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Présentation des principaux Pères dits « millénaristes »

INTRODUCTION À UNE ESCHATOLOGIE INTERMÉDIAIRE

P RÉAMBULE : LES LIEUX SCRIPTURAIRES DU MILLÉNARISME

B. S TATUS QUAESTIONIS

3) Présentation des principaux Pères dits « millénaristes »

Les limites de ce travail ne permettent pas d’étudier les Pères millénaristes dans tous les détails. La présentation qui va suivre n’a pour but que de faire entrer le lecteur dans le sujet et de montrer également que les écrivains dits millénaristes ne correspondent peut-être pas toujours à ce qu’en ont dit les auteurs anti- millénaristes. De plus, à l’image d’Irénée présenté plus haut, ils sont la plupart du temps ouverts à des interprétations non chiliastes.

a) Saint Papias d’Hiérapolis (début IIe siècle)

i. Un millénarisme de type asiate

Avec saint Papias, évêque d’Asie Mineure, le millénarisme de type asiate est présenté à sa source. Cet auteur a écrit un ouvrage intitulé : « Explications des paroles du Seigneur » (Λογίων κυριακῶν ἐξηγήσεως), aujourd’hui perdu, et dont on ne conserve que des fragments rapportés par une tradition indirecte. En voici un transmis par saint Irénée :

La création, libérée et renouvelée, produira en abondance toute espèce de nourriture, grâce à la rosée du ciel et à la graisse de la terre. C’est ce que les presbytres qui ont vu Jean, le disciple du Seigneur, se souviennent avoir entendu de lui, lorsqu’il évoquait l’enseignement du Seigneur relatif à ces temps-là. Voici donc ces paroles du Seigneur :

« Il viendra des jours où des vignes croîtront, qui auront chacune dix mille ceps, et sur chaque cep dix mille branches, et sur chaque branche dix mille bourgeons, et sur chaque bourgeon dix mille grappes, et sur chaque grappe dix mille grains, et chaque grain pressé donnera vingt-cinq cuves de vin. Et lorsque l’un des saints cueillera une grappe, une autre grappe lui criera : “Je suis meilleure, cueille-moi et, par moi, bénis le Seigneur !”. De même le grain de blé produira dix mille épis, chaque épi aura dix mille grains et chaque grain donnera cinq tonnes de belle farine ; et il en sera de même, toute proportion gardée, pour les autres fruits, pour les semences et pour l’herbe. Et tous les animaux, usant de cette nourriture qu’ils recevront de la terre, vivront en paix et en harmonie les uns avec les autres et seront pleinement soumis aux hommes ». Voilà ce que Papias, auditeur de Jean, familier de Polycarpe, homme vénérable, atteste par écrit dans le quatrième de ses livres – car il existe cinq livres composés par lui. Il ajoute : « Tout cela est croyable pour ceux qui ont la foi. Car, poursuit- il, comme Judas le traître demeurait incrédule et demandait : “Comment Dieu pourra-t-il créer de tels fruits ?” – le Seigneur lui répondit : “Ceux-là le verront, qui vivront jusqu’alors” »98.

Plusieurs points sont à noter dans cette présentation millénariste de l’évêque d’Hiérapolis. Tout d’abord son chiliasme, bel exemple de la tradition asiate, est caractérisé par une fécondité extraordinaire de la terre, par une suractivité plutôt que par un repos de la création, comme c’est le cas dans la tradition syrienne. Cette opulence se traduit par une abondance de nourriture pour les saints. Il n’est pas question pour autant de désordre moral introduit par l’absorption de trop de nourriture, mais plutôt d’un ordre rétabli dans la création : la juste relation entre les végétaux, les animaux, les hommes et Dieu est restaurée, comme à l’origine, dans la paix. Cette tradition chiliaste correspond selon Papias à un enseignement du Seigneur en personne. Il faut donc le recevoir avec foi99.

