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Chapitre III : Le recours aux aides des personnes fragiles : L’aide

3.1 Présentation des modèles sur le recours aux aides

Nous modélisons le recours aux deux types d’aide que sont l’aide des proches et l’aide professionnelle en supposant que le choix de recourir à l’un des deux types d’aide peut

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influencer le choix de recourir à l’autre. Soit un individu qui est face à deux choix binaires dépendant chacun de la réalisation de l’autre, le modèle naïf exprimant chaque décision en fonction de l’autre peut s’écrire

𝑦1 = 𝐼[𝑋1𝛽1+ 𝑦2𝛼1+ 𝑒1 ≥ 0] 𝑦2 = 𝐼[𝑋2𝛽2+ 𝑦1𝛼2 + 𝑒2 ≥ 0]

(1)

L’estimation d’un tel modèle permet alors de déterminer si les choix binaires interdépendants sont des substituts ou des compléments, c’est-à-dire si le choix 𝑦1 = 1 augmente ou diminue la probabilité de choisir 𝑦2 = 1. Le problème est que, tel que spécifié dans le système (1), ce modèle est incomplet et non cohérent sans certaines restrictions sur les paramètres, les supports des erreurs ou les deux (voir pour cela, par exemple, Tamer, 2003 et Lewbel, 2007). On montre, par exemple, qu’en supposant α1 et α2 négatifs et les erreurs distribuées selon une loi normale bivariée, la somme des probabilités 𝑃00(𝜃|𝑋), 𝑃01(𝜃|𝑋), 𝑃10(𝜃|𝑋), 𝑃11(𝜃|𝑋)37 est supérieure à un. Dagenais (1997) obtient la cohérence et la complétude du modèle en limitant les supports d’erreurs de (𝑒1, 𝑒2) pour exclure les régions de valeurs n'entraînant aucune solution ou de multiples solutions pour 𝑦1et 𝑦2. Sans restreindre le support des erreurs, Heckman (1978) montre que la cohérence et la complétude de ce modèle nécessite soit d’imposer 𝛼1 = 0, soit d’imposer 𝛼2 = 0, ce qui conduit à des systèmes triangulaires ou récursifs.

Le système est défini comme triangulaire ou récursif si la première équation ne dépend pas de 𝑦2 ou si la seconde équation ne dépend pas de 𝑦1. Les systèmes triangulaires ou récursifs sont généralement cohérents et complets si les équations individuelles sont séparément cohérentes et complètes. Le système suppose dès lors un sens de causalité précis et indique en fonction des valeurs prises par 𝛼1 ou 𝛼2 si les choix sont substituts ou compléments.

En supposant que le recours à l’aide des proches conditionne le recours à l’aide des professionnels, le modèle s’écrit

𝑦1 = 𝐼[𝑋1𝛽1+ 𝑒1 ≥ 0] 𝑦2 = 𝐼[𝑋2𝛽2+ 𝑦1𝛼2 + 𝑒2 ≥ 0] (2) 37𝑃 00(𝜃|𝑋) = 𝜙2(−𝑋1𝛽1, −𝑋2𝛽2 ), 𝑃01(𝜃|𝑋) = 𝜙(−𝑋1𝛽1− 𝛼1) − 𝜙2(−𝑋1𝛽1− 𝛼1, −𝑋2𝛽2 ), 𝑃10(𝜃|𝑋) = 𝜙(−𝑋2𝛽2− 𝛼2) − 𝜙2(−𝑋1𝛽1, −𝑋2𝛽2− 𝛼2 ),𝑃11(𝜃|𝑋) = 1 − 𝜙(−𝑋1𝛽1− 𝛼1) − 𝜙(−𝑋2𝛽2− 𝛼2) + 𝜙2(−𝑋1𝛽1− 𝛼1, −𝑋2𝛽2− 𝛼2)

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En supposant que le recours à l’aide des professionnels conditionne le recours à l’aide des proches, le modèle s’écrit

𝑦1 = 𝐼[𝑋1𝛽1+ 𝑦2𝛼1+ 𝑒1 ≥ 0] 𝑦2 = 𝐼[𝑋2𝛽2+ 𝑒2 ≥ 0] (3)

Une autre façon de résoudre le problème de cohérence et de complétude consiste à supposer des décisions séquentielles qui peuvent être formulées comme suit :

𝑦1 = 𝐼[𝑋𝛽1+ (1 − 𝑑)𝑦2𝛼1+ 𝑒1 ≥ 0] 𝑦2 = 𝐼[𝑋𝛽2+ 𝑑𝑦1𝛼2+ 𝑒2 ≥ 0] (4)

d est alors l’indicateur de la décision prise en premier par l’individu. Ceci généralise l’ensemble des systèmes triangulaires habituels en permettant à la direction de la triangularité ou au sens de causalité de varier d’un individu à l’autre. Ce modèle peut facilement être estimé en supposant par exemple que les erreurs suivent une loi normale bivariée et que d=1 pour les individus faisant le choix de 𝑦1 en premier et 0 sinon.

