• Aucun résultat trouvé

Chapitre I: Présentation des matériaux et statistiques descriptives

3.2 Apport des données qualitatives sur la connaissance des aidants

Nous souhaitons montrer dans cette partie en quoi le fait d’inclure des données qualitatives à notre analyse permet d’améliorer les connaissances sur les aidants. Les entretiens permettent tout d’abord d’avoir une vision plus fine de ce que font les aidants, et de leur vécu. Les entretiens apportent également un éclairage sur les modalités de délégation des tâches aux professionnels et les modalités de co-production avec les professionnels. Cela permet de nourrir le débat fortement présent dans la littérature (sur des données quantitatives) sur la complémentarité ou la substitution entre les aides professionnelles et des proches. Ensuite, les entretiens apportent une vision dynamique et en réseau de l’aide. Pour finir, l’enquête apporte des connaissances sur les manières dont les aidants concilient les différents temps sociaux et sur les arrangements de la vie professionnelle.

Description des activités d’aides, de leurs conditions de réalisation et de leur vécu

Alors que les enquêtes quantitatives énumèrent une série de tâches d’aide par des variables binaires (Oui pour la réalisation ou non), les entretiens permettent de laisser parler les aidants sur leurs activités et d’apporter ainsi des données plus riches à la fois sur la nature des aides, sur la manière dont les aides sont produites et leurs vécus. L’entretien permet en effet d’analyser le « sens que les acteurs donnent à leurs pratiques » (A. Blanchet, A Gotman 2007 ; Campéon et Rothé, 2017). On distingue quatre formes d’aide : l’aide aux activités de la vie quotidienne et à la production de soins, l’aide de gestion des professionnels à domicile, l’aide aux soins de support et la gestion de cas ou la médiation.

41

 Aide à la vie quotidienne et aux soins

L’aide pour les activités de la vie quotidienne et la production de soins est la plus visible dans la littérature car c’est la dimension d’aide la mieux prise en compte par les enquêtes statistiques. L’enquête Handicap-Santé par exemple interroge les aidants sur les aides à la vie quotidiennes (pour la toilette, l’habillage, la prise de repas, se lever ou s’asseoir, se coucher, aller aux toilettes ou encore les déplacements) et sur la production de soin également (aide à la prise de traitements ou participations à des soins). Nous retrouvons le même type d’activités pour les aides à la vie quotidienne et concernant la production de soin, les entretiens apportent des précisions sur les types de soins réalisés, tels que la réalisation d’exercices de kiné respiratoire ou encore les actes liés au matériel médical (la sonde, l’oxygène ou encore la VNI).

Les activités d’aides à la vie quotidienne et aux soins peuvent engendrer des répercussions importantes sur la vie des aidants, avec notamment du stress, de la fatigue et de l’anxiété :

« Oui, angoissée, stressée et puis pendant plus d'un an où j'ai fait les nuits, où j'ai pris un rythme, être réveillée plusieurs fois et puis on entend la respiration », (SLA-3F)

Mais également des problèmes de santé physique :

« J’ai fait beaucoup d’appuis à l’époque en soulevant [le patient] quand il n’était pas sur le fauteuil, je me baissais et je le portais, des fois il fallait quatre fois avant que je réussisse à le lever tout ça en m’appuyant là. Du coup ma rotule ne tient plus ». (SLA-11F)

Le manque de soutien pour ce type d’aide peut conduire à l’épuisement de l’aidant voire à la rupture dans l’aide : :

« C’est un épuisement total, ma belle-fille si on n’était pas derrière mais qu’est-ce qu’elle faisait avec son mari (…) Il y a une période où ils se sont séparés. Elle ne pouvait plus dormir, la nuit il fallait le tourner, elle n’en pouvait plus ». (SLA-2F)

Pour ce type d’aide, les aidants proches peuvent être suppléés ou secondés par des professionnels.

42

 Organisation des aides professionnelles à domicile

La coordination et l’organisation des interventions à domicile est une forme d’aide importante pour les aidants lorsqu’il y a des professionnels et d’autant plus lorsque le handicap est important. Cette forme d’aide, dont le questionnaire Handicap-Santé formule une seule question aux aidants : s’ils gèrent l’intervention des professionnels, englobe des activités diverses. Il s’agit d’une part d’organiser les plannings des aides à domicile, le recrutement du personnel ou encore la gestion des payes. Ces activités concernent principalement les auxiliaires de nuit et l’aide durant le weekend, lorsque les structures d’aide à domicile ne sont pas présentes :

« La structure [ADMR] était petite ils n'avaient pas le personnel suffisant pour assurer ce genre de prestations. Les prestations qu'elle faisait c'était de 8h00 à 20h00 du lundi au vendredi, ça c'était directement financé par le Conseil Général. Pour le reste c'est moi qui devais chercher du personnel. Je devais faire des contrats de travail avec des heures. (…) [Pour le recrutement] je mettais une annonce ». (SLA-4H)

Il s’agit également de gérer les absences et les remplacements des intervenants. Les absences sont très fréquentes.

