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Un Chant inconnu de la Divine Comédie

Dans le document Ce volume consacré aux (Page 32-36)

Luca Chiti a découvert un Chant inconnu de la Divine Comédie, qui vient s‟insérer entre les Chants XXIXe et XXXe. Composé de 151 vers, ceux-ci sont entièrement nouveaux, certes, mais ils possèdent tous, ailleurs dans la Comédie, un doublet. Cette extraordinaire caractéristique formelle pourrait faire penser que le nouveau Chant n‟est qu‟un collage dantesque (mais cela reste à prouver).

Luca Chiti est membre de l‟Oulipo italien, l‟Opificio de Letteratura Potenziale (OPLEPO). L‟édition critique de son Cent et unième Chant de la Divine Comédie, dont nous publions ici un résumé et de trop minces extraits, constitue, avec ses nombreuses notes, appendices, etc., le dernier volume de l‟équivalent italien de la Bibliothèque Oulipienne, la Biblioteca Oplepiana.

Au début du Chant, Dante et Virgile descendent pensivement par le versant escarpé d‟une fosse de l‟Enfer. Le silence des deux pèlerins est interrompu par l‟appel bruyant d‟une âme damnée, dont le sourire, extrêmement incongru en Enfer, étonne le poète.

Comme pour ceux qui sont las de trotter, Dès qu‟en nous avançant nous fumes seuls, De mont en mont et de la cime au pied Résonnèrent nos pas; puis, en silence, Je vis un damné qui nous attendait, Mais si coi je restais, je ne m‟en blâme.

Il me vit, me connut, il me nomma Et commença, souriant, à me parler.

Pense, lecteur, si je m‟émerveillais

Dante le regarde alors avec peu d‟aménité, mais l‟importun, sans tenir compte d‟un tel accueil, lui tient un discours plein de suavités, soutenant qu‟il n‟est pas impossible en Enfer que quelqu‟un comme lui puisse accoster les honnêtes gens:

Je me tournai, plantant sur lui les yeux Bien au-delà de toute courtoisie.

Alors, lui:«0 mon fils, ne te déplaise,

PASTICHES ET COLLAGES

33 Malgré les préjugés de ta mémoire,

Savoir qu ‟il m ‟est permis en un tel lieu De voir des gens de bien, et leur causer».

Puis, se tournant vers Virgile, pour s‟en protéger comme d‟un bouclier, le personnage leur signifie avec fierté son propre nom et celui de sa famille (Gruccio de‟Bardonecchi). Il commence alors une longue description de ses étonnantes qualités physiques et de la place importante qu‟il occupait parmi les vivants:

Puis, vers mon maître il tourna son regard Aussi loin que les yeux pouvaient porter Et,

poursuivant ses premières paroles Comme sous la défense d‟un bouclier,

Il me montra sa poitrine grande ouverte:

—«Sache que je fus un Bardonecchi, Gruccio, défiguré de haut en bas,

Celui qui portera bourse à trois becs Sans que jamais ses tours ne se défassent...»

Dante, le reconnaissant enfin, ému jusqu‟aux larmes, l‟invective, mais ne fait qu‟une brève allusion à ses méfaits (car il semble tenir pour acquis que ses lecteurs les connaissent). Nullement décontenancé, Gruccio revendique plutôt la justesse de sa conduite passée, car il déclare avoir été le fidèle exécuteur de la volonté mondaine du Vatican:

Lors je le reconnus, et le priai:

—«Pourquoi as-tu ce cœur plein d ‟infamie, Pourquoi n ‟as-tu ni valeur ni franchise Dans le babil de tes discours maudits?

Pourquoi nous as-tu fait pareilles choses ?»

—«A cause du Vatican et des Saints Lieux Qui ont façons et visage de femme»

Répondit-il, en me voyant en larmes...

Le scélérat démontre ensuite, avec des subtilités dialectiques, qu‟un homme de sa trempe ne songe même pas à se repentir de ses hypothétiques péchés. Mieux encore, Gruccio soutient qu‟il a reçu du Ciel l‟inspiration de sa traîtrise, et qu‟en conséquence il échappera à toute possibilité de damnation:

—«...Et durant ce temps-là le Ciel riait En me donnant des conseils de traîtrise.

