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Chapitre II : La répartition des compétences entre les régulateurs

Section 1 – Transposition institutionnelle de la distinction régulation politique et

2.1 La transposition des directives européennes

Le pouvoir réglementaire des autorités nationales est limité dans la mesure où elles doivent prendre en compte les directives émises par les instances communautaires. L’élaboration de ces directives fait cependant l’objet de nombreuses discussions entre les États membres (siégeant au Conseil et au Parlement européen) et la Commission européenne (Kiessling et Blondeel, 1998). Ces discussions ont permis d’aboutir à certains compromis autorisant une certaine liberté aux États membres afin que s’expriment leurs spécificités nationales (Thatcher, 2001). Il s’agit donc d’identifier à la fois les contraintes imposées par la législation européenne et les marges de manœuvre laissées à la disposition des gouvernements.

a) L’influence des directives européennes

La libéralisation progressive du secteur des télécommunications s’inscrit dans un vaste processus législatif européen par le biais de la transposition des directives communautaires en droit interne.

La question de la libéralisation du marché des télécommunications est abordée pour la première fois dans le livre vert de 1987 qui pose les principes de base de la réglementation. Le processus est ensuite relancé par la Direction chargée de la Concurrence au sein de la Commission européenne (DG IV) dont les directives de 1988, 1990 et 1996 libéralisent la fourniture d’équipement et de services de télécommunications. Le Parlement européen et le Conseil ont ensuite adapté la réglementation existante aux récentes évolutions technologiques dans le cadre d’un ensemble de directives, il s’agit du paquet télécom.

Ces quatre ensembles de directives nous permettent d’identifier les principales étapes de la libéralisation des marchés européens des télécommunications. En retraçant ces quatre étapes, notre objectif est de rendre compte de l’évolution du droit communautaire dans les principaux enjeux de la régulation du secteur pour ensuite pouvoir déterminer son influence sur les législations nationales.

La première étape débute en 1988 avec la libéralisation du marché des équipements terminaux (directive 88/301/CEE du 16 mai 1988). Cette étape voit la suppression des droits exclusifs et spéciaux d’importer, de commercialiser, de raccorder, de mettre en

service et d’entretenir les appareils terminaux. Elle impose également la séparation entre le régulateur et l’opérateur du réseau.

La seconde étape lance la libéralisation du marché des services. Elle débute en 1990 avec la directive 90/388/CEE du 28 juin 199044. Cette directive prévoit la libéralisation des services autres que la téléphonie vocale (essentiellement les données ou les transactions électroniques). Elle définit également les conditions d’octroi des licences (objectives, transparentes et non discriminatoires) et préconise la séparation juridique et fonctionnelle des entités assurant la fourniture des services de télécommunications de celles chargées de la régulation du marché. La directive a ensuite été modifiée pour y inclure les communications par satellite (94/46/CEE), par les réseaux de télévision par câble (95/51/CEE) et les communications mobiles et personnelles (96/2/CEE).

Ces directives dites de « libéralisation » suppriment les droits exclusifs et spéciaux sur les différents segments du marché des télécommunications mais sont néanmoins insuffisantes pour assurer l’avènement d’un véritable marché intérieur des télécoms. Subsistent des problèmes relatifs aux distorsions technologiques, à la disparité des réseaux et à l’interconnexion entre les réseaux des États membres (Pénard et Thirion, 2005). Dès lors, le Conseil et le Parlement européen ont été à l’origine de directives dites d’ « harmonisation » pour garantir la fourniture d’un réseau ouvert de télécommunica-tions (Open Netwok Provision, ONP) en harmonisant les conditélécommunica-tions d’accès et d’utilisation des services et des réseaux téléphoniques publics dans l'ensemble de la Communauté. Une première directive-cadre45 pose les bases d’un réseau européen des télécommunications ouvert à la concurrence, impose la transparence comptable et la définition des tarifs d’interconnexion « objectifs, transparents, non-discriminatoires et orientés vers les coûts ». Par la suite, une série de mesures d’application va être décidée. Celle-ci concerne successivement les lignes louées46, la téléphonie vocale47, l’interconnexion et l’interopérabilité des réseaux48, mais aussi les bases de l’établissement d’un service universel des télécommunications dans un environnement concurrentiel49.