« On disait souvent aux responsables ‘le jour où vous tomberez sur

quelqu'un qui n'a pas d'entourage je vous souhaite bon courage parce que quand vous dites que vous ne pourrez pas venir au lever à 10h00’… ». (SLA-

5F)

Il s’agit également de gérer la coordination des professionnels, ce qui demande une présence régulière des proches au moment des transitions de professionnels :

« Je rentrais et puis je repartais le lendemain matin dès la première passation, la fille arrivait à 8h00, donc j'étais là pour le lendemain matin. J’arrivais un peu avant elle pour être sûre que… voir si elle arrivait bien à l’heure et tout ça, et pour pas que l'autre fasse des dépassements d'heures ». (SLA-2F)

Enfin, il s’agit de former les aidants professionnels au handicap lourd. Certaines structures d’aides à domicile proposent des formations à leurs auxiliaires mais ce n’est pas du tout automatique et dans tous les cas les aidants ne peuvent pas les laisser directement avec la personne malade du fait de la complexité des maladies :

43

« Chaque fois je dois les former parce qu'ils n'ont pas les moyens de la payer. Parce qu'on a tant d'heures avec le Conseil Général s'il y a une auxiliaire qui est chez moi si on la met en binôme avec une autre il faudra payer les deux, ça ce n'est pas possible. Pratiquement tous les deux mois j’en forme une (…). Et là je ne travaille pas, je suis toujours présente. Mais si demain je reprends mon travail ça va être chaud parce que pour placer la nouvelle il faut qu'ils la placent le jour où moi je ne travaille pas. ». (SLA- 11F)

Cette forme d’aide est très mal vécue par les aidants.

 Soins de compensation et non médicamenteux

On distingue ensuite les soins de support ou de compensation, non médicamenteux qui visent à ralentir la progression de la maladie, à diminuer les effets de la maladie, et à assurer une meilleure qualité de vie aux patients.

Pour les aidants de personnes atteintes de Parkinson, cela passe principalement par une incitation aux activités sociales et une stimulation pour les personnes malades. Etant donné que la maladie peut conduire à une diminution de la motivation et qu’il est bon de faire du sport pour la création de dopamine, les proches vont inciter les personnes malades à faire des activités :

« Ça s'est passé qu'il avait tendance à se refermer sur lui mais du coup il fallait que moi en plus en revenant du boulot je lui dise, on va voir des amis, tiens on va faire ça. (…) il fallait tout le temps le stimuler un peu, parce que lui ça lui allait très bien, il se mettait dans le canapé… mais ce n'est pas bon pour lui. » (Park-5F)

Pour les aidants de personnes atteintes de la SLA, la nutrition est souvent une partie importante de l’aide car il ne faut pas que les personnes malades maigrissent :

« Il fallait absolument que je trouve un moyen pour ne pas qu'il commence à s'écrouler et puis qu'il se laisse aller. Donc j'ai axé toute mon énergie sur tout ce qui était thérapie douce, alimentation, tout ce qui pouvait l'aider à se sentir mieux (…). Dans un premier temps il ne fallait surtout pas qu'il perde trop de poids, donc en fait je l’ai fait regrossir. Donc j'ai passé des semaines et des semaines à étudier la nutrition. Il faut savoir

44

que dans cette maladie l'alimentation c’est très, très important puisque c'est à peu près 50 % du traitement. C'est-à-dire qu'à partir du moment où le malade perd du poids son état général se dégrade rapidement et c'est vrai que ça peut atteindre aussi des muscles qui sont vitaux et c'est très important. » (SLA-10F)

Ces deux exemples montrent bien que le sens des actions données par aidants apporte des informations que les enquêtes statistiques ne permettent pas de capter. En effet, les entretiens montrent qu’il s’agit bien plus qu’une simple participation aux activités sociales ou encore de la préparation des repas. Ces activités font en effet partie intégrante du traitement des maladies dans le sens où elles sont réalisées en vue de ralentir les évolutions des maladies.

Cette forme d’aide inclue également tout ce qui permet de soulager la personne malade. Cette aide prend une place importante dans l’accompagnement des personnes atteintes de la SLA, qui requiert en effet une présence importante pour « repositionner les jambes » du proche ou encore pour « arranger ses lunettes » (SLA-9F) du fait de la paralysie des malades.

