• Aucun résultat trouvé

Chapitre I : Libéralisation du marché des télécommunications et modalités de

Section 1 – Régulation économique et agences de régulation indépendantes

1.3 L’exigence d’une expertise sectorielle

Les spécificités techniques et économiques du secteur des télécommunications peuvent également expliquer l’éviction du gouvernement, mais aussi de celle des autorités générales de la concurrence, du processus de régulation sectorielle.

Fonctionnant comme un système collectif, les télécommunications doivent garantir aux utilisateur l’interopérabilité, c’est-à-dire la possibilité pour chacun de communiquer avec tous les autres quels que soient le ou les réseaux empruntés ; cela suppose le respect d’un minimum de règles techniques et donc la maîtrise d’une capacité d’expertise dynamique que ne peuvent ni un service administratif, ni l’autorité générale de la concurrence (Frison-Roche, 1998-a ; OCDE, 1999-a). Le recours à un régulateur sectoriel s’impose pour permettre de lever les obstacles techniques ou financiers pouvant entraver le développement des projets des opérateurs. Ce pouvoir d’expertise a toujours été une

12 Directive 88/301 relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunications puis 90/388 relative à la concurrence dans les marchés des services de télécommunications.

13 Direction Générale des Télécommunications.

source importante de la légitimation des régulateurs, notamment aux États-Unis où les régulateurs sont devenus des instruments indispensables de la gouvernance, précisément parce que le Congrès et les Cours de justice se sont avérées incapables de satisfaire les impératifs de spécialisation (Majone, 1997-a). Au sein des agences de régulation, cette expertise s’exerce grâce à la présence de professionnels du secteur plus à même de réduire l’asymétrie d’information entre le régulateur et les entreprises régulées et de déterminer les règles applicables dans les matières techniques en les associant aux contraintes économiques et juridiques. En outre, cela confère à l’agence une légitimité et une crédibilité lui permettant de recevoir l’adhésion des acteurs économiques, notamment lorsqu’elle dispose d’un pouvoir de sanctions. La présence de professionnels associée à l’autonomie institutionnelle dont dispose l’agence de régulation lui permet de prendre des décisions plus rapides car affranchies des contraintes pesant sur les modes traditionnels d’élaboration des décisions administratives (Conseil d’État, 2001).

La régulation sectorielle se caractérise, par ailleurs, par la nécessité d’une intervention

ex ante afin de permettre aux nouveaux opérateurs d’accéder au marché. L’intervention ex post qui caractérise l’action des autorités générales de la concurrence, par exemple pour

traiter des litiges liés à l’accès au réseau, est alors insuffisante (Lasserre, 1996). Les autorités générales de la concurrence, dont la mission principale est de surveiller les marchés dont le mode de fonctionnement est déjà concurrentiel15, ne peuvent pas, dans leur fonctionnement actuel, empêcher efficacement une entreprise, naguère monopolistique, et détenant donc un monopole de fait, d’avoir des pratiques de nature à entraver l’émergence d’offres concurrentielles et donc assurer seules les missions de régulation (Jenny, 1997 ; OCDE, 1999-b). La problématique de la répartition des compétences entre les autorités de régulation sectorielles et les autorités générales de la concurrence reste cependant essentielle, et ce d’autant plus que la concurrence est amenée à se développer dans le secteur. Cette question ne relève cependant pas de notre étude, dans la mesure où l’intervention des autorités de la concurrence ne correspond pas à des missions de régulation sectorielle à proprement parler mais à la mise en œuvre du droit général de la concurrence appliqué à un secteur16.

15 La seule intervention ex ante des autorités générales de la concurrence consiste à examiner les projets de fusion et acquisition.

16 Pour une analyse des interactions entre autorités de régulation sectorielles et autorité générale de la concurrence, le lecteur pourra se référer à OCDE (1999-a et b) ou Perrot (2002).

Face à l’ensemble des problèmes soulevés par l’intervention gouvernementale, la régulation est apparue dans les paysages institutionnels nationaux avec le souci de légitimer les nouvelles formes d’intervention de l’État. Puisque le gouvernement ne pouvait s’engager de manière stable, prévisible et indépendante, une partie des missions de régulation doit être déléguée à des agences de régulation dans le but de mettre en œuvre efficacement les mesures de libéralisation du secteur. Ces agences doivent présenter des caractéristiques d’indépendance à la fois vis-à-vis des intérêts privés qu’elles régulent et vis-à-vis des pouvoirs publics. Cette indépendance par rapport au pouvoir politique est indispensable pour que ne resurgissent pas les problèmes liés à l’instabilité politique et aux conflits d’intérêt.

Cependant, la justification de la création de ces agences de régulation ne permet pas de déterminer précisément le contenu de leurs missions. Les directives européennes dressent un panorama complet de l’intervention publique nécessaire à la libéralisation du marché ; leur étude nous permettra d’identifier le domaine d’une intervention publique indépendante, aux yeux de la Commission européenne, destinée à promouvoir l’efficience économique dans le secteur. Ces missions relèvent de la régulation économique et doivent être assurées par des agences de régulation, par opposition à la régulation politique qui doit être assurée par des autorités ayant une certaine légitimité démocratique.

2 – Les enjeux économiques de la régulation

L’émergence d’un marché concurrentiel dans le secteur des télécommunications ne peut être réalisée sans un certain degré d’encadrement public. Nous cherchons à définir les domaines nécessitant une intervention publique destinée à promouvoir l’efficience économique afin de déterminer les missions devant appartenir aux agences de régulation.

Dans un premier temps, le processus de libéralisation doit notamment permettre aux nouveaux opérateurs privés d’accéder au marché et aux infrastructures de l’opérateur historique. Il s’agit de dessiner les contours du marché en attribuant les licences aux nouveaux opérateurs privés et de déterminer ensuite le coût de l’accès au réseau de

l’opérateur historique. Une fois les opérateurs alternatifs autorisés à fournir des services sur le marché des télécommunications, il faut veiller, dans un second temps, à ce que les comportements des opérateurs, notamment ceux de l’opérateur désigné comme puissant, permettent de développer une concurrence durable au bénéfice des consommateurs. Il s’agit notamment de réguler les tarifs de détail de l’opérateur historique et d’estimer les coûts du service universel afin de déterminer la répartition de son financement entre les opérateurs.