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Nous rencontrons chez Gaius, à vingt-quatre endroits, des oppositions doctrinales entre les Proculiens et les Sabiniens. Comme le mentionne Emanuele Stolfi, sur ces vingt-quatre occurrences, la mention du nom des juristes impliqués dans la dispute doctrinale se produit quatorze fois, tandis qu’à dix reprises, ce sont des locutions anonymes et collectives telles nostri

praeceptores et diversae scholae auctores, ceteri diversae scholae auctores, ceteri nostri praeceptores qui sont employées. Le chiffre de vingt-trois controverses n’est pas unanimement

accepté. En effet, dans deux de ces vingt-trois occurrences, nous n’avons pas de certitude absolue quant à l’exposition par Gaius d’une opposition doctrinale entre les deux écoles du Haut-Empire. C’est ainsi le cas dans Gaius, 3.1831209 et Gaius, 4.1141210.

concrètes. Moins pertinente est pour nous l'opinion de Pomponius lui-même, lequel penche pour une position différente, presque intermédiaire, à savoir qu'il faut laisser le choix à l'héritier, qui cédera au légataire les parts du bien seulement si celui-ci est naturellement et sine damno divisible. Ce dernier extrait du fragment (depuis sed profiteri heredi etc.) a éveillé, même dans les études les plus récentes du droit romain, de grands doutes d'authenticité, jusqu'à considérer justinienne la doctrine attribuée à Pomponius.

1209 Gaius, Institutes, 3.183 : « Servius Sulpicius et Massurius Sabinus ont distingué quatre espèces de vol : le vol manifeste, le vol non manifeste, le vol conceptum et le vol oblatum. Labeon n'en reconnaît que deux espèces : le vol manifeste et le vol non manifeste ; car les vols conceptum et oblatum sont plutôt des espèces d'actions propres au vol que des genres de vols ; cette opinion est préférable, comme il apparaîtra plus bas ». Dans ce passage, il est question du nombre de genera furtorum qu’il faut déceler. Il y en a quatre pour Servius et Sabinus, deux pour Labeon, qui ne comptait pas comme des espèces distinctes le furtum

conceptum et le furtum oblatum. Comme le note Stolfi, Ibid, p. 49 et s., cet extrait des Institutes : « ne présente pas le caractère

de controverse d'école, aussi bien en raison de la présence de Servius que du fait de l’intervention de Labeon, qui, n’est pas vraiment considéré par Gaius comme un proculien (à l'exception de Gaius, Institutes, 1.2.231) ». On relèvera toutefois que Labeon et Sabinus reste fidèles à la traditio décemvirale qui n’identifiait que deux types de vols : le furtum manifestum et le

furtum nec manifestum. Notons enfin que Gaius qui est ouvertement Sabinien penche pour l’avis de Labeon (quod sane venus videtur).

1210 Dans Gaius, Institutes, 4.114, il est question de l'effet absolutoire de la satisfactio post litem contestatam : « Il nous reste à examiner quel est le devoir du juge dans le cas où, avant que la sentence ait été prononcée, mais après avoir accepté l'action, le défendeur satisfait au demandeur. Doit-il absoudre, ou plutôt condamner, parce qu'au moment où le judicium a été accepté, le défendeur méritait une condamnation ? Nos maîtres pensent que le juge doit absoudre, sans s'informer du genre de l’action ; ils décident ainsi parce que Sabinus et Cassius ont professé que tous les jugements étaient absolutoires ». Certains romanistes observent en l’espèce une opposition doctrinale entre Proculiens et Sabiniens en raison d’une dernière phrase ajoutée par Paul Krüger au passage gaien (diversae scholae auctoribus de stricti iuris iudiciis contra placuisset). Si l’on suit l’initiative du chercheur allemand, on devra conclure que dans Gaius, Institutes, 4,114, les deux écoles raisonnent comme suit. Les Sabiniens estimaient que dans le cadre d’une actio de droit strict, l’exécution du judicium devait empêcher la condamnation du défendeur.

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Il reste ainsi vingt-et-une controverses dans les Institutes de Gaius. Nous allons, de manière exhaustive, analyser soigneusement chacune d’elles, afin de comprendre les raisons de ces oppositions entre scholae. Cependant, pour des raisons pratiques, nous ne reproduirons ci-dessous qu’une sélection de notre travail. Le reste de notre exposé sera joint aux annexes (Cf. Annexe 5).

