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IDENTIFICATION DES QUARTIERS OÙ VIVAIENT LES JARDINIERS

DE HOMS ET DE HAMA

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52 Je voudrais tout d’abord faire une rapide présentation de la situation géographique et sociale des quartiers où se trouvait encore, dans les années 1940, la majorité des jardiniers de Homs et de Hama.

À HOMS, LES JARDINIERS HABITAIENT DANS LES QUARTIERS DE L’OUEST DE LA MÉDINA ET À L’OUEST DE CELLE-CI

53 La vieille ville de Homs (fig. 20), médina à forme rectangulaire s’étendant sur environ 120 hectares (850 m x 1 400 m), était entourée de remparts et possédait sept portes : Bāb al-Sūq au nord et Bāb al-Sbā’ au sud contrôlaient l’axe Damas-Hama, Bāb al-Hūd, Bāb al-Masdūd et Bāb al-Turkmān donnaient accès à l’ouest, au fleuve, à la zone des jardins mais aussi à la route de Tartous-Tripoli et enfin Bāb al-Drīb et Bāb Tadmur s’ouvraient à l’est sur des vignobles et, au-delà, sur la steppe et le monde bédouin et oasien (Palmyre, Sukhné, Deir ez-Zor...).

Figure 20 – La vieille ville de Homs.

54 L’organisation spatiale de la vieille ville était semblable à celle de beaucoup d’autres villes arabo-musulmanes, avec son dense réseau de ruelles étroites et sinueuses, ses passages couverts, ses nombreuses impasses semi-privées et ses grandes rues rectilignes permettant de passer rapidement, en coupant à travers le dense tissu urbain, d’une porte à l’autre. On pouvait distinguer deux types d’habitations correspondant grossièrement aux principaux ensembles sociaux y résidant : quelques hautes demeures fortifiées qui appartenaient aux familles de grands notables et les maisons basses où habitait une population de condition aisée ou plus modeste. Ces dernières maisons étaient construites en pierres noires de basalte ou, plus rarement, en terre et s’organisaient généralement autour d’une petite cour centrale. L’aspect général de la médina, tel que le montrent les clichés photographiques de l’époque, était celui d’une ville grise et basse que dominait le tell de l’ancienne citadelle d’Ossamah, situé à l’angle sud-ouest, entre Bāb al-Turkmān et Bāb al-Sbā‘.

55 Il existait une nette séparation entre les quartiers résidentiels de la vieille ville, officiellement au nombre de huit19, et les zones d’activités commerciales et artisanales traditionnelles. Les différents souks spécialisés, dont le vieux souk des fruits et des légumes, étaient en effet concentrés dans le quart nord-ouest de la médina, au sud de la grande mosquée al-Nūri, les principaux khans se trouvant, quant à eux, un peu plus au nord, à l’extérieur des remparts. Ici, comme dans beaucoup d’autres villes orientales20, le souk était le principal lieu par lequel s’établissaient et se régulaient les contacts avec l’extérieur, faisant office de sas entre les campagnes, la steppe et la société citadine, canalisant le flux des étrangers à la ville et protégeant de fait les quartiers résidentiels de leur éventuelle intrusion21.

56 Même si plusieurs classes sociales pouvaient tout à fait cohabiter dans l’espace restreint d’un même quartier, il existait cependant, à l’échelle de la ville, une certaine ségrégation sur des bases socio-économiques et religieuses.

57 Une majorité de grandes familles de notables et de citadins plus ou moins aisés résidait à l’ouest de la vieille ville, côté jardins donc. Ils étaient là protégés des vents de la steppe et

leur situation leur permettait d’accéder rapidement au périurbain ouest, traditionnel espace de détente. Tournés vers la steppe, les quartiers situés à l’est de la rue Abū al-Ḥūl, grande rue de l’artisanat du cuivre et du fer coupant la ville en diagonale du souk à Bāb al-Drīb, étaient ceux des citadins de condition moyenne et des citadins les plus pauvres, dont un grand nombre de petits artisans soyeux et de tisserands : les quartiers al-Fāḫūra, Ǧamāl al-Dīn, Bāb Tadmūr et Bāb al-Drīb étaient ainsi considérés comme la « région des tisserands » (minṭa’a al-nassāǧīn). En périphérie est et sud enfin, contre les remparts, se trouvaient des populations d’origine rurale, des paysans qui travaillaient encore « comme métayers sur les terres de la banlieue (...) ou des réfugiés sans terres venant s’offrir comme manœuvres » (Naaman, 1951 : 395). Ces familles d’origine rurale, sans cesse plus nombreuses, allaient peu à peu constituer le fonds de la population des nouveaux quartiers populaires, ceux de l’est, du sud et du nord de la ville22.

