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c) La présence résiduelle mais réelle du droit dans l’enseignement du rhéteur

Nous commencerons par modérer les critiques énumérées jusqu’à présent en signifiant que l’enseignement du rhéteur n’est pas aussi fantasque, ni déconnecté de la réalité, ni illogique qu’on a bien voulu le dire. Beaucoup plus rationnel qu’il n’y parait, il ouvre la voie à un enseignement juridique (α). S’il apparait clairement que les écoles de rhétorique ne dispensent

664 Saint Augustin, Traité sur l’evangile de Saint Jean, VII, 11.

665 Il n’appartient ni au nomikos, ni à la chancellerie impériale de vérifier la véracité des faits. Cet examen est de la responsabilité du juge. En cas de fausse déclaration, la responsabilité du iurisconsultus n’est pas engagé contrairement à celle du demandeur. CJ, I, 22, 5.

666 Même si un chrétien répugne à l’idée de faire appel à eux car il devrait utiliser son propre jugement. Saint Augustin, Sermons, XLVII, 22

667 Saint Augustin rapporte dans ses Sermons, XLVII, 22, Ambroise dans Les Devoirs, III, 58 et Jérôme, dans ses Lettres, LII, 6 que des membres de l’Église schismatique donatiste faisaient appel à des nomikoi afin de fourbir des ruses juridiques pour que le testament d’un clerc soit valable. Il fallait pour cela passer par le biais d’une fiction de fiducie.

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pas un savoir juridique élaboré, et qu’au sortir de la classe du rhéteur l’étudiant ne mérite pas le titre de iurisconsultus, il s’avère toutefois que le Ius n’est pas tout à fait absent de la formation de l’orateur. Il s’agit bien sûr de ces lois imaginaires ou étrangères que l’on retrouve fréquemment dans les controverses scolaires, mais ce n’est pas tout. En effet, parmi les histoires de pirates, de belles-mères sanguinaires et de fils prodigues, parmi les leges les plus fantaisistes et les coutumes les plus exotiques émergent des connaissances juridiques bien réelles (β). Par ailleurs, peut-être faut-il admettre qu’évoluer dans un environnement juridique peuplé de conflits entre particuliers, de lois et de coutumes, fussent-ils fictifs et fantaisistes, forme l’esprit. Si les rhéteurs ne sont pas des juristes, et s’ils ne connaissent pas le ius romanum parfaitement, ils savent l’interpréter, le manipuler, le comprendre. Ils pourront, lorsqu’ils seront confrontés à des leges inconnues d’eux, en saisir l’enjeu, réfléchir à l’opportunité d’appliquer le ius strictum ou l’équité, de choisir la lettre ou l’esprit de la loi (γ).

α) La rationalité de l’enseignement du rhéteur

Nous entendons le chapelet de critiques dirigées à l’endroit de l’éducation rhétorique impériale. Pourtant, force est de constater que l’enseignement de la rhétorique à Rome, basé sur l’exercice de la controverse, a connu un succès constant pendant un millénaire668. Pourquoi donc persévérer dans cette direction si les résultats pédagogiques étaient si catastrophiques ? Les Romains, réputés si pragmatiques669, se seraient-ils égarés par simple gout pour la fantaisie ? Cette conclusion est pour le moins incohérente, et nous faisons volontiers écho à la pensée de Henri-Irénée Marrou, qui estime que si « la rhétorique est (pour nous) synonyme d’artifice, d’insincérité, de décadence, c’est peut-être simplement parce que nous ne la connaissons plus et que nous sommes redevenus des barbares670 ». Par ailleurs, il s’agit de considérer le fait que l’hallali lancé contre les controverses se base sur quelques recueils de

declamationes souvent incomplets et qui manquent par conséquent d’unité671. Il faut aussi se garder de tout jugement hâtif en précisant que, bien souvent, la romanistique critique des déclamations qui ne relèvent pas d’une activité scolaire672. Pour observer le quotidien d’une école de rhétorique, il faut lire l’Institution oratoire, et en particulier les livres I et II dans lesquels Quintilien n’est pas avare de détails. Nous y observons le magister dans toutes les configurations qu’implique son activité d’enseignement. Tantôt dispense-t-il ses leçons, tantôt rappelle-t-il à l’ordre des élèves chahuteurs ; le voici encore qui corrige des exercices ou qui apporte un soutien particulier à un étudiant en difficulté. Au contraire, Sénèque se révèle être une source spécieuse pour notre problématique puisque ce dernier quitte souvent le cadre