Gaius, 1.196

Cette controverse fait partie du premier livre des Institutes, qui traite du droit des personnes1211, et plus spécifiquement de la tutela impuberum, dont l’objectif est de protéger les intérêts personnels et financiers des personnes sui iuris en dessous de l’âge de la puberté. Eu égard aux filles, la puberté est réputée coïncider avec l’âge de 12 ans, et c’est en conséquence à ce moment que la tutela impuberum se termine1212. Dans le passage de Gaius à l’étude, la question qui se pose est de déterminer le moment à partir duquel un garçon est libéré de la tutela

impuberum, ce qui revient à décider du début de la puberté du mâle, et, par conséquent, du

critère judicieux pour déterminer quand un garçon devient pubes1213. Sur cette problématique, les deux écoles s’opposent1214. Pour les Sabiniens (« Sabinus quidem el Cassius ceterique nostri

praeceptores1215 »), le critère de la puberté masculine est le développement physique, si bien que dès qu’un adolescent masculin est capable de se reproduire, il est pubes1216. Les Proculiens en revanche (« diversae scholae auctores ») estiment que tous les mâles ayant atteint l’âge de 14 ans sont pubes.

Pour les membres de cette sectae, il en est de même pour les bonae fidei iudicia et pour les actiones in rem avec clause de

restitution arbitratu iudicis. Les Proculiens, quant à eux partagent l’avis des Sabiniens quant aux deux dernières actions.

Pourtant, ils sont en désaccord avec l’aliud sectae quant aux iudicia stricti iuris. Étant donné qu’il n’est point certain que le passage 4,114 des Institutes de Gaius reflète une controverse entre les deux scholae, nous évincerons cet extrait.

1211 La dernière partie du livre I (Gaius, Institutes, 1.142-200) concerne les personnes qui sont sui iuris et, en même temps, tutela ou curatio. Il existe deux types de tutelle : mulierum impuberum et tutela de tutela. Le texte en discussion porte sur l’ancien. On notera que la dernière partie de Gaius, Institutes, 1.196 est manquante, mais que son contenu peut être reconstruit partiellement au moyen de l’epitomé d’Ulpien. Voir Leesen, Ibid., p.45

1212 On notera qu’à l’âge de 12 ans, les femmes ne deviennent pas sui iuris mais relèvent à présent de la tutela mulierum. 1213 Voir aussi Gaius, Institutes, 1.145 et Paul, D. 27.3.4.pr.

1214 Au sujet de la controverse dans Gaius, 1.196, voir Giovanni Baviera, Le due scuole dei giureconsulti romani, L'Erma Di Bretschneider, 1898, p. 46-48 ; Bernhard Kübler, « Rechtsschulen », RE, 2-1, 1914, p. 386 ; Andreas B. Schwarz, « Die Justinianische Reform des Pubertatsbegins und die Beilegung juristischer Kontroversen », SZ, 69, 1952, p. 345-387 ; Peter Stein, « The Two Schools of Jurists in the Early Roman High-empire », CL, 31, 1972, p. 27 ; Detlef Liebs, « Rechtsschulen und Rechtsunterricht im Prinzipat », ANRW, 2-15, 1976, p. 244-245, 279 ; Bernardo Albanese, Le persone nel diritto privato

romano, Pubblicazioni del Seminario Giuridico della Università di Palermo, 1979, p. 431-432 ; Gian-Luigi Falchi, Le controversie tra Sabiniani e Proculiensi, Giuffrè, 1981, p. 113-121 ; Maria-Grazia Scacchetti, « Note sulle differenze di metodo

fra Sabiniani e Proculiensi », in Franco Pastori (dir.), Studi in onore di Arnaldo Biscardi, V, Cisalpino, 1984, p. 374-377, 402 ; Sebastiano Tafaro, Pubes e viripotens nella esperienza giuridica romana, Cacucci, 1988, p. 101-138 ; Giovanni Pugliese,

Istituzioni di diritto romano, Giappichelli, 1991, p. 408-409 ; Gennaro Franciosi, Famiglia e persone in Roma antica. Dell’eta arcaica al Alto-empireo, Giappichelli, 1992, p. 158-159 ; Olga Tellegen-Couperus, « La controverse dans Gaius, Inst. 1,196,

entre Proculiens et Sabiniens : Theorie ou pratique de droit ? », TR, 61, 1993, p. 471-479 ; Danilo Dalla, Ricerche di diritto

delle persone, Giappichelli, 1995, p. 143-151 ; Peter Stein, « Le scuole », in Dario Mantovani (dir.), Per la storia del pensiero giuridico romano. Da Augusto agli Antonini, Atti del Seminario (San Marino, 12-14 gennaio 1995), Giappichelli, 1996, p. 10

; Emanuele Stolfi, « II modello delle scuole in Pomponio e Gaio », SDHI, 63, 1997, p. 52-53 ; Carla Fayer, La familia romana.