44 Cette directive a été transposée en France par la loi n°90-1170 du 29 décembre 1990.

45 Directive 90/387/CEE du Conseil du 28 juin 1990.

46 Directive 92/44/CE du Conseil du 5 juin 1992.

47 Directive 95/62/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 1995.

48 Directive 97/33/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 1997.

49 Directive 95/62/CE et 97/33 /CE citées et directive 98/10/CE du Parlement et du Conseil du 26 février 1998.

La troisième étape se concrétise par l’adoption de la directive 96/19/CE du 13 mars 1996 qui fixe la date limite du 1er janvier 1998 pour la libéralisation totale du marché de la majorité des États membres50. En outre, elle définit un éventail de dispositions concernant les licences, le partage des coûts du service universel, l’interconnexion et la numérotation qui établissent les principes réglementaires de base dérivés des règles de concurrence. Ces principes sont ensuite repris et précisés dans différentes directives d’harmonisation citées précédemment.

La quatrième étape du processus européen de réglementation vise à favoriser la transition du monopole vers une concurrence effective en procédant à un rapprochement entre le droit spécifique des télécommunications et le droit général de la concurrence.

Plusieurs directives ont été émises en ce sens et sont regroupées dans le paquet télécom. Ce paquet télécom comprend notamment une directive « cadre », quatre directives sectorielles et une directive « concurrence »51. La directive « cadre » propose l’adoption d’un cadre réglementaire unique tenant compte de la convergence entre les secteurs des télécommunications, de la radiodiffusion et des technologies de l’information. A cet effet, la nouvelle terminologie de « communications électroniques » est adoptée par la Commission et recouvre à la fois les télécommunications et les services de communications audiovisuelles.

La première directive sectorielle dite directive « autorisation » cherche à harmoniser les procédures d’autorisation dans les différents États membres. La principale évolution par rapport à la directive 97/13/CE, à laquelle elle se substitue, consiste en la délivrance d’une autorisation générale pour la fourniture de services ou de réseaux de communications électroniques. Cela signifie qu’une simple déclaration est nécessaire pour devenir opérateur.

La seconde directive sectorielle est la directive « service universel ». Elle définit le contenu du service universel, son financement et son fonctionnement. Nous reprendrons plus en détail, dans la sous-section suivante, les questions relatives à ce service.

50 Cinq pays se sont vus accorder une période de transition supplémentaire : le Luxembourg (juillet 1998), l’Espagne (décembre 1998), l’Irlande et le Portugal (janvier 2000) et la Grèce (janvier 2001) (Kiessling et Blondeel, 1998).

La troisième directive sectorielle, dite « interconnexion », établit l’obligation de négocier l’interconnexion entre tous les réseaux de communications électroniques et définit la liste des conditions supplémentaires que les autorités réglementaires nationales peuvent imposer aux opérateurs puissants.

La quatrième directive sectorielle est relative à la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. La principale évolution par rapport aux directives précédentes est une actualisation des définitions afin de couvrir les nouvelles formes de communications électroniques. Enfin, la directive « concurrence » vise à remplacer par un texte unique l’ensemble des directives de libéralisation adoptées précédemment par la Commission, dans un souci de lisibilité.

Le contenu des directives européennes est parfois très précis, si bien qu’il modèle fortement les législations nationales. Nous allons cependant voir que le pouvoir de transposition détenu par les gouvernements nationaux leur permet de tenir compte de certaines spécificités nationales dans leurs législations et ne se limite pas à reproduire les textes européens.

b) Les marges de manœuvre des législateurs nationaux

La première des prérogatives des gouvernements est de transposer les directives européennes dans la législation nationale. Malgré la précision et le nombre élevé des directives européennes, les gouvernements disposent d’une certaine marge de manœuvre afin de laisser s’exprimer leurs spécificités nationales. Dans certains cas, les directives de la Commission n’apportent que des réponses parcellaires et insuffisantes pour initier un traitement unique dans l’ensemble des États membres. Nous pouvons identifier quatre grands domaines où les États membres disposent d’un certain degré de liberté quant à la mise en œuvre des directives européennes. Il s’agit du mode de propriété de l’opérateur historique, de la répartition des compétences entre les différents régulateurs sectoriels, du mode de financement du service universel, du calendrier de transposition des directives (Thatcher, 1999).

