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46 Il convient maintenant de répondre aux questions suivantes : que sont devenus les anciens propriétaires de jardins à Homs et à Hama ? Qui sont les propriétaires actuels ? Que représentent de nos jours, d’un point de vue financier, les jardins pour leurs propriétaires ?

LES ANCIENS PROPRIÉTAIRES

47 Nous avons vu que les zones agricoles étaient la propriété d’une part minoritaire mais assez représentative de la société citadine traditionnelle. J’ai pu dégager les principales catégories de propriétaires de jardins présents dans les années 1930-1940 : ceux qui, du fait de leur position sociale, de leur pouvoir, mais aussi de la taille de leurs propriétés, avaient une capacité d’action directe ou indirecte sur la zone agricole (grands notables, notables de second rang, grands commerçants) ; ceux pour qui la zone agricole représentait essentiellement, sous la forme de petites propriétés, l’acquisition d’une reconnaissance sociale mais aussi une sécurité — alimentaire, financière — face aux aléas de la vie (petits commerçants et artisans). J’ai enfin précisé qu’à Homs quelques lignages de jardiniers étaient propriétaires pour partie ou en totalité de leurs exploitations et que cela les mettait dans une position particulière, d’influence et de prestige, par rapport à la grande majorité de leurs collègues. Je vais reprendre l’ordre de présentation de ces catégories de manière à en analyser l’évolution et la situation actuelle.

Les lignages de notables

48 Que sont donc devenus les anciens grands lignages de notables depuis les années 1940 ? Ils ont progressivement vu leur pouvoir politique et économique s’éroder puis pratiquement disparaître25.

49 Après l’indépendance (1946), ces grands lignages ont toutefois continué à dominer le système politique et économique local et national et cela jusqu’en 1958, date de la création de la République Arabe Unie associant la Syrie et l’Égypte de Gamal Abdel Nasser. Durant cette période (1946-1958), les surfaces des grandes propriétés ont même continué à augmenter à Hama, conséquence de la loi n° 84 de 1954 autorisant l’acquisition de 500 hectares prélevés sur les terres domaniales. Elles ont en revanche commencé à baisser à

Homs et cela au profit de la moyenne propriété et surtout de l’investissement industriel : la terre ne constituait plus dans cette ville l’investissement privilégié.

50 Les tableaux suivants, présentés par Dbiyat (1995 : 118-119), montrent l’évolution de la propriété foncière dans les muḥāfaẓa-s de Homs et de Hama entre 1945 et 1955 :

Tableau 17 — Structure de la propriété foncière en Syrie centrale en 1945 (en %). Source : M. al-Dbiyat (1995).

Tableau 18 — Structure de la propriété foncière en Syrie centrale en 1955 (en %). Source : M. al-Dbiyat (1995).

51 Si cette grande propriété fut, à partir des années 1950, la cible des pouvoirs « progressistes », la réforme agraire de 1958, décidée par Nasser au moment de l’union avec l’Égypte, n’a cependant eu que peu d’effets. Il faut attendre l’arrivée du Parti Baath en 1963 pour que la réforme soit radicalisée et rendue plus efficace. Elle ne connut en fait une application systématique qu’à partir de 1965, date de l’arrivée au pouvoir de l’aile la plus à gauche du Parti.

52 Les grands propriétaires sont depuis devenus des propriétaires moyens, une partie importante de leurs propriétés ayant échappé à la réforme grâce au partage opportun des patrimoines au sein des lignages. En revanche, les nationalisations qui eurent lieu en 1965 26touchèrent plus efficacement les entreprises industrielles et artisanales27 appartenant aux notables, surtout ceux de Homs, Hama étant restée très peu industrialisée jusque dans les années 196028. Ne pouvant donc plus autant compter sur leurs traditionnelles ressources économiques et financières, les anciens notables se sont tournés vers des secteurs économiques plus modestes, mais devenus très actifs, liés essentiellement au petit commerce.