Ce millénarisme aux traits matériels fortement prononcés ne correspond pas exactement aux critiques des Pères anti-millénaristes. La consommation des biens terrestres est tout orientée vers la louange du Seigneur. Aucune concession n’est faite à une jouissance égoïste des biens créés : « Cueille-moi et, par moi, bénis le Seigneur ! ». De plus, il n’est sans doute pas anodin que les biens en question soient du raisin et du blé, les deux créatures qui sont indispensables à la célébration de l’Eucharistie. En cela, Papias s’adresse en quelque sorte aux Pères anti-millénaristes : « Attention, le manger et le boire que vous décriez tant chez les millénaristes, ce n’est pas d’abord le propre d’un excès charnel, mais celui d’une célébration de l’Eucharistie, sommet de la vie chrétienne. Ne mangez-vous et ne buvez-vous pas à chaque Eucharistie ? ». On note également que la durée de mille ans prêtée au millénium par ses détracteurs ne semble pas avoir d’importance ici. Saint Papias ne raisonne pas sur la durée totale de l’histoire du

universae escae ex rore caeli et ex fertilitate terrae. Quemadmodum Presbyteri meminerunt, qui Iohannem discipulum Domini viderunt, audisse se ab eo quemadmodum de temporibus illis docebat Dominus et dicebat : « Venient dies in quibus vineae nascentur singulae decem millia palmitum habentes, et in unoquoque palmite dena millia brachiorum, et in unoquoque brachio dena millia flagellorum, et in unoquoque flagello dena millia botruorum, et in unoquoque botro dena millia acinorum, et unumquodque acinum expressum dabit vigintiquinque metretas vini. Et cum [eorum] apprehenderit aliquis sanctorum botruum alius clamabit botrus : “Ego melior sum, me sume, per me Dominum benedic”. Similiter et granum tritici decem millia spicarum generaturum, et unamquamque spicam habituram decem millia granorum, et unumquodque granum quinque bilibres similae dare mundae, et reliqua autem poma et semina et herbam secundum congruentiam his consequentem, et omnia animalia his cibis utentia qui a terra accipiuntur pacifica et consentanea invicem fieri, subjecta hominibus cum omni subiectione ». Haec autem et Papias Iohannis auditor, Polycarpi autem contubernalis, vetus homo, per scripturam testimonium perhibet in quarto librorum suorum : sunt enim illi quinque libri conscripti. (Fr. gr. 28 : Ταῦτα δὲ καὶ Παπίας ὁ Ἰωάννου μὲν ἀκουστής, Πολυκάρπου δὲ ἑταῖρος γεγονώς, ἀρχαῖος ἀνήρ, ἐγγράφως ἐπιμαρτυρεῖ ἐν τῇ τετάρτῃ τῶν ἑαυτοῦ βιβλίων·ἔστι γὰρ αὐτῷ πέντε βιβλία συντεταγμένα). Et adiecit dicens : « Haec autem credibilia sunt credentibus. Et Iuda, inquit, proditore non credente et interrogante : “Quomodo ergo tales geniturae a Domino perficientur ?” dixisse Dominum : “Videbunt qui venient in illa” ».

99 Sur ce fragment de Papias, nous laissons de côté la question de la véritable source qui, selon

l’a priori négatif de Gry, ne peut résolument pas venir effectivement du Seigneur lui-même. Pour Gry, ce logion de Papias vient d’un passage très ressemblant d’un apocryphe juif, 2 Baruch : « La

salut en résonance avec la semaine initiale de la création. Par conséquent, il n’y a pas, dans ce passage, de trace de millénarisme de type syrien.

ii. Un millénarisme ouvert à l’allégorie

Ce chiliasme que l’on pourrait qualifier de littéral, dans le sens où il semble prendre à la lettre les promesses messianiques de l’Ancien Testament, n’est pourtant pas révélateur de toute l’exégèse de Papias. Dans un répertoire de fragments attribués à l’évêque d’Hiérapolis, le n° 7 évoque l’exégèse allégorique de cet auteur :