Ainsi je le compris, et j 'acquiesçais, Car là où l'audace de l'esprit sait faire Que l

‟aujourd 'hui devienne un lendemain Le repentir est inutile au sage...»

DOSSIER REECRITURES -CREATIONS Tant d‟impudence fait sortir Dante de ses gonds, l‟entraînant dans Tune de ses fréquentes et longues invectives. Mais Gruccio se permet de l‟interrompre sans ménagement, pour affirmer que son séjour en Enfer ne saurait être désormais que de très courte durée, car pardon est certain:

—«... Quelque chose en haut, d‟où je vins vivant, Frappant l'air avec ailes éternelles,

Peut m ‟excuser de ce dont je m ‟accuse... »

Pris d‟une rage irrépressible, Dante attrape alors son interlocuteur par la peau du cou et le couvre d‟insultes. Mais sur ces entrefaites, une Voix céleste se fait entendre. La Voix appelle Gruccio en Paradis et lui confère l‟éclat des âmes sauvées:

Alors je me levai, j‟allai vers lui

Et, dès qu‟à mes deux yeux se trouva peint Son éclat, je le vis plus beau et grand.

Gruccio est alors rapidement enlevé sur un char triomphal et le poète, témoin éberlué de l‟incroyable miracle, ne peut que reprendre, plein de confusion, son chemin:

Sitôt il disparut; et moi je me levai Détachant mon regard de ce lieu Et m‟en allai, sans écouter ni dire,

Pensif et fort troublé, dans l‟air où tremblent Voyelles, consonnes; et je notai Que mon esprit était tout hébété.

Extraits cités :

E, corne l‟uom che de trottare è lasso, Poi fummo fatti soli procedendo,

Di como in como, tra la cima e‟1 basso Ci sentivamo andar; perô, tacendo Tra altre vidi un ombra ch‟aspettava;

Per che, s‟i‟ mi tacea, me non riprendo.

E videmi e conobbemi e chiamava E cominciô, raggiandomi d‟un riso.

Pensa, lettor, s‟io mi maravigliava

Io mi volsi ver lui, e guardail fiso Molto di là da quel che l‟è parvente E quelli: «OJigliuol mio, non ti dispiaccia, /Inf. 15,31 Ancorfia grave il memorarprésente / Purg. 23,117 Ch ‟a cosi fattaparte si confaccia. / Inf. 34,33 Di ragionar coi buoni, o d ‟appressarsi». / Purg. 16,120

PASTICHES ET COLLAGES E al maestro mio volse la faccia Oltre quanto

potean li occhi allungarsi.

E sé continuando al primo detto,

Come sotto li scudi per salvarsi, Guardommi, e con le man s‟aperse il petto: «Tu dei saper eh ‟i ‟fui de‟ Bardonecchi, Gruccio nel volto dal mento al ciuffetto Che reciderà la tasca con tre becchi Che mai da circuir non si diparte.1»

Allor conobbi chi era, e pregai:

«Perchè tanta viltà nel core allette? Perchè ardire e franchezza non hai Nel suon de le parole maledette?

Perchè hai tu così verso nois fattoi»

«Ma Vaticano e l'altre parti elette, Che membra femmine avìeno e atto».

Rispuose poi che lagrimarmi vide...

«...chepria turbava, si che 7 del ne ride, Perche diede 7 consiglio frodolente.

Così fec 'io, poi che mi provide Che, dove l'argomento della mente Fa crostino là giù de l'odierno,

Non si pente chi guarda sottilmente...»

«...Cosa di là ond‟io vivendo mossi, trattando l'aere con l'eternepenne, escusarpuommi di quel eh 'io m'accuso...»

Per ch‟io mi mossi, e a lui venni ratto, E, comme ambo le luci mi dipinse, Rividii più lucente e maggior fatto.

Così sparì; e io sù mi levai

Però che l‟occhio m‟avea tutto tratto;

E sanza udire e dir pensoso andai Fuor de la queta, ne l‟aura che trema Vocali e

consonanti; e io notai La mente mia da me medesmo scema.

Les ajouts «de‟ Bardonecchi» et «Gruccio» s‟insèrent à la place de «Conte Ugolino» < Inf.

33,13) et «fesso» (Inf. 28,33).

— Et je lui fais écho, silencieusement...

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