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PRÉSENTATION GÉNÉRALE DU FONCIER EN 1990 : UNE AUGMENTATION SENSIBLE DE LA PETITE PROPRIÉTÉ

32 Nous venons de voir que depuis les années 1940, en raison du développement urbain, de la croissance démographique et de l’expansion des zones irriguées en Syrie centrale, les

zones de jardins de Homs et de Hama sont peu à peu devenues économiquement marginales. Elles ne constituent plus ces espaces stratégiques qu’elles avaient été dans le passé pour la société citadine. Elles sont même considérées par beaucoup comme des zones résiduelles fonctionnant selon un mode d’organisation trop archaïque pour être rentable : la survie et l’approvisionnement des villes dépendent dorénavant d’autres espaces agricoles plus vastes et plus productifs. Le contrôle des jardins et de leurs jardiniers n’est donc plus pour la société citadine une nécessité vitale ou stratégique comme par le passé. Dans ce nouveau contexte, que sont devenues les propriétés foncières ?

33 Une lecture un peu générale des données dont je dispose sur les jardins de Homs et de Hama permet de dresser un rapide bilan de l’état actuel du foncier. Une comparaison entre les « Cahiers des terres agricoles » et les cartes du cadastre permet tout d’abord de constater que le décalage qui existait déjà dans les années 1940 entre la structure foncière et la structure agraire s’est considérablement accru. La division des propriétés n’a en effet que rarement été suivie par la division en conséquence des exploitations, si bien que, globalement, l’actuel émiettement juridique des propriétés agricoles des deux villes ne se traduit pas par une division dans les faits du parcellaire et des exploitations. Cette division du foncier s’est logiquement accompagnée d’un accroissement du nombre de propriétaires.

À HOMS

34 Les tableaux 13 et 14 permettent de comparer la situation de la rive droite en 1930 et en 1994.

Tableau 13 — Jardins de Homs : distribution de la propriété dans les années 1930-40 et dans les années 1990 en fonction des surfaces.

Source : archives du service du cadastre (Homs) et Cahiers des terres agricoles desservies par le réseau d’irrigation de Homs pour l’année 1994, Direction de l’irrigation du bassin de l’Oronte (Homs). 35 Un certain nombre d’établissements religieux possédaient dans les années 1940 des

Tableau 14 — Jardins de Homs : les jardins de la rive droite dépendant de mosquées dans les années 1930-40 et dans les années 1990.

Source : archives du service du cadastre, (Homs) et Cahiers des terres agrico/es desservies par le réseau d’irrigation de Homs pour l’année 1994, Direction de l’irrigation du bassin de l’Oronte (Homs)

36 On constate tout d’abord que le nombre total des lignages représentés a un peu plus que triplé en cinquante ans, passant de 110 à 350, alors même que la surface des terres cultivées ne s’est pas agrandie, se réduisant au contraire un peu du fait de la pression urbaine.

37 Lorsque l’on observe cette évolution dans le détail des catégories de propriétés, on constate qu’il n’existe plus de grandes propriétés familiales24 de plus de 100 hectares. Actuellement, la plus importante dépasse à peine les soixante hectares. Concernant les moyennes propriétés, on observe une baisse moins forte mais tout de même sensible des surfaces : si les propriétés de 30 à 50 hectares restent stables, par contre celles de 20 à 30 hectares et de 10 à 20 hectares sont moins importantes qu’en 1930. Toutefois, le rapport existant entre le nombre de lignages représentés et la surface de ces propriétés est resté sensiblement le même, chaque catégorie interne présentant même une surface moyenne de propriété familiale légèrement supérieure à celle observable dans les années 1930-40.

Tableau 15 — Jardins de Homs : surfaces moyennes de la propriété familiale (moyennes propriétés). Source : archives du service du cadastre (Homs) et Cahiers des terres agricoles desservies par le réseau d’irrigation de Homs pour l’année 1994, Direction de l’irrigation du bassin de l’Oronte (Hom).

38 La catégorie des petites propriétés n’a pas évolué de la même manière. Si la surface des propriétés comprises entre 5 et 10 hectares subit elle aussi un léger tassement, en revanche le nombre de propriétés de taille inférieure à 5 hectares augmente considérablement. Elles font plus que doubler entre 1 et 5 hectares et quadrupler en dessous de 1 hectare. Le nombre de lignages propriétaires correspondant à ces deux dernières catégories augmente proportionnellement : il a doublé pour les propriétés comprises entre 1 et 5 hectares et se trouve presque multiplié par six pour les propriétés de moins de 1 hectare. Mais constatons qu’ici aussi le rapport surface / nombre de lignages propriétaires, permettant de donner une surface moyenne de propriété familiale, n’a guère évolué depuis les années 1930-1940.