Le plus ancien des exégètes ecclésiastiques, en fait, je veux dire, bien sûr, Philon le philosophe et le contemporain des apôtres, et le célèbre Papias d’Hiérapolis, le disciple de Jean l’Évangéliste, et Irénée de Lyon, et Justin martyr et philosophe, et Pantène l’alexandrin, et Clément le Stromate, et leurs associés, interprétaient l’histoire du Paradis allégoriquement avec référence à l’Église du Christ100.

Papias se trouve ici associé de source sûre – Anastase le Sinaïte – aux grands noms de l’école d’Alexandrie connue pour son exégèse allégorique. Si l’évêque d’Hiérapolis voyait dans la création initiale un type de l’Église, on peut difficilement imaginer que le récit sur la fin que nous venons de lire est une simple

restitutio in integrum de la création dans sa seule matérialité. À la fin, il y aura un

peu plus que des gloutonneries millénaristes comme il y avait déjà un peu plus que la venue en la matière au moment de la création. En conséquence, le chiliasme de saint Papias semble ouvert à une dimension qui dépasse la lettre biblique et la matière de notre monde.

terre aussi donnera des fruits, dix mille pour un. Chaque vigne portera mille sarments, chaque sarment portera mille grappes, chacune des grappes comptera mille raisins, et un raisin donnera un kor de vin. Et ceux qui ont eu faim se réjouiront et seront chaque jour spectateurs de prodiges ». Papias n’aurait fait ainsi que plagier une source juive et l’anti-juduaïsme des Pères opposés au chiliasme serait alors justifié. Cf. Ap. Bar. XXIX, 5-6, in Apocalypse de Baruch, T. 1, Pierre-Maurice BOGAERT, SC 144, Cerf, Paris, 1969, p. 483 ; Léon GRY, « Le Papias des belles

promesses messianiques », Vivre et penser, 3e série (RB 52), 1944, p. 112-124 ; Hans BIETENHARD,

« The millenial hope in the early church », op. cit., p. 12, est plus nuancé et dit que la tradition de Papias et celle de 2 Baruch sont concomitantes et parallèles et qu’il est donc difficile de savoir qui s’inspire de qui : « Dans ce contexte, on ne peut pas discuter de la priorité et de l’interdépendance des deux traditions ». Sur cette question, voir Cyril PASQUIER, Aux portes de la gloire, op. cit.,

p. 149 sq.

100 PAPIASD’HIÉRAPOLIS, « The fragments », in James A. KLEIST (dir.), The Didache [and other texts],

ACW 6, Newman Press, New York, 1948, p. 121 : Οἱ μὲν οὖν ἀρχαιότεροι τῶν ἐκκλησιαστικῶν [ἐκκλησιῶν cod] ἐξηγητῶν [ἐξηγητικῶν cod], λέγω δὴ Φίλων ὁ φιλόσοφος καὶ τῶν ἀποστόλων ὁμόχρονος, καὶ Παπίας ὁ πολύς, ὁ Ἰωάννου τοῦ εὐαγγελιστοῦ φοιτητής, ὁ Ἱεραπολίτης ... καὶ οἱ ἀμφ’ αὐτοὺς πνευματικῶς τὰ περὶ παραδείσου ἐθεώρησαν εἰς τὴν Χριστοῦ ἐκκλησίαν ἀναφερόμενοι.

