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Chapitre IV : Comportements stratégiques et contrôle de l’agence de régulation

Section 2 – Pouvoirs discrétionnaires et contrôle hiérarchique de l’agence de

2.2 Le contrôle démocratique

La question du contrôle démocratique des régulateurs est souvent traitée comme un problème d’agence par la littérature économique (voir Estache et Martimort, 1999 pour une revue de la littérature). Le problème est de déterminer comment contraindre ces autorités à se conformer aux préférences des dirigeants politiques. Il s’agit d’arbitrer entre les coûts d’incitation (coûts du contrôle ou de réformation de la loi…) et les gains découlant d’une mise en conformité du comportement de l’agence de régulation.

Cette analyse ne prend cependant pas en compte les contraintes institutionnelles à l’origine même de l’existence des autorités indépendantes. En effet, si les dirigeants politiques peuvent influencer leurs décisions, il n’y a, par définition, plus d’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. La question du contrôle démocratique des agences de

régulation est alors indissociable des questions relatives à leur indépendance. Le dispositif de contrôle démocratique de l’ART défini par la loi de réglementation des télécommunications de 1996 prend en compte cette contrainte institutionnelle en limitant les pouvoirs de contrôle des autorités politiques. Nous montrons, tout d’abord, que les contrôles existants sont relativement limités, notamment parce qu’ils portent davantage sur l’action générale de l’agence plutôt que sur des décisions particulières. Nous montrons, ensuite, que les possibilités de sanctions donnant suite à ce contrôle ne sont pas précisément définies par le cadre législatif.

a) Le dispositif de contrôle de l’agence de régulation

Les deux principales questions qui émergent quant au dispositif du contrôle démocratique sont relatives à la détermination des institutions qui effectuent ce contrôle et à l’étendue de ce contrôle.

Le Parlement et le gouvernement étant les principales institutions centrales disposant d’une légitimité démocratique, c’est à eux que doit revenir le pouvoir de contrôler l’action de l’agence de régulation. Cependant, le gouvernement étant lui-même régulateur, par l’intermédiaire du Ministre chargé des télécommunications et du Ministre de l’économie, il peut difficilement se trouver en situation de contrôleur de l’agence de régulation par l’intermédiaire du Premier Ministre. Les responsabilités en matière de contrôle que lui confère le code des postes et télécommunications sont ainsi plus limitées que celles dont dispose le Parlement.

La question porte ensuite sur les moyens dont disposent les autorités démocratiques pour contrôler les comportements de l’agence de régulation indépendante. Le premier moyen est un moyen de contrôle ex ante. Il consiste en la nomination des membres du collège de l’ART par des autorités démocratiques pour un mandat d’une durée de six ans. Trois des cinq membres, dont le Président, sont nommés par décret, les deux autres étant nommés par les présidents des assemblées parlementaires121. Cette procédure permet de donner un ancrage démocratique à l’exercice des missions de régulation. Cependant, il ne s’agit que d’un mécanisme de contrôle ex ante dont l’efficacité reste limitée dans la mesure où le mandat de ces membres est irrévocable et non renouvelable.

121 Depuis 2005, le collège est composé de deux nouveaux membres nommés également par les Présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat (article L130 du CPCE).

Outre ce pouvoir de nomination, les autorités politiques peuvent exercer leur contrôle en auditionnant l’ART sur son action. A la différence du modèle américain122, la procédure encadrant ces auditions n’est pas clairement définie et ne prévoit pas que les commissions parlementaires puissent imposer des recommandations à l’Autorité. Il est ainsi prévu que l’ART remette chaque année son rapport d’activité au gouvernement et au Parlement. Ce n’est ensuite que devant les commissions permanentes du Parlement que l’ART doit rendre compte de son action au cours d’auditions ponctuelles (article L36-14 du CPT). Ces auditions sont cependant facultatives et les organes parlementaires y ont rarement recours (Conseil d’État, 2001), si bien qu’il n’existe aucun programme pour assurer le suivi de l’action des AAI (Pochard, 2001).

Le caractère facultatif des auditions de l’ART constitue la première limite du contrôle démocratique en France. Les caractéristiques de la Constitution et les traditions politiques françaises ne prédisposent pas les organes parlementaires à exercer un contrôle continu sur les autorités administratives indépendantes (Conseil d’État, 2001).

La seconde limite, qui explique sans doute la première, est le manque d’expertise des commissions permanentes dans le domaine technique de la régulation sectorielle (Thatcher, 1998 ; Estache et Martimort, 1999). Ce manque d’expertise altère la capacité de ces organes à remettre en cause les décisions de l’autorité sectorielle.