58 À cette ségrégation sociale s’ajoutait enfin une certaine ségrégation communautaire, puisque la partie ouest de la vieille ville était très majoritairement musulmane. Les chrétiens étaient surtout regroupés à l’est et au nord est de la vieille ville, dans les quartiers de Ḥamīdiyyeh, de Bāb Tadmur et de Ǧamāl al-Dīn, mais on les trouvait aussi dans les quartiers de Bāb al-Sbā’ et de Fāḫūra, il est vrai en nombre moins important. 59 Dans les années 1930-40, la grande majorité des jardiniers se répartissait dans les

quartiers situés dans l’ouest et dans le sud de la vieille ville (Bāb al-Hūd,Ḏahr al-Muġāra, Banī Sibā’ī. Bāb al-Turkmān et Bāb al-Sbā’) et, débordant un peu la limite des anciens remparts, le long de la rue de Damas. Ils étaient par contre peu nombreux dans les quartiers situés à l’est de la rue Abū al-Ḥūl.

60 Ainsi, occupant environ le tiers ouest de la vieille ville, le quartier de Bāb al-Hūd (fig. 21) était limité au nord par ce qui restait alors de remparts, à l’ouest par la longue rue de Damas, au sud par la citadelle et à l’est par les souks et les quartiers Banī Sibā’ī et Ḏahr al-Muġāra. Subdivisé en quatre petits secteurs dépendant administrativement d’un même responsable (muḫtār)23 — du nord au sud : al-Arba’īn24, Bāb al-Hūd, Bāb al-Masdūd et Bāb al-Turkmān — il abritait, dans les années 1940, une population musulmane dans son immense majorité25que l’on pouvait estimer à quelques 10 000 habitants. C’est cette zone de plus de 30 hectares qui a traditionnellement constitué la principale zone de résidence des jardiniers, du moins avant que la ville ne s’étende hors de ses remparts.

Figure 21 – Quartier de Bāb al-Hūd (Homs).

61 Très densément peuplée intra-muros26, la ville avait en effet connu une importante extension en dehors de ses limites traditionnelles27, de nouveaux quartiers étant peu à peu apparus entre 1918 et les années 1940 au nord, à l’ouest et au sud28 de la vieille ville, suivant notamment les principales voies de communication (axe Damas-Hama et route de Tripoli). Certaines familles29 de jardiniers ont alors accompagné ce développement urbain, quittant la vieille ville surpeuplée pour aller s’installer dans ces nouveaux quartiers, rejoignant les quelques jardiniers occupant les vieilles fermes qui, présentes entre la ville et la zone agricole, avaient été progressivement rattrapées et intégrées au nouveau tissu urbain. On trouvait donc, dans les années 1940, des jardiniers dans le quartierḪaldiyyeh situé au nord de la médina et à l’est de la route de Hama, dans le quartier Ǧoret al-Šiyaḥ, situé à l’ouest de cette même route et enfin, dans une moindre mesure30, dans le quartier al-Buġtassiyyeh, s’étendant un peu plus au sud (fig. 22).

62 Ḫaldiyyeh est un quartier musulman qui s’est développé après 1918 à droite de la route de Hama, dans le secteur de la grande mosquée Hāled ibn al-Walīd, en partie sur des terres agricoles que possédait cette mosquée (waqf). De forme triangulaire, s’étendant sur une dizaine d’hectares, il était alors limité au sud par le quartier chrétien de Ḥamīdiyyeh, à l’est et au nord par la rue de Salamié et à l’ouest enfin par la route de Hama. Dans les années 1940, le quartier était encore assez proche de la structure urbaine de la vieille ville intra-muros, avec un dédale de ruelles en apparence désordonné et une assez forte densité de population. Celle-ci, en partie d’origine rurale (Naaman, 1951 : 395) et socialement très modeste, occupait de petites maisons basses construites en pisé. Les seules maisons en pierres de basalte se trouvaient dans le sud du quartier, à la limite du quartier Ḥamīdiyyeh.