L’aide de compensation inclut également tout ce qui contribue à la qualité de vie des personnes malades. Cela inclue par exemple les « repas plaisirs » pour les patients atteints de la SLA qui ont une gastrostomie :

« Ce n'est pas un repas complet (…). Il adorait les omelettes aux truffes qu'il mangeait dans l'Ardèche, ça lui rappelait des bons souvenirs, (…) ; il fallait la faire moelleuse avec une certaine consistance et qui s’écrase bien sinon ça ne passait pas. Il arrivait à avaler une ou deux bouchées à la fin pas plus, mais il avait le goût il était content. » (SLA-2F)

Plus globalement, cette aide passe par une présence et un soutien au moral :

« On la promenait, je lui ai fait faire du parapente, on lui a fait faire du ski en fauteuil, tous les moments sympas on les faisait en famille mais ce n'était que des moments de loisirs et il faut vraiment garder ça. » (SLA-4H)

Les entretiens permettent ainsi de mettre en lumière une forme d’aide peu visible dans les enquêtes statistiques, souvent réduite à une activité de « soutien moral, présence », qui est pourtant très importante pour l’accompagnement des personnes

45

malades, notamment atteintes de maladies chroniques et incurables, et qui est valorisée par les aidants proches.

 Activité de médiation, gestion de cas

Enfin, on distingue l’activité de médiation ou de gestion de cas qui consiste à gérer le parcours de santé de la personne malade (suivi médical, gestion des hospitalisations, retour à domicile) et les démarches liées à la maladie (demande et suivi des aides financières). Nous reviendrons sur l’activité de gestion du parcours de santé de la personne aidée dans le chapitre 5.

Quel partage des rôles pour les activités de la vie quotidienne

Les entretiens apportent un éclairage sur les aspects de substitution ou de complémentarité entre les aides des proches et les aides professionnelles, mis en avant dans la littérature. Les études de nature quantitative ne prennent pas en compte les différents types d’aide réalisés et ne montrent pas les formes de complémentarité qui peuvent exister. De plus, les entretiens apportent une meilleure compréhension des phénomènes de substitution ou de complémentarité entre les aides.

Lorsque les personnes malades ont besoins d’aide à la vie quotidienne ou de soins, on observe deux situations : celle de la délégation et celle de la co-production. Etant donné que les problèmes dans les activités de la vie quotidienne des personnes malades sont très lourds dans notre échantillon, aucun aidant n’était seul dans l’aide.

La délégation correspond à la situation où l’aidant et/ou la personne malade font le choix de déléguer ce type d’aide (AVQ, médicale) à des professionnels car ils considèrent que ce n’est pas le rôle de la famille d’aider à la vie quotidienne ou aux soins :

« On ne doit pas faire les soins, parce qu’après on n’a plus notre rôle de parent », le fils atteint de la maladie précisait « ma mère, c’est ma mère, ce n’est pas mon auxiliaire de vie ». (SLA-2F)

La délégation totale des aides à la vie quotidienne aux professionnels est peu fréquente. Dans notre échantillon elle a concerné uniquement deux dyades d’aidants- aidés et dans les deux cas les aidants n’habitaient pas avec la personne malade.

La situation la plus fréquente est donc celle de la co-production des aides de la vie quotidienne entre les professionnels et les proches. Les proches réalisent l’aide avec les

46

professionnels. Dans certains cas cette co-production résulte d’une contrainte, où l’auxiliaire ne peut pas faire seule les activités et a besoin d’être secondée par le proche ou encore parce que la personne malade préfère solliciter le proche que le professionnel :

« Quand il a des soins avec des auxiliaires, quand elle l’aspire il me demande toujours à la fin d’aspirer, de terminer (…) On allait le mettre sur le tabouret de douche et après c’était moi qui le lavait, parce qu’il préfère que ce soit moi qui le lave » (SLA-3F).

Dans d’autres cas, il s’agit d’un choix de faire avec les professionnels comme le montre une conjointe à propos de l’intervention des infirmières :

« Je participe, c’est un bon moment. Et plus, je ne me verrais pas les regarder. (…] C’est sympa ». (SLA-8H)

Les modalités de la co-production varient en fonction des aidants : certains font tout avec les professionnels alors que d’autres mettent en place une certaine division des tâches :

« Maintenant je la stoppe [la machine VNI], je mets au moins les médicaments comme ça elles arrivent [les infirmières] elles lui donnent la douche. Je préfère les médicaments, ce n'est rien, je préfère qu'elles lui donnent la douche, elles le rasent. Elles le bichonnent bien. » (SLA-9F)

Certains aidants laissent aux professionnels ce qui est de l’ordre du médical et des actes plus techniques et font le reste :

« Tout ce qui est médical je ne le fais pas. Par contre je le recouche, pas de souci. [La toilette] je l'ai fait longtemps mais là je ne le fais plus, c'est trop compliqué, je l'ai quand même fait pendant quelques années. » (SLA- 8H)

