarmé (bas, à Proust) — Ah, le vôtre, aussi?3 Marcel Proust (bas, à Mallarmé) — Touché!

Paul Reboux — Il enseigne la pensée nette, le parler clair, l‟art de ne pas représenter rond ce qui est carré, d‟évoquer la nature non par de vagues et fugaces analogies, mais par des images qui s‟imposent et des formules resserrées. Stéphane Mallarmé (à Proust) — Là, je crois que c‟est pour vous.

Bemardo Schiavetta (qui s‟était assoupi) — On a parlé de Formules?

Jan Bætens — Pas vraiment, tu peux te rendormir.

Marcel Proust (à Mallarmé) — Pour vous aussi: vous avez non seulement cultivé le démon de l‟analogie, mais resserré l‟expression jusqu‟à généraliser l‟ellipse.

Remy de Gourmont — J‟ai dû écrire cela.

Paul Reboux — Qui se sent atteint, qu‟il se soigne. L‟imitateur nous fait comprendre, en se moquant des prétentieux et des voyous, qu‟on n‟écrit pas seulement pour soi, par jeu, pour exprimer les émotions que l‟on a eues. On doit écrire pour se faire comprendre, pour communiquer aux autres ce que l‟on a

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151 ressenti. Il montre ce qu‟on risque en s‟écartant des chemins de l‟équilibre et du bon sens.

Soudain, Marcel Proust est pris d‟une violente crise. Céleste accourt, et on l‟évacue dans la chambre de Mademoiselle Mallarmé. Le débat reprend après cette interruption.

Gérard Genette — Dont acte, Monsieur Reboux. Mais cette apologie de la clarté, du bon sens, l‟idée que certaines images s‟imposeraient et d‟autres non, cet idéal de la formule serrée, tout cela date un peu.

Paul Reboux — Et de quand, s‟il vous plaît?

Gérard Genette — De 1820, puisque vous tenez à un millésime. On croirait ouïr une de ces diatribes des «classiques» contre les «romantiques». Mais peut-être est-ce là l‟esprit de la charge telle que vous, Masson et tant d‟autres l‟illustrez, et qui me paraît aux antipodes de l‟esprit du pastiche, du moins celui de Proust. Paul Reboux

— Venons-y donc. Marcel Proust—la porte est fermée?— Proust, disais-je, a écrit des A la manière de... où s‟attestaient sa culture et sa délicatesse. Mais, excusez-moi, ils n‟ont jamais «passé la rampe». Méritoires, ils restaient grisâtres et ennuyeux. La plupart des essais de ce genre offrent le même inconvénient. Ils n‟égaient ni par la rosserie, qui consiste à mettre sous la plume d‟un écrivain des phrases qui le ridiculisent, ni par l‟invention d‟une anecdote. Ce sont des imitations ternes comme un vieux miroir qui reproduit sans déformer.

Stéphane Mallarmé, lissant sa barbe devant la glace de Venise — De tels reflets ont leur charme!

Paul Reboux — Par trop discret. Müller et moi avons toujours commencé par inventer une histoire gaie par elle-même, et capable de divertir, indépendamment de l‟auteur imité.

Charles Müller — Mais à ses dépens.

Paul Reboux — Jusqu‟à un certain point. Quant à nous traiter de classiques, c‟est un peu fort: vous n‟avez pas lu notre — pardon! la Cléopastre de Müller, par Jean Racine?4 Charles Müller—C‟est l‟inverse.

Paul Reboux — Oui, pardonne-moi, c‟est l‟émotion! Vous avez oublié mon Oraison funèbre de Madame Adèle, Abbesse de Volleyclault, par Jacques-Bé- nigne Bossuet, Aigle de Meaux? 5 Vous sauriez que nul n‟échappe à notre miroir déformant qui, au fond est une loupe. Juger sans férule et sans règles, réformer en amusant, c‟est le fait d‟un esprit libéré des dogmes et des modes, c‟est-à-dire supérieur aux doctrinaires et aux snobs.

L‟Abbé Sallier — J‟avais moi-même donné cette définition, pour le quatrième type de ce que j‟appelais la «parodie»; faire des vers dans le goût et dans le style de certains auteurs peu approuvés.

Charles Nodier—On contrefait sans peine quelque défaut remarquable, mais il faut d‟autres facultés pour bien imiter des perfections.

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Jean-François Marmontel — Ainsi de Montaigne. Il cause quelquefois nonchalamment et longuement, et c‟est ce que La Bruyère en a copié6 : le défaut.

Roland Barthes — Sauf que nos duettistes généralisent la désaveu, puisque leurs

Roland Barthes — Sauf que nos duettistes généralisent la désaveu, puisque leurs

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