Voir aussi François-Xavier FUNK (dir.), Patres apostolici, 1, Laupp, Tübingen, 1901, Fr. VII, p. 364 ;

ANASTASELE SINAÏTE, In Hexaemeron I, 6, 1 (PG 89, col. 860 C) ; ANASTASELE SINAÏTE, Hexaemeron,

Clement A. KUEHN, John D. BAGGARLY, Joseph A. MUNITIZ, OCA 278, Pontificio istituto orientale,

b) Le Pseudo-Barnabé (début IIe siècle)

i. Un millénarisme de type syrien

L’auteur de cette Épître présente, au chapitre 15, le sabbat de Dieu. Cette forme de millénarisme semble se situer plutôt dans la ligne syro-palestinienne101. En effet il y est plus question de repos de Dieu et des hommes, dans la logique de

Hébreux 4, 9, de spéculations à partir de la semaine de la création, que de

fécondité extraordinaire de la terre et des hommes102. Voici le texte du Pseudo- Barnabé :

1. En outre, au sujet du sabbat, il est écrit dans les Dix paroles que Dieu adressa personnellement à Moïse sur le mont Sinaï : « Sanctifiez le sabbat du Seigneur avec des mains pures et un cœur pur ». 2. Et ailleurs il dit : « Si mes fils gardent le sabbat, alors je répandrai sur eux ma miséricorde ». 3. Il mentionne le sabbat au commencement de la création : « Et Dieu fit en six jours les œuvres de ses mains. Il les acheva au septième jour pendant lequel il se reposa et qu’il sanctifia ». 4a. Faites attention, mes enfants, au sens de cette phrase : « il acheva en six jours ». 4b. Cela veut dire que le Seigneur amènera l’univers à son terme en six mille ans. 4c. Car un jour pour lui signifie mille ans. 4d. Il me l’atteste lui-même quand il dit : « Voici, un jour du Seigneur sera comme mille ans ». 4e. Ainsi, mes enfants, c’est « en six jours », en six mille ans, que l’univers parviendra à son terme. 5a. « Et il se reposa le septième jour ». 5b. Cela veut dire : Lorsque son fils sera venu pour mettre fin au temps de l’Inique, pour juger les impies et pour changer le soleil, la lune et les étoiles, alors il se reposera vraiment pendant le septième jour.

6a. Enfin il dit : « Tu le sanctifieras avec des mains pures et un cœur pur ». 6b. Si donc actuellement quelqu’un pouvait sanctifier d’un cœur pur ce jour que Dieu a sanctifié, alors nous nous serions totalement trompés. 7a. Mais si (maintenant) ce n’est pas le cas, il le sanctifiera vraiment dans le repos lorsque nous en serons capables : lorsque nous aurons été justifiés, que nous aurons reçu l’objet de la promesse, lorsqu’il n’y aura plus d’iniquité, mais que le Seigneur aura tout renouvelé. 7b. Alors nous pourrons le sanctifier, ayant été nous- mêmes d’abord sanctifiés. 8a. Il leur dit enfin : « Vos néoménies et vos sabbats, je ne les supporte pas ». 8b. Voyez comment il s’exprime : ce ne sont pas les actuels sabbats qui me sont agréables, mais bien celui que j’ai fait et dans lequel, après avoir tout mené au repos, je ferai le commencement d’un huitième jour, c’est-à-dire le commencement d’un autre monde. 9. Voilà bien pourquoi nous célébrons comme une fête

101 Martine DULAEY, Victorin de Poetovio, Premier exégète latin, op. cit., p. 257, pour qui la tradition

de la semaine de millénaires, celle du pseudo-Barnabé et d’Hippolyte, est d’origine syro- palestinienne.

102 He 4, 9 : « C’est donc qu’un repos, celui du septième jour, est réservé au peuple de Dieu ».

Cf. Jean DELUMEAU, Mille ans de bonheur, op. cit., p. 21, pour qui dès le Pseudo-Barnabé et Papias

on note une divergence entre deux types de millénarisme : celui du « repos des saints » et celui sur la fécondité fantastique de la terre régénérée.

joyeuse le huitième jour pendant lequel Jésus est ressuscité des morts et, après être apparu, est monté aux cieux103.