53 Ainsi, pour prendre quelques exemples homsiotes connus, nous savons que les Atāssī sont une quarantaine à posséder leur bureau d’import-export29 et qu’on les trouve aussi en grand nombre comme ingénieurs et dans le prêt-à-porter. Ils sont par ailleurs présents dans la vente d’outils et d’engins agricoles, d’appareil électriques, de tapis, de parfums, dans l’horlogerie, la bijouterie, la droguerie... Les Zahrāwī font aussi, dans une moindre mesure, de l’import-export et se distinguent dans le commerce d’artisanat, de pièces détachées d’automobiles, de mobilier, de peinture, de papier, de bois, d’équipements divers (sécurité incendie, électroménager...)... Les Durūbī font également de l’import-export, vendent des chaussures, des outils de menuiserie, du matériel agricole, du prêt-à-porter, des pièces détachées pour voiture, du matériel médical... Les Hussaynī ont leurs bureaux d’import-export et vendent de l’équipement électronique, de laboratoire médical, du matériel électrique, de l’huile lubrifiante, des textiles, du papier peint et de la moquette, des cassettes de musique...Les Ǧindī ont sept bureaux d’import-export et vendent de l’équipement vidéo, des outils de menuisier, du matériel industriel30... Les anciens grands notables sont donc pour la plupart devenus des commerçants et des petits

patrons, adoptant parfois les activités commerciales traditionnelles du souk ou développant de petites unités artisanales regroupant quelques ouvriers et donc peu menacées par d’éventuelles nationalisations.

54 Les anciens notables sont encore présents dans la zone agricole, aussi bien à Homs qu’à Hama. Leur maintien en tant que propriétaires ne signifie bien sûr pas qu’ils aient conservé la totalité de leurs jardins. Nous avons vu que l’action conjuguée des ventes et des successions, aggravée par la fin des waqf familiaux et des indivis, avait réduit une grande partie de leurs propriétés agricoles, parfois de façon drastique.

55 À Homs, si les Atāssī possèdent comme autrefois le plus grand nombre de propriétés dans les jardins, celles-ci se trouvent tout de même réduites de moitié par rapport à leur surface totale de 1940. Quant aux autres lignages, Durūbī, Zahrāwī ou Raslān, ils ne possèdent plus que quelques hectares de parcelles (rive droite), exception faite des Ḥussaynī qui sont les seuls a avoir réellement consolidé leurs propriétés et même à les avoir agrandies, doublant pratiquement leur surface depuis les années 1940.

Tableau 19 — Jardins de Homs : propriétés (rive droite) par lignages de notables dans les années 1930-40 et dans les années 1990.

Source : Cahiers des terres agricoles desservies par le réseau d’irrigation de Homs. Direction de l’Irrigation du bassin de l’Oronte (Homs).

56 La figure présentant les propriétés actuelles de ces anciens notables (fig. 29) rend bien compte de ce resserrement des surfaces. Il n’y a pratiquement pas eu de redéploiement, mais un rétrécissement continu des propriétés, ce phénomène laissant ça et là des îlots isolés, de minuscules bandes de terre... bref, autant de lambeaux de ce qui avait été autrefois des domaines relativement regroupés et homogènes. Alors qu’en 1940, l’ensemble des propriétés des notables représentait 42,2 % de l’ensemble des jardins situés sur la rive droite du fleuve, en 1994 cet ensemble ne constitue plus que 22,2 % des jardins de cette même rive droite, même si les notables ne représentent que 2 % de l’ensemble des propriétaires de jardins, ce qui constitue tout de même un rapport toujours favorable. Il est possible de présenter ici quelques cas précis.

57 La très grande majorité des terres des Atāssī se trouvait sur la rive droite de l’Oronte et était regroupée en un ensemble homogène, maintenant très éclairci. La vente de certains de leurs jardins a commencé, d’après les registres cadastraux, en 1941 et s’est poursuivie jusqu’à nos jours : certaines propriétés ne sont plus maintenant que de minces lanières

isolées. Des achats de terres ont bien sûr eu lieu durant la même période, mais cela n’a jamais concerné des surfaces importantes et n’a en tous les cas pas suffi à compenser les pertes.

58 La division des parcelles entre les Atāssī est importante dans de nombreux jardins. Ainsi la parcelle n° 1012, située dans le zūr al-‘Atīq et ayant une surface de 3 ha est actuellement la propriété de quelques vingt-trois Atāssī... ce qui fait une moyenne de 0,13 ha par personne. La parcelle n° 1084, dans le zūr al-‘Abbār, d’une surface de 1,1881 ha, est elle aussi divisée entre vingt-trois membres de bayt Atāssī. La moyenne des parts est donc de 0,05 ha par personne. La parcelle n° 1649, dans le zūr al-Muftī, d’une surface de 0,6508 ha et ayant appartenu à bayt Atāssī est désormais partagée avec quatre autres propriétaires. Les Atāssī n’en possèdent plus que 0,4356 ha divisé en quarante parts, ce qui fait une moyenne de... 0,01089 ha par personne ! Quant aux propriétaires du reste de la parcelle, ils sont moins nombreux (cinq personnes) mais guère plus avantagés (0,04 ha par personne). Si l’on fait la moyenne de la surface des parts de propriété des Atāssī, on obtient 0,2 ha.