En premier lieu, les gouvernements ont pu décider, selon la tradition politique du pays, du statut des salariés de l’entreprise et du fait d’ouvrir ou non le capital de

l’opérateur historique52. Ainsi, on peut observer une grande diversité de situations dans les États membres : de la privatisation totale (Grande-Bretagne) à l’absence de privatisation (Luxembourg) en passant par une ouverture du capital permettant à l’État de conserver une participation, majoritaire ou non (France). Bien évidemment, cette participation de l’État influence le comportement du gouvernement dans la mise en œuvre du processus de libéralisation. Nous reviendrons en détail sur ce point dans le chapitre suivant.

Au début du processus de libéralisation, la Commission européenne ne s’est pas prononcée précisément sur les institutions chargées de la mise en œuvre de la régulation du marché. Elle précise que certaines dispositions doivent être mises en œuvre par les « États membres », laissant ainsi aux législateurs nationaux une totale liberté pour répartir les compétences de régulation entre les institutions nationales. Elle fait également référence à des « autorités de régulation nationales » qu’elle définit comme « l'organe ou les organes qui sont juridiquement distincts et fonctionnellement indépendants des organismes de télécommunications et auxquels l'État membre confie (…) les fonctions réglementaires » (art.2 de la directive 95/62/CE). Cette définition a été interprétée comme interdisant à l’opérateur historique d’être son propre régulateur comme cela pouvait être observé durant la période de monopole. Les États membres ont alors le choix de leur arrangement institutionnel. Si tous ont décidé de créer une agence de régulation indépendante, la majorité d’entre eux a également choisi d’attribuer des missions de régulation au Ministre chargé des télécommunications. Cette situation a amené la Commission, en 1997 puis en 2002, à définir plus précisément le critère d’indépendance en ajoutant à la définition précédente : « Les États qui conservent la propriété ou le contrôle d’entreprises qui assurent la fourniture de réseaux et/ou de services de communications électroniques veillent à la séparation structurelle effective de la fonction de réglementation d’une part, et des activités inhérentes à la propriété ou à la direction de ces entreprises d’autre part » (directive « cadre », art.3). Bien que cette « séparation structurelle » ait été réclamée par la Commission dès 1997, les États membres n’ont pris cette mesure en considération que lors de la transposition du paquet télécom dont l’entrée en vigueur était prévue pour juillet 2003.

52 L’article 222 du Traité de Rome interdit à la Commission européenne d’intervenir sur les questions de propriété publique dans les États membre.

Concernant le service universel, malgré la précision de la directive « service universel » du paquet télécom, les États membres disposent d’une marge de manœuvre législative. Ils ont la possibilité de définir un contenu plus large que celui imposé par la Commission européenne. Ils peuvent, de plus, décider du mode de financement et de l’évolution des tarifs de ce service. Nous développerons ces points ci-après.

Enfin, les gouvernements nationaux ont le choix du calendrier de mise en œuvre des directives européennes. Même si la Commission fixe une date limite de transposition dans chaque directive, les législateurs peuvent aller au-delà de cette date en encourant un faible risque de sanction. En effet, en cas de non respect de la limite fixée par les directives, les États membres peuvent être poursuivis devant la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE), cependant cette procédure a rarement abouti à des sanctions effectives. Il est également possible pour les États membres de prendre des dispositions allant dans le sens d’une accélération de la libéralisation sans attendre la publication des directives concernées. On a ainsi pu observer des différences dans la mise en œuvre de la législation européenne. La Grande-Bretagne avait déjà largement ouvert son marché des télécommunications à la concurrence avant la publication des directives européennes et avec le large soutien de British Telecom et du gouvernement. En revanche, la France, l’Allemagne ou l’Italie ont souvent mis du temps à transposer les directives européennes en droit national dépassant souvent les délais impartis. Cette marge de manœuvre dans le calendrier de transposition des directives confère aux gouvernements un pouvoir particulièrement important, notamment au début du processus de libéralisation. Tout retard pris dans la transposition ralentit automatiquement la libéralisation d’un secteur, comme c’est actuellement le cas en France avec la libéralisation du marché de l’électricité.

Malgré l’influence de la législation européenne, les gouvernements disposent d’un certain degré de liberté dans la transposition des directives. Ces marges de manœuvre leur permettent de tenir compte des spécifications nationales et notamment de l’adaptation des consommateurs-électeurs à la nouvelle organisation des marchés (Thatcher, 1999).