Tableau 16 — Jardins de Homs : surfaces moyennes de la propriété familiale (petites propriétés). Source : archives du service du cadastre (Homs) et Cahiers des terres agricoles desservies par le réseau d’irrigation de Homs pour l’année 1994, Direction de l’irrigation du bassin de l’Oronte (Homs). 39 À Homs, on assiste donc à une très nette augmentation du nombre des propriétés de

moins de 5 hectares et cela au détriment de la grande et moyenne propriété.

À HAMA

40 Les données dont je dispose sur les jardins de Hama laissent supposer qu’un phénomène assez similaire peut y être observé. Je ne dispose que d’une dizaine de monographies de propriétés, mais celles-ci peuvent être révélatrices de l’évolution foncière de cette zone agricole. Elles reproduisent plus ou moins le schéma homsiote de division des propriétés familiales. Je présenterai ici trois exemples d’évolution de propriétés : deux concernent les deux principaux lignages de notables propriétaires de jardins, le troisième portant sur un bayt de commerçants.

41 Le bustān al-R. est un jardin de 2 hectares 53 ares et 42 centiares situé dans le zūr Bāb al-Nahr. Dans les années 1940, il appartenait aux ‘Aẓem. À la fin des années 1940, perdant son statut d’indivis, il devient propriété de Hašam al-’Aẓem. Celui-ci meurt au début des années 1950. La moitié du jardin est alors partagée entre ses deux fils et ses deux filles. L’autre moitié, représentant quatre parcelles, est vendue à deux commerçants hamiotes. Le jeux des successions se poursuit alors pendant trois décennies. Le dernier enregistrement, daté du début des années 1980, fait état de vingt-cinq propriétaires pour l’ensemble du jardin (douze ‘Aẓem, treize issus des deux lignages de commerçants), chacun disposant donc d’une part de 0,1 ha. C’est en revanche le même jardinier qui exploite la totalité du jardin depuis une vingtaine d’années.

42 Les Kīlānī possédaient, entre autres terres, un jardin de 4 hectares, 53 ares et 83 centiares dans le zūr al-Šarqī. La première vente a eu lieu en 1975, Aḥmad Maṣrī achetant une partie du jardin. Entre 1979 et 1982, cinq autres personnes achetèrent des parcelles de ce jardin. Les dernières parcelles appartenant encore à des Kīlānī ont été achetées par trois frères de bayt ‘Uṯmān en 1994. Le jardin est désormais divisé en neuf propriétés de 50 ares chacune, mais plus aucune n’appartient à des Kīlānī.

43 Dernier exemple, celui d’un jardin de 1 hectare 37 ares et 17 centiares, situé dans le zūr al-Qiblī et appartenant à bayt Amīrjusque dans les années 1950. En 1952, 34 ares sont vendus à un membre de baytHallaq. Une quarantaine d’autres ares le seront en 1958 à quelqu’un debaytSaqfé. En 1973, des membres des lignages Hasam, Karm et Maḥlas achètent ce qui reste du jardin. Enfin, en 1981, les parts des Hallaq et des Maḥlas sont rachetées par des Saqfé, Salwa et des Lababidī. Actuellement, le jardin est divisé en six petites propriétés de 22 ares chacune et n’est ici aussi cultivé que par un seul jardinier.

44 La situation hamiote ne semble donc guère différer de celle de la zone agricole homsiote, consacrant une réduction sensible des grandes et moyennes propriétés au profit de la petite propriété, avec bien sûr pour corollaire une multiplication des petits propriétaires. 45 Ce phénomène, observable dans les deux zones, découle de la division et de la subdivision

des propriétés familiales, de la multiplication des ayants droit survenues au cours des dernières décennies, mais aussi de la vente des parts de terres libérées de l’indivis. L’abrogation des waqf familiaux décrétée en mai 1949 (loi n° 76) a en effet permis de procéder dès cette époque à des répartitions de terres au sein même des lignages, ceux-ci n’étant donc plus collectivement propriétaires des jardins, mais aussi à la vente de nombreuses parcelles jusqu’alors immobilisées en tant que biens inaliénables. Cette division des propriétés les plus grandes s’est poursuivie avec la fin des indivis dans les années 1950-1960, conséquence directe de la réforme agraire.