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c) Naissance et disparition des scholae sabinienne et proculienne

À quel moment les écoles ont-elles été formellement fondées ? Autrement dit, à partir de quand une continuité entre un maître et ses disciples est-elle clairement visible dans l’histoire des scholae sabinienne et proculienne et quand peut-on observer une véritable antinomie entre les deux sectae ? Quand les sectae disparaissent-elles ?

Pour répondre à ces interrogations, il convient dans un premier temps de relever dans les sources les termes utilisés pour nommer les deux scholae puis, dans un second temps, d’examiner les travaux issus des sectae, pour déterminer le moment à partir duquel se manifeste une opposition marquée entre les deux entités et une continuité au sein de chaque structure1054. Tout d’abord, examinons les intitulés utilisés dans les sources pour désigner les deux écoles de droit du Haut-Empire. On relèvera que Pomponius les nomme Cassiani et Proculiani, mettant ainsi en avant les juristes de la troisième génération, respectivement Cassius et Proculus : « Nam etiam plurimus potuit, appellatique sunt, partim Cassiani, partim proculeiani (…)1055 ». Eu égard aux Proculiens, les sources postérieures confirment l’initiative de Pomponius. En revanche, il n’en va pas de même pour l’école rivale. Si elle est nommée

Cassiana dans l’Enchiridion, les compilateurs du Corpus Iuris Civilis l’appellent Sabiniana1056. Dans cette voie, Justinien est précédé par Marcien, Ulpien ou encore Marcellus. Par ailleurs, le nom de sabinien s’est établi dans la science juridique moderne. Pourtant, les auteurs les plus proches de la fondation des écoles (Ier siècle), c’est-à-dire Pomponius, ainsi que Paul1057, nomment l’école d’après Cassius. En outre, Pline attribue expressément la paternité de la schola

1047 Jérôme Carcopino, « Note sur un nouveau fragment des Fastes d'Ostie », Comptes rendus des séances de l'Académie des

Inscriptions et Belles-Lettres, 76-4, Imprimerie Nationale, 1932, p. 367-368.

1048 Raymond Raymond Thouvenot, « Deuxième diplôme militaire trouvé à Banasa », Comptes rendus des séances de

l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 79-3, Imprimerie Nationale, 1935, p. 413-414.

1049 D. 36.4.15.

1050 Historia Augusta, Vita Antonio Pio, XII, 1 1051 D. 4.4.33.

1052 D. 49.14.42 (ex constitutione divi Trajani).

1053 Antonio Guarino, « Scholae », Annali del Seminario giuridico dell'Università di Catania, I, Giuffrè, 1947, p. 331 et s. suggère que Tuscianus et Javolenus Priscus soient une seule et même personne.

1054 Javier Parico, « Sobre la denominacion Casianos/Sabinianos », in Studi in onore di Remo Martini, III, Giuffrè, 2009, p. 22-28. 1055 Pomponius, D. 1.2.2.47-53.

1056 Sur ces points, lire : Emanuele Stolfi, « Il modello delle scuole in Pomponio e Gaio », Rivista : studia et documenta

historiae et iuris, 69, 1997, p. 1 et s.

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à C. Cassius1058. Pomponius affirme également que les deux dénominations de Proculiani et

cassiani étaient les dénominations originelles1059. Il laisse entendre que la dénomination de Sabiniens pour les adeptes de Capito devait être plus récente que celle de Cassianiens. Cette idée peut sembler curieuse, mais la double dénomination de la secta s’explique uniquement si l’on songe qu’après la condamnation et l’exil de Cassius en Sardaigne en 65, quand l'école ne pouvait pas continuer à s'appeler cassienne sans risquer d'encourir la haine de Nero, ses membres ont préféré choisir une désignation différente. Ils ont ainsi « déterré » le nom d’un ancien dirigeant, Masurio Sabino. On peut aussi penser que la dénomination de Sabiniani est plutôt en rapport avec Celio Sabino, que Pomponius dit être le successeur de Cassio1060. Le fait que, au même endroit, Pomponio affirme que « Caelius Sabinus plurimum temporibus Vespasiani potuit » n'exclut pas la possibilité que celui-ci ait démarré son « leadership » avant l’époque de cet empereur. Les fondateurs formels auraient donc été, pour les deux scholae, les hommes de la troisième génération : C. Cassius Longinus et Proculus.

