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Préférences personnelles et accumulation patrimoniale

Afin de comprendre vos préférences temporelles, nous vous demandons dans cette expérience de dire pour chaque alternative quelle option vous préférez

V. Application du modèle d'escompte séquentiel à l'épargne pour la retraite

V.5. Préférences personnelles et accumulation patrimoniale

Les différences de richesse très importantes entre les individus, notamment lors du passage à la retraite, s'expliquent-elles par des différences objectives (dans les revenus, la composition du ménage, la santé) ou sont-elles avant tout la conséquence de différences dans les préférences subjectives?

Pour répondre à cette question, Venti et Wise (2001) supposent qu’il est possible de séparer, dans le patrimoine accumulé par les ménages au moment du passage à la retraite, ce qui relève de circonstances hors de leur contrôle (chance) de ce qui provient de leurs décisions propres (choice), et donc, finalement, de leurs préférences. Ils évaluent l’impact des facteurs de « chance » à l’aide d’une régression de la richesse en fonction d’une série de variables qu’ils considèrent comme représentatives de ces facteurs (transferts reçus, statut matrimonial, composition familiale, état de santé, etc.). Ces régressions présentent un pouvoir explicatif restreint de sorte que l’essentiel de la variance est attribuée par les auteurs aux préférences des ménages.

Certaines études confirment que les préférences individuelles expliquent une part importante des différences de patrimoine entre les individus. Arrondel, Masson et Verger (2004) ont étudié la relation entre différents paramètres psychologiques et le patrimoine déclaré par les répondants à l'enquête Insee Patrimoine 1998. Précisément, ils ont posé à un sous-échantillon (1135 ménages) de l'enquête une série de questions de différente nature – de comportement, d'opinion ou d'intention, de choix de loteries ou de réactions à des scénarios fictifs, etc. – couvrant un large éventail de l'existence (consommation, loisirs, santé, placements, travail, retraite, famille, etc.) censées caractériser tel ou tel paramètre. Le

questionnaire a permis d'attribuer à chaque enquêté des scores synthétiques pour l'attitude face au risque, les préférence temporelles, l'impatience de court terme et l'altruisme familial et non familial. Par ailleurs, chaque enquêté a également pu se positionner lui-même sur des échelles graduées de 0 à 10, selon la perception qu'il a de son attitude à l'égard du risque –entre prudent et aventureux- de sa préférence pour le présent –entre impatient et prévoyant- ou de son impatience de court terme – entre impulsif et posé. Une fois obtenu ces scores et ces positions sur les échelles et vérifié que les paramètres psychologiques étaient bien exogènes, les auteurs ont pu faire la régression du patrimoine déclaré dans l'enquête sur les paramètres psychologiques et les autres variables économiques et sociodémographiques renseignées par l'enquête.

Les résultats montrent que les effets sur le patrimoine de l'aversion au risque, des préférences temporelles et de l'altruisme familial sont significatifs et conformes aux prévisions. Ils ont un pouvoir explicatif (mesuré par les R2 partiels de la régression et la

décomposition de l'indicateur de Theil) important des différences de patrimoine entre ménages, certes inférieur à celui des variables de référence (âge, revenus, CSP, héritage) mais supérieur aux autres variables sociodémographiques du modèle (origine sociale, diplôme, composition du ménage, etc.). Quand les individus sont classés selon leur quartile d'appartenance dans la distribution des scores, les auteurs obtiennent un écart de 51% entre les plus risquophobes et les plus risquophiles, de 84% entre les plus prévoyants et les plus impatients et de 32% entre les plus altruistes en famille et les plus égoïstes. En revanche, l'impatience de court terme et l'altruisme non familial semblent n'exercer aucune influence sur le patrimoine. Les régressions à partir du positionnement libre sur les échelles aboutissent à des conclusions similaires, avec des effets toutefois moins significatifs.