Ce manque d’expertise peut cependant être nuancé si l’on examine la composition de ces commissions. Certains de leurs membres font également partie de la Commission supérieure du service public des postes et communications électroniques (CSSPPCE) qui intervient régulièrement, à titre consultatif, dans le domaine des télécommunications. En outre, cette commission peut être consultée par les commissions permanentes du Parlement sur tout sujet relevant de sa compétence : contrôle du développement équilibré de la concurrence dans le secteur, transposition des directives européennes et évolution de la législation nationale, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre du service universel. Elle établit également chaque année un rapport sur l’action de l’ART en ce qui concerne le service public (article L125 du CPCE). Cette dernière mission constitue en elle-même une forme de contrôle démocratique de l’Autorité dans la mesure où la CSSPPCE est composée principalement de parlementaires. A la lecture de ces rapports,

122 Voir par exemple l’étude de Conac (2002) sur le contrôle démocratique de la Securities and Exchange

nous devons cependant constater qu’il s’agit davantage d’une synthèse des avis donnés par cette commission que d’une réelle évaluation de l’action de l’ART.

L’étendue du contrôle de l’action de l’agence de régulation n’est qu’un des éléments du contrôle démocratique. Pour être efficace, il doit s’accompagner d’un mécanisme de sanction ou de réformation des décisions de l’agence. Ces mécanismes ne sont cependant pas précisément prévus par la loi française.

b) Des mesures contraignantes limitées

Comme le souligne le Conseil d’État (2001), le pouvoir des commissions parlementaires sur l’action des autorités administratives indépendantes n’est pas clairement défini. Suite à l’audition d’une agence de régulation indépendante, la loi ne prévoit aucun mécanisme particulier permettant de modifier la décision prise ou d’y opposer un veto, comme cela peut être le cas aux États-Unis (Thatcher, 2005).

Le Parlement doit alors utiliser les moyens de contrainte dont il dispose généralement. Le premier de ces moyens est le pouvoir législatif. Le Parlement, sur proposition du gouvernement, peut modifier la loi pour retirer certains pouvoirs du champ de compétences de l’Autorité. Dans un cas extrême, on peut même imaginer qu’il puisse faire disparaître cette agence. Néanmoins, le vote de la loi n’est pas un instrument utilisable quotidiennement si bien qu’il ne pourrait intervenir qu’en cas de défaillance évidente, répétée et volontaire de l’agence.

Le budget de l’ART provenant du budget général de l’État, bien que la loi permette la perception de ressources propres, le Parlement peut également jouer sur cette variable pour sanctionner les éventuels manquements de l’agence. Cependant, comme dans le cas de la modification législative, une diminution de son budget n’imposerait qu’une sanction générale à l’agence. Elle ne permettrait pas de modifier une décision particulière qu’elle aurait pu prendre en dépit de l’intérêt général. De plus, comme le souligne la Commission européenne, le financement de l’agence de régulation doit garantir son indépendance. C’est pourquoi, elle préconise un financement issu des taxes et redevances imposées aux opérateurs. En conséquence, le budget de l’Autorité ne saurait servir de variable d’ajustement pour influencer sa décision.

Enfin, le pouvoir de nomination des membres de l’agence dont disposent le Parlement et le gouvernement nous semble ici inefficace. La procédure de nomination des membres du collège est organisée pour garantir l’indépendance de l’Autorité : intervention d’autorités différentes dans la procédure de nomination, mandat fixe supérieur à celui des autorités politiques, caractère non renouvelable du mandat. En conséquence, ce moyen de contrôle ne peut être que difficilement utilisé pour obliger l’agence à se conformer à l’intérêt général. On peut cependant avancer que les membres du collège de ces autorités étant généralement issus de la fonction publique et destinés à y retourner à l’échéance de leur mandat, ils sont indirectement soumis aux sanctions du pouvoir politique quant à leur reconversion (Estache et Martimort, 1999). Dans ce cas, il s’agit cependant plus d’un contrôle politicien que d’un contrôle démocratique.

Thatcher (2005) met en évidence la faible utilisation de ces pouvoirs par les gouvernements français, britanniques, allemands et italiens pour contrôler les agences de régulation indépendantes. Il souligne l’indépendance dont bénéficient les agences de régulation en avançant que les coûts du contrôle démocratique (acquisition d’information, perte de crédibilité de la régulation, critique publique123…) peuvent décourager les autorités démocratiques à s’engager dans un tel contrôle. L’autre explication proposée par cet auteur serait une convergence entre les objectifs de l’agence de régulation et ceux des autorités politiques qui justifierait que ces derniers n’utilisent pas les instruments de sanction dont ils disposent. Compte tenu de l’analyse de l’analyse que nous avons mené jusqu’à présent, nous excluons bien évidemment cette possibilité.

En résumé, le contrôle démocratique s’exerçant sur l’ART est relativement peu étendu. D’une part, le principal moyen de contrôle que sont les auditions devant les commissions parlementaires sont peu réglementées et les conditions de ces auditions ne permettent pas aux commissions de combler le retard informationnel qu’elles peuvent avoir sur le régulateur sectoriel. D’autre part, les moyens permettant de mettre en conformité les décisions de l’agence de régulation avec l’intérêt public ne sont pas précisément définis par la législation.

123 Par exemple, la nomination de J.M. Hubert, ancien secrétaire général à la ville de Paris et nommé par J. Chirac a soulevé de nombreuses critiques (La Tribune Desfossés, 20 octobre 1996 ; Les Echos, 30 octobre 1996).