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Entrée en matière par des propos explicites des auteurs

INTRODUCTION À UNE ESCHATOLOGIE INTERMÉDIAIRE

P RÉAMBULE : LES LIEUX SCRIPTURAIRES DU MILLÉNARISME

A. P OSITION DU PROBLÈME : L ’ EXEMPLE D ’I RÉNÉE ET D ’A UGUSTIN

2) Entrée en matière par des propos explicites des auteurs

Cette approche par les citations de l’Apocalypse est confirmée par des propos explicites des deux auteurs. Le passage suivant d’Irénée vient en conclusion de sa partie sur le regnum iustorum dans l’Adversus haereses. Ce texte a l’avantage de récapituler les principales idées de l’évêque de Lyon sur la première résurrection.

De façon précise, Jean a vu par avance la première résurrection, qui est celle des justes, et l’héritage de la terre qui doit se réaliser dans le royaume ; de leur côté, en plein accord avec Jean, les prophètes avaient déjà prophétisé sur cette résurrection. C’est exactement cela que le Seigneur a enseigné lui aussi, quand il a promis de boire le mélange nouveau de la coupe avec ses disciples dans le royaume, et encore lorsqu’il a dit : « Des jours viennent où les morts qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de l’homme, et ils ressusciteront, ceux qui auront fait le bien pour une résurrection de vie, et ceux qui auront fait le mal pour une résurrection de jugement » : il dit par là que ceux qui auront fait le bien ressusciteront les premiers pour aller vers le repos, et qu’ensuite ressusciteront ceux qui doivent être

jugés. C’est ce qu’on trouve déjà dans le livre de la Genèse, d’après lequel la consommation de ce siècle aura lieu le sixième jour, c’est-à- dire la six millième année ; puis ce sera le septième jour, jour du repos, au sujet duquel David dit : « C’est là mon repos, les justes y entreront » : ce septième jour est le septième millénaire, celui du royaume des justes, dans lequel ils s’exerceront à l’incorruptibilité, après qu’aura été renouvelée la création pour ceux qui auront été gardés dans ce but. C’est ce que confesse l’apôtre Paul, lorsqu’il dit que la création sera libérée de l’esclavage de la corruption pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu9.

La thèse de saint Irénée est de dire que la première résurrection d’Ap 20, 6 correspond à celle des seuls justes qui, au moment de la parousie du Christ, hériteront sur la terre des promesses faites à nos pères. Le royaume des justes est ce temps où vivent les seuls justes qui sont réellement ressuscités. Les autres ne ressuscitent qu’à la fin de ce temps de félicité pour le jugement dernier. En parallèle avec les sept jours du récit initial de la création en Genèse 1, le regnum

iustorum correspond au septième et dernier millénaire de l’histoire du salut. Toute

la création y sera profondément renouvelée. Ce temps est aussi perçu comme un « exercice à l’incorruptibilité » pour les justes. Il est une ultime accoutumance à l’éternité, dans le prolongement de ce qui se passe déjà dans l’Église, avant le retour du Christ.

Toute autre est la position de saint Augustin :

Il y a donc deux régénérations, et déjà nous en avons parlé plus haut : l’une selon la foi qui s’accomplit maintenant par le baptême, l’autre selon la chair qui s’accomplira dans l’incorruptibilité et l’immortalité par le grand et suprême jugement ; ainsi y a-t-il aussi deux résurrections : l’une « première » qui a lieu maintenant et c’est celle des âmes, laquelle empêche de tomber dans la seconde mort, l’autre « seconde », qui n’est pas de maintenant, mais aura lieu à la fin du siècle ; ce n’est pas celle des âmes, mais des corps, et par le dernier jugement elle envoie les uns dans la seconde mort, les autres dans la vie qui est exempte de mort.

De ces deux résurrections, le même Jean l’évangéliste, dans le livre qu’on appelle Apocalypse, a parlé de telle manière que, la première des deux, incomprise par certains des nôtres, soit en outre tournée en fables ridicules. [suit la citation de Ap 20, 1-6].

