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Dans cette section, nous présentons le cadre législatif régissant le contrôle tarifaire en France en soulignant l’impact de ce domaine de la régulation sur le développement de la concurrence. Nous présentons ensuite les observations sur les avis et homologations de l’ART et du Ministre chargé des télécommunications selon qu’ils aient été favorables ou non à l’opérateur historique.

1 –La procédure de contrôle tarifaire

La régulation tarifaire consiste à imposer un contrôle sur les tarifs de détail de France Télécom afin de détecter et prévenir les offres anti-concurrentielles. La loi prévoit que l’ART émette « un avis public sur les tarifs et les objectifs pluriannuels du service universel ainsi que sur les tarifs des services pour lesquels il n’existe pas de concurrents sur le marché, préalablement, lorsqu’ils y sont soumis, à leur homologation par les

Ministres chargés des télécommunications et de l’économie » (art. L.36-7 du Code des Postes et Télécommunications).

Le contrôle exercé sur les tarifs du service universel a vocation à s’appliquer à l’ensemble des offres de service téléphonique de France Télécom, y compris les options tarifaires (forfaits ou réductions) et les offres de service téléphonique qui sont en concurrence avec celles d’autres opérateurs. Le contrôle exercé sur les tarifs des services pour lesquels il n’existe pas de concurrents sur le marché a pour objet d’empêcher des tarifs qui, quoique favorables aux consommateurs à court terme, auraient pour effet d’empêcher les concurrents d’entrer sur le marché et reviendraient à entraver la liberté de choix des utilisateurs, se révélant à long terme contraires à leurs intérêts (ART, 1999).

De fait, la plupart des tarifs que propose France Télécom sont soumis à un contrôle de la part des régulateurs, même s’il peut s’avérer difficile de déterminer dans quel cadre ce contrôle est appliqué : par exemple, au début du processus de libéralisation, le contrôle exercé pour les services de téléphonie locale relève à la fois du contrôle exercé au titre du service universel et au titre des services en monopole de fait.

En pratique, lorsque France Télécom veut créer ou modifier une offre de détail, elle envoie une décision tarifaire conjointement à l’ART et au Ministre chargé des télécommunications. L’ART dispose d’un délai de trois semaines à partir du dépôt du dossier complet pour rendre son avis motivé sur cette offre. L’homologation du Ministre chargé des télécommunications doit ensuite intervenir dans un délai d’un mois, sans obligation de publier les motivations de la décision rendue. En l’absence de réponse du Ministre, l’offre de France Télécom est considérée comme homologuée dans un délai de deux mois.

Le contrôle des tarifs des offres de détail proposées par l’opérateur historique est un des principaux aspects de la régulation du marché. L’impact de ces offres sur la concurrence est évident dans la mesure où les nouveaux entrants doivent proposer des tarifs au moins aussi faibles que ceux proposés par l’opérateur historique pour pouvoir capter une clientèle historiquement liée à l’ancien monopole. Les tarifs proposés par ce dernier influencent leurs perspectives de profits et donc leur décision d’entrer ou non sur le marché (Thatcher, 1999). Dans ce cas, il s’agit, pour le régulateur, de détecter les prix

prédateurs de l’opérateur historique. Généralement, la prédation est avérée si le tarif est inférieur au coût variable moyen. Cependant, pour prendre en compte l’importance des coûts fixes dans le secteur des télécommunications et, a contrario, des faibles coûts variables, on considère, dans ce secteur, qu’un prix est prédateur s’il est compris entre le coût variable moyen et le coût total et s’il existe une volonté d’exclure un ou plusieurs concurrents (ART, 2004). Dans ce cadre, la régulation tarifaire permet de prévenir les offres visant à exclure les concurrents du marché ou à les empêcher d’entrer sur un marché émergent.