Une autre façon d'éviter l'incohérence et l'incomplétude du premier modèle est de considérer un modèle d'utilité aléatoire (McFadden, 1973). La première équation exprime alors la différence d’utilité entre celle obtenue en choisissant 𝑦1 = 1 et celle obtenue en choisissant 𝑦1 = 0. De même, la seconde équation exprime l’écart entre l’utilité obtenue en choisissant 𝑦2 = 1 et celle obtenue en choisissant 𝑦2 = 0. Pour éliminer l’incohérence et l’incomplétude, il est alors supposé que l’individu choisit à la fois 𝑦1et 𝑦2 de sorte à maximiser une fonction d’utilité globale 𝑈(𝑈1, 𝑈2).

Le modèle peut alors s’écrire :

𝑈(𝑈1, 𝑈2) = 𝑈1+ 𝑈2 𝑒𝑡

𝑈1 = (𝑋𝛽1+ 𝑦2𝛼1+ 𝑒1)𝑦1

𝑈2 = (𝑋𝛽2+ 𝑦1𝛼2+ 𝑒2)𝑦2 (5)

La résolution de ce système passe par l’écriture des 4 utilités associées aux choix de 𝑦1et 𝑦2. En posant 𝛼1+ 𝛼2 = 𝛼 et 𝑉(𝑦) l’utilité associée au choix 𝑦, on obtient :

𝑉(0,0) = 0 𝑉(1,0) = 𝑋𝛽1+ 𝑒1 𝑉(0,1) = 𝑋𝛽2+ 𝑒2

𝑉(1,1) = 𝑋(𝛽1+ 𝛽2) + 𝛼 + 𝑒1+ 𝑒2

Lewbel (2007) précise alors que ce modèle est cohérent et complet dès lors que 𝑒1 𝑒𝑡 𝑒2 sont continument distribuées. Cependant, 𝛼1𝑒𝑡 𝛼2 ne peuvent être identifiés

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séparément puisque seule leur somme est exprimée dans la fonction de vraisemblance. Il faut dès lors faire une hypothèse supplémentaire sur le signe des deux termes 𝛼1𝑒𝑡 𝛼2 pour pouvoir interpréter 𝛼. Soit les deux paramètres sont de même signe et l’estimation de 𝛼 indique si les choix sont substituts ou compléments. Soit 𝛼1𝑒𝑡 𝛼2 sont de signes opposés et Lewbel (2007) indique qu’il est raisonnable de penser que les choix sont complémentaires si la somme est positive et substituables si la somme est négative car le fait que 𝛼 soit positif dans ce modèle accroît l’utilité et donc la probabilité de choisir à la fois 𝑦1 = 1 et 𝑦2 = 1 par rapport aux autres choix.

On peut enfin éviter l'incohérence et l'incomplétude du premier modèle en considérant que la première équation exprime l’utilité associée au fait de choisir 𝑦1 = 1 plutôt que 𝑦1 = 0 et que cette utilité dépend non pas du choix de 𝑦2 mais de l’utilité associée au fait de choisir 𝑦2 = 1 plutôt que 𝑦2 = 0. Le modèle s’écrit alors

𝑈1 = (𝑋1𝛽1+ 𝑈2𝛼1+ 𝑒1) 𝑈2 = (𝑋2𝛽2+ 𝑈1𝛼2+ 𝑒2) (6)

Ce ne sont plus les choix binaires qui sont directement interde pendants mais les utilite s associe es au choix de 𝑦1 = 1 et au choix de 𝑦2 = 1. Cela implique que ce n’est pas le recours effectif à l’aide des proches qui détermine le recours à l’aide professionnelle mais la propension à y recourir, conditionnée en partie par la structure familiale, la proximité géographique des aidants potentiels, l’âge, le sexe ou encore le degré et la nature du handicap de la personne fragile. Il en est de même pour le recours à l’aide des proches qui est conditionné par la propension à recourir à l’aide des professionnels, qui dépend davantage des revenus du ménage, de l’âge, du handicap ou encore de la structure du ménage de la personne fragile. Cette modélisation implique que le choix de recourir à l’une des deux aides (professionnelle ou des proches) peut conduire à reformuler le choix de recourir à l’autre. Que les personnes fragiles bénéficient ou non de l’aide des proches, la décision de recourir à l’aide professionnelle peut conduire à envisager différemment l’aide des proches. Ainsi, ce n’est pas tant l’existence de l’aide des proches qui conditionne le recours à l’aide professionnelle mais la potentialité de cette aide et cette potentialité peut être questionnée à nouveau en fonction de la possibilité de recourir à l’aide professionnelle. Supposer que les choix de recourir à l’une ou l’autre aide peuvent s’influencer mutuellement suppose de ne pas considérer acquis le recours à l’une ou l’autre aide mais de les déterminer conjointement.