Ceux qui, d’après les paroles de ce livre, ont conjecturé que la première résurrection serait corporelle, furent, par-dessus toute autre

9 AH V, 36, 3 (SC 153, p. 460-465) : Diligenter ergo Iohannes praevidit primam iustorum

resurrectionem et in regno terrae hereditatem, consonanter autem et prophetae prophetaverunt de ea. Haec enim et Dominus docuit, mixtionem calicis novam in regno cum discipulis bibiturum se pollicitus. [La suite n’est connue que par un fragment arménien, Arm. 36, 55]. Et Apostolus autem liberam futuram creaturam a servitute corruptelae in libertatem gloriae filiorum Dei confessus est.

raison, fortement impressionnés par le chiffre de mille ans, comme s’il devait y avoir pour les saints une sorte de repos sabbatique d’une très longue durée, c’est-à-dire un saint loisir après les labeurs des six mille ans écoulés depuis le jour où l’homme fut créé et, en raison de son grand péché, précipité de la félicité du paradis dans les tribulations de cette vie mortelle : de la sorte, puisqu’il est écrit : « Un jour pour le Seigneur est comme mille ans et mille ans comme un seul jour », à la suite des six mille années passées comme six jours, suivra dans les derniers mille ans un septième jour, comme sabbat, et c’est pour le célébrer que les saints ressusciteront. [...]

Quand on entend dire que ceux qui alors seront ressuscités, s’adonneront aux festins charnels les plus démesurés, dans lesquels nourriture et boisson regorgeront au point que, loin de garder nulle retenue, ils dépasseront même la mesure de ce qu’on saurait croire, assurément, il ne peut y avoir que des hommes charnels pour croire de pareilles choses10.

Ainsi pour le docteur africain, la première résurrection s’opère maintenant par la foi ; c’est celle de l’âme. La « seconde résurrection » – terme non biblique, propre à Augustin – elle, se fera dans la chair au jour du jugement, que l’on soit compté parmi les justes ou non. La thèse irénéenne d’une première résurrection corporelle est ainsi à mettre au rang des « fables ridicules ». Augustin s’insurge contre l’aspect matériel et charnel d’une telle interprétation.

Ces deux extraits qui résument succinctement la position des deux auteurs correspondent à ce que l’histoire de la théologie a retenu : un choc frontal entre deux interprétations incompatibles de la première résurrection. Soit elle est corporelle demain, soit elle est spirituelle aujourd’hui. Le débat sur la première résurrection semble aboutir à une impasse.

10 De civ. Dei XX, 6, 2 – 7, 1 (BA 37, p. 208-213) : Sicut ergo duae sunt regenerationes, de quibus

iam supra locutus sum, una secundum fidem, quae nunc fit per baptismum ; alia secundum carnem, quae fiet in eius incorruptione atque immortalitate per iudicium magnum atque novissimum : ita sunt et resurrectiones duae, una prima, quae et nunc est et animarum est, quae venire non permittit in mortem secundam ; alia secunda, quae non nunc, sed in saeculi fine futura est, nec animarum, sed corporum est, quae per ultimum iudicium alios mittit in secundam mortem, alios in eam vitam, quae non habet mortem. De his duabus resurrectionibus idem Ioannes evangelista in libro, qui dicitur Apocalypsis, eo modo locutus est, ut earum prima a quibusdam nostris non intellecta insuper etiam in quasdam ridiculas fabulas verteretur. [...] Qui propter haec huius libri verba primam resurrectionem futuram suspicati sunt corporalem, inter cetera maxime numero annorum mille permoti sunt, tamquam oporteret in sanctis eo modo velut tanti temporis fieri sabbatismum, vacatione scilicet sancta post labores annorum sex milium, ex quo creatus est homo et magni illius peccati merito in huius mortalitatis aerumnas de paradisi felicitate dimissus est, ut, quoniam scriptum est : « Unus dies apud Dominum sicut mille anni, et mille anni sicut dies unus », sex annorum milibus tamquam sex diebus impletis, sequatur velut septimus sabbati in annis mille postremis, ad hoc scilicet sabbatum celebrandum resurgentibus sanctis. [...] Sed cum eos, qui tunc resurrexerint, dicant immoderatissimis carnalibus epulis vacaturos ; in quibus cibus sit tantus ac potus, ut non solum nullam modestiam teneant, sed modum quoque ipsius incredulitatis excedant : nullo modo ista possunt nisi a carnalibus credi. La traduction de saint