En outre, les régulateurs doivent s’assurer que le niveau des tarifs d’accès au réseau de l’opérateur historique permet aux nouveaux entrants de proposer des offres concurrentes. Il s’agit de vérifier qu’un opérateur alternatif réputé efficace peut proposer, dans des conditions économiques viables, une offre de détail équivalente à celle de l’opérateur historique tout en ayant recours à son service d’interconnexion. Le régulateur effectue un test de ciseau tarifaire (ou test de squeeze) pour comparer la recette moyenne de l’opérateur alternatif à ses coûts moyens pour fournir cette offre équivalente. Le test sera favorable, et la décision tarifaire acceptée, si la recette moyenne résultant de cette offre permet de couvrir le coût moyen de l’opérateur tiers.

Nous voyons ainsi que la régulation tarifaire, en permettant aux opérateurs alternatifs de dégager une marge, tout en proposant des offres concurrentielles, est indispensable à l’introduction de la concurrence sur le marché. Cela justifie la pertinence de retenir ce domaine pour mettre en évidence les objectifs privés des régulateurs.

Les offres de France Télécom peuvent concerner tout autant les clients résidentiels que les entreprises ou les professionnels. Il peut s’agir d’une modification du tarif de base des communications, de la création ou de la modification de forfaits pour les communications locales, nationales ou vers les mobiles, des offres d’accès à internet, du prix de l’abonnement… Les avis de l’ART et les homologations ministérielles devant être rendus publics, nous disposons d’une base de données permettant de voir si les Ministres se conforment à l’avis motivé de l’ART ou si les deux régulateurs révèlent leurs divergences sur la mise en œuvre de la régulation, et donc les objectifs privés qu’ils poursuivent.

2 – Les observations

Depuis sa création en 1997 et jusqu’à la fin de l’année 2004, France Télécom a soumis 784 décisions tarifaires127 à la procédure d’homologation. Notre étude s’arrête aux offres émises depuis le 1er janvier 2005 puisque un mois plus tard, le Ministre s’est vu retirer son pouvoir d’homologation au profit de l’ART pour les offres relevant du service universel. Pour les autres offres, l’ART doit préalablement analyser les marchés pertinents définis par le nouveau cadre réglementaire européen ; elle obtiendra ensuite le pouvoir de décision sur les offres concernant chacun de ces marchés.

Notre objectif est de comparer les avis de l’ART aux décisions rendues par les Ministres. L’ART, dans ses avis, peut donner cinq types de conclusion : un avis favorable, un avis partiellement favorable, un avis favorable sur une partie de la décision tarifaire et défavorable sur l’autre, un avis partiellement défavorable et un avis défavorable128. En fonction de l’avis de l’ART, nous pouvons observer le nombre de cas où le gouvernement a suivi cet avis ou a modifié les propositions de l’agence de régulation (dans un sens favorable ou défavorable à France Télécom). La synthèse de ces observations est indiquée dans le tableau suivant :

ART Ministre

Nombre d’avis ou de décision

favorable 550 584

Nombre d’avis ou de décision

partiellement favorable 89 74 Nombre d’avis ou de décision

partiellement favorable / défavorable 37 29 Nombre d’avis ou de décision

partiellement défavorable 28 27 Nombre d’avis ou de décision

défavorable 80 70

Total 784 784

127 Des décisions tarifaires n° 97 001 à 2004 180.

Le tableau suivant propose une vision plus synthétique en regroupant tous les avis non totalement favorables de l’ART et en les comparant à la décision du Ministre. Il permet de rendre compte dans quelle mesure le gouvernement se conforme à l’avis de l’ART selon la nature de l’avis (favorable ou non).

Nombre de

cas Avis favorable de l’ART / homologation

de l’offre par le Ministre 545 Avis favorable de l’ART / non

homologation de l’offre par le Ministre 5 Avis défavorable (ou partiellement

favorable) de l’ART / homologation du Ministre en conformité avec l’avis de l’ART

195 Avis défavorable (ou partiellement

favorable) de l’ART / homologation de l’offre par le Ministre sans suivre l’avis de l’ART

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Total 784