Figure 29 — Propriétés agricoles des notables homsiotes dans les années 1990 (rive droite).

59 Autre exemple, celui des Ḥussaynī. Nous avons vu que ce lignage était le seul à avoir augmenté ces dernières décennies son capital foncier dans les jardins, essentiellement par achat de terres. L’ensemble de ses jardins se trouve regroupé dans le secteur central de la zone agricole (rive droite), entre la route de Tripoli au sud, et le chemin de Ḫarāb au nord. Cette disposition groupée des jardins laisse supposer que l’on a certainement eu affaire à une stratégie d’acquisition systématique. La majorité de ces achats a été effectuée entre 1946 et 1970.

60 Comme dans l’exemple précédent, la fragmentation des parcelles en de minuscules propriétés est importante. Prenons par exemple la parcelle n° 1318. Constituée de 3,3 hectares, elle est située dans le zūr al-Ḫarāb et est divisée entre des propriétaires

appartenant à cinq lignages, dont celui des Ḥussaynī. Ceux-ci possèdent 80 % de sa surface, c’est-à-dire quelques 2,7 ha. Ils sont toutefois cinquante-cinq a en être propriétaires, ce qui représente une moyenne de 0,05 ha par personne. Autre exemple : la parcelle n° 1366 (1,5 ha), toujours dans le zūr al-Ḫarāb, est la propriété de neuf lignages et d’une administration agricole. Les Hussaynï en possèdent néanmoins la majorité (1,4 ha)... mais celle-ci est divisée entre cinquante-six personnes. Malgré un plus grand dynamisme, la moyenne de la surface des parts de propriété des Ḥussaynī est sensiblement la même que celle des Atāssī : 0,26 ha.

61 Le caractère extrême du morcellement de ces propriétés rend de plus en plus difficile la division effective des terres entre leurs trop nombreux propriétaires. Que peut-on en effet faire sur 10 m2 de terrain ? Et comment répartir les loyers correspondants ? Si l’on reprend l’exemple de la parcelle n° 1366, elle est louée actuellement pour 2 500 LS par an (350 francs)... ce qui représente 44,6 LS par ayants droit : personne ne se dérange pour percevoir une somme si faible. Aussi, depuis une dizaine d’années, le jardinier de cette parcelle ne trouve personne à qui payer son loyer. Dans d’autres cas cependant, il arrive que ce soit l’un des nombreux ayants droit qui touche seul ce faible loyer, les autres lui abandonnant de fait leurs parts, par indifférence ou par commodité. Cette personne est généralement celle à laquelle le jardinier avait l’habitude de s’adresser, avec qui le contrat a été signé vingt ou trente ans plus tôt. Cela peut donc être l’ancien mutawākīl familial, l’ancien administrateur des propriétés familiales ou l’un de ses descendants directs.

62 Même si certains jardins restent entre les mains d’un seul propriétaire, il est rare que le loyer alors versé à cette personne constitue actuellement une part importante de ses revenus. Le livre de comptes d’un membre de bayt Zahrāwī concernant les années 1961, 1985, 1989 et 1993 va permettre de reconstituer l’évolution de la place de ce loyer dans le revenu d’un membre d’un grand lignage de notables homsiotes :

« * Les recettes pour l’année 1960 se présentaient de la manière suivante : – 1/5 des loyers annuels de quatre jardins familiaux : 2 000 LS.

– Une part des loyers annuels provenant de magasins et khans familiaux, à savoir : deux khans, 3103 LS et dix-sept magasins, 5 150 LS.

– Divers revenus professionnels : 7 000 LS.

Soit un total de 17 253 LS pour l’année 1960. Les jardins représentaient donc 11,56 % de ces revenus.

* Les recettes pour l’année 1985 se présentaient de la manière suivante (les magasins et khans familiaux ont disparu et le propriétaire ne perçoit plus, après division, que le loyer d’un jardin) :

– Loyer annuel d’un jardin de 0.7 hectare : 2 000 LS. – Revenus professionnels : 32 000 LS.

