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1 1 Le développement durable et l’agriculture : un concept et plusieurs définitions

Chapitre 4 Identification d’un ensemble d’indicateurs pour évaluer la durabilité sociale des fermes laitières

4.1.1. Une prémisse ; définir le concept de durabilité sociale

Dans le domaine des sciences sociales, aucun consensus n’a été fait pour déterminer quels sont les critères à utiliser pour définir la durabilité sociale (Omann et Spangenberg, 2002). La durabilité sociale est plus difficile à concrétiser et conséquemment, c’est aussi la plus négligée dans les démarches d’évaluation de la durabilité (McKenzie, 2004). Certains auteurs ont étudié la durabilité sociale des communautés, d’autres ont abordé les aspects de capital social et de relations sociales ou encore le bien-être individuel. Pour McKenzie (2004), l’amélioration de la durabilité sociale se définit par la présence de progrès dans les conditions de vie des communautés et en même temps par un processus permettant de réaliser ces progrès au sein de ces communautés. Au lieu de chercher une définition universelle, Scott et al. (2000) propose d’envisager la durabilité sociale comme ayant un contenu local et historique qui inclut des éléments de voisinage, de participation sociale, de justice et d’équité.

Dans la littérature, plusieurs auteurs associent la durabilité sociale au concept de capital social (Bridger et Luloff, 2001; Gafsi, 2006; Pretty, 2008). Le capital social est le rendement de plusieurs actions collectives, mutuelles et bénéfiques contribuant à la cohésion et la coopération entre les gens en société. Plusieurs valeurs sont associées au capital social telles : la confiance, la solidarité, la réciprocité (Pretty, 2002). Le capital social est en fait l’ensemble des relations existantes parmi les acteurs d’un milieu afin de créer un climat où la productivité est favorisée et où la qualité de vie des individus et de la communauté en général est améliorée.

Parallèlement au capital social, le capital humain est aussi relié à la durabilité sociale. Le capital humain est l’ensemble des savoirs, des compétences et des expériences d’un individu qui déterminent sa capacité à réaliser des projets et à travailler. De plus, le leadership et les compétences organisationnelles, qui font parties du capital humain, sont particulièrement importants afin d’utiliser plus adéquatement les autres ressources telles que les ressources physiques, naturelles, matérielles (Pretty, 2002). En fait, le capital humain est essentiel pour exploiter ces ressources et en tirer profit. Le capital humain saisit également la notion d’entrepreneurship qui peut être perçue comme une des composantes de la durabilité sociale. Pour Pretty (2008), les systèmes agricoles possédant des capitaux

105 social et humain élevés sont davantage capables d’innover dans des contextes d’incertitude et contribuent donc à des fermes plus durables.

À l’échelle de l’entreprise agricole, comment traduire ces concepts de capital social et de capital humain? Selon Landais (1998), une ferme durable est une entreprise viable, vivable, transmissible et reproductible. Les caractères viable et reproductible renvoient aux dimensions économique et environnementale. La "vivabilité" est un concept traduisant la qualité de vie des exploitants et celle de leur famille autant sur la ferme que dans leur communauté. Quant à la transmissibilité, elle est liée au potentiel de transmission des exploitations et à la place de l’agriculture dans la dynamique locale de développement (Landais, 1998; Parent, 2001). L’aspect social de la durabilité d’une ferme est donc différencié par sa nature multidimensionnelle souvent nommée interne ou externe, comme il est mentionné dans les outils d’évaluation présentés dans le tableau 4.1. Il existe une dimension interne à l’entreprise où cohabitent et travaillent des humains et où les générations se suivent. La qualité de vie et le bien-être individuel sont alors importants à évaluer. La dimension interne pourrait être associée en partie au concept de capital humain. Cette entreprise est, en même temps, en relation avec le milieu environnant pour des échanges, des services et pour le maintien du tissu social. Cette dimension nommée le social externe, fait aussi partie prenante de cette « vivabilité » et de la transmissibilité. À l’échelle de la ferme, la composante sociale externe pourrait correspondre au capital social. Cet élément introduit aussi le lien existant entre durabilité et multifonctionnalité de l’agriculture. Afin que la durabilité des fermes subsiste, le milieu rural doit rester vivant et l’agriculture doit occuper une place importante au niveau territorial pour l’exploitation des ressources. Les aspects sociaux interne et externe décrits dans ce dernier paragraphe représentent la définition de la durabilité sociale que nous avons retenue pour l’outil.

4.2 Méthodologie

Les indicateurs sociaux ont été développés en utilisant des méthodes de recherche participative empruntées aux sciences sociales. Parmi ces méthodes participatives, la technique Delphi et le focus group ont été sélectionnés. Ces méthodes ont l’avantage de générer du savoir empirique avec l’implication des acteurs locaux dont les producteurs

106 agricoles et permettent une meilleure intégration de ces savoirs par les acteurs (King et al., 2000). Cette façon de faire est nommée « approche inductive exploratoire » (Lessard- Hébert et al., 1990). Ce rappel épistémologique permet de mieux comprendre comment le développement des indicateurs s’est réalisé.