En quoi consiste le chiliasme dans ce texte ? Il repose tout entier sur un parallèle entre la semaine initiale de la création telle qu’elle est décrite en Gn 1 et la durée totale du monde. Le pivot de cette argumentation – qui n’est pas directement biblique, mais de tradition – est d’utiliser le Ps 90, 4, repris par 2 P 3, 8 – « devant le Seigneur, un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour » – pour signifier que le monde durera autant de millénaires que la semaine de la création a compté de jours. Le monde sera ainsi achevé en six mille ans comme la semaine initiale l’a été en six jours. Avec le septième millénaire, inauguré par le retour du Christ, commence un temps de repos pour Dieu et pour les hommes à l’imitation du sabbat initial.

Tous ces éléments sont présents dans le passage de l’épître de Barnabé (v. 3-5). Le Christ semble revenir à la fin du sixième millénaire. Il défait l’Inique, soit l’Antéchrist, et inaugure l’ère de repos du millénium, appelée ici « le septième jour » (v. 5). Les v. 6-7 confirment cette approche millénariste : le septième millénaire qui sanctifie pleinement, comme le sabbat initial, n’est pas encore arrivé. À ce moment-là seulement, « il n’y aura plus d’iniquité » et « le Seigneur aura tout renouvelé »104.

ii. Une remise en cause du caractère millénariste ?

Mais les v. 8-9 apportent une certaine réserve quant au millénarisme de l’auteur105. Ce « septième jour » ou septième millénaire est dit en fait « le commencement d’un huitième jour »106. Il y a donc une sorte de « tuilage » : le septième millénaire est aussi et déjà l’éternité, l’autre monde. C’est d’ailleurs tout 103 Épître 15 (SC 172, p. 183-189) : Ἔτι οὖν καὶ περὶ τοῦ σαββάτου, γέγραπται ἐν τοῖς δέκα λόγοις, ἐν οἷς ἐλάλησεν ἐν τῷ ὄρει Σινᾶ πρὸς Μωϋσῆν κατὰ πρόσωπον·« Καὶ ἁγιάσατε τὸ σάββατον κυρίου χερσὶν καθαραῖς καὶ καρδίᾳ καθαρᾷ ». (2) Καὶ ἐν ἑτέρῳ λέγει·« Ἐὰν φυλάξωσιν οἱ υἱοί μου τὸ σάββατον, τότε ἐπιθήσω τὸ ἔλεός μου ἐπ’ αὐτούς ». (3) Τὸ « σάββατον » λέγει ἐν ἀρχῇ τῆς κτίσεως·« Καὶ ἐποίησεν ὁ θεὸς ἐν ἓξ ἡμέραις τὰ ἔργα τῶν χειρῶν αὐτοῦ, καὶ συνετέλεσεν ἐν τῇ ἡμέρᾳ τῇ ἑβδόμῃ καὶ κατέπαυσεν ἐν αὐτῇ καὶ ἡγίασεν αὐτήν ». (4a) Προσέχετε, τέκνα, τί λέγει τὸ « συνετέλεσεν ἐν ἓξ ἡμέραις ». (4b) Τοῦτο λέγει, ὅτι ἐν ἑξακισχιλίοις ἔτεσιν συντελέσει κύριος τὰ σύμπαντα·(4c) ἡ γὰρ ἡμέρα παρ’ αὐτῷ σημαίνει χίλια ἔτη. (4d) Αὐτὸς δέ μοι μαρτυρεῖ λέγων·« Ἰδού, ἡμέρα κυρίου ἔσται ὡς χίλια ἔτη ». (4e) Οὐκοῦν, τέκνα, « ἐν ἓξ ἡμέραις », ἐν τοῖς ἑξακισχιλίοις ἔτεσιν, συντελεσθήσεται τὰ σύμπαντα. (5a) « Καὶ κατέπαυσεν τῇ ἡμέρᾳ τῇ ἑβδόμῃ ». (5b) Τοῦτο λέγει·ὅταν ἐλθὼν ὁ υἱὸς αὐτοῦ καταργήσει τὸν καιρὸν τοῦ ἀνόμου καὶ κρινεῖ τοὺς ἀσεβεῖς καὶ ἀλλάξει τὸν ἥλιον καὶ τὴν σελήνην καὶ τοὺς ἀστέρας, τότε καλῶς καταπαύσεται ἐν τῇ ἡμέρᾳ τῇ ἑβδόμῃ. (6a) Πέρας γέ τοι λέγει·« Ἁγιάσεις αὐτὴν χερσὶν καθαραῖς καὶ καρδίᾳ καθαρᾷ ». (6b) Εἰ οὖν ἣν ὁ θεὸς ἡμέραν ἡγίασεν νῦν τις δύναται ἁγιάσαι καθαρὸς ὢν τῇ καρδίᾳ, ἐν πᾶσιν πεπλανήμεθα. (7a) Εἰ δὲ οὐ <νῦν>, ἄρα τότε καλῶς καταπαυόμενος ἁγιάσει αὐτήν, ὅτε δυνησόμεθα αὐτοὶ δικαιωθέντες καὶ ἀπολαβόντες τὴν ἐπαγγελίαν, μηκέτι οὔσης τῆς ἀνομίας, καινῶν δὲ γεγονότων πάντων ὑπὸ κυρίου — (7b) τότε δυνησόμεθα αὐτὴν ἁγιάσαι, αὐτοὶ ἁγιασθέντες πρῶτον. (8a) Πέρας γέ τοι λέγει αὐτοῖς·« Τὰς νεομηνίας ὑμῶν καὶ τὰ σάββατα οὐκ ἀνέχομαι ». (8b) Ὁρᾶτε πῶς λέγει· « Οὐ τὰ νῦν σάββατα ἐμοὶ δεκτά, ἀλλὰ ὃ πεποίηκα, ἐν ᾧ κατα- παύσας τὰ πάντα ἀρχὴν ἡμέρας ὀγδόης ποιήσω, ὅ ἐστιν ἄλλου κόσμου ἀρχήν ». (9) Διὸ καὶ ἄγομεν τὴν ἡμέραν τὴν ὀγδόην εἰς εὐφροσύνην, ἐν ᾗ καὶ ὁ Ἰησοῦς ἀνέστη ἐκ νεκρῶν καὶ φανερωθεὶς ἀνέβη εἰς οὐρανούς.