Soit un total de 34 000 LS pour l’année 1985. Le jardin représentait donc 5,9 % de ces revenus.

* Les recettes pour l’année 1989 se présentaient ainsi : – Loyer annuel du jardin : 2 000 LS.

– Revenus professionnels : 101 000 LS.

Soit un total de 103 000 LS pour l’année 1989. Le jardin représentait 1,9 % de ces revenus.

* Les recettes pour l’année 1993 se présentaient de la manière suivante : – Loyer annuel du jardin : 2 000 LS.

– Revenus professionnels : 216 380 LS.

Soit un total de 218 380 LS pour l’année 1993. Le jardin ne représentait plus que 0,9 % de ces revenus. C’est donc à peine si le propriétaire se soucie d’en percevoir le loyer. »

63 La place que peuvent désormais occuper les jardins dans l’économie familiale des propriétaires va bien sûr différer d’un lignage à l’autre ; elle dépend aussi du rapport que les uns et les autres continuent à entretenir avec le travail de la terre et leur désir de conserver un lien avec la zone des jardins, alors qu’économiquement ceux-ci ne représentent plus pour ces lignages un revenu significatif. Si les anciens notables ont toutefois continué à investir dans leurs jardins (motopompes collectives à Hama, importation d’engrais chimique, introduction d’espèces nouvelles) jusqu’au début des années 1960, ils s’en sont peu à peu éloignés au cours des décennies qui suivirent. La modicité des revenus, l’étroitesse des surfaces et le nombre sans cesse croissant des ayants droit au sein de ces lignages a souvent entraîné un complet désintérêt des propriétaires pour leurs jardins. Finalement, seul le regroupement des parcelles grâce à leur achat par un membre du lignage ou par un étranger permet parfois de reconstituer, après accord passé avec le jardinier locataire, des propriétés viables.

Les citadins aisés

64 Cette catégorie était constituée dans les années 1940 par des lignages de notables secondaires et de grands commerçants. Leur déclin a été, d’après Van Dusen (1975 : 139), concomitant de celui des grands propriétaires terriens auxquels ils étaient généralement alliés. Ils sont désormais eux aussi très présents dans le secteur du petit commerce, le secteur tertiaire et les services.

65 À Homs par exemple, les Šamsī Bāšā exercent l’activité d’ingénieur-conseil, vendent du matériel agricole, de la papeterie, des graines, des aliments pour volailles, font de l’import-export, mais aussi du prêt-à-porter rue Dablag. Les ?ulaymāt font aussi de l’import-export, sont ingénieurs, médecins, vendent de la papeterie, des tissus, des véhicules agricoles, des parfums dans le souk, de la quincaillerie31...

66 À Hama, j’ai pu relever32 la trajectoire professionnelle des Murād Aġā. Ceux-ci possédaient le zūr al-Murādiyyeh (14 ha), près de Rastan, et le zūr Murdašī (surface inconnue) situé à une quinzaine de kilomètres au nord de Hama. Ils étaient également propriétaires des cinq jardins de Ḫuḍura (5 ha) et de sa noria situés au pied de la citadelle de Hama et enfin de deux moulins (Mimas) et d’un café à Homs. Ces propriétés étaient waqf ḏurrī et leurs revenus, qui faisaient l’objet de redistributions entre les ayants droit au sein des différentes lignées, ont longtemps suffi à faire vivre l’ensemble du lignage. Mais à partir des années 1940, l’accroissement des ayants droit obligea certains membres de ce lignage à travailler. Ils choisirent de pratiquer le négoce de fromages avec la montagne alaouite et le maquignonnage. Dans les années 1950, les Murād Aġā étaient tous devenus des commerçants du souk al-Ṭawīl (tissus) ou de petits industriels (usine à glaces), l’ensemble de leurs propriétés waqf ne fournissant plus que des revenus modestes et quelques conserves pour l’hiver. En 1962, ces propriétés ont finalement été partagées entre les nombreux bénéficiaires. Les terres agricoles ont rapidement été vendues (Ḫuḍūra, Murādiyyeh et Murdašī), mais les biens immeubles furent saisis par l’Etat baathiste en 1966.