Voyons à présent si l’étude des travaux des deux écoles confirme la structuration de ces dernières avec la troisième génération de juristes, c’est-à-dire C. Cassius Longinus et Proculus.

Concernant l’école proculienne, une absence d’ambiguïté dans les sources concernant son appellation nous fait penser que c’est manifestement sous Proculus, et pas avant, que la

schola s’est consolidée. Jamais, par exemple, la secta n’est nommée d’après Labeo ou Nerva

Pater, d’un niveau social pourtant bien supérieur à Proculus1061. L’examen de la littérature juridique nous confirme dans l’idée que l’école proculienne n’était pas encore consolidée avant la troisième génération1062. En effet, il n’existe pas de grande concordance dans les opinions juridiques entre la deuxième génération de juristes de l’école proculienne et la première, ainsi qu’entre la deuxième et la troisième générations. Ce n’est qu’à partir de la troisième génération que l’on observe une certaine continuité dans les avis juridiques des membres successifs de la schola. Ainsi, eu égard à Labeo – première génération – nous pouvons noter que sur les 32 opinions de Nerva Pater – deuxième génération – qui nous sont parvenues, ce dernier ne concorde que deux fois avec son ainé, et le contredit une fois. De la même façon, sur les treize

Notae de Proculus issues des Posteriora de Labeon, le plus jeune se montre critique vis-à-vis

de l’opinion de son prédécesseur à dix reprises. En dehors des Notae, Proculus contredit Labeon à cinq reprises et s’accorde sept fois avec lui. Inversement, Proculus est en accord avec Sabinus et Cassius cinq fois, et il prend cinq à six fois le contre-pied de leurs positions. Par ailleurs, Proculus contredit Nerva Pater quatre fois ; on peut donc dire qu’il n’y a pas d’attachement significatif de la troisième à la deuxième génération de juristes de l’école proculienne1063.

Relativement à l’école sabinienne, Detlef Liebs a montré que, lors du passage de la première à la deuxième génération, aucune continuité ne peut être observée1064. La situation est plus claire entre la deuxième et la troisième générations, puisque sur l'ensemble des opinions transmises par Cassius (168), nous trouvons 57 consentements – généralement sans argumentation – à un avis de Sabinus. À seulement trois reprises, Cassius entre en conflit doctrinal avec Sabinus. Un tel attachement est sans précédent. Cassius semble en outre avoir

1058 Pline l’Ancien, Annales, XVI, 7-9 ; Pline le Jeune, Epistulae, VI, 5. 1059 D. 1.2.2.52.

1060 D. 1.2.2.53. Voir aussi, Cannata, 1998, Ibid., p. 433 et s.

1061 Liebs, 1976, Ibid. Sans doute le fait que Nerva Pater était depuis 26 dans la cour de l’empereur Tibère à Capri l’empêchait il de pouvoir avoir un impact suffisant à Rome sur sa secta.

1062 Stolfi, Ibid., p. 1 et s. 1063 Leesen, Ibid., p. 321 et s.

1064 Liebs, 1976, Ibid., p. 197-286. De Sabinus nous conservons plus de 200 fragments. Par ailleurs, Sabinus est en accord avec Labeon à dix reprises, contre trois divergences.

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annoté le Ad Vitellium de Sabinus et, dans le seul passage en notre possession, se montre d'accord avec lui. Pour Detlef Liebs, cette fidélité de Cassius à l’égard de Sabinus était due au fait que le premier était scientifiquement éclipsé par son ainé1065.