668 Stroh, Ibid., p.1

669 Henri-Irénée Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, 2. Le monde romain, Seuil, 1948, p. 416. Voir aussi, François Hoff, Les Controversiae dans la formation de l’orateur, ou cent mille milliards de romans ?, Ibid. : « On a déprécié ces exercices dès l’Antiquité, en les liant à la décadence de la rhétorique sous l’Empire. L’exercice n’est pas lié à la latinité impériale. Il existait au moins depuis la fin du IVe siècle en Grèce (Démétrios de Phalère). Il a été pratiqué pendant toute la période hellénistique, puis sous l’Empire, jusqu’à l’époque tardive, et en Grèce byzantine encore ». Egalement : « Il semble qu’il s’agit d’une méthode douteuse pour un observateur moderne mais c’est une autre culture qui s'est épanouie et est restée inchangée pendant plus de 600 ans. On peut alors supposer qu’elle répondait au besoin des romains. Il semble que la bonne question est de se demander : quels besoins satisfaisait cette pratique étrange et comment ? ».

670 Marrou, Ibid., p .416 671 Stroh, Ibid., p. 1 et s.

672 Tout d'abord, il faut distinguer entre ce qui était et ce qui n'était pas l'activité en classe. Les confusions ont donné lieu à de graves méprises et une critique imméritée. Il y avait certainement une différence entre le jour d'école ordinaire, et les jours au cours desquels des manifestations publiques étaient données. Ces occasions spéciales étaient : la visite des parents à l'école pour écouter leur progéniture ; l'admission du public par le rhéteur pour écouter les déclamations de ses meilleurs élèves et ses propres discours (c'était sans doute un moyen d'afficher ses capacités afin d’attirer de nouveaux élèves) ; et les rassemblements d’orateurs professionnels qui faisaient montre de leurs talents. La majorité des critiques contre la fantaisie des déclamations étaient en fait dirigés contre ces déclamations parascolaires.

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circonscrit de la salle de classe pour décrire des déclamations parascolaires telles les publica

declamare et les multitudinem admittere. Surtout, le recours au surnaturel, aux situations

alambiquées et aux lois fictives n’est pas vain, et passé l’étonnement devant le caractère fantaisiste des controverses, plusieurs explications s’imposent afin de comprendre les raisons qui ont animé les rhéteurs dans leur démarche.

Tout d’abord, et pour reprendre Aristote, prévaut l’idée que « qui peut le plus, peut le moins673 ». En d’autres termes, il s’agissait de mettre les élèves face aux situations théoriques les plus ardues afin qu’une fois confrontés à des cas concrets, leur résolution leur parût facile. Stanley F. Bonner, l’un des premiers historiens à avoir défendu le caractère farfelu des

controversiae, argüe : « Ce sont des cas-tests dans plus d’un sens. Ils ont pour but non seulement