Aspetti giuridici ed antiquari. Sponsalia. Matrimonio. Dote, II, L'Erma di Bretchneider, 2005, p. 412-454.

1215 Voir Leesen, Ibid., p. 45 et s.

1216 Selon Arnold Lelis, William A. Percy et Beert C. Verstraete, The age of Marriage in Ancient Rome, Edwin Mellen Press, 2003, p. III-IV : « The physical signs of male puberty are the wrinkling of the scrotum, increase in the size of penis and scrotum, growth of pubic hair, and inconvenient erections ». On notera que le choix de ce critère pose problème eu egard aux eunuques qui, étant généralement castrés avant le début de la puberté ne presentaient jamais de maturité sexuelle, et par conséquent ne pouvaient jamais être considérée comme pubes. Pour combler cette lacune, les Sabiniens ont décidé que les eunuques devenenaient généralement pubes à l’âge auquel les mâles atteignaient généralement ce stade.

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La doctrine a proposé plusieurs explications pour élucider la divergence d’opinion entre Proculiens et Sabiniens sur la question de la puberté du garçon. Nous nous cantonnerons à citer la théorie basée sur l’antithèse conservateur versus progressiste, étant donné qu’elle est quasi monopolistique parmi les romanistes1217. Les partisans de cette thèse estiment que les Sabiniens conservateurs suivent la traditio, étant entendu que dans la Rome la plus ancienne, le critère pour déterminer la puberté des hommes était la maturité sexuelle, ce qui passait obligatoirement par un examen physique1218. Au contraire, les Proculiens réformateurs ont décidé de faire commencer la puberté à l’âge de 14 ans, puisque c’était là un critère plus pratique, rationnel et novateur1219. Pourquoi 14 ans ? Deux explications ont été avancées. La première tire son fondement de la Lex Coloniae Genetivae Iuliae, datant de 44 av. J-C., qui dispose que les hommes âgés de 14 à 60 pourraient être contraints par les décurions d’exercer des fonctions officielles. Des chercheurs comme Schwarz et Giovanni Pugliese affirment que la limite d’âge inférieure fut choisie, car elle était censée représenter le début de la puberté. Pourtant, il n’existe aucune preuve de cet état de fait1220. La seconde fut formulée par Tafaro qui estime que c’est seulement à la fin de la République, du fait de l’influence grecque, que le début de la puberté est fixé à 14 ans. Pour l’historien, cet âge fut mis en avant pour une raison magico-religieuse. En effet, 14 est un multiple du chiffre sept, dont la charge magique n’est plus à démontrer. Si la théorie de Tafaro est originale, elle souffre de plusieurs incohérences. Tout d’abord, elle n’explique pas pourquoi les filles devenaient pubères non pas à 14, mais à 12 ans. Ensuite, Tafaro ne s’intéresse qu’à l’argumentation proculienne et ne fournit aucune analyse du point de vue sabinien. Nous ne sommes pas convaincus par la théorie des partisans de l’antagonisme Sabiniens-conservateur/Proculiens-réformateurs. Pour nous, il semble plus convainquant d’affirmer qu’il n’existe aucune raison de considérer que la détermination de la puberté par l’âge plutôt que par la maturité physique est une technique juridique plus récente et novatrice1221. Une telle conclusion est le résultat du présupposé que le critère de la maturité sexuelle est ancien, car il semble irrationnel et primitif1222, tandis que le critère de l’âge parait récent, car unificateur et sophistiqué. D’une part, il semble que la détermination de la puberté par l’âge est très ancienne pour les filles. Cette condition n’est pas toujours pratique, et soulève donc des difficultés puisque, dans la Rome ancienne, l’âge des citoyens des classes inférieures est souvent inconnu.

1217 Fritz Schulz, History of Roman Legal Science, Clarendon Press, 1946 ; Max Kaser, « Oportere und ius civile », SZ, 83, 1966, p. 1-43 ; Bernardo Albanese, « Nota su Gai 1,7 e sulla storia del ius respondendi », APAL, 49, 2004, p. 17-26 ; Giovanni Pugliese, Istituzioni di diritto romano, Giappichelli, 3rd edn., 1991 ; Gennaro Franciosi, Famiglia e persone in Roma antica.

Dall’età arcaica al principato, Giappichelli, 1992 et Fayer, Ibid.