67 Concernant la situation foncière actuelle de ces lignages, nous savons qu’à Homs la plupart de ceux qui constituaient cette catégorie en 1940 sont encore présents comme propriétaires de jardins, même si leurs propriétés, à deux exceptions près, se sont sensiblement réduites : alors qu’en 1940, celles-ci représentaient 24,4 % des jardins de la rive droite, en 1994 elles ne représentent plus que 14 % de ces mêmes jardins. Quant à

l’ancienne catégorie des citadins aisés, elle représente un peu plus de 3 % du total des propriétaires.

Tableau 20 — Jardins de Homs : surface (ha) des propriétés par lignages de notables secondaires et de grands commerçants (rive droite).

Source : Cahiers des terres agricoles desservies par le réseau d’irrigation de Homs, Direction de l’Irrigation du bassin de l’Oronte (Homs).

68 La surface moyenne de leurs propriétés sur la rive droite est en effet passée de 11,7 ha (1940) à moins de 7 ha (199433). Celles-ci ont littéralement fondu, sans que l’acquisition de nouvelles terres ait freiné le phénomène. Depuis 1940, la moitié des propriétés de cette ancienne catégorie de propriétaires a donc été vendue. La parcellisation des propriétés restantes n’est pas moins importante que pour la catégorie des grands propriétaires. Les jardins sont en effet actuellement divisés en micro-propriétés individuelles dont la surface moyenne ne dépasse pas les 0,2 ha.

Figure 30 — Propriétés agricoles des citadins aisés homsiotes dans les années 1990 (rive droite). 69 À Hama, nous avons vu que, dans les années 1940 la catégorie des citadins aisés possédait

peu de jardins dans un centre-ville surtout occupé par les deux ou trois grands lignages de notables (‘Aẓem, Kīlānī...). Je n’ai obtenu que peu de renseignements sur la situation foncière actuelle de cette ancienne catégorie en dehors du fait que certains de ses lignages font partie de ceux qui ont été expropriés lors de la construction de la route passant en contrebas de la citadelle (bayt Ḥāfez) et du centre administratif et sportif (bayt Šarābī, bayt Ḥāfez...).

Les « gens du souk »

70 Ces petits commerçants et artisans étaient dans les années 1940, la catégorie de propriétaires la plus importante en nombre mais aussi celle qui possédait les jardins les plus petits. Ceux qui la constituaient étaient souvent aussi démunis que les jardiniers qu’ils employaient parfois et sont parfois devenus eux-mêmes des jardiniers34.

71 À Homs, sur la rive droite du fleuve, les propriétaires qui composaient autrefois cette catégorie ne disposent plus de nos jours que de 76 hectares de jardins (135 ha en 1940), ce qui correspond à 13,6 % des terres de la zone (21,5 % en 1940). Ces propriétaires ne représentent plus eux-mêmes que 11,7 % de l’ensemble des propriétaires de jardins (50 % en 1940). Au total, c’est presque la moitié (41 %) des propriétaires qui constituaient autrefois cette catégorie des « gens du souk » qui a vendu ses jardins et a ainsi disparu de la zone agricole.

72 Le lignage Mohammad, par exemple, autrefois propriétaire de près de 8 hectares de jardins, a tout vendu entre 1933 et 1946 à des jardiniers (Muḥbanī), mais aussi à de grands commerçants (Ṭulaymāt, ‘Ayyūbī) et à quelques grands propriétaires (Sibā’ī et Ḥussaynī). D’autres lignages ont continué à vendre leurs terres jusque dans les années 1970. Les

acheteurs de ces jardins, représentant au total une cinquantaine d’hectares, se répartissent de la manière suivante : 35 % sont des notables (rachats effectués avant les années 1960), 15 % des jardiniers, 12,7 % des citadins aisés (notables secondaires et grands commerçants) et 2,17 % des petits commerçants et des artisans. Les 35,3 % restant sont des citadins qui jusqu’alors n’avaient possédé aucune terre dans la zone agricole, leurs achats s’échelonnant des années 1950 aux années 1970. J’en reparlerai plus loin.

73 Seule une très petite minorité des propriétés familiales (3) des « gens du souk » (fig. 31) a une surface comprise entre 5 et 10 hectares, alors qu’elles étaient une dizaine dans ce cas il y a encore quelques décennies. Vingt-et-une ont des surfaces se situant entre 1 et 5 hectares. Enfin, une vingtaine ont une surface inférieure à 1 hectare, surface presque symbolique, puisque ne dépassant pas parfois quelques mètres carrés (ex. : 5m2 pour bayt Ǧūrī !). La surface moyenne de toutes ces propriétés — en tant que propriétés familiales —