de tester la validité d’une loi en posant des circonstances de plus en plus extrêmes [...] ils testent également les pouvoirs du déclamateur ; le plus difficile est le cas, le plus éloigné des circonstances de la vie quotidienne, où il y a presque toujours quelque chose à dire sur les deux côtés, le meilleur est le déclamateur qui réussit à composer avec elle (la loi)674. » Danielle Van Maeder va dans le même sens : « L’efficacité de l’exercice étant proportionnelle à la difficulté du cas proposé, l’univers déclamatoire apparaît comme le royaume de l’impossible, où l’inconcevable se doit d’être conçu au nom de la persuasion675. » Deux voies sont ainsi possibles quant à la formation des futurs orateurs judiciaires : soit les confronter à la jurisprudence habituelle des tribunaux romains, faite de conflits de voisinage, de petites rapines et de revendications d’héritages, soit les mettre face à des causes certes improbables, mais suffisamment complexes et alambiquées pour rendre aisée n’importe quelle affaire qu’ils auraient à défendre au cours de leur carrière prochaine. Victor Cucheval opine en ce sens, analysant que le but des rhéteurs « était de rompre les jeunes gens à toutes les difficultés de l’art oratoire, d’habituer leurs élèves à tirer parti de la cause, quelle qu’elle fût, bonne ou mauvaise, forte ou non, qu’ils auraient à défendre, de leur apprendre à inventer, à l’occasion, des excuses et des justifications plausibles pour les actes les moins avouables, ils ne croyaient pas pouvoir mieux y parvenir que par ces sujets romanesques et compliqués. Traiter un sujet simple et vraisemblable leur eût paru une préparation insuffisante676. » On peut ajouter que pour rendre les controverses plus embarrassantes pour leurs étudiants et laisser l’imagination de ces derniers s’exprimer par le biais de couleurs, les orateurs se dispensaient de donner des indications trop précises. Aussi, dans les sujets, les personnages ne sont bien souvent que des « figures anonymes qui constituent des cas typiques plutôt que des cas particuliers677 », et « le paratexte ne livre aucune donnée spatio-temporelle678 ». Il appartiendra alors aux élèves de brosser le portrait des acteurs de leurs exercices679, de décrire le contexte dans lequel ils évoluent680, et de concevoir les raisons qui les ont motivés à agir tel qu’ils l’ont fait, ou d’inventer un environnement entourant l’affaire qu’ils ont à argumenter. Ainsi, dans la déclamation IX, 4 de Sénèque, un fils frappe son père sous la pression d’un tyran puis tue le despote. On ne sait si

673 Aristote, Traité du ciel, I, 1, 11 : « [...] parce qu'en général ce qui peut le plus peut aussi le moins ; le maximum varie, selon que l'on regarde à la puissance ou à l'objet ».

674 Bonner, Ibid., p. 65 et s. Voir aussi, Kaster, Ibid., p. 324-326. 675 Van Mal-Maeder, Ibid., p. 1

676 Victor Cucheval, Histoire de l'éloquence romaine depuis la mort de Cicéron jusqu'à l'avènement de l'empereur Hadrien, Volume 2, Hachette et cie, 1893, p. 244. Citons aussi Bornecque, Ibid., p. 82 : « Pourquoi ces lois en partie imaginaires, ces personnages de convention ou de légende, qui étalent des sentiments extraordinaires dans des sujets d’une vraisemblance douteuse ? C’est que les déclamateurs tiennent à poser, dans leurs Controverses, une question de solution délicate ».

677 Van Mal-Maeder, Ibid., p. 10 678 Ibid., p. 20.

679 Ibid., p. 20.

680 Ibid., p. 89 : « S’il est question de marchands ou de pirates dans le thème, la ville sera située au bord de la mer, les pirates habiteront de sombres cavernes ; s’il y est question de paysans, le paysage se fera plus bucolique. C’est donc bien pour renforcer l’efficacité de l’exercice et aiguiser l’ingéniosité des maîtres de paroles que ce qui ressortit au domaine de l’impossible ou de l’invraisemblable dans le monde réel trouve si aisément sa place dans l’univers déclamatoire ».

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les coups portés sur le pater sont destinés à obtenir la confiance du dictateur pour mieux l’anéantir ou s’il s’agit seulement d’une volonté pour le fils de sauver sa vie681. Quant à la controverse I, 7, un père refuse de payer une rançon pour son fils capturé et demande aux ravisseurs de ce dernier de lui couper les mains. Les assaillants relâchent le jeune homme, mais on ne sait s’ils ont accompli le désir du pater familias682.