à fait logique, dit l’auteur, car le retour du Christ glorieux ne peut aller qu’avec la résurrection qui est le huitième jour, le dimanche, le lendemain du sabbat. On remarquera d’ailleurs qu’il n’était pas question de résurrection des justes au v. 5 quand le Pseudo-Barnabé parlait de l’inauguration du millénium. Dans la perspective de notre auteur, on ne ressuscite pas le septième jour – on se repose ce jour-là – mais le huitième. De plus la Résurrection est un événement très spirituel puisque l’Ascension est mentionnée juste après : « le huitième jour pendant lequel Jésus est ressuscité des morts et, après être apparu, est monté aux cieux » (v. 9). L’aspect terrestre et matériel du septième-huitième millénaire est donc très minimisé. La Résurrection dans cette perspective est comme absorbée par l’Ascension.

Une autre approche, celle-ci peut-être plus ouvertement millénariste, « tirera » la Résurrection non pas vers l’Ascension et le huitième jour, mais vers le sixième. Tout le mystère pascal de mort et de résurrection se passerait alors le sixième jour. Puis le septième jour correspondra à la vie terrestre de Jésus après sa résurrection et donc à la vie terrestre des justes après leur résurrection. Enfin le huitième jour, serait l’équivalent du temps après l’Ascension, quand le Christ a quitté cette terre ; les justes aussi quitteraient alors cette terre pour entrer dans le commencement véritable de l’éternité. Cette approche a l’intérêt de singulariser davantage le septième jour, de lui donner une identité distincte à la fois du sixième et du huitième jours. On la retrouve chez Irénée107.