Figure 22 – Principaux quartiers de jardiniers à Homs dans les années 1930-40.

63 La quinzaine31 de familles de jardiniers qui, au début du siècle, avait quitté la ville intra-muros pour venir habiter à Ḫaldiyyeh s’était ainsi rapprochée des jardins qu’elle exploitait alors dans le nord de la zone agricole, mais avait aussi trouvé, dans ce nouveau quartier, l’espace nécessaire au bétail qu’elle était obligée de ramener des jardins en ville pendant l’hiver. Ces petits troupeaux avaient sans doute pendant longtemps constitué une gêne pour les habitants des quartiers de la vieille ville où ces familles résidaient autrefois. Aussi, un peu comme cela s’était produit dans de nombreuses villes arabes de l’époque classique à l’encontre des activités à caractère insalubre32, l’élevage de bovins a été peu à peu repoussé vers la périphérie de l’agglomération au fur et à mesure que celle-ci s’est étendue, investissant des quartiers qui étaient alors moins densément peuplés que ceux de la zone centrale. Ils offraient la place nécessaire et étaient plus proches des jardins où se trouvaient les étables d’été et quelques zones de pâtures (zones inondables en bordure du fleuve). Ce mouvement aboutit finalement, dans les années 1950-60, à la fixation définitive de ces bêtes à l’extérieur de l’agglomération, dans la zone des jardins, été comme hiver.

64 On peut trouver étonnant que la ville de Homs ait attendu si longtemps pour refouler ces bovins hors de son centre. Cette tolérance s’explique sans doute en grande partie par le caractère rural de Homs mais aussi par l’importance qu’avait alors l’activité agricole (fruits, légumes et laitages), non seulement dans l’économie urbaine mais aussi dans l’approvisionnement de la ville. La présence de vaches à l’intérieur même de la ville assurait ainsi à sa population un approvisionnement quotidien en lait tout au long des mois d’hiver.

65 Certaines familles de jardiniers, en s’installant dans le quartier Ḫaldiyyeh, s’étaient aussi rapprochées de terres agricoles non irriguées (terres dites ba’al) qu’elles exploitaient depuis longtemps en sus de leurs jardins, un peu plus au nord le long de la route de Hama

33. Il s’agissait de terres louées sur plusieurs années à des notables de la ville — souvent les mêmes que ceux à qui étaient loués les jardins — et sur lesquelles ont d’abord été cultivées des céréales (blé, avoine, orge) ou des fèves (on parlait alors de « terres à fèves », « arḍ fūleh »). La construction du nouveau canal permit toutefois d’irriguer dès le début des années 1940 une partie de ces terres. Celles-ci devinrent alors des terres propices à la culture des cucurbitacées, « arḍ maqāṯī » (melons, concombres et pastèques).

66 Quant au quartier de Ǧoret al-Šiyaḥ, coincé entre la route de Mimas à l’ouest et la route de Hama à l’est, il n’était encore dans les années 1940 qu’un petit quartier d’une surface d’à peu près 6 ha. Les cartes du cadastre mandataire (1926) révèlent que, rompant avec le schéma de la vieille ville, il était structuré par des rues parallèles et parfaitement rectilignes. On y trouvait un habitat très aéré, la plupart des maisons étant construites en torchis et en pierres et pourvues de grandes cours34. Ouvrant sur la route de Hama, avaenit été aménagées une vingtaine de petites boutiques, noyau de ce qui allait constituer, dans les décennies suivantes, l’un des principaux axes commerçants et artisanaux de Homs.

Photo 7 – Ville de Homs. Une rue de Ǧoret al-Šiyaḥ, 1990.

67 Était venue résider dans ce nouveau quartier une population musulmane essentiellement constituée de petits fonctionnaires, de commerçants du vieux souk, mais aussi de quelques notables, appartenant aux lignages déjà évoqués des Sibā’ī, Ǧindī et Durūbī, qui s’étaient fait construire là de grandes maisons entourées de jardinets à l’européenne. Un certain nombre de familles de jardiniers, une dizaine d’après mon estimation, avait également quitté dans les années 1920 leurs quartiers trop enclavés de la vieille ville intra-muros pour venir s’installer dans ce quartier. Ils y avaient donc trouvé l’espace nécessaire pour parquer leurs bêtes pendant l’hiver.