Au sujet de l’antagonisme entre les deux sectae, que pouvons-nous dire ? Entre Nerva Pater et Sabinus (2ème génération), ou bien entre Cassius et Proculus (3ème génération), on ne peut pas déterminer de contraste marquant. Par le fait qu’il s’est donné la mort en 33, il est clair que Nerva Pater ne pouvait pas tenir tête à Sabinus, resté actif jusqu’au règne de Néron (54-68). Au sujet de Cassius, nous avons constaté précédemment qu’il était totalement dominé par son prédécesseur à la tête de la secta, Sabinus, et que par conséquent – ne faisant essentiellement que reprendre les opinions de son maître – il ne pouvait manifester un antagonisme actif avec le dirigeant de la schola adverse, Proculus. C’est après la troisième génération que l’antagonisme entre les deux scholae est véritablement visible.

On situe généralement la fin de l'opposition rigide entre les deux écoles à Iavolenus1066, au travers de son commentaire des Posteriores de Labeon. Avec le Digeste du même auteur, on voit s'estomper encore un peu plus le dogmatisme rigide et les conflits d'école. L’école proculienne ne continue pas après Neratius et Celso, et si l’école sabinienne perdure pendant un certain temps encore, c’est uniquement dû au fait que Julien, le dernier de ses dirigeants, a vécu longtemps et avait un collègue plus jeune, l'Africain. Si Gaius utilise encore, à l’époque d’Antonin le Pieux, un langage qui suggère la présence de dissensions au sein des écoles, ceci est uniquement dû à sa vision quelque peu stéréotypée de la science juridique et de l'environnement oriental dans lequel il opérait, lequel mettait en avant les anciennes catégories. Pour les juristes de l’époque Sévère, toujours plus intégrés dans la bureaucratie impériale, l'idée d'une opposition d'écoles devient plus distante. Il existe certes des maîtres et des élèves1067, ou des antagonismes personnels1068, mais l'époque des sectae est révolue. Dans l'Enchiridion, un indice révèle qu’à l’époque de Pomponius, le fait de scinder les juristes en deux sectae posait déjà problème. En effet, alors que dans les § 47, 48, 51, 52 et 53, Pomponius traduit clairement l'opposition entre Capiton et Labeon, Nerva père et Sabinus, Cassius et Proculus, Celius Sabinus et Pégase, dans le §54, Pomponius ne se livre qu’à un inventaire des différents coryphées des

sectae, dans lequel il devient presque impossible d'en déduire l'opposition entre les maîtres.

Après avoir clarifié la chronologie des deux sectae, nous en arrivons aux problèmes principaux : leur nature exacte ainsi que les raisons qui motivent leur opposition.

B) Les positions des romanistes au sujet de la nature des institutions

proculienne et sabinienne et la raison de leur division en deux

scholae.

Les deux problèmes principaux concernant les scholae proculienne et sabinienne consistent à déterminer leur nature et à trouver dans les sources la raison de leur séparation en deux entités distinctes. Les deux questions sont liées, puisque répondre à la première permet en bonne partie de trouver la solution à la seconde. Nous aborderons tout d’abord de multiples

1065 Liebs, Ibid., p. 197 et s. 1066 Cannata, Ibid., p. 433 et s.

1067 Cervidius Scevola, Paul, Ulpien et Modestin. Lire : Leesen, Ibid., p. 346 et s.

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explications théoriques à la division entre les scholae proculienne et sabinienne conçues comme des institutions pédagogiques (a), puis nous tenterons de proposer une explication différente ne reposant pas sur la théorie du droit mais sur la pratique judiciaire1069. En développant ce postulat, nous verrons qu’une explication concernant la nature des scholae Proculienne et Sabinienne émergera également (b).

a) Les explications théoriques à la division entre les scholae proculienne et