Le Pseudo-Barnabé, lui, laisse assez clairement le septième jour être absorbé par le huitième108. Il s’agit donc d’un chiliasme très spirituel. C’est l’intelligence qui se réjouit de la cohérence interne qu’elle trouve dans la doctrine

Church, op. cit., p. 11, qui pense que l’interprétation de l’histoire sainte en sept millénaires n’est

pas le millénarisme chrétien dans sa forme habituelle du second siècle. L’épître de Barnabé, qui utilise cette conception, marque le premier emploi par un auteur chrétien de cette doctrine païenne traditionnelle de la « semaine » d’années (ou de millénaires). Auguste LUNEAU, L’histoire du salut..., op. cit., p. 84, le Pseudo-Barnabé est engagé dans la polémique judaïque, et n’accorde aux

préceptes juifs qu’une valeur symbolique. Le sabbat des juifs s’efface, dans la pensée du Pseudo- Barnabé, devant la typologie 7e jour / 7e millénaire, ce dernier représentant le repos du Christ et de

ses saints après six mille ans.

105 Albert HERMANS, « Le Pseudo-Barnabé est-il millénariste ? », EThL 35, 1959, p. 876, conclut

que le millénarisme est « totalement absent » de l’épître du Pseudo-Barnabé.

106 Cf. Frederick Fyvie BRUCE, « Eschatology in the Apostolic Fathers », in Schatkin NEIMAN (dir.),

The heritage of the early church, OCA 195, Pont. Institutum Studiorum Orientalium, Roma, 1973,

p. 87, avec le Pseudo-Barnabé, c’est la première fois qu’est exposée la doctrine de la semaine de millénaires. Mais il comprend le septième millénaire comme correspondant au sabbat des juifs qui a été abrogé par le Christ. Donc il christianise ce schéma en ajoutant un huitième millénaire, l’équivalent du jour de la résurrection du Christ, « le commencement du nouveau monde ».

107 Auguste LUNEAU, L’histoire du salut..., op. cit., p. 103 : « L’évêque de Lyon apparaît donc tout à

la fois comme l’homme de la tradition et celui qui l’achève. Les presbytres parlaient d’un millénium et Barnabé de six mille ans. Irénée fait la synthèse : il insère le millénaire dans une histoire de sept mille ans que suit l’éternelle béatitude ». Ibid., p. 94.

108 Autre élément qui semble remettre en cause le millénarisme du Pseudo-Barnabé, c’est la place

des âges du monde plus qu’une croyance millénariste « existentielle » qui se mettrait à espérer un temps réel de renouvellement de la création sur notre terre avant le début de l’éternité109. La réalité historique d’un éventuel millénium importe moins ici que sa place cohérente dans l’ensemble du dessein bienveillant de Dieu. Au Pseudo-Barnabé pourrait très bien convenir le qualificatif de pseudo- millénariste. La sensibilité spiritualisante de cet auteur se retrouvera chez le premier Augustin.

En conclusion sur le Pseudo-Barnabé, on pourrait dire que le millénarisme ne semble pas se trahir en acceptant une certaine ambivalence sur la nature du millénium : à la fois de ce monde et de l’autre. Il est une sorte de temps-lieu intermédiaire.

c) Saint Justin martyr (100-165)

i. Un millénariste asiate modéré

La doctrine chiliaste n’occupe pas une place très importante dans l’œuvre de saint Justin. Elle est absente de son Apologie et principalement présente dans les passages ci-dessous de son Dialogue avec Tryphon :

Pour moi, comme tous les chrétiens parfaitement orthodoxes, nous savons qu’il y aura une résurrection de la chair, ainsi que mille années dans Jérusalem rebâtie, ornée et agrandie, comme les prophètes Ézéchiel, Isaïe et les autres l’affirment110.