Enfin, les auteurs se sont demandés si l’hétérogénéité des préférences permettait d’expliquer, pour une part au moins, le patrimoine trop faible de certains ménages à la veille de la retraite. Pour cela, ils se sont focalisés sur le sous-échantillon des ménages dont la personne de référence était âgée de 50 à 65 ans (268 ménages sur 1135) et, parmi ces derniers, ont isolé ceux dont le rapport patrimoine sur revenu permanent estimé était inférieur à 2 (soit 60 ménages, représentant 22 % de la tranche d’âge). D’un point de vue statistique, seuls les scores de préférence temporelle et d’altruisme familial expliquent l’appartenance à la catégorie des non-épargnants ; le score d’attitude à l’égard du risque ne joue pas de rôle significatif. Parmi ces non-épargnants, ils ont trouvé effectivement une proportion bien supérieure de ménages peu prévoyants (25,9 % contre 11 % pour les autres ménages) et de même beaucoup moins d’altruistes (15,5 % contre 28,6 %). Mais les différences de goûts sont

loin d’expliquer la totalité de ce phénomène d’inadequacy of saving, puisqu’on observe encore un pourcentage non négligeable de prévoyants (25,8 %) parmi les non-épargnants.

Daniel et Webley (1998) fournissent une autre étude des déterminants psychologiques de l'épargne dont les résultats plaident pour un impact significatif des préférences sur les comportements d'épargne. A partir d'un questionnaire envoyé par courrier et retourné par 110 ménages des villes anglaises d'Exeter et Plymouth, ils ont régressé le montant total d'épargne des ménages et le niveau d'épargne régulière sur différents traits psychologiques. Ils ont obtenu que l'épargne était, conformément aux prédictions, positivement reliée avec les préférences temporelles, le degré de contrôle de soi et la "considération des conséquences futures". En revanche, contrairement à l'intuition, ils ont noté que l'impulsivité était elle aussi reliée positivement avec le niveau d'épargne.

D'autres études, au contraire, concluent que les différences en matières de préférences expliquent peu les inégalités de patrimoine. Bernheim, Skinner et Weinberg (2001) trouvent que les différences dans les taux d'escompte déduits à partir d'équations d'Euler sont de peu d'utilité pour comprendre les différences de richesse. Barsky, Juster, Kimball et Shapiro (1997), à partir d'enquêtes ad hoc pour mesurer les paramètres des préférences individuelles à l'égard du risque, du temps et de la transmission, aboutissent à la même conclusion.

Dans la même veine, certains auteurs américains suggèrent que les différences de patrimoine s'expliquent surtout par la capacité plus ou moins grande des ménages à planifier leur consommation et leur épargne sur l'ensemble du cycle de vie. Selon Ameriks, Caplin et Leahy (2003), la faiblesse de l’épargne accumulée à la veille de la retraite par nombre de ménages proviendrait plutôt de leur manque de planification, lequel serait dû à une « propension à planifier » variable d'un individu à l'autre. Des régressions sur données d'enquêtes montrent que le temps passé à dresser un plan financier impacte significativement la richesse. Quand sont ajoutés à la régression des paramètres de préférences déduits de questions hypothétiques, l'influence de la planification sur la richesse ne diminue pas. Au contraire, l'impact augmente encore et est bien supérieur à celui des préférences individuelles, qui, excepté pour le comportement face au legs, n'est pas statistiquement significatif. L'effort de planification financière est rattaché à une propension personnelle à planifier observable dans différents pans de la vie quotidienne (choisir ses vacances, ranger son espace de travail) et dépendante de compétences individuelles (informatiques et mathématiques). Lusardi et Beeler (2006) confirment que la capacité à planifier son épargne pour la retraite influence de manière très significative le patrimoine accumulé. A partir des réponses à deux enquêtes de

1992 et 2004 d'individus âgés entre 51 et 56 ans, les auteurs obtiennent que la capacité à planifier est aussi déterminante pour les deux cohortes: les individus qui ne planifient pas accumulent un patrimoine très inférieur au patrimoine accumulé par les planificateurs, de 20% à 45% selon la place dans la distribution des revenus. Les ménages les plus modestes sont ceux dont la capacité à planifier engendre les plus grandes différences de patrimoine.