La méthodologie détaillée employée pour la construction des indicateurs sociaux a été la même que celle présentée dans le chapitre 3, ce dernier portant sur le développement et l’élaboration des indicateurs agroenvironnementaux liés à ce même projet de recherche. L’identification et la sélection des indicateurs sociaux en agriculture constituent une construction sociale. Selon les auteurs Berger et Luckmann (2006), une construction sociale est un processus dynamique où la réalité est une représentation pour les personnes qui agissent et pensent en fonction de leur interprétation, leurs connaissances et leurs perceptions. En d’autres mots, les indicateurs sont « socialement construits ». De plus, Bossel (1999) mentionne qu’un grand nombre de choix effectués dans la construction d’un ensemble d’indicateurs reflète nécessairement le savoir et les valeurs de ceux qui le font. Il ajoute qu’il est donc indispensable de tenir compte de connaissances variées, de représentations mentales et de préoccupations sociales différentes.

Le tableau 4-2 présente les principales étapes de sélection des indicateurs, l’évolution des participants à chaque étape de la consultation ainsi que le nombre d’énoncés retenus à chacune d’elle pour le volet social. Dans notre projet de recherche, les experts choisis avaient tous un curriculum fort différent. Parmi ces experts, nous retrouvions, entre autres, des conseillers en transfert de ferme, des psychologues œuvrant spécialement dans le milieu agricole, des économistes spécialisés dans le secteur laitier, des chercheurs et des producteurs agricoles. Au départ de la consultation, la classe des intervenants et des conseillers était représentée par 15 personnes auxquels se sont ajoutés sept chercheurs et dix producteurs agricoles. La consultation des experts réalisée par la technique Delphi avait deux objectifs précis : identifier une masse critique d’indicateurs susceptibles d’être pertinents pour évaluer la durabilité sociale des fermes laitières ainsi que prioriser et sélectionner parmi ces indicateurs, les plus importants. La question initialement posée lors de premier envoi Delphi comportait une prémisse qui concrétisait la notion de ferme durable et était : « Une exploitation durable est une ferme qui sera encore en opération dans

107 deux générations. Dans ce contexte et en fonction de votre expertises, quels sont les indicateurs sociaux lesplus importants que vous utiliseriez pour évaluer la durabilité des fermes ». Quant à l’étape du focus group, elle permettait de statuer sur les indicateurs à retenir, de regrouper les indicateurs en composantes, de proposer une pondération et de fixer les valeurs de référence afin de mesurer les indicateurs. Lors du premier focus group, 13 participants appartenaient aux groupes suivants : intervenants ou conseillers (4), chercheurs (4) et producteurs (5).

Un autre aspect méthodologique spécifique au volet social est la méthodologie utilisée pour mesurer la majorité des indicateurs sociaux. Il existe très peu de valeurs de référence pour venir appuyer nos choix d’indicateurs sociaux à l’échelle de la ferme et des seuils d’acceptabilité qu’il faut leur assigner (Omann et Spangenberg, 2002). De plus, les seuils existants sont souvent peu applicables dans le secteur agricole. Prenons par exemple, le nombre d’heures travaillées par semaine. Cet indicateur est peu applicable car le calendrier et le rythme de travail des producteurs agricoles sont différents des travailleurs des autres secteurs d’activités et de la population en général. Il faut par contre statuer sur un moyen de mesurer cet aspect qui sera applicable sur toutes les fermes tout en reflétant bien la réalité de chaque producteur. Pour pallier à cette difficulté méthodologique, nous avons décidé, avec l’aide des experts présents lors du focus group, d’utiliser les échelles attitudinales ou les échelles de fréquence comme outil de mesure qualitatif. Les échelles attitudinales appelées « échelles de Likert » sont depuis longtemps utilisées dans le domaine social pour évaluer la perception des personnes interrogées sur un sujet particulier (Jackson et Verberg, 2007). Un indicateur qualitatif permet dans certains cas d’obtenir une mesure représentative de la réalité et est suffisant pour procéder à une évaluation fiable (Bossel, 2001). Les échelles de Likert sont utilisées afin d’évaluer les réponses de tous les producteurs agricoles de la même façon. Ces échelles proposent des choix aux producteurs agricoles sans lesquels il leur serait plutôt difficile d’apprivoiser, sans balise, les différents aspects du volet social de leur ferme.

Pour la collecte de données sur les fermes, contrairement à ce qui a été fait et décrit dans le chapitre 3, l’envoi d’un questionnaire postal a été préféré plutôt qu’une entrevue à la ferme. Certains aspects sociaux retenus tels que le support émotionnel ou les relations familiales et

108 socioprofessionnelles pouvaient être sensibles et mettre les producteurs dans un étât de gêne face à un intervieweur. Comme ces aspects de durabilité sociale sont moins tangibles et souvent novateurs, il nous a semblé pertinent de laisser aux producteurs agricoles la liberté de réagir individuellement aux questions et de remplir le questionnaire sans peur d’être jugé par un intervieweur. Au préalable, le questionnaire avait été envoyé en pré-test à deux producteurs afin d’évaluer la durée nécessaire pour le compléter, de vérifier que les échelles attitudinales pour la mesure des indicateurs étaient bien comprises ainsi que pour valider la compréhension générale des questions.

Les indicateurs ont été testés sur des fermes laitières de deux régions agricoles contrastées au plan des conditions pédoclimatiques, de leur proximité aux grands centres ainsi qu’à leur utilisation du territoire. Les deux régions sont le Bas St-Laurent et la Montérégie. Ce sont les mêmes fermes que celles décrites dans le chapitre 3.