Que l’aidant délègue ou qu’il coproduise avec les professionnels pour les actes de la vie quotidienne et les soins, il est toujours amené à réaliser ce type d’aide au moment des absences des professionnels. En effet, au moment des vacances, ou en cas de désistement ou simplement à cause du manque de professionnels (car le recrutement est difficile), ce sont les proches qui remplacent et réalisent l’aide eux même :

47

« Le problème comme elles se sont mises en vacances au mois de décembre les filles je les ai remplacées ça m'a tuée encore plus, hier je n'arrivais même pas à marcher… Oui c'est compliqué et en même temps si je ne m'occupe pas de mon mari qui s'occupe de lui, si les filles sont parties et qu'il n'y a pas de remplaçante… » (SLA-11F)

Deux profils d’aidants

L’analyse des activités d’aide réalisées par les aidants ainsi que les possibilités de délégations et de co-production mettent en lumière deux profils d’aidants : les aidants proches « conjoint-enfants ou amis » et les aidants proches « professionnalisés ».

Les aidants proches « conjoint-enfants ou amis » correspondent à la situation où les aidants gardent leur rôle de proche (conjoint, enfant, amis ou encore parent). Ils refusent souvent l’appellation même « d’aidant » :

« C’est un mot que je n'ai pas envie d'employer parce que le mot « aidant » ça veut dire déjà que c'est déséquilibré, je préfère les conjoints ou les proches que les « aidants », les compagnons tout ce qu'on veut employer à la place ». (Park-3H)

Dans ce cas, les proches se focalisent sur les soins de supports et de compensation et sur l’aide plaisir (les activités pour soulager les symptômes de la personne malade, ralentir la progression de la maladie et améliorer la qualité de vie des personnes) et délèguent le plus possible les activités d’aide à la vie quotidienne lorsqu’elles sont nécessaires :

« Ce n'est pas le rôle du conjoint d'être aidant, ce n'est pas possible, c’est inhumain. (…) Le conjoint ou la conjointe a un rôle très, très important mais qui n'est pas un rôle de soignant mais qui est un rôle de lien, ça c'est vital. S’ils n’ont plus ce lien ils s’effondrent. », (SLA-4H)

« Aussitôt que je pouvais mettre un professionnel, entre guillemets, à ma place je le faisais pour garder de la distance. Quand je venais ça ne devait être que le plaisir. (…) Par exemple les Noël, les anniversaires tout ça je les faisais avec [la patiente]chez elle (…) et pour qu'on ait vraiment

48

un moment de tranquillité et de convivialité ce n'est pas moi qui la faisait manger [auxiliaire de vie] ». (SLA-1H)

Cette situation d’aide conduit à des problèmes de conciliation moins importants où les aidants peuvent rester en emploi la plupart du temps, avec un meilleur vécu de l’aide et où les difficultés apparaissent au moment des absences ou du manque de professionnels pour les actes de la vie quotidienne :

« Donc en fait une fois qu’il y a toutes les auxiliaires qui sont mises en

place qui sont formées qui viennent ça se passe bien, le problème c'est qu'assez souvent il y a des absences ». (SLA-11F)

Le second profil correspond aux aidants « professionnalisés » dans le sens où le rôle d’aidant prend parfois le dessus sur celui du proche :

« Par rapport à elle [la mère] il y a des moments où moi je repense où je me dis, [mince] pourquoi je lui ai parlé comme ça alors qu'en fait c'était affreux. Oui on ne se mettait pas du tout à sa place. Et il y a des moments on avait l'impression qu'on mettait la casquette « aidant », (…), et du coup on était plus les filles on était les personnes qui s'occupent d'elle. » (SLA-6F)

Ces aidants réalisent une aide importante dans les activités de la vie quotidienne et les soins médicaux, soit parce qu’ils ont du mal à déléguer mais surtout par contrainte, du fait du manque de professionnels ou d’une sollicitation importante du malade. Les aidants montrent en effet que malgré l’intervention de professionnels « Quoi qu’il arrive il y a des trous tous les jours » (SLA-3F) pendant lesquels ils doivent réaliser l’aide. De plus, les absences et les désistements sont fréquents et impliquent l’intervention des proches. Dans ce cas la conciliation est très difficile pour les aidants et il leur est presque impossible de garder un emploi à temps plein.

Vision dynamique de l’aide et en réseau

Les entretiens permettent ensuite d’apporter une vision dynamique et temporelle de l’aide et d’étudier des réseaux d’aide composés de différents membres de l’entourage et de différents types de professionnels. Alors que l’enquête HSA permet difficilement d’analyser la situation de l’aidant au regard des autres aidants professionnels et des

49

proches, l’entretien permet en effet d’avoir une vision d’ensemble du réseau d’aide et de connaître son évolution.

L’utilisation de l’outil de la frise chronologique pendant les entretiens permet