À HAMA, LES JARDINIERS VIVAIENT DANS LES QUARTIERS PÉRIPHÉRIQUES 68 Il est plus difficile de faire la description de la vieille ville de Hama en raison de sa

possède pas les caractéristiques que l’on prête d’ordinaire à une médina, notamment la centralité, la continuité et l’homogénéité spatiales35. Elle se présente au contraire comme « un double chapelet de quartiers quasiment dissociés les uns des autres et sans centralité »36 (al-Dbiyat, 1995 : 194) et que séparaient à la fois le fleuve et les îlots de jardins présents au cœur même de la ville. On distingue toutefois deux grands ensembles ou regroupements de quartiers qui, couvrant une surface totale de quelques 200 hectares, se sont développés de part et d’autre du fleuve et ont ainsi formé un « centre duel », pour reprendre l’expression de M. al-Dbiyat : le "Souk" sur la rive gauche et le "Ḥāder" sur la rive droite, réunis l’un à l’autre par trois ponts.

Figure 23 – La vieille ville de Hama.

69 Le Souk est la partie la plus ancienne de la ville arabe reconstruite à la suite d’un tremblement de terre survenu au XIIe siècle. Son origine remonte en effet à la création des quartiers de Bāb al-Ǧisr et al-Mdīna au XIIe siècle, situés réciproquement au nord et au sud-ouest de la citadelle. La ville s’est ensuite développée vers le sud et vers l’est, remontant les pentes de la vallée. Traditionnellement réservée à une population spécifiquement citadine, cette partie de la vieille ville possède un grand souk qui s’est développé, de façon assez atypique, à l’écart de la grande mosquée al-Nūrī, sise plus loin au nord.

70 La construction d’un pont ("ǧisr al-Hawa" ou "ǧisr Malik al-Afḍāl") sur l’Oronte par les Ottomans au XVIe siècle permit à la ville de se développer sur l’autre rive. C’est ainsi que se constituèrent, entre les XVIe et XVIIIesiècles, les quartiers formant le Ḥāder. Plus ouverte sur la campagne et la steppe, cette partie de la vieille ville est traditionnellement occupée et fréquentée par une population et une clientèle en grande partie d’origine rurale et bédouine37. Nous avons vu plus haut que le Ḥāder possédait également un souk (souk al-Ḥāder al-Kabīr) essentiellement consacré aux productions rurales, de la campagne et de la steppe et à celles des jardins de la rive droite de l’Oronte.

71 On retrouve à Hama ce complexe dédale d’impasses, de ruelles étroites et parfois couvertes, bordées de maisons basses construites pour beaucoup d’entre elles en terre et s’organisant autour d’une cour centrale. Les demeures ou palais des notables étaient construits en pierres de calcaire blanc soulignées de pierres noires de basalte. À l’exception de l’est du Ḥāder, où les habitations étaient assez espacées les unes des autres pour accueillir les troupeaux d’ovins, l’habitat ancien hamiote était plus dense que celui de Homs. Les Hamiotes, tout en s’efforçant de ne pas trop s’éloigner du fleuve, dont dépendait une grande partie de leur approvisionnement en eau, avaient dû en effet s’adapter à une topographie plus accidentée et inclinée qu’à Homs. Ils s’étaient donc regroupés de préférence sur les pentes les moins prononcées, abandonnant les berges plates du fleuve aux précieux jardins.

72 Comme à Homs, on pouvait observer une certaine ségrégation sociale et religieuse. C’est en effet au centre, à proximité du fleuve, que l’on trouvait les principaux quartiers (Kīlānīyyeh, Dabāga, Barūdiyyeh, Zanbaqī...) de notables et de citadins les plus aisés, la population pauvre occupant principalement les hauteurs de la ville et ses quartiers les plus périphériques. Une petite minorité de chrétiens enfin se concentrait plus particulièrement dans un quartier (al-Médina) situé au sud-est de la citadelle, le reste de la ville étant essentiellement musulmane.

73 Jusque dans les années 1940, l’extension de la ville s’est faite sur un rythme très lent en raison d’une faible croissance démographique38 et d’une économie peu dynamique, basée essentiellement sur la rente foncière et le commerce avec les bédouins. Les nouveaux quartiers construits durant cette période se sont développés à l’ouest et au sud, sur la rive gauche. Comme le souligne Dbiyat, cette période consista surtout à « boucher les trous qui résultaient de la phase précédente afin d’aboutir à une continuité spatiale » (1995 : 178).