1218 Fritz Schulz, Classical Roman Law, Oxford University Press, 1951, p. 164-165 ; Schwarz, 1952, Ibid., p. 380-381 ; Albanese, 1979, Ibid., p. 431-432 ; Scacchetti, 1984, Ibid., p. 374-377, 402 ; Pugliese, 1991, Ibid., p. 408 ; Franciosi, 1992,

Ibid., p. 158-159 ; Fayer, 2005, Ibid., p. 425-428. La détermination de la puberté lors d’une cérémonie religieuse solennelle qui

avait lieu le 17 mars pendant les Liberalia, célébrées en l’honneur de Bacchus. Au cours de cette cérémonie, les adolescents obtenaient le droit de porter la toga virilis. Ce jour-là, ils étaient également inscrits dans des listes du recensement et, désormais, étaient considérés comme pubes.

1219 Les Proculiens considéraient que la pratique de déterminer la puberté lors d’une cérémonie solennelle est obsolète. Voir, Leesen, Ibid., p. 45 et s.

1220 Lex Coloniae Iuliae Genetivae, Par. XCVIII : FIRA I, p. 177-198. La Lex Coloniae Genetivae Iuliae dispose seulement que les hommes âgés de 14 à 60 peuvent être forcés à participer à la construction des défenses de la ville sans plus de precisiosn quant aux ages cites. En outré, les romanistes qui prétendent que cette lex fixe le début de la puberté à 14 ans n’expliquent pas à quoi correspond la limite supérieure de 60 ans. Sans doute le législateur a-t-il seulement estimé que la période de la vie d’un homme Alant de 14 à 60 ans était la seule pendant laquelle on pouvait raisonnablement réclamer de lui une contribution physique au bien commun.

1221 Tellegen-Couperus, 1993, Ibid., p. 474-475 ; Leesen, Ibid., p. 45 et s.

1222 Ovide, Fastes, III, 771-790 ; Appien, Histoire romaine, V, 30 ; Caton, LXVIII, 15. Bien que ces sources confirment que dans la Rome antique, la puberté a été déterminée lors d’une cérémonie solennelle, ils ne précisent pas comment cela a été fait. Il n’est dit nulle part que la puberté a été déterminée en examinant le corps.

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D’autres romanistes, dont Otto Karlowa1223 et Gian-Luigi Falchi1224, ont également utilisé l’antithèse conservateur/progressiste pour expliquer la controverse dans Gaius, 1.196.11, mais en considérant les Proculiens comme traditionalistes et les Sabiniens comme progressistes. Pour ce faire, ces chercheurs arguent du fait qu’avant la fondation des écoles, et plus précisément à la fin de la République, l’opinion de L. Neratius Priscus aux fins de déterminer la puberté du garçon dominait. Selon l’interprétation de ce jurisconsulte, un mâle devait remplir deux conditions cumulatives pour être considéré comme pubes, à savoir, la maturité sexuelle et l’âge de 14 ans1225. Sous le Haut-Empire, l’apparition des scholae sabinienne et proculienne assouplit quelque peu la position de Priscus. En effet, les Proculiens conservateurs suppriment la condition de maturité sexuelle, n’exigeant d’un garçon que l’accomplissement de sa treizième année afin qu’il soit libéré de la tutela. Les Sabiniens réformateurs innovent davantage, puisqu’ils estiment, en conservant la présomption de puberté à 14 ans, qu’un homme plus jeune pourrait démontrer qu’il est pubes en faisant valoir sa maturité sexuelle. Nous nous opposons au postulat de Gian-Luigi Falchi, qui veut que l’opinion de Priscus soit tardo-républicaine, et, par conséquent, plus ancienne que celle des Proculiens et des Sabiniens. Cette interprétation est une vue de l’esprit qui ne concorde pas avec les sources, puisqu’aussi bien Gaius qu’Ulpien citent l’avis de Priscus en dernière position, après les positions proculienne et sabinienne, indiquant en cela qu’il s’agit d’une vue plus récente1226.

De façon générale, l’explication de la controverse mentionnée dans Gaius, 1.196 au moyen de l’antagonisme entre deux écoles, l’une conservatrice, l’autre réformatrice, ne tient pas, puisque Gaius ne mentionne nulle part que parmi les deux critères permettant de déterminer la puberté masculine, l’un serait traditionnel et l’autre novateur.