123 Les choix s’expriment alors comme suit :

𝑦1 = 𝐼[𝑋1𝛽1+ 𝑈2𝛼1+ 𝑒1 ≥ 0] 𝑦2 = 𝐼[𝑋2𝛽2+ 𝑈1𝛼2+ 𝑒2 ≥ 0] (7) avec y1 = { 0 si 𝑈1 ≤ 0 1 si 𝑈1 > 0 et y2 = { 0 si 𝑈2 ≤ 0 1 si 𝑈2 > 0

Ce sont ainsi les variables latentes qui sont liées et l’estimation d’un tel modèle s’obtient en recourant à la méthode des moindres carrés asymptotiques (ou distance minimale). Dans une première étape, la forme réduite du modèle est estimée en reliant l’utilité associée au choix de 𝑦1 = 1 et l’utilité associée au choix de 𝑦2 = 1 à l’ensemble des variables explicatives du modèle :

𝑈1 = (𝑋𝑏1+ 𝜀1) 𝑈2 = (𝑋𝑏2+ 𝜀2) (8) avec y1 = {0 si 𝑈1 ≤ 0 1 si 𝑈1 > 0 et y2 = { 0 si 𝑈2 ≤ 0 1 si 𝑈2 > 0 et 𝑦1 = 𝐼[𝑋𝑏1+ 𝜀1 ≥ 0] 𝑦2 = 𝐼[𝑋𝑏2+ 𝜀2 ≥ 0] (9)

Dans un second temps, nous déduisons les paramètres de la forme structurelle (modèle (7)) des paramètres de forme réduite (modèle (9)) et des contraintes d'identification. Une pre sentation de taille e de la me thode d’estimation se trouve dans l’annexe 3.

Le modèle (7) permet d’une part de prendre en compte les interactions entre les deux types d’aide en questionnant le sens de causalité et d’autre part de différencier les variables explicatives selon qu’elles influencent directement le choix de recourir à un type d’aide ou indirectement par l’intermédiaire de son influence dans le choix de recourir à l’autre type d’aide. Si le coefficient associé à la variable latente de recours à l’aide professionnelle est significatif dans l’équation de recours à l’aide des proches alors les variables exogènes qui expliquent le recours à l’aide professionnelle expliquent au moins indirectement le recours à l’aide des proches. Si ces variables explicatives étaient

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significatives dans l’estimation de la forme réduite (modèle 9) de l’équation de recours à l’aide des proches mais qu’elles ne le sont plus dans l’estimation de la forme structurelle (modèle 7) alors leur effet n’est qu’indirect. Si elles demeurent significatives, alors elles ont un effet additionnel.

Pour cette étude, nous estimons tout d’abord le modèle (9) à l’aide d’un probit bivarié. Ce modèle initial relie les deux choix binaires que sont le choix de recourir à l’aide des proches et le choix de recourir à l’aide des professionnels en supposant l’absence d’interdépendance entre les deux choix. Il nous indique si des caractéristiques inobservées conditionnant le recours à l’aide des proches conditionnent également le recours à l’aide des professionnels. Nous estimons ensuite les modèles (2) et (3) à l’aide de biprobit récursifs pour voir si le recours effectif à l’aide des proches conditionne le recours à l’aide professionnelle (modèle 2) ou si le recours effectif à l’aide professionnelle conditionne le recours à l’aide des proches (modèle 3). Nous estimons enfin le modèle (7) en recourant à la méthode des moindres carrés asymptotiques pour estimer si une plus grande propension à recourir à l’aide des proches peut conduire à augmenter ou diminuer le recours à l’aide professionnelle et inversement. Les paramètres s’interprètent dans ce cas-là non pas comme l’effet de la présence d’une aide des proches sur le recours à l’aide professionnelle mais comme l’effet d’une plus grande propension à recourir à l’aide des proches. Le modèle 4 de décisions séquentielles n’est pas estimé car nous ne disposons pas d’indicatrice de la décision prise en premier par l’individu. Autrement dit, nous ne connaissons pas les préférences des individus pour le recours à l’aide des proches ou l’aide professionnelle. Le modèle d’utilité aléatoire (modèle 5) n’est pas non plus retenu car il ne permet pas d’interpréter la substituabilité ou la complémentarité des aides sans imposer de contraintes fortes.