74 Une grande partie des jardiniers habitait dans des quartiers très populaires situés aux extrémités est, ouest et nord-ouest du Souk et du Ḥāder (fig. 24), principalement à Bāb al-Ǧisr (Ḥāder), ‘Alīlīyāt (Souk), Šarqiyyeh et Ḥamīdiyyeh (Ḥāder). Il s’agissait de quartiers parfois très anciens (Bāb al-Ǧisr) et toujours proches des jardins. Quelques jardiniers, enfin, vivaient dans les petits jardins du centre-ville (Um al-Ḥassan, Zanbaqī...) ou dans les quartiers avoisinant (Bašūra, Kīlānīyyeh, Zanbaqiyyeh, Asideh ou Barūdiyyeh), se mêlant alors au reste de la population citadine.

Figure 24 – Principaux quartiers de jardiniers à Hama dans les années 1930-40.

75 Les quartiers périphériques, où vivait donc la majorité des jardiniers, faisaient figure de « quartiers-tampons », de traits d’union entre différentes zones d’activités ou des territoires distincts. Ainsi, les quartiers de Šarqiyyeh et de Ḥamīdiyyeh s’étaient développés entre les zūr de l’est de la ville et le grand souk du Ḥāder, alors principal marché de fruits et légumes de la ville, mais aussi de tous les produits provenant de la steppe et des campagnes. Le quartier de ‘Alīlīyāt, réputé rural bien qu’appartenant au Souk, parce qu’en contact avec les plateaux agricoles du sud et de l’est de Hama, était une zone intermédiaire entre le zūr al-Qiblī qui se déroulait tout en longueur jusqu’au village de Srehin à l’est et les quartiers citadins du Souk à l’ouest. Bāb al-Ğisr enfin était située à l’articulation des jardins de Bāb al-Nahr et des quartiers du Ḥāder et de son grand souk. 76 L’identité socio-professionnelle des habitants de ces quartiers semblait être en partie liée

à cette situation charnière entre vieille ville et périurbain agricole. Ainsi, à Šarqiyyeh et à Ḥamīdiyyeh, les nombreux jardiniers se mêlaient à de simples portefaix travaillant dans le souk al-Ḥāder al-Kabīr, à des éleveurs de moutons, à des commerçants de produits bédouins ou spécialisés dans les productions des zūr de l’ouest (Bāb al-Nahr) et de l’est (al-Damsiyyeh, al-Šarqiyyeh). De même qu’à ‘Alīlīyāt, on trouvait non seulement un grand nombre de jardiniers mais aussi la plupart des petits commerçants monopolisant la filière des fruits et légumes du souk al-Ḥāder al-Ṣaġīr39.

77 Les jardiniers y étaient cependant suffisamment nombreux pour que certains de ces quartiers (Bāb al-Ǧisr et ‘Alīlīyāt) aient pu être qualifiés par les citadins de « quartiers de jardiniers » (« ḥārāt basātné »), même si les jardiniers n’y ont semble-t-il jamais constitué la totalité de leur population. A ‘Alīlīyāt, les jardiniers étaient cependant présents en plus grand nombre qu’ailleurs — une cinquantaine de lignages — au point que l’on peut penser qu’ils y représentaient une petite majorité40.

78 Cette concentration plus ou moins importante de jardiniers dans ces quartiers populaires limitrophes trouve plusieurs explications pratiques, déjà avancées plus haut. Il s’agissait en effet de quartiers très proches des principaux secteurs de jardins. Chacun d’eux était étroitement associé à un ou même à deux zūr. Rappelons que le quartier de Bāb al-Ǧisr était ainsi en contact direct avec le zūr Bāb al-Nahr et avec les jardins entourant la citadelle, les quartiers Šarqiyyeh et Ḥamīdiyyeh touchaient le zūr al-Damsiyyeh et avoisinaient celui d’al-Šarqī, le quartier de ‘Alīlīyāt enfin était en contact avec les jardins du centre (région de l’actuelle muḥāfaza) tout en étant très proche de ceux du zūr al-Qiblī. 79 Cette proximité permettait ainsi aux jardiniers qui y résidaient de se rendre rapidement

sur leurs exploitations. Cet avantage n’était pas négligeable, surtout en hiver, lorsque le temps devenait rigoureux et que les jours se faisaient plus courts, réduisant d’autant le