Malgré le silence des sources, il nous semble que la controverse au sujet de la puberté masculine ne doit pas être expliquée par le biais de la théorie juridique, puisqu’il s’agit d’une question de droit pratique1227. Avant la fondation des écoles, il n’existait pas de réglementation claire déterminant le critère indiquant le début de la puberté masculine. On peut imaginer qu’au début du Haut-Empire, un problème concret s’est posé. Un jeune homme souhaitait – pour une raison liée à une succession – devenir sui juris et sortir de l’emprise de son tuteur. Ce dernier s’y oppose. Les deux camps sollicitent l’expertise des deux grands iurisconsulti de cette période : Cassius et Proculus. Chacun d’eux fournit un responsum non pas fondé sur un avis personnel sur le point de droit concerné, mais orienté vers la satisfaction des intérêts de son client. Les deux jurisconsultes disposant du ius respondendi, leurs avis contraires liaient le juge de la même façon, ce qui a donné naissance à une controverse. À l’aune du postulat selon lequel la controverse n’est que le résultat d’un affrontement d’opportunité entre Proculiens et Sabiniens, examinons le raisonnement de chacune des deux scholae. Nous constatons que les coryphées des deux structures emploient un argumentaire dominé par la rhétorique plutôt que par le droit. La quaestio du conflit porte sur une question de definitio, et il s’agit pour les Sabiniens comme pour les Proculiens de définir la puberté masculine dans le sens qui sert le mieux leur client. Pour cela, les deux camps font usage du topos pour construire une définition pertinente. Dans la troisième partie de ses Topica, et plus précisément aux passages 23,87-88, Cicéron énumère huit topoi qui conviennent particulièrement bien pour une question de définition : le locus a

definitione, a similitudine, a differentia, a consequentibus, ab antecedentibus, a repugnantibus, causis, et ab effectis. Les Proculiens opteront pour le locus a similitudine, les Sabiniens pour le

1223 Otto Karlowa, Romische Rechtsgeschichte I, Veit & comp., 1885, p. 666 1224 Falchi, 1981, Ibid., p. 113-121.

1225 Gaius, 1.196. Voir, Falchi, Ibid., p. 117.

1226 Pour ce contre-argument, voir Tellegen-Couperus, 1993, Ibid., p. 476. 1227 Tellegen-Couperus, Ibid., p. 471-479.

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locus a differentia. Les premiers, pour aller dans le sens de la personne qui les avait consultés,

souhaitaient définir la puberté comme une phase de la vie d’un garçon, qui commençait à l’âge de 14 ans. Pour arriver de façon cohérente à une pareille conclusion, les Proculiens ont usé de l’analogie qui fait partie du locus a similitudine1228.

Puisqu’existait pour les filles la présomption que ces dernières devenaient pubères à l’âge de 12 ans (étant donné qu’il s’agissait de l’âge habituel auquel les premiers signes de maturité sexuelle apparaissaient), il devait en être de même eu égard aux garçons. À la seule différence que la présomption devait être reculée de deux ans, étant entendu que la maturité sexuelle intervenait plus tard chez les mâles que chez les femelles1229. Les Sabiniens souhaitaient que la puberté soit définie par la maturité sexuelle et non par l’âge. Ainsi, ils ont fait usage du locus a differentia pour soutenir leur point de vue. Bien que les filles et les garçons soient tous deux des êtres humains, une différence existe entre le début de la puberté féminine et celle masculine. Par conséquent, le critère pour déterminer le début de la puberté féminine – l’âge – ne pouvait s’appliquer à la puberté masculine. On ignore quel argument les Sabiniens employèrent pour soutenir leur point de vue, à savoir que la maturité sexuelle devait constituer le critère permettant de déterminer le début de la puberté masculine. Il faut noter que nous connaissons, au moyen d’un passage d’Ulpien, une troisième voie quant au problème de la puberté du garçon1230. Il s’agit de l’opinion d’un certain Priscus. Selon l’interprétation littérale du texte, Priscus estimait qu’un adolescent masculin devait remplir deux critères : la maturité sexuelle et l’âge pour atteindre la puberté. Toutefois, cette interprétation soulève deux problèmes. Si les deux critères devaient être remplis, les eunuques seraient catégoriquement exclus de la puberté, et les citoyens romains appartenant à la classe inférieure auraient rencontré des difficultés, puisque leur date de naissance n’était pas toujours connue. Comme il est improbable que Priscus n’ait pas anticipé ces difficultés, une interprétation différente s’impose. Tessa Leesen, en comprenant différemment le terme concurrit, estime que Priscus évoquait l’âge et/ou la maturité sexuelle. Il suffisait qu’un seul des deux critères soit rempli pour que le garçon soit considéré comme pubère. Ulpien ne précise pas s’il s’agit du sabinien L. Iavolenus Priscus ou du proculien L. Neratius Priscus, tous deux ayant vécu au début du premier siècle