On peut aussi expliquer le succès des declamationes par le fait que, sous couvert de science-fiction, elles inculquaient aux jeunes gens qui les pratiquaient le sentiment de romanité par la répétition683, et permettaient d’ouvrir un débat sur le bienfondé du mos majorum. Comme le note Danielle Van Van Maeder, elles sont à la fois « un exercice civique destiné à former le futur citoyen684 » et des occasions « de discuter des normes et des valeurs sociales et culturelles, voire de les remettre en question685 ». En ce qui concerne l’éducation du futur citoyen romain, on peut dire que les controverses jouent le rôle de la poésie épique en pays hellène, c’est-à-dire qu’elles inculquent aux jeunes gens, au travers du monde fictif de sophistopolis, les règles fondamentales de la société romaine, tels la sexualité et ses transgressions, les rapports entre le père et le fils, ceux entre le mari et sa femme, ou encore la croyance en des autorités supérieures que sont le droit romain et ses représentants. C’est pourquoi Mary Beard n’a pas hésité à qualifier les declamationes de « roman mythopoesis686 ». Pour la chercheuse américaine, la romanistique a trop souvent condamné les declamationes, estimant qu’elles ne reflétaient pas la vie quotidienne romaine, en particulier la pratique juridique. Pourtant, ces exercices rhétoriques, si on les examine de façon subtile, en disent long sur le monde culturel, intellectuel, et la vie réelle de Rome. En somme, les controversiae offrent l’avantage « de construire un monde fictif de négociation, et de renégociation, avec les règles fondamentales de la société romaine ; de naturaliser l’arbitraire de ces règles en les plaçant dans le contexte de la sanction légale ; d’offrir une vision d’une autorité supérieure, définie non pas en termes d’intervention divine, mais en termes de la sanction sociale du droit romain ; de fournir une orientation pour la représentation et la résolution des conflits humains ; ils offrent une arène pour apprendre,

681 Ainsi, Menton (Sénèque l’Ancien, Controversiae e suasoriae, IX, 4,22) imagine un fils ayant dès le départ en tête l’assassinat du tyran : « C’est vous que j’ai eu devant les yeux, temples, lois, patrie ; car si je n’avais pensé qu’à moi, j’aurais facilement échappé au tyran par le même chemin que mon frère ». Quant à Arellius Fuscus (Sénèque l’Ancien, Controversiae

e suasoriae, IX, 4,6), il estime que le fils aurait pu tuer le tyran sans maltraiter son père et que les mauvais traitements ne

peuvent s’expliquer qu’en considérant la malhonnêteté du jeune homme. Il est en cela rejoint par Cornelius Hispanus (Sénèque l’Ancien, Controversiae e suasoriae, IX, 4,8), qui ne fait point d’économie de détails pour décrire les blessures du pater. Notons encore que pour défendre le fils, certains orateurs n’hésitent pas à imaginer un accord entre ce dernier et son père afin de causer la perte du tyran. A cet égard, citons Junius Gallion (Sénèque l’Ancien, Controversiae e suasoriae, IX, 4, 6) : « je remercie mon fils de ne m’avoir pas laissé seul devant le tyran. Si j’ai souffert ses coups, c’est que je lui avais commandé de me les donner ; voilà pourquoi je le défends dans ce procès, dont je suis la cause ». Musa opine dans le même sens : « je disais : « Mon fils, frappe plus fort ; le tyran regarde ».

682 Ainsi, pour Cestius Pius, (Sénèque l’Ancien, Controversiae e suasoriae, I, 7, 3) les pirates ayant capturé le jeune homme lui ont effectivement coupé les mains suite à la demande du pater. L’orateur à l’imagination fertile affirme que le pater, s’il a bien refusé de payer la rançon demandée par les ravisseurs de son fils, a versé le double du montant demandé afin que les pirates le mutilent : « Tu donnais le double de la somme demandée, et cela à des gens avides, à des pirates : les pirates eux-mêmes invoquaient comme excuse, en me coupant les mains : « c’est ton père qui l’a ordonné ; nous commettons un grand crime, mais on le paye bien ». Quant à Romanius Hispon, (Sénèque l’Ancien, Controversiae e suasoriae, I, 7, 6) il imagine des pirates révoltées par la cruauté du pater. Tant et si bien qu’ils relâchent le jeune homme capturé sans lui faire le moindre mal et sans avoir reçu de rançon : « Les pirates restèrent interdits, et, en me mettant en liberté, me dirent : « Apprends à ton père que les pirates n’acceptent pas tous les marché ».

683 Van Mal-Maeder, Ibid., p. 104. 684 Ibid., p. 104.

685 Ibid., p. 105.

686 Mary Beard, Looking (harder) for Roman myth : Dumezil, déclamation and the problems of définition, Mythos in

mythenloser Gesellschaf : Das Paradigma Roms, Walter de Gruyter GmbH & Co KG, 1993, p. 56 et 64. L’auteur concède

toutefois que les declamationes s’éloignent du modèle grec du « mythe ». Un point fondamental diffère : à Rome, dans les

declamationes, les protagonistes ne sont pas nommés et individualisés. Les personnages sont réduits au rang de figures

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pratiquer et se rappeler ce qu’est être et penser romain687 ». Ces exercices d’école présentaient également l’avantage de faire jouer aux élèves – généralement de jeunes garçons de bonne famille – à la fois leur rôle présent dans la société, c’est-à-dire celui d’un alieni juris soumis à la patria potestas de son pater688, mais également ceux qu’ils occuperaient plus tard lorsqu’ils

seraient devenus sui juris689. Quant aux débats que les declamationes rendent possibles au sujet des traditions romaines, il faut se figurer que c’est le caractère « exagéré » des controverses qui permet l’ouverture d’une réflexion. Cela rejoint Paul Auster, qui a affirmé : « Pour pouvoir dire la vérité, il nous faudra en faire une fiction690. » En effet, dans la société romaine, de nombreux tabous existent. C’est par exemple le cas des limites de la patria potestas, qui est théoriquement illimitée et que bien peu remettent en question. Pourtant, à la faveur d’un exercice rhétorique dans lequel un pater imaginaire outrepasse excessivement son pouvoir, on peut librement et sans crainte de réprobation excessive avancer des tempéraments à la puissance du père de famille lorsqu’elle est manifestement tyrannique.

On peut ensuite expliquer l’étrangeté des controverses d’écoles par l’intérêt des étudiants pour le sensationnel et la science-fiction. Il s’agissait, pour les enseignants, de privilégier une pédagogie du placere et docere691, en optant pour des sujets de declamationes propices à captiver leur public. Les declamationes, du fait de leur originalité, possèdent un caractère ludique qui permet une meilleure compréhension de la leçon du rhetor. Nous avons tous fait l’expérience du maitre qui, voulant apprendre la division ou les fractions à ses élèves, recourt à l’exemple de la tarte aux fraises qu’il faut répartir entre plusieurs convives, ou du sac de bonbons qu’il s’agit de partager entre amis. Il en va de même au sujet des controverses. Tout le monde conviendra qu’il est plus aisé d’apprendre à déclamer en plaidant la condamnation d’une marâtre assoiffée de sang ou l’innocence d’une vestale miraculeusement sortie indemne d’une précipitation dans le vide que d’argumenter sur de banales questions de conflits de voisinage. À cet égard, citons la réflexion de Wilfried Johannes Stroux : « Dites-moi franchement : n’aurait-on pas envie, en tant qu’élève d’une moderne classe de lettres, de suivre, au moins en spectateur, d’aussi distrayants exercices ? [...] Pensons donc également, lorsque nous nous moquons des thèmes retenus pour les déclamations, à nos propres enfants qui préfèrent, dans les fêtes être magiciens ou pirate plutôt que prêtre ou professeur692. » C’est ainsi à bon droit que Cicéron a considéré dans son De Inventione que l’usage d’une loi fictive dans une controversiae permet une meilleure compréhension : « Vt in hac lege nihil enim prohibet

fictam exempli loco ponere, quo facilius res intellegatur693. ». Robert A. Kaster se figure ainsi

que les jeunes gens qui peuplaient les classes des rhéteurs étaient particulièrement enflammés par des thèmes comme le viol694. Quant à Danielle Van Maeder, elle estime que « c’est

687 Beard, Ibid., p. 56

688 Ibid., p. 56 et s., le but est ici cathartique. Le jeune homme soumis entièrement à la puissance de son père trouvait dans les

controversiae un moyen d’exorciser ses frustrations. Par ailleurs, en tant qu’alieni juris, les élèves en rhétorique pouvaient se

mettre facilement à la place des parties faibles de la société, c’est-à-dire les femmes, les esclaves ou encore les pauvres. Ils développaient de cette façon un certain altruisme qui leur serait nécessaire lorsque, libérés de la puissance de leur pater, ils deviendraient à leur tour des patrons, des pères et des maris. Pour Martin Bloomer, « Schooling in Persona », Classical

Antiquity, 16, 1997, p 57-59, 62-64, et 68-70, la déclamation projette un ordre idéalisé, social et familial. L’élève endosse le

rôle de son père en train de parler, il joue à l’adulte mais ce n’est pas simplement une